II.Goitres à retentissement endocrinien

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Anesthésie pour Chirurgie thyroïdienne
Elle est parfaitement codifiée et les suites opératoires sont habituellement très simples, l'opéré
rentrant à son domicile le lendemain ou le surlendemain. En 80, les anesthésistes étaient
hantés par la crainte des complications hormonales, en particulier de la redoutable crise aiguë
thyrotoxique. Actuellement, on n'opère plus de goitres, en particulier de maladie de Basedow,
qui ne soient contrôlés par le traitement médical et ramenés en euthyroidie. Une telle
complication est peu probable, mais le terrain a changé car on intervient chez des malades de
plus en plus âgés, porteurs de pathologies associées et recevant des traitements susceptibles
d'interférer. On est de plus en plus souvent amené à reintervenir chez des patients qui ont été
cervicotomisés 20 ans auparavant, ou a opérer des cancers impliquant des dissections
étendues. Il y a alors un risque majeur de léser les éléments au contact de la glande tels que les
parathyroïdes, l'abouchement des lymphatiques dans le canal thoracique, les nerfs récurrents
et laryngés supérieurs, les nerfs phréniques. Ces atteintes nerveuses, lorsqu'elles sont
bilatérales, sont susceptibles d'entraîner une détresse respiratoire aiguë dont la prise en charge
spécifique en réanimation est délicate. On assiste donc au paradoxe d'une chirurgie dont la
réalisation et les suites normales se sont considérablement simplifiées, mais où des risques,
parfois mortels, subsistent.
A.Indications chirurgicales :
Le terme de goitre désigne toute hypertrophie du corps thyroïde, qu'elle soit diffuse ou
localisée, bénigne ou maligne. On distingue les goitres simples des goitres à retentissement
endocrinien. Les cancers thyroidiens s'accompagnent rarement de manifestations
endocriniennes affectant dans ce cas tous les types de goitres nodulaires avec hyperthyroïdie .
Les interventions chirurgicales portant sur la glande thyroïde répondent à deux types
d'indication :
- exérèse d'une tumeur qui peut être : bénigne, mais constituer par son volume un risque local,
les compressions restant rares cependant, maligne de façon certaine, probable ou potentielle;
- réduction permanente et irréversible d'un parenchyme thyroïdien hypersécrétant, de manière
à supprimer l'excès de production hormonale.
La chirurgie peut donc être indiquée dans:
- les goitres simples, non fonctionnels, mais gênants par leur volume ou leur situation (goitres
plongeants):
- les goitres à retentissement endocrinien, en particulier les hyperthyroïdies diffuses ou
focales;
- les cancers thyroïdiens et certaines thyroïdites.
I. Goitres simples
Ces goitres, sans manifestations endocriniennes, sont longtemps bien tolérés en l'absence de
complications, plus fréquentes en cas de goitre plurinodulaire et plongeant qu'en cas de goitre
diffus et purement cervical comme une compression trachéale, récurrentielle, vasculaire, voire
œsophagienne ; une hémorragie intrakystique ou une infection (strumite).
II.Goitres à retentissement endocrinien
Les hypothyroïdies ne sont pas chirurgicales en dehors d'exceptionnels goitres compressifs et
de la plupart des thyroïdites.
Les hyperthyroïdies sont peu chirurgicales. On peut opérer :
- maladie de Basedow caractérisée par un goitre diffus homogène et vasculaire associé à une
exophtalmie. C'est une maladie auto-immune résultant de l'action d'immunoglobulines
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spécifiques dirigées contre le récepteur à la TSH (thyroid stimulating hormone), Le traitement
est essentiellement médical et ne devient chirurgical qu'en cas d'échec .
- un adénome toxique: l'existence d'un nodule unique hyperfonctionnel est responsable de
l'hyperthyroïdie. Ce nodule autonome, hyperfixiant et hypersecrétant, entraîne par un
mécanisme de rétroaction négative une extinction du parenchyme thyroïdien normal. Le
traitement de l'adénome toxique ne peut être que chirurgical.
- un goitre multihétéronodulaire toxiques forme de transition entre Basedow et l'adénome
toxique. Il existe en effet des hyperplasies hyperfonctionnelles diffuses, parsemées de nodules
froids, improprement appelées goitres nodulaires basedowifiés, et à l'inverse des hyperplasies
non fixiantes, parsemées de nodules hyperfonctionnels, réalisant une polyadénomatose
toxique.
