Questions pour des champions en réanimation 503
PRESSION VEINEUSE CENTRALE ET PRESSION
ARTERIELLE PULMONAIRE D’OCCLUSION
EN ANESTHESIE-REANIMATION
S. Beloucif, Département d’Anesthésie-Réanimation, Hôpital Bichat, 75018 Paris.
INTRODUCTION
L’une des premières applications de la mesure des pressions de remplissage ventri-
culaires, pression auriculaire droite (Pod) et pression artérielle pulmonaire d’occlusion
(Papo) est l’estimation de la précharge ventriculaire, afin de tenter d’optimiser le débit
cardiaque selon la relation de Frank-Starling. Celle-ci assure que le débit généré par le
cœur augmente avec le niveau de remplissage auriculaire. Cependant, le remplissage
cardiaque, c’est-à-dire la précharge, est compris comme le volume de la cavité, et un
rappel physiologique semble nécessaire pour comprendre si (ou dans quelles condi-
tions) les mesures de pressions peuvent renseigner sur l’estimation des volumes
auriculaires.
1. PRESSION TRANSMURALE
Plus que la pression intraluminale, c’est la pression auriculaire transmurale, véri-
table pression de distension d’une structure, qui est corrélée au volume télé-diastolique
ventriculaire. La pression transmurale (Ptm) est égale à la pression intraluminale moins
la pression externe (correspondant, dans le cas d’une cavité cardiaque, à la pression
péricardique, Ppe) :
Pod-tm = Pod-il – Ppe
Cette pression transmurale est le véritable index de volume des cavités cardiaques.
En effet, la pression intraluminale peut être influencée par les modifications de pres-
sion intrathoracique lors de la ventilation par exemple, ou par une contrainte externe
exercée par exemple par une tension péricardique accrue. Ce point est particulièrement
net pour le ventricule droit (VD), qui, comparé au cœur gauche, est une chambre rela-
tivement compliante pouvant être influencée par toute contrainte externe surajoutée
comme lors d’une péricardite constrictive, d’une tamponnade, ou d’une ventilation
artificielle.
En physiologie toutefois, il est parfois plus facile de raisonner en se disant que la
pression intraluminale (celle mesurée directement par le capteur de pression) est égale
à la pression transmurale plus la pression externe :
Pod-il = Pod-tm + Ppe
MAPAR 2001504
Ce format exprime la pression auriculaire droite mesurée (Pod-il) comme égale à la
pression auriculaire droite transmurale (reflétant le degré de tension exercé sur le VD,
fonction du volume VD, et donc de la précharge), plus toute contrainte additionnelle
externe produite par le péricarde et/ou le poumon. Ces deux facteurs seront discutés.
Enfin, Pod-tm, la pression auriculaire droite transmurale, est directement détermi-
née par le volume auriculaire droit (V) et par la compliance auriculaire (C), ce qui
permet alors de réécrire cette dernière équation en :
Pod-il = V/C + Ppe
Considérons dans le schéma suivant 3 ballons, représentant une structure élastique
(comme l’oreillette droite) placée à l’intérieur d’une boîte, (comme la cage thoraci-
que), dont la pression peut varier (Figure 1). Dans ces 3 situations, la pression
intraluminale est de 5 mmHg. Par contre, la pression externe est dans cet exemple de
+5, 0, ou -5 mmHg. La pression transmurale calculée correspondante est donc de 0, 5,
ou 10 mmHg, et nous remarquons bien que dans ces 3 situations, le volume du ballon
dépend bien de la pression transmurale de la structure.
Cependant, la compliance de ce ballon est un deuxième facteur pouvant influencer
son volume. En effet, si le ballon n’était pas fait d’une structure élastique comme du
caoutchouc mais d’un matériau extrêmement rigide, les modifications de pressions exter-
nes n’auraient que peu de retentissement sur son volume. Le volume d’une cavité
déformable étant régi par sa pression transmurale mais aussi par sa distensibilité (ou com-
pliance), l’expression de la pression intraluminale peut être réécrite selon l’équation :
Pod-il = V/C + Ppe
2. RELATION PRESSION-VOLUME : NOTION DE COMPLIANCE
Les relations entre pression et volume d’une structure peuvent être représentées de
deux manières (Figure 2). Dans la représentation habituelle de la littérature pneumolo-
gique, la pression est la variable indépendante (en abscisse), et le volume, la variable
dépendante, est en ordonnée. La pente de cette relation pression-volume (V/P) ou
compliance, est la représentation habituelle de la littérature pneumologique. Le pneu-
mologue s’intéresse à la pression régnant dans une alvéole pulmonaire ou un poumon,
la fait varier, et voit quel est le volume correspondant. La pression est la variable indé-
pendante, le volume la variable dépendante, et une relation volume-pression sur le mode
y = f(x), ou V = f(P) ainsi construite. La pente de cette relation (dy/dx, ou dV/dP)
représente la compliance (distensibilité) de la structure.
