Les Balkans de 1914 à 1945 Introduction Les Balkans correspondent à la partie sud-est de l’Europe (Grèce, Yougoslavie, Albanie et une petite enclave turque sur laquelle est située la ville de Constantinople) ; l’histoire y inclut également les pays roumains. Le XX e siècle a vu naître de nombreuses guerres, de nombreux bouleversements politiques, la région est connotée négativement ; aussi le terme de « balkanisation » est-il devenu synonyme de déstructuration politique. Nous pouvons dès lors considérer cette région en perpétuel conflit comme s’inscrivant dans une logique de division, faiblesse et domination. Ajoutons qu’il ne s’agit pas d’un enjeu majeur pour les puissances, mais plutôt une étape dans leur entreprise de domination ; en d’autres termes, l’histoire des Balkans du siècle dernier s’apparente à celle des différents pays ayant régné sur l’Europe. De plus, les anciennes fractures s’actualisent avec la guerre, qui exacerbe les anciennes oppositions communautaires : le choix d’une alliance avec un des camps se fait généralement en contradiction avec celle du pays ennemi. Nous verrons donc dans un premier temps, les Balkans comme poudrière de l’Europe (1914-1918) ; puis l’application du concept d’Etat-nation, d’abord triomphant, mais en fait véritable échec, puisqu’il se transforme en dictature (1919-1939) ; et enfin la région, enjeu des rivalités entre Staline et Hitler (1939-1945). I Les Balkans, poudrière de l’Europe (1914-1918) L’historiographie a tendance à séparer les Guerres Balkaniques de 1912-13 de la 1GM ; alors que pour les peuples, il n’y a pas eu de césure, en effet, il s’agit d’une même période de violence et de longue accession à l’indépendance. Les premières guerres peuvent cependant être vues comme prélude à celle de 14, dans la mesure où elle annonce la poussée des irrédentismes et de la violence dont les pays font preuve pour achever leur politique nationaliste. 1) La question yougoslave au cœur du conflit européen L’assassinat de François-Ferdinand réveille le caractère belliqueux de l’Autriche-Hongrie, qui voudrait éteindre ce foyer d’agitation slave à ses portes. Belgrade fait appel à la médiation des Puissances, c’est un échec ; la guerre est déclarée en août. Bien que le front d’orient semble secondaire, il n’en est pas moins ravagé. Il est un enjeu des puissances, et sert de révélateur à leurs divergences, ainsi que l’illustre l’expédition franco-anglaise des Dardanelles en 1915, qui fait craindre à la Russie les visées anglaises sur ce territoire convoité. De plus, chaque pays se dispute l’alliance de la Bulgarie, plaque tournante vers Istanbul et la Serbie désormais isolée. La retraite de cette dernière a permis aux Français de récupérer les survivants pour reconstruire une armée serbe. 2) La Roumanie en quête d’identité Le pays est dirigé par des libéraux alliés avec l’Allemagne et l’Autriche, bien que l’opinion soit tournée vers l’Entente, tout en se méfiant des visées expansionnistes de la Russie (Bessarabie du sud et Transylvanie). Il cherche à faire valoir son identité en dénonçant la politique de magyarisation et en se regroupant (la population est éclatée sur différents territoires) : la guerre est donc perçue comme un moyen de réaliser son rêve unitaire. La transformation de la Ligue pour l’unité culturelle de tous les Roumains en Ligue pour l’unité politique de tous les Roumains donne l’illusion de s’approcher un peu plus de ce rêve. Cependant, la Roumanie doit rester prudente, car si une intervention auprès de l’Entente semble plus propice à cette réalisation, les succès militaires austro-allemands invitent à la prudence. Elle signe finalement un traité d’alliance avec la France, la GB et la Russie qui lui laissent carte blanche pour toute annexion sous condition d’une intervention militaire sous peu. La Révolution Russe modifie ensuite la situation : elle conduit à demander un cessez-le-feu et a Roumanie est contrainte à la passivité militaire en devenant un protectorat allemand. 