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Étude du chapitre II de l’
Essai sur les données immédiates de la conscience
Durée et espace
Il est question dans ce chapitre de ce qui constitue le cœur de la doctrine de Bergson : la
distinction entre la durée et l’espace et l’intuition de la durée. C’est l’intuition fondamentale de
toute son œuvre, ce dont tout part et à quoi tout reconduit. Ainsi précise-t-il dans une lettre à
Hoffding : « À mon avis, tout sumé de mes vues les déformera dans leur ensemble, et les
exposera par à une foule d’objections, s’il ne se place de prime abord et s’il ne revient sans
cesse à ce que je considère comme le centre même de la doctrine : l’intuition de la durée. »
Aussi dans la première partie du chapitre II, lorsque Bergson aborde les notions de nombre, de
multiplicité, il faut garder en tête ce à quoi il veut en venir : la multiplicité qualitative de nos états
de conscience, qualitative et non quantitative, elle ne juxtapose pas des unités que l’on pourrait
dénombrer mais se comprend, se sent dans une durée indivisible, un flux intérieur hétérogène
(composé, entremêlé, hétéroclite). Ainsi dit-il, p. 31 : « à mesure que nous pénétrons plus avant
dans les profondeurs de la conscience… nous nous trouvons en présence d’une multiplicité
confuse de sensations et de sentiments que l’analyse seule distingue. ». Autrement dit, l’expérience
de pensée à laquelle il nous invite consiste à démêler ce qui dans notre vécu immédiat, le donné
immédiat est enchevêtré, ce que nous saisissons de manière synthétique : il procède à une analyse,
à une décomposition de nos états de conscience, alors que par l’intuition nous les saisissons
immédiatement.
Éléments de biographie
Cette intuition naît d’une réflexion très rigoureuse sur les mathématiques auxquelles Bergson est
formé. Car la philosophie dans un premier temps ne l’attire pas vraiment : il lui reproche une
certaine vacuité, un caractère oratoire et lui préfère les sciences dures, les mathématiques qu’il
considère comme plus solide. Élève brillant, il remporte le concours général de mathématiques et
de français sera néanmoins admis à l’École Normale supérieure et suivra un parcours similaire à
celui de Jean Jaurès qui entre à « Normale-lettres » en même temps que lui. Enseigne en lycée
dans les années 1880.
1889 : soutient sa thèse de doctorat Essai sur les données immédiates de la conscience. Œuvre qui signifie
un renouveau dans cette fin de siècle philosophique.
Nommé professeur au lycée Henri IV en 1890, en 1894, ses cours porteront sur la question des
moments qui se prolongent les uns dans les autres, de la synthèse entre passé et présent.
Parallèlement, contexte politique : condamnation du capitaine Alfred Dreyfus pour espionnage,
dans l’affaire qui va éclore dans les années à venir, Bergson s’engagera en faveur de Dreyfus.
À la même époque sont publiés de nombreux travaux de psychologie, les recherches sur la
mémoire soulèvent l’intérêt des savants, philosophes comme scientifiques. En 1895 par ex. H. G.
Wells publie La machine à explorer le temps.
1896 : publication de Matière et mémoire
L’année suivante, Bergson est nommé chargé de cours au collège de France, c’est à partir de ce
moment que sa réputation va dépasser de loin l’institution universitaire, un public nombreux se
pressera à ses cours de philosophie ancienne, le « tout Paris », des femmes, etc. Il est à la fois
consacré par l’institution (Légion d’honneur) et extrêmement populaire, ce qui est très rare.
Enseigne à l’École normale supérieure, titularisé au Collège de France. Publie en 1899 un essai
sur le Rire (essai sur la signification du comique), ouvrage accessible.
1903 publie une Introduction à la métaphysique, en 1907 L’évolution créatrice (grand succès public)
Au fil des années, sa philosophie va se constituer en étant nourrie de ses cours et de ses
conférences, elle va même faire l’objet de premières études, des essais sur le bergsonisme vont
être publiés.
Pendant la guerre, Bergson se servira de sa renommée pour entreprendre des missions
diplomatiques et agir en vue de la paix, en Espagne, aux États-Unis. Il est reçu officiellement à
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l’académie française en 1918. Dès lors, il se retire de l’enseignement afin de se consacrer à ses
recherches, sa santé ne lui permettant pas de mener de front les deux activités.
1922 : nommé président d’une Commission internationale pour la coopération intellectuelle,
organe de la SDN (Société des Nations), ancêtre de l’Unesco. On pensait alors que plus on
favoriserait les échanges scientifiques, intellectuels et culturels entre les anciens ennemis, plus on
éloignerait le danger de la guerre.
Or en 1925, alors que Bergson démissionne de son poste à la CICI, Hitler publie Mein Kampf.
Auparavant, le 6 avril 1922, Bergson reçoit à la Société française de philosophie Albert Einstein
qui a formulé, quelques années auparavant, en 1915 la théorie de la relativité générale (prix Nobel
de physique en 1921).
Conférences diverses, honneurs (prix Nobel de littérature en 1927, grand croix de la Légion
d’honneur en 1930)
1932 : dernier grand ouvrage, Les deux sources de la morale et de la religion.
Retour sur le contexte politique et social des années 20-30 : suite à la crise de 1929, montée de la
pauvreté, des revendications sociales et de l’antisémitisme, persécutions des juifs. Bergson dans
son testament explique qu’il ne mettra jamais en pratique son choix de rejoindre l’Église
catholique par solidarité avec le peuple juif. En 1941, il ira se faire recenser comme juif comme
l’ordonnaient les lois antijuives du gouvernement de Vichy et mourra quelques jours plus tard
d’un refroidissement pulmonaire.