Figure 1 : Signification de la pression transmurale
5
+5
Pil
Pext
Ptm
5
+ 5
5 - 5 = 0
5
0
5
0
5 - 0 = 5
5
-5
5
- 5
5 - (-5) = 10
Questions pour des champions en réanimation 505
Dans la littérature cardiologique, la variable indépendante est cette fois le volume en
abscisse, et la pression est la variable dépendante en ordonnée, puisque le cardiologue
s’intéresse initialement au volume d’une cavité (pris comme indice de précharge). Dans
ce format, la pente de la relation obtenue entre volume et pression, P/V a les unités
d’une élastance, ou inverse de la compliance. La droite représentant une structure souple
(proche de l’axe des volumes) est à élastance faible (faible rigidité), ce qui correspon-
drait dans le schéma de gauche à une compliance élevée (grande distensibilité). C’est par
exemple le format classique des courbes pressions volume ventriculaires, permettant de
décrire une élastance diastolique minimum (traduisant la distensibilité ventriculaire en
diastole), et une élastance maximum (prise comme indice d’inotropisme).
Si l’on considère maintenant non plus des systèmes inertes mais des tissus biologi-
ques (comme une oreillette ou une alvéole pulmonaire), les élastances mesurées sont
non linéaires (Figure 3). A partir d’un certain volume, la structure devient rigide, de
telle sorte que des augmentations ultérieures de volume s’accompagnent d’élévations
importantes de pression. En pratique clinique, il est difficile d’appréhender dans notre
esprit de telles relations non linéaires. Le paramètre «élastance» étant représenté par
toute la courbe (c’est-à-dire) l’évolution des relations pression-volume selon une large
gamme de valeurs), il est plus simple d’envisager l’élastance comme linéaire, lors de 2
situations : une première où la structure envisagée est très distensible, et une deuxième
situation où celle-ci devient très rigide.
Si l’on considère maintenant les oreillettes, il faut tenir compte de la contrainte
spécifique que peut imposer le péricarde. Cette enveloppe fibreuse ne paraît apparem-
ment pas avoir de fonction bien nette puisque le péricarde peut être congénitalement
absent sans grandes perturbations physiologiques. Cependant, il peut exercer en phy-
siologie un certain degré de contrainte cardiaque, et en pathologie entraîner des signes
cliniques particuliers (tels le signe de Kussmaul ou le pouls paradoxal), ou des désor-
dres hémodynamiques graves dans les cas de tamponnade ou de péricardite constrictive.
Les propriétés élastiques particulières du péricarde font que le degré de contrainte
qu’il exerce augmente avec le volume intracardiaque. La relation pression-volume
péricardique est curvilinéaire : pour de faibles volumes intracardiaques, le péricarde
est relativement distensible, mais devient extrêmement peu compliant à partir d’un
certain degré de distension (genou de la courbe), de telle sorte que de faibles augmen-
tations ultérieures de volume intrapéricardique s’accompagnent d’élévations importantes
de pression (Figure 3). Ainsi, au fur et à mesure que le tissu péricardique est étiré, les
fibres de collagène peu compliantes seront progressivement mises en jeu à la place des
Figure 2 : Compliance et élastance
Pression
Volume
V/P = Compliance
Volume
Pression
P/V = Elastance
MAPAR 2001506
fibres élastiques relativement compliantes. Dès lors, la contrainte externe exercée par
le péricarde sur le cœur augmente avec le volume intrapéricardique.