3) La Grèce et la victoire des Alliés Le populiste Venizelos, soutenu par le parti libéral, est au pouvoir et propose de se mettre à la disposition de l’Entente contre la Turquie. Mais la Russie y est réticente, car elle convoite ellemême Constantinople, et craint que de devoir la partager en cas d’intervention grecque. De même que la Bulgarie, la Grèce est l’objet de séduction des deux camps, mais sa situation reste incertaine, en effet si le port de Thessalonique est transformé en base alliée avec l’expédition des Dardanelles, le pays n’en pas moins divisé entre un roi proche des Puissances centrales et un gouvernement en faveur de l’Entente. La situation est tendue et les Puissances centrales n’hésitent pas à dénoncer un « viol de la Grèce » lorsque les officiers anglais et français contrôlent les chemins de fer et les arsenaux. Outre ces conflits internes, il faut surtout considérer que la victoire des Alliés commence sur ce front : les offensives de Foch dans la Marne aspirant les réserves allemands, l’Allemagne est obligé de compter sur les armées bulgares, puissantes, mais sous le coup d’une crise de ravitaillement. L’Empire ottoman finit par mettre les Détroits à la disposition des Alliés, signant ainsi le premier acte de défaite des Puissances centrales. La guerre a par ailleurs permis de refixer les frontières de chaque (la Roumanie en profite par exemple pour refixer les lignes de démarcation avec la Hongrie). II Triomphe et échec de l’Etat-nation Les peuples des Balkans sortent meurtris de cette « guerre de sept ans », les économies sont ruinées et les oppositions communautaires se sont mues en véritable affirmation des identités nationales devenue agressive. L’Etat-nation reste le modèle, mais la réalité est tout autre, car ce concept de greffe sur des oppositions inter ethniques aggravées par des tensions sociales ou religieuses. Les nouveaux Etats-nation restent donc fragiles, oscillant constamment entre dictature et éclatement. 1) Les gagnants et les perdants du Traité de Versailles Le découpage des territoires ne s’effectue pas sans tenir compte des peuples (appel à des experts), mais seulement des « bons » : Serbes, Roumains, Grecs. Le problème est qu’ils se disputent pour des mêmes territoires : ex du Banat pour les Roumains et les Serbes. Il s’agit en réalité d’un compromis entre les nationalismes vainqueurs et les intérêts politico-économiques des Puissances. Le besoin de concrétiser ces projets se fait d’autant plus que pressant que l’empire austro-hongrois est démembré. Des pays tentent d’appliquer le principe de l’Etat-nation à l’instar de la Serbie, du Monténégro et de la Bosnie qui se regroupent pour former de fait un Etat yougoslave. Cependant, les revendications territoriales faites par le chef du parti radical serbe, Pasic le fait inévitablement entrer en conflit avec tous ses voisins ; les négociations sont donc difficiles. D’autre part, la Roumanie parvient à annexer la Bucovine autrichienne et la Bessarabie bolchévique ; si la France, la GB, le Japon et l’Italie l’accepte, il n’en est pas de même pour les Etats-Unis qui se prononcent contre un démembrement de la Russie sans son consentement. La région est, une fois de plus, le révélateur du jeu des puissances. Quant à la Bulgarie, elle subit la volonté des vainqueurs : privée de la mer Egée, elle doit également payer de lourdes indemnités, un traitement qui nourrit évidemment un irrédentisme agressif. Les Alliés sont bel et bien parvenus à assurer leur domination dans toute l’Europe, comme le montre le traité de Lausanne de 1923 : il règle la question des Détroits en permettant la libre circulation des navires marchands, le passage des navires de guerre en temps de paix et la démilitarisation du Bosphore et des Dardanelles. Ce point stratégique est désormais passé sous domination européenne. 2) Des démocraties naissantes qui se transforment rapidement en dictatures L’ambiguïté fondamentale du règlement de la paix de 1919-20 est qu’il résultait de la volonté (et des intérêts) des quatre vainqueurs, plus que de celle des peuples à disposer d’eux-mêmes. Chaque pays joue une carte différente suivant son intérêt : la GB la Grèce, base essentielle en Méditerranée et gardienne des Détroits ; l’Italie s’oppose à la Yougoslavie et à la Grèce car elle est en rivalité avec elles pour le contrôle de l’Adriatique ; la France protège la Yougoslavie et la Roumanie latine, elle se veut la garante du nouvel ordre balkanique. D’ailleurs, elle propose le renforcement de sa politique balkanique en signant une alliance militaire avec ces deux pays dans le cadre de la « Petite Entente » proposée par le Tchèque Benes. L’Italie mussolinienne développe une politique agressive pour dominer l’Adriatique en encourageant les irrédentismes hongrois, bulgare et le terrorisme croate. LA crise économique pousse les petits Etats à se rapprocher, d’autant qu’ils