Stephane Beaud L’usage de l’entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour ‘l’entretien ethnographique’ Politix, 1996 Les différents statuts de l’entretien dans l’enquête sociologique Critère de méthode statistique : prédomine dans la sociologie française à sa création. Forte polarisation sur l’enquête statistique, par souci de légitimer le caractère scientifique de la discipline naissante. Les enquêteurs étaient au service des professeurs, les travaux qualitatifs peu valorisés. Rapport à la tradition ethnologique : coupure institutionnelle forte, ethnographie vs ethnologie : on s’intéresse peu à la collecte de faits elle-même. Entretien semble coincé entre la statistique et l’observation participante. L’implicite quantitatif du travail par entretiens. Recueillir un nombre « représentatif » d’entretiens sur une question précise. Utilisé comme substitut aux questionnaires. Risque de mésinterprétation, celui qui collecte l’information n’est pas celui qui la traite : la lecture d’un texte prive d’observation du comportement et d’attention aux formes et contextes d’élocution. Problème d’absence de contextualisation. « quantitatif honteux » (J-C. Passeron) : beaucoup d’entretiens, peu de contextualisation, trop de contextes ou de terrains différents. Faire du chiffre, gage de conformité à la science normale. Assumer le caractère « non représentatif » de l’entretien La force heuristique de l’entretien tient à sa singularité que le sociologue peut faire fonctionner comme cas limite d’analyse. Choix d’une population et d’un objet précis. Intensif plutôt qu’extensif, libération du « joug statistique ». L’entretien et l’enquête ethnographique L’entretien, souvent couplé à une observation participante, est souvent utilisé comme un pis aller, pour obtenir des points de vue sur un objet inaccessible. L’entretien comme situation d’observation Un entretien ne prend sens qu’inscrit dans un contexte. Seule l’analyse détaillée de ce contexte permet de donner sens aux propos. Différents types d’entretiens selon les milieux sociaux. L’entretien est un rapport de pouvoir : les enquêtés qui détiennent du pouvoir social ont tendance à imposer le lieu et à fixer la durée. Attention au guide d’entretien : il peut rassurer ou inquiéter, augmenter ou réduire la distance sociale. Il faut lutter contre l’assimilation au sondage, et contre l’image négative que les individus ont d’eux-mêmes (cf. ≠ de registre selon l’aise de l’enquêté). Conduire un entretien : obtenir des données et des récits pratiques Il faut distinguer les faits objectifs et les jugements sur les faits. Il faut objectiver l’enquêté. Difficultés : - tendance à vouloir livrer un témoignage de portée générale. - Discours dans un langage d’emprunt L’anecdote autorise, par son statut, l’enquêté à évoquer des phénomènes sans crainte d’enfreindre la bienséance. Elle est aussi source de nouvelles questions. Le mythe de la neutralité de l’enquêteur Le sociologue est souvent invité à donner son avis, parfois à confronter le point de vue. L’enquêteur dispose d’une palette de moyens pour gérer la distance avec l’enquêté : il ne cesse jamais d’être actif. Le travail matériel et interprétatif sur l’entretien ethnographique Il faut toujours négocier le lieu et la durée de l’entretien avec les enquêtés. Une durée fixe est un gage de sérieux, et invite parfois l’enquêté à se confier à la fin. La retranscription intégrale des entretiens, avec les mots exacts, l’indication des intonations, modulations, changements de rythme/d’humeur est importante. Ces propriétés définissent la « tonalité » de l’entretien. Un des outils privilégiés de l’interprétation consiste dans l’analyse des mots « indigènes », des idées qui figurent entre les lignes, des non-dits, des hésitations, des silences.