Du fait de la relation pression-volume particulière du péricarde, la contrainte exer-
cée sur les cavités cardiaques peut devenir importante en cas d’augmentation aiguë du
volume contenu dans le sac péricardique. Le péricarde a ainsi des effets protecteurs
contre une distension cardiaque brutale : s’il était absent, une hypervolémie aiguë pourrait
entraîner une distension cardiaque telle qu’elle s’accompagnerait d’hémorragies myo-
cardiques ou d’insuffisances valvulaires avec dysfonction myocardique persistante,
même si le péricarde est alors refermé. En pathologie, en cas insuffisance valvulaire
aiguë, ou d’infarctus du ventricule droit, l’augmentation de la contrainte péricardique
évite une surdistension cardiaque, permettant au cœur de s’adapter à cette nouvelle
condition. Par analogie, on peut comprendre qu’après chirurgie cardiaque il peut être
intéressant de demander au chirurgien de réapproximer le péricarde chez des patients
porteurs en pré-opératoire d’une insuffisance cardiaque sévère.
En cas de dilatation chronique des cavités cardiaques, la surface péricardique totale
s’accroît, s’adaptant à la dilatation cardiaque, mais la morphologie particulière de la
relation pression-volume avec une partie compliante suivie d’une partie relativement
peu extensible est conservée, l’ensemble de la courbe étant déplacé vers la droite [1]
(Figure 4). Dans un groupe de chiens au cœur hypertrophié par une surcharge chroni-
que de volume, Freeman et coll. ont montré que la surface péricardique totale grandit
en même temps que le cœur grossit, s’adaptant ainsi à la dilatation cardiaque [1]. Le
déplacement vers la droite de la relation pression-volume péricardique suggère que
l’augmentation de taille du péricarde s’est accompagnée d’une diminution du degré de
contrainte exercé sur le cœur. On peut donc considérer le péricarde comme une struc-
ture dynamique : dans les conditions physiologiques habituelles, le cœur fonctionne
sur la partie plate de la relation pression-volume péricardique, et ne stimule pas la
croissance du péricarde. Lorsque le cœur par contre atteint la limite supérieure de sa
taille physiologique, le péricarde le contraint, limitant ainsi les à-coups brusques d’aug-
mentation importante de précharge ou de postcharge. Le péricarde gardera donc sa
capacité à limiter les à-coups de précharge ou de postcharge en cas de dilatation cardia-
que aiguë brutale.
Figure 3 : Courbe d’élastance dune structure biologique
Volume
Pression
0
Questions pour des champions en réanimation 507
En résumé, le péricarde est une membrane dont les propriétés mécaniques sont
telles qu’il est distensible lorsque le volume intrapéricardique est faible, et inextensible
quand le volume intrapéricardique est plus important, prévenant ainsi une surdis-
tension cardiaque aiguë. C’est enfin une structure dynamique qui peut croître lorsqu’elle
est soumise à un étirement chronique, de telle sorte que la pression de travail intrapéri-
cardique régnant entre le péricarde et les cavités cardiaques reste faible.
3. PARTICULARITES PHYSIOLOGIQUES DE LA RELATION PRESSION/
VOLUME CARDIAQUE DROITE
La relation entre pression télé-diastolique et volume télé-diastolique ventriculaire
est curvilinéaire, et sa pente (dV/dP) définit la compliance de la cavité. En raisonnant en
termes d’élastances (c’est-à-dire avec la pression en ordonnée et le volume en
abscisse), on observe que les modifications de volume télé-diastolique ventriculaire droit
(VTDVD) entraîneront des modifications quantitativement différentes de pression se-
lon leur localisation sur cette courbe curvilinéaire. Habituellement, ces modifications se
font sur la partie relativement plate de la courbe (la cavité étant distensible), et des
modifications importantes de volume surviennent pour de faibles variations de pression.
Ainsi, une valeur normale ou petite de pression correspond à un volume normal ou
faible. Dans la seconde partie de la courbe, pour des volumes plus élevés, des modifica-
tions similaires de volume vont entraîner des augmentations notables de pression. Dès
lors, une pression télé-diastolique élevée peut être secondaire à un volume télé-diastoli-
que élevé, ou à une compliance ventriculaire réduite (augmentation de rigidité).
A l’opposé du ventricule gauche, la très grande compliance initiale du VD fait que
les relations entre Pod et VTDVD (et donc avec la précharge) ne sont pas univoques et
dépendent en fait de la situation où l’on se trouve sur la relation volume-pression. En
physiologie, le VD opère habituellement sur la première partie, relativement plate, ou
Pression (mmHg)
100 200 300 400 500
0
10
20
600
Volume (mL)
Chien
Normal Surcharge
Volumétrique
Figure 4 : Relations pression-volume péricardiques dun chien normal et dun chien
soumis à une surcharge volumétrique [1].
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