III.Cancers thyroïdiens
Il s'agit de l'exérèse d'un nodule hypofixiant isolé, chez un patients normothyroïdien, révélé
par cytoponction ou par examen histopathologique de la pièce d'exérèse, en extemporané ou
en postopératoire. Cette découverte nécessitera la totalisation de la thyroïdectomie et pour la
plupart des équipes un curage ganglionnaire de principe. Certains cancers massifs, en
développement extracapsulaire, peuvent nécessiter une chirurgie élargie, comportant un risque
maximal de lésion des structures de voisinage.
IV.Thyroïdites
Alors que les thyroïdites aiguës et subaiguës sont exceptionnellement chirurgicales, les
thyroïdites chroniques, qu'il s'agisse de la thyroïdite chronique fibreuse de Riedel ou de la
thyroïdite lymphocytaire chronique (maladie de Hashimoto), peuvent le devenir en cas de
compression ou de transformation maligne.
V.Goitres plongeants
Il est défini par la constatation d'un pôle inférieur de la thyroïde situé à plus de 4 travers de
doigt au-dessous du bord supérieur du manubrium sternal chez le malade en position
opératoire. Sur la Rx de thorax de face, cela correspond à une projection au bord inférieur de
D2. Tous les goitres plongeants doivent être opérés car ils finissent toujours par devenir
compressifs. La cervicotomie permet pratiquement toujours l'exérèse des goitres plongeants,
le recours à la sternotomie est exceptionnel.
La dissection doit être menée de haut en bas et d'arrière en avant en respectant les impératifs
de toute chirurgie thyroïdienne à savoir le repérage préalable et la préservation des récurrents
et des 4 parathyroïdes. La mise en place d'une sonde gastrique est recommandée dans cette
indication. En cas de complication asphyxique, il n'y a pas d'indication d'exérèse en urgence et
il est préférable de reporter l'intervention après 3 ou 4 jours d'intubation et de corticothérapie.
B. Préparation médicale à l'intervention chirurgicale
La maîtrise de l'hyperthyroïdie, lorsqu'elle existe, constitue le préalable à l'intervention afin de
prévenir l'apparition de la redoutable crise aiguë thyrotoxique postopératoire devenue
exceptionnelle. Elle a pour but de freiner la production hormonale ou pour le moins de
diminuer les effets centraux et périphériques des hormones thyroïdiennes.
I.Blocage de l'hormonosynthèse et/ou de l'hormonosécrétion
- Antithyroïdiens de synthèse (ATS)
Ils agissent en bloquant l'oxydation et l'organification de l'iode et le couplage des
iodotyrosines, empêchant la sortie de l'hormone en particulier la T4. Ce sont tous des dérivés
de la thionamide. Le carbimazole (Néo-mercazole comprimés à 5 mg) est le plus utilisé
actuellement. Ils constituent la base du traitement médical de la maladie de Basedow.
Cependant, les ATS n'agissent que lentement. Leurs premiers effets n'apparaissent qu'au bout
d'une semaine et le retour à l'euthyroidie nécessite en moyenne 6 semaines. Leur action
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permet le contrôle de l'hormonosynthése dans l'attente d'une rémission ou d'une guérison
spontanée qui survient. dans plus de la moitié des cas, en 12 à 24 mois au cours de l'évolution
naturelle des maladies de Basedow.
En cas de résultat insuffisant, de reprise évolutive ou de rémanence d'un goitre volumineux,
susceptible de récidive, l'exérèse subtotale du corps thyroïdien est indiquée. Certains
poursuivent les ATS jusqu'à la thyroïdectomie, mais beaucoup préfèrent les interrompre,
progressivement sur 5 à 6 jours, une quinzaine de jours avant l'intervention en prenant le relais
par des doses croissantes d'iode minéral (Lugol fort débuté à 5 gouttes 3 fois par jour, monté
progressivement jusqu'à 15 gouttes 3 fois par jour), ou de lithium (3 à 4 comprimés de 300 mg
par jour sans excéder une lithémie de 1 mmol/l).
- Iode minéral
L'iode minéral et les iodures agissent en bloquant de façon transitoire l'organification des
iodures et surtout en empêchant la protéolyse de la thyréoglobuline, donc la sortie hormonale.
En périphérie, l'iodure entrave la conversion de T4 en T3. L'iode minéral constitue donc une
thérapeutique d'urgence, notamment face à une poussée alarmante de thyrotoxicose. Utilisé en
relais des ATS dans la période préopératoire immédiate, il a l'intérêt de diminuer le volume et
la vascularisation de la glande, qui prend une consistance plus ferme. Cela rend la dissection
plus facile, moins hémorragique et donc moins dangereuse, en facilitant le repérage des
récurrents et des parathyroïdes. L'iode ne constitue pas un traitement à long terme, en raison
d'un phénomène d'échappement , survenant après 4 semaines minimum de traitement.
