décompose en une infinité de parties est pensé dans l’espace et a besoin de l’espace pour être
représenté.
La multiplicité qualitative
C’est l’un des concepts clés de ce début de chapitre II qui est assez difficile à comprendre. Nous
voyons tous ce que peut être une multiplicité quantitative. C’est d’ailleurs le sens le plus évident :
le multiple s’oppose à l’un. Nous sommes face à une multiplicité lorsque plusieurs éléments
existent, se côtoient, se juxtaposent. Nous pouvons compter ces unités, les classer, etc. Il s’agit de
la multiplicité appliquée aux objets matériels « qui forment un nombre », nous dit Bergson. Nous
avons donc un ensemble d’éléments divisibles et distincts, séparés donc par des intervalles et
selon Bergson, cette multiplicité nécessite une médiation, une représentation intermédiaire, celle
de l’espace (cf. l’acte de compter).
Au contraire, une multiplicité qualitative n’est pas composée d’éléments divisibles et distincts
mais elle est produite par un ensemble indivisible et indistinct d’éléments. Cette multiplicité
forme ainsi une unité immédiate, et non pas une somme qui résulterait d’un comptage ou d’une
addition. Il y a donc bien du multiple, mais ce multiple est confus, indistinct et n’est pas le
produit d’un calcul.
Cette multiplicité qualitative, Bergson l’attribue, par opposition aux objets matériels, à nos états
de conscience (la vie de notre esprit). Lorsque nous les comptons, lorsque nous voulons les
expliquer, les communiquer, nous commençons par les dissocier les uns des autres, pour les
passer en revue, les juxtaposer en les insérant dans une succession, ex : nous sommes fatigué, puis
triste, puis nous nous ennuyons, et nous nous réjouissons. Or pour les comptabiliser ainsi nous
les transposons, nous les projetons mentalement dans un milieu, afin de les juxtaposer
successivement. Nous les dissocions et nous les rendons extérieurs les uns aux autres et ainsi, au
lieu de nous penser dans le temps, dans une succession temporelle selon Bergson, nous nous
servons d’un espace idéal, d’une sorte d’espace intérieur dans lequel nous situons ces états de
conscience les uns par rapport aux autres. Il s’agit bien ici d’une médiation qui s’interpose entre
nous, ce que la conscience immédiate perçoit et nos états de conscience. L’esprit effectue un acte
qui produit donc la quantité ou la multiplicité quantitative. Pour comprendre ce qu’est une
multiplicité qualitative et donc la durée, nous le verrons, il faut revenir à une perception
immédiate, intuitive, à un sentiment.
Ainsi on peut compter des objets matériels dans la mesure où il est possible de les juxtaposer
dans l’espace et pourquoi est-il possible de les juxtaposer dans l’espace ? Parce que deux corps ne
peuvent occuper le même lieu, qu’il est logique donc que ces corps se juxtaposent et puissent être
comptés.
Au contraire, on le verra ensuite de la durée : en tant que multiplicité qualitative, elle ne
juxtaposent pas des éléments impénétrables mais elle est un tout multiple, un ensemble
d’éléments confondus et indistincts. Nos sensations, souvenirs, émotions, humeurs peuvent se
prolonger les uns dans les autres, se fondent et se colorent les uns les autres. Il n’y a pas de
séparation distincte, nette, pas de coupure entre les moments de la durée, à la différence des
objets matériels qui se juxtaposent sans se fondre dans l’étendue, l’espace conçu « partes extra
partes », où tous les corps sont extérieurs les uns aux autres.
Conséquence de cette représentation numérique et spatiale de nos faits de conscience
Concevoir nos états de conscience (souvenirs, humeurs, émotions, etc.) symboliquement comme
des unités situées dans un milieu, projetées dans un espace n’est pas sans répercussions sur notre
manière de percevoir ces états de conscience. Cette manière de compter, d’énumérer ce qui
constitue le tout foisonnant de la vie intérieure est pour Bergson néfaste puisque, on verra l’idée
davantage encore développée, cela nous conduit à en uniformiser, homogénéiser, appauvrir
considérablement toutes les nuances. Elle modifie donc notre manière de nous percevoir, de