ne peuvent compter sur la solidarité des grandes puissances (ex : assassinat du roi Alexandre sans commandité par l’Italie, mais pas de réaction de la France qui ne veut pas pousser le pays vers l’Allemagne du IIIe Reich). Une conférence limite la coopération française au politique en annulant celle militaire. D’autre part, l’influence d’Hitler se fait de plus en plus présente : Carol II renvoie son ministre des Affaires étrangères partisan d’une alliance française et de la SDN, sans doute par la volonté du Führer. L’idée d’une sécurité collective devient donc illusoire et les Etats balkaniques, bien loin de se diriger eux-mêmes sont en fait un pion dans le jeu des Puissances pour exercer leur influence. III Entre Hitler et Staline, l’affirmation de nouvelles puissances La période s’ouvre sur le constat d’un double échec : celui de la liberté nationale, qui a nourrit au contraire de profonds irrédentismes ; et celui de la démocratie, qui a abouti aux dictatures des rois Alexandre (Yougoslavie) et Carol (Roumanie). Constat auquel s’ajoute l’impérialisme économique de l’Allemagne 1) L’asservissement des Balkans par l’Axe Mussolini s’empare de l’Albanie en 1939 et conclut à un pacte d’Acier servant à délimiter les zones d’influence de chacun, les Balkans sont divisés et s’opposent donc d’autant plus fortement. L’Allemagne impose un pacte du pétrole à la Roumanie, qui espère en contrepartie un soutien à l’URSS ; le pays devient de fait un « Etat légionnaire ». L’Italie lance une attaque contre la Grèce, tandis que les autres Etats balkaniques sont contraints à la passivité, la GB ne peut laisser l’influence de l’Axe s’étendre jusqu’en Méditerranée ; mais la Grèce craint qu’une intervention anglaise ne provoque une réaction allemande. Dans le même temps, les relations entre le IIIe Reich et l’URSS se dégradent : pour Staline, rien ne doit se faire dans cette région sans son accord. Aussi tente-t-il d’étendre son influence jusque dans le sud pour contrôler toute la région en proposant un traité d’amitié à la Bulgarie. Cette dernière subit également la pression allemande qui l’oblige à accueillir des experts militaires en vue d’une intervention en Grèce. Quant à la Yougoslavie, si son éclatement provoque la proclamation d’Etats indépendants, ils n’en sont pas moins occupés militairement par les autres puissances. Les Balkans servent donc de terrain d’affrontement indirect entre l’Allemagne, l’URSS et l’Italie, et cet écho européen exacerbe les conflits internes. (ex : la Roumanie revendique des territoires hongrois). Néanmoins, ces pays gardent leur particularité au sujet des lois antisémites : elles sont appliquées, mais ne vont pas jusqu’à la déportation. La bataille de Stalingrad modifie la situation, car elle met fin à toute velléité d’intervention sur le front de l’est ; l’URSS semble s’imposer dans la région, d’autant que les résistances les plus vives sont toutes originaires des PC nationaux. 2) Des peuples en lutte Le phénomène est le plus visible en Yougoslavie, en effet la capitulation du haut commandement n’a pas été acceptée par tous et deux noyaux de résistance se créent. D’un côté les monarchistes, anti communistes, partisans d’une « Grande Serbie » s’adressant aux Serbes ; de l’autre le PC mené par Tito qui parvient à créer un conseil anti fasciste qui détient l’autorité civile et s’adressant à l’ensemble de la Yougoslavie, ces deux groupes sont eux-mêmes opposés. Mais le gouvernement de Tito pose un problème, car le seul reconnu est celui réfugié à Londres (sa qualité de communiste disqualifie Tito) et les Anglais préfèrent confier le pouvoir à un « Grand Serbe ». La capitulation de l’Italie en 43 bouleverse la carte stratégique ; il y a désormais lutte de vitesse entre les unités allemandes et les partisans communistes pour récupérer l’équipement italien. Conclusion : La libération rythmée par les interventions de l’Armée rouge montre que l’URSS a fini par gagner dans le jeu des Puissances : la pénétration de l’armée s’accompagne également d’une révolution sociale et politique (sauf en Grèce où des divisions anglaises sont toujours présentes). Cette domination communiste se poursuit jusqu’à la fin du siècle avec le phénomène d’Etats satellites. Rappelons donc que, si le front des Balkans n’a jamais été primordial dans les différents conflits européens, il n’en a pas moins été important, puisque le pays qui le dominait, dominait en réalité toute l’Europe.