- Lithium
Il n'affecte pas la captation de l'iode par la thyroïde, mais bloque la libération de l'iode
hormonal par la glande. Le site d'action du lithium se situe au niveau de la thyréoglobuline,
inhibée dans sa synthèse mais surtout dans son hydrolyse. Le lithium permet de réduire
rapidement l'hyperthyroïdie et possède également un effet décongestionnant de la glande. Un
phénomène d'échappement , inconstant, peut se rencontrer après 4 semaines de traitement.
En dehors de l'intolérance à l'iode, les indications du lithium recoupent celles de l'iode. Les
indications sont exceptionnelles, se limitant aux formes cachectisantes de maladie de
Basedow et à l'adénome toxique en cas de difficulté de préparation par les ATS.
La marge entre dose thérapeutique et dose toxique est étroite. (900 à 1 200 mg en 3 fois),
permettant d'obtenir une concentration plasmatique thérapeutique efficace comprise entre 0,6
et 1,2 mEq/l. Une surveillance rigoureuse des signes cliniques d'imprégnation et d'intoxication
est indispensable pour ne pas confondre l’apparition de tremblements dus au lithium avec
ceux de l'hyperthyroïdie. Les principales contre-indications des sels de lithium, liées à une
réabsorption compétitive entre le sodium et lithium, sont le régime désodé, les traitements
salidiurétiques, l'insuffisance cardiaque congestive, l'hypertension artérielle et l'insuffisance
rénale.
Certaines interférences médicamenteuses existent entre le lithium et les agents anesthésiques.
Le lithium prolongerait la durée du blocage musculaire induit par la succinylcholine et le
pancuronium, augmenterait la durée d'action du pentobarbital et potentialiserait les effets de la
morphine. En pratique anesthésique courante, ces interférences n'engendrent pas de
conséquences sensibles .
- Corticoïdes
Actuellement abandonnés en préparation standard, ils gardent un intérêt de recours lors
d'interventions en urgence chez des malades imparfaitement euthyroïdiens ou en cas de crise
thyrotoxique. La dexaméthasone à une dose de 2 à 8 mg par 24 h permet d'obtenir rapidement
une diminution de 20 à 40 % de la conversion périphérique de T4 en T1.
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II. Diminution des effets centraux et périphériques : bétabloqueurs
L'hypertonie adrénergique, caractérisée par un éréthisme cardiovasculaire, une
hyperexcitabilité neuromusculaire et des perturbations de la thermorégulation, est l'élément
essentiel de la thyrotoxicose. L'explication en serait une amplification par les hormones
thyroïdiennes du signal bêta-adrénergique au niveau de la membrane cellulaire. Les
bêtabloqueurs font disparaître électivement ces symptômes alors que les autres signes de
thyrotoxicose persistent.
Le blocage des récepteurs adrénergiques par le propranolol n'affecte pas l'accumulation d'iode
dans la thyroïde ni la synthèse hormonale, mais entraîne cependant une inhibition de la
conversion périphérique de T4 en T3. Le propranolol, dépourvu d'effets sympathomimétiques
intrinsèques apparaît bien adapté au traitement de la thyrotoxicose. Les bétabloqueurs doivent
être administrés de 10 à 14 jours avant l'intervention avec un minimum de 4 à 8 jours.
L'adaptation du traitement est évaluée sur la courbe horaire du pouls, la fréquence cardiaque
ne devant pas excéder 90/min ni descendre au-dessous de 60/min. En dehors des contreindications habituelles des bétabloqueurs, ceux-ci doivent être utilisés en préopératoire en cas
de thyrotoxicose et poursuivis jusqu'au matin même de l'intervention.
L'effet stabilisant de membrane du propranolol entraîne un effet I- pouvant potentialiser l'effet
dépresseur myocardique des agents anesthésiques. Sur le cœur anesthésié, l'interférence
propranolol-anesthésique peut être responsable d'une bradycardie parfois majeure pouvant
conduire à l'asystolie ou d'une hypotension artérielle allant jusqu'au collapsus.
Ces troubles sont habituellement prévenus ou guéris par une atropinisation forte, voire si
nécessaire par le recours aux bêta-stimulants sélectifs, type dobutamine.
D'autres bétabloqueurs plus cardiosélectifs, type acébutolol (Sectral ),sont également indiqués
en préopératoire, tandis que l'esmolol (Brevibloc) est utile en peropératoire en raison de sa
demi-vie courte. En peropératoire, l'injection de bolus d’esmolol sera réservée à la survenue
d'une tachycardie ou de troubles du rythme. Le traitement sera poursuivi dans les premiers
jours postopératoires, un délai de 4 à 7 jours étant nécessaire pour qu'intervienne la chute de la
thyroxinémie et que le pouls se ralentisse spontanément au-dessous de 80/min. Une
interruption prématurée pourrait favoriser la survenue d'une crise thyrotoxique.
Les avantages de l'utilisation des bétabloqueurs dans le contrôle pré-, per- et postopératoire de
l'hyperthyroïdie sont multiples:
- absence de perturbations des tests biochimiques et isotopiques d'activité thyroïdienne
permettant une mise en route rapide du traitement;
- contrôle rapide de la thyrotoxicose ;
- obtention d'une excellente stabilité cardiovasculaire;
- raffermissement de la consistance de la glande et réduction de sa vascularisation,
- prévention de la crise aiguë thyrotoxique postopératoire.
En conclusion, la préparation médicale à l'intervention d'un hyperthyroidien comportera:
en cas de chirurgie réglée, un arrêt progressif 3 semaines avant l'intervention des ATS,
auxquels on substitue des doses progressivement croissantes de Lugol, ou plus
exceptionnellement de lithium, associés en cas de signes de thyrotoxicose aux bétabloqueurs;
en cas d'urgence, on respectera dans toute la mesure du possible le délai d'imprégnation de 4
jours par les bêtabloqueurs; si ce délai ne peut pas être respecté, on envisagera la réalisation
d'une perfusion à débit constant de propranolol ou d'esmolol, associée le cas échéant au
lithium et à la dexaméthasone jusqu'à 8 mg/ j.
C. Examen préopératoire et prémédication
I.Examen préopératoire
Il devra s'attacher à préciser les points suivants.
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- Retentissement cardiovasculaire de l'hyperthyroïdie
Pouls, TA, ecg permettent de dépister l'existence de troubles du rythme, de la conduction ou
de la repolarisation. La disparition des signes cliniques classiques (sueurs, tremblement,
agitation. brillance du regard...) reste le meilleur garant de l'efficacité thérapeutique.
- Homéostasie phosphocalcique
Il faut rechercher l'association d'une hyperparathyroïdie, ou à l'inverse la présence d'une
discrète hypercalcémie possible en cas de maladie de Basedow. Un bilan préopératoire permet
d'évaluer l'importance de la survenue d'une hypocalcémie postopératoire, en se rappelant que
la présence d'un signe de Chvostek se rencontre chez 15 % d'une population normale.
- Appréciation de la filière aérienne
* Une laryngoscopie indirecte préopératoire est indispensable. La constatation d'une paralysie
unilatérale des cordes vocales doit rendre circonspect sur une indication opératoire de
totalisation ou de réintervention.
* La recherche de difficultés d'intubation repose sur l'établissement d'un score associant
l'évaluation du stade de Malampatti, de la mobilité du rachis cervical, de l'implantation des
dents, de la morphologie mandibulaire et de l'ouverture de bouche .
* L'évaluation de l'extension et du retentissement local du goitre. Malgré le volume parfois
considérable du goitre, il est exceptionnel que celui-ci engendre une difficulté particulière
d'intubation . L'orifice glottique peut être ascensionné ou dévié latéralement. La compression
laryngée ou trachéale est essentiellement le fait de K. Une radio de face et de profil de la
région cervicale suffit habituellement pour apprécier la morphologie de la filière aérienne sans
aller jusqu'au scanner cervical. Des clichés thoraciques de face et de profil sont indispensables
en cas de goitre plongeant intrathoracique. En cas de dyspnée et plus encore de stridor
inspiratoire, dont on appréciera l'importance en fonction de la position de la tête, il est utile de
compléter ces examens par une E.F.R.
- Existence de manifestations musculaires
Dans la maladie de Basedow, de type myasthénique, elles peuvent constituer une incitation à
éviter l'usage des curares, en choisissant d'intuber sous propofol. En cas d'utilisation des
curares, on pratiquera un monitorage de la curarisation .
- Risques liés au terrain
On intervient de plus en plus souvent chez des malades âgés, porteurs de pathologies
associées, en particulier coronarienne, et recevant des traitements susceptibles d'interférer
avec l'anesthésie et la chirurgie. Une attention particulière sera apportée à la prise d'aspirine
que la banalité fait souvent méconnaître mais dont les effets sur la coagulation peuvent avoir
une incidence majeure dans ce type de chirurgie.
II.Prémédication
En dehors d'anxiolytiques, type hydroxyzine ou benzodiazépines, l'atropine peut être soit
contre-indiquée en raison de ses effets taehycardisants soit nécessaire en cas d'imprégnation
par les bétabloqueurs, à dose importante (1 mg ou davantage). L'atropinisation peut constituer
un test de bonne préparation. On estime que les patients peuvent être considérés comme
euthyroidiens si l'injection de 0,6 mg d'atropine ne produit pas une accélération de plus de 30
pulsations/min ou si le pouls ne dépasse pas 120/min.
D.Anesthésie
A l'exception des problèmes liés à une éventuelle hyperthyroïdie, l'anesthésie pour chirurgie
de la thyroïde n'est confrontée le plus souvent qu'à ceux de toute cervicotomie.
I.Installation du malade
L'installation sur table est fondamentale pour exposer au maximum la région cervicale et
dégager l'entrée du thorax en cas de goitre plongeant. La ceinture scapulaire est surélevée par
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un billot placé au niveau de la pointe des omoplates, les épaules sont effacées par une
rétropulsion des coudes, les bras étant fixés le long du corps, la tête est en hyperextension,
maintenue en position strictement sagittale par un rond occipital et un bandeau adhésif frontal.
On vérifiera chez les patients arthrosiques que la tête ne décolle pas du plan de table.
La protection oculaire doit être assurée par une pommade ophtalmique ou un collyre et par
l'occlusion des paupières, dont la béance est favorisée par la position sur table. Un défaut de
protection oculaire peut avoir des conséquences catastrophiques chez des malades porteurs de
maladie de Basedow avec exophtalmie.
L'accès veineux antébrachial étant inaccessible sous les champs pendant l'intervention
La mise en place d'une sonde gastrique n'est justifiée qu'en cas de goitre plongeant.
L'intubation endotrachéale par voie orale est systématique. Compte tenu d'éventuelles
modifications morphologiques du larynx dues au volume du goitre, des difficultés d'accès à la
tête et des changements de position du cou au cours de l'intervention, l'utilisation du masque
laryngé est contre-indiquée.L'utilisation de sondes armées ne se justifie qu'en cas de goitres
historiques avec retentissement trachéal majeur, risque de trachéomalacie et de cancers de la
thyroïde avec envahissement trachéal. La suspicion d'intubation difficile doit conduire à
prévoir les moyens adaptés : laryngoscopes à lame droite, fibroscope...
II.Protocole anesthésique 
L'anesthésie générale avec ventilation contrôlée est la règle. Les techniques d'anesthésie locale
ou d'anesthésie péridurale cervicale suspendue ressortent plus de la recherche de prouesses
techniques que d'une réelle nécessité.
L'induction est précédée de l'injection d'un bolus de morphinique qui a l'avantage d'inhiber
les réactions à l'intubation et, de réduire le saignement dès l'incision des plans superficiels. La
curarisation, qui ne se justifie que pour faciliter l'intubation, fera appel de préférence à un
curare non dépolarisant de durée d'action brève mais peut être remplacée par un agent
d'induction procurant un relâchement glottique suffisant (propofol). L'entretien de l'anesthésie
est habituellement réalisé par les halogénés en circuit fermé. Cette chirurgie est peu
réflexogène. La réinjection de bolus de morphiniques, fondée sur l'apparition de signes
cliniques (tachycardie, élévation tensionnelle..) sera évitée en fin d'intervention pour
permettre le retour en ventilation spontanée, lors de la fermeture, ainsi qu'une extubation
rapide permettant un contrôle en laryngoscopie directe de la mobilité des cordes vocales avant
le réveil total du patient.
En règle générale, le saignement peropératoire est peu important et ne nécessite pas, sauf
accident, de compensation volémique ou sanguine. Il peut être cependant gênant, en masquant
lors de la dissection les éléments fondamentaux à préserver: nerfs récurrents, glandes
parathyroïdes. Une hémostase soigneuse plan par plan, par des ligatures vasculaires, un
repérage soigneux des différents éléments anatomiques restent les plus sûrs garants de
l'absence de complications postopératoires.
E. Période postopératoire
Les suites sont simples, se bornant à une laryngoscopie postopératoire avec phonation, à la
surveillance habituelle du réveil, les malades rentrant à leur domicile, dès le lendemain pour
les gestes unilatéraux, après 48 à 72 heures pour les thyroïdectomies subtotales. Une
surveillance soigneuse de la plaie opératoire et des drains est indispensable.
En dehors de complications intercurrentes non spécifiques (infarctus chez un coronarien) les
complications les plus graves , même si elles ne sont que rarement rencontrées, sont les
hémorragies, les lésions nerveuses , les complications endocriniennes.
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I.Complications vasculaires et hématome de la loge thyroïdienne
Cette chirurgie est peu hémorragique. Certaines hémorragies de la plaie opératoire ou
extériorisées par les drains peuvent conduire à des réinterventions précoces pour reprendre des
hémostases défaillantes. Certaines thérapeutiques préopératoires, méconnues lors de
l'interrogatoire du patient, parce que considérées comme anodines (aspirine) peuvent jouer un
rôle. Le danger majeur est représenté par l'hématome sous-aponévrotique de la loge
thyroïdienne, non ou insuffisamment drainé, susceptible de devenir rapidement compressif.
Une asphyxie aiguë peut survenir brutalement. L'intubation endotrachéale peut être rendue
difficile, voire impossible, du fait de la compression. L'ouverture de la plaie opératoire, mais
surtout de la loge thyroïdienne, peut constituer le geste salvateur, permettant d'intuber le
patient et d'éviter une trachéotomie en urgence, délicate et préjudiciable au sein même d'un
champ opératoire.
Plus à distance. le risque hémorragique est exceptionnel, sauf à reprendre de façon prématurée
un traitement anticoagulant rendu nécessaire par une affection préexistante. Il n'y a aucune
justification à la réalisation d'un traitement anticoagulant, les malades se levant et marchant
dès le lendemain de l'intervention.
Une complication rencontrée avec une certaine fréquence au décours de la chirurgie d'exérèse
élargie de la thyroïde est la plaie des canaux lymphatiques et du canal thoracique responsable
d'un épanchement chyleux abondant et persistant. L'existence d'une fistule chyleuse peut être
confirmée par la prise d'un repas riche en graisse. Elle peut durer plusieurs semaines, ne se
tarissant que très progressivement avec un régime spécial.
II.Lésions nerveuses
Les signes dépendent du nerf atteint, du caractère uni- ou bilatéral de la lésion et de la durée
de la paralysie .
- Paralysie du nerf laryngé supérieur
Ce nerf peut être lésé au cours de la ligature du pôle supérieur de la thyroïde. Il en résulte une
perte des sensations de la partie supérieure du larynx et une faiblesse du muscle
cricothyroidien externe. Le patient présente un enrouement, une raucité de la voix avec une
perte des aigus et une tendance a se fatiguer facilement, et l'on peut observer des fausses
routes dues à un déficit sensitif.
Le simple examen clinique peut ne pas montrer de modifications évidentes mais la
laryngoscopie indirecte montre une rotation de la glotte du côté non paralysé au cours de la
phonation avec un raccourcissement de la corde vocale du coté paralysé. Heureusement, chez
la plupart des patients une compensation satisfaisante apparaît, mais il peut persister une
sérieuse atteinte de la phonation,
- Paralysies du nerf phrénique
Exceptionnelle, cette complication peut prendre un tour dramatique. Dans le cadre d'une
chirurgie de première intention. il est peu vraisemblable qu'une lésion, même unilatérale,
puisse survenir, en dehors d'une chirurgie carcinologique étendue. En revanche, la reprise
chirurgicale, souvent à plusieurs années de distance, parfois après radiothérapie cervicale
associée, chez un patient ayant déjà une paralysie phrénique unilatérale, peut conduire à une
atteinte bilatérale. Les capacités fonctionnelles ventilatoires de tels malades restent
extrêmement limites. Après une période de ventilation contrôlée et de sevrage, il est parfois
possible d'obtenir une reprise de l'autonomie ventilatoire, susceptible de conduire à des
épisodes de desaturation nocturnes, parfois graves, liés au décubitus et au sommeil.
- Paralysies du nerf récurrent
L'importance de la symptomatologie rencontrée dépend du caractère uni- ou bilatéral, complet
ou partiel, transitoire ou permanent de la lésion nerveuse. La fréquence et la gravité
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potentielle de ces lésions des nerfs récurrents imposent la réalisation systématique d'une
laryngoscopie préopératoire et d'un contrôle postopératoire de la mobilité des cordes vocales,
à la phonation. sitôt après l'extubation malgré sa difficulté et le risque d'erreurs, L'existence
d'une paralysie récurrentielle unilatérale préopératoire doit inciter à la plus grande prudence et
le cas échéant, orienter le chirurgien vers l'abstention chirurgicale
* Paralysie récurrentielle unilatérale
Si le corde paralysée se trouve en position médiane et si la compensation par la corde vocale
controlatérale est bonne, la symptomatologie peut rester peu ou pas évidente. Le plus souvent
on observe uniquement une faiblesse ou une modification de la voix. se traduisant par une
fatigue avec une perte de puissance de la voix. Une difficulté temporaire d'avaler, avec une
impression d'aliments collant au fond de la gorge, ou une tendance à inhaler apparaissent.
Lors de la toux un cornage peut apparaître lié à une occlusion incomplète de la glotte et à une
fuite aérienne.
Lors du contrôle de la mobilité des cordes vocales à la respiration et à la phonation après
extubation, l'anesthésiste peut observer différents aspects selon que les adducteurs ou les
abducteurs sont essentiellement concernés. Bien que le contrôle postopératoire immédiat de la
mobilité des cordes vocales soit impératif, cet examen n'est pas infaillible d'autant qu'il n'est
pas toujours réalisé au moment idéal qui concilie la tolérance du laryngoscope avec un réveil
suffisant pour obtenir la coopération du patient. Il n'est pas toujours aisé d'exposer la glotte et
il est important d'observer aussi bien l'abduction que l'adduction des cordes vocales. Un
œdème de glotte peut être associé. Lorsque l'atteinte récurrentielle unilatérale est certaine ou
simplement suspectée, un contrôle laryngoscopique est indispensable avant la sortie du
patient.
* Paralysie récurrentielle bilatérale
Elle est à redouter particulièrement en cas de chirurgie élargie, de tumeur maligne, de reprise
chirurgicale et plus encore lorsqu' il existe une paralysie unilatérale séquellaire d'une première
intervention. Le principal effet concerne la liberté des voies aériennes alors que la voix peut
être normale. L'examen postopératoire des cordes vocales n'est pas une garantie absolue, à
moins d'avoir observé une abduction et une adduction normales des cordes vocales.
Une paralysie récurrentielle bilatérale peut se révéler dès l'extubation par un stridor et le
diagnostic est évident. Toutefois, le plus souvent la symptomatologie n'est pas immédiate et
l'aspect de la glotte peut être faussement rassurant par le maintien d'une ouverture lors de
l'ablation de la sonde d'intubation moulant temporairement un larynx dénervé.
Deux cas de figure peuvent se rencontrer suivant que l'une des cordes vocales est fixe en
position médiane et l'autre en abduction, ou si les deux cordes vocales sont paralysées en
adduction obstruant l'orifice glottique. Dans le premier cas, les troubles respiratoires peuvent
être absents ou minimes, la ventilation restant compatible même avec une filière aérienne très
rétrécie. En revanche, cette paralysie se révélera par des fausses routes lors des premières
tentatives de réalimentation. Une paralysie bilatérale en adduction se traduira dès l'extubation
par une détresse respiratoire aiguë, due à l'obstruction glottique, imposant la réintubation
immédiate. Une nouvelle tentative d'extubation, suivie d'un examen laryngoscopique, sera
effectuée 48 heures plus tard. Certaines paralysies temporaires liées à une contusion ou une
dessication du nerf lors de l'intervention peuvent avoir régressé, avec récupération d'une
mobilité des cordes vocales compatible avec l'extubation.
• Existence d'une paralysie en abduction, empêchant l'occlusion totale de la glotte, à l'origine
de fausses routes, elle peut bénéficier de l'injection de téflon au niveau d'une corde vocale.
Sous anesthésie générale et microlaryngoscopie on injecte du téflon. L'injection est réalisée
juste avant la phonation sur le bord de la corde vocale en introduisant le bolus profondément
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le long de la lame thyroïde. Une quantité suffisante de téflon est injectée pour ramener la
corde vocale vers la ligne médiane. Une seconde injection est faite à la partie médiane de la
corde vocale, permettant l'affrontement efficace de la corde vocale normale en position
d'adduction .
• Existence d'une paralysie en adduction, empêchant l'ouverture de la glotte, entravant la
ventilation, elle nécessite la réalisation soit d'une trachéostomie permanente avec mise en
place d'une canule parlante, qui peut constituer une mesure temporaire de sécurité, une
amélioration pouvant survenir jusqu'à 6 mois après l'intervention, soit plus souvent d'une
aryténodectomie, par excision du cartilage aryténoïde et par une incision de la partie
postérieure des cordes vocales suffisamment pour améliorer la filière aérienne, mais pas trop
pour ne pas supprimer la phonation ; par microdissection laryngée, ou laser
III.Complications endocriniennes
- Hypoparathyroïdie aiguë
La proximité étroite des glandes parathyroïdes et de la face postérieure de la thyroïde
implique un risque de lésion des parathyroïdes lors des thyroïdectomies totales et subtotales.
Le risque est absent dans les lobectomies et les isthmectomies car la persistance même d'une
seule glande permet la récupération d'une fonction satisfaisante. Dans les thyroïdectomies
totales ou subtotales, le repérage des parathyroïdes est essentiel. Les manifestations de
l'hypoparathyroïdie aiguë liées l'hypocalcémie se caractérisent par une hyperexcitabilité
neuromusculaire allant de l'existence de paresthésies péribuccales et des extrémités digitales
au risque de laryngospasme. Le signe de Chvostek ne prend toute sa valeur que dans la
mesure où il était absent en préopératoire. L'hypocalcémie est le plus souvent transitoire avec
un minimum atteint à la 48e heure suivi d'une remontée lente au cours des jours suivants.
L'absence de signes cliniques, le maintien d'une calcémie supérieure à 1,75 mmol/l ne
nécessitent pas de calcium IV. A l'inverse, l'apparition de paresthésies importantes, une chute
majeure et prolongée de la calcémie, sont l'indication d'une prescription de calcium,
intraveineux puis par voie orale.
- Hypothyroïdie
Elle ne se manifeste jamais de façon aiguë en postopératoire immédiat en raison de la durée
de vie des hormones thyroïdiennes. Ce n'est qu'au 15è jour postopératoire qu'une évaluation
de la fonction thyroïdienne par dosage des hormones justifiera au non la prescription d'une
hormonothérapie thyroïdienne substitutive par la L-thyroxine.
IV.Crise thyrotoxique
Complication la plus redoutée de la chirurgie thyroïdienne, la crise thyrotoxique est devenue
exceptionnelle
- Diagnostic
Il repose sur quatre ordres de symptômes:
- hypermétabolisme caractérisé par une hyperthermie majeure atteignant parfois 41 °C avec
déshydratation globale, sueurs profuses, polypnée ;
- psychiques et neuromusculaires, avec irritabilité, agitation, confusion mentale et
désorientation temporospatiale ;l'asthénie brutale confine à l'adynamie et conduit au coma;
une véritable myasthénie basedowienne peut apparaître caractérisée par des troubles de la
déglutition, de la phonation, une atteinte oculomotrice et respiratoire;
- digestifs diarrhée, nausées, vomissements avec parfois ictère et hépatomégalie ;
- cardiovasculaires: tachycardie majeure pouvant se compliquer de troubles du rythme:
tachyarythmie complète par fibrillation auriculaire, flotter. extrasystoles supraventriculaires et
ventriculaires , d'anomalies de la conduction, à rechercher avant prescription de
bétabloqueurs:
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- d'insuffisance coronarienne avec possibilité de spasme coronaire
- d'insuffisance cardiaque classiquement à prédominance droite à débit élevé; les explorations
hémodynamiques objectivent une baisse de la fraction d'éjection systolique, une augmentation
de la pression télédiastolique ventriculaire gauche réalisant une véritable cardiomyopathie
hyperthyrotdienne.
- Evolution de la crise thyrotoxique
Elle est caractérisée par trois stades :
- stade I: tachycardie supérieure à 130/min, hyperthermie majeure, sueurs profuses,
déshydratation, tremblements intenses ;
- stade II: désorientation majeure, stupeur puis somnolence s'ajoutant aux signes précédents ;
- stade III: coma hyperthermique et choc cardiogénique; l'ophtalmopathie basedowienne est
fréquente.
La confirmation du diagnostic repose sur une élévation des formes libres de T3, et T4 sans
corrélation toutefois avec la gravité de l'orage thyroïdien
- Traitement
Il comporte des mesures symptomatiques et étiologiques.
- Symptomatiques de réanimation non spécifiques : réhydratation et rééquilibration
hydroélectrolytique , lutte contre l'hyperthermie ;
- sédation prudente;
- intubation et ventilation en cas d'atteinte des muscles respiratoires;
- apport caloricoazoté important pour limiter les effets du catabolisme ;
- traitement de la cardiopathie par le propranolol injectable ou l'esmolol en perfusion
intraveineuse continue
- Etiologiques visant à réduire l'inflation hormonale
ATS per os ou dans la sonde gastrique, en particulier le propylthiouracile è la dose de 600 à 1
200 mg/24 h ;
solution de Lugol forte administrée 2 à 3 heures après les ATS à la dose de 30 à 100
gouttes/24 h ou perchlorate de potassium;
- techniques de soustraction hormonale par plasmaphérèse.
La crise thyrotoxique, devenue exceptionnelle, comporte une mortalite inférieure à 20 %, le
pronostic dépendant de la précocité du diagnostic et de la rapidité de la mise en oeuvre du
traitement.
Pour aussi rares qu'elles soient, les complications de la chirurgie 'hyroidienne n'en sont pas
moins redoutables, jusqu a constituer in risque vital L'évolution du risque de cette chirurgie,
parfaitement codifiée, tient d'une part au terrain, caractérisé par un vieillissement et
l'association de pathologies et de thérapeutiques diverses, d'autre part à des reprises
opératoires, ;cuvent très à distance de l'intervention Initiale. Il existe donc un contraste entre
des interventions qui tendent à se banaliser , à devenir quasiment ambulatoires et des
circonstances à haut risque, qui doivent être connues, évaluées pour être si possible évitées, ou
pour le moins appréhendées.
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