Quelques détails purement biographiques : Bergson était d’origine anglaise par sa mère et son
père était un compositeur d’origine polonaise. Naît en 1859. A toujours été entouré par la
musique. En 1893 il donne naissance à une fille qui s’avèrera sourde et muette. D’où une
réflexion approfondie sur le langage et l’incommunicabilité de nos états intérieurs, au sens les
mots seraient foncièrement inadéquats pour exprimer les états de notre vie psychologique.
Enjeu de la philosophie de Bergson
Pour comprendre l’enjeu de la philosophie de Bergson il faut mesurer l’importance de l’intuition
comme démarche de connaissance, perception immédiate, directe, sentiment intérieur, par
opposition à l’intelligence. L’intuition est définie par Bergson dans La pensée et le mouvant : la
« sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a
d’unique et par conséquent d’inexprimable. » L’intelligence quant à elle, dans les sciences par
exemple construit des représentations et des discours qui demeurent donc extérieures à l’objet
qu’elles tentent de connaître. Ce sont ces représentations, ces constructions intellectuelles qui
nous séparent du temps réel, ce vécu du temps que Bergson va définir comme la durée, et qui
n’est autre que la réalité même de notre conscience. Aussi, en intuitionnant, en connaissant cette
durée nous sommes capables de nous saisir nous-mêmes, de saisir enfin la vie intime de notre
conscience et d’adhérer au plus près à la succession de nos états de conscience. C’est à cette
condition que nous pouvons comprendre ce qu’est la liberté, une activité libre étant une activité
temporelle ancrée dans les profondeurs de notre personnalité.
Ainsi lorsqu’il décrit les mécanismes de représentation qui sont en jeu dans la numération, il
évoque des actes de l’esprit que nous faisons sans nous en apercevoir, il décompose des
opérations, des procédures que nous faisons immédiatement, sans même y penser.
But de l’
Essai
Dans l’avant-propos de l’Essai, Bergson explique la nature de sa recherche : il entend établir un
partage entre différents domaines. Celui des sciences et celui de la métaphysique et de la
psychologie. On a abusivement selon lui appliqué à notre vie psychologique et aux questions
philosophiques qui s’y attachent des méthodes qui n’appartiennent qu’à l’étude des phénomènes
physiques : on a projeté dans l’espace des phénomènes qui lui échappent. Or si l’espace, ce milieu
dans lequel nous alignons mentalement les choses, les êtres, les idées est au fondement de la
connaissance, de la vie en société, de l’action, du langage, il nous empêche d’accéder à la réalité,
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qui est temporelle. Il constitue un filtre qui vient fausser notre expérience, qui s’interpose entre
nous et nos états psychologiques, il nous sépare de nous mêmes.
Cette traduction des phénomènes psychologiques dans l’espace est à l’origine du problème
insoluble de la liberté, que Bergson traite dans le chapitre III de l’Essai, mais qui a alimenté
nombre de faux-problèmes. À partir du moment nous nous saisissons dans la durée, capable
de générer de la nouveauté en tant que force créatrice, nous comprenons comment il est possible
pour nous d’échapper au mécanisme, à l’enchaînement nécessaire, déterminé des causes et des
effets. Ainsi le sujet devient cause de son action, une cause dynamique, qui fait effort.
Le premier chapitre prépare le terrain à l’exposition de la durée : il s’agit d’une critique de la
notion d’intensité des états psychologiques. En effet, celle-ci n’est pas quantitative, évaluable
numériquement, mesurable. L’intensité psychologique n’est pas pour Bergson une grandeur
mathématique ou physique. Nos états intérieurs doivent donc être compris non pas selon la
quantité (combien ?) mais la qualité (comment ?)
Aussi ce premier chapitre apparaît rétrospectivement comme une application anticipée du
deuxième : il s’agit de montrer la confusion entre quantité et qualité au sein de la vie
psychologique à travers le concept d’intensité. Il s’agit pour Bergson de prendre part au débat de
son temps en psychologie. Il découvre ainsi deux types d’intensité : une intensité quantitative et
une intensité qualitative, ce qui prépare le terrain à une autre distinction qui sera exposée au
chapitre suivant : la multiplicité numérique et la multiplicité temporelle.
1ère partie : la théorie du nombre et « les deux multiplicités »
Le nombre
Le chapitre II s’ouvre sur des considérations sur le nombre, étonnant. Pas de définition claire de
la durée pour commencer. Titre : multiplicité de nos états de conscience. Or le nombre est défini
comme une multiplicité, ou comme l’unité ou la synthèse d’une multiplicité d’unités.
Question : le temps vécu, en tant qu’il implique lui-même une multiplicité d’états de conscience,
est-il définissable en termes numériques ? Si ce n’est pas le cas, de quelle multiplicité s’agit-il ?
D’où analyse du nombre comme multiplicité.
Nombre = collection d’unités, un tout constitué de parties. Le nombre 50 = 50 x 1 unité.
Ce qui intéresse Bergson : comment arrivons-nous à former cette somme de 50 unités ? Quel est
le mécanisme mental, représentationnel, quel est cet acte de l’esprit qui nous permet
d’additionner ces unités ? Une réponse possible, qui est un peu celle de Kant : nous passons en
revue, dans une série temporelle chaque unité et nous parvenons dans le temps à cette somme. Cf
Kant, CRP : le nombre est la figure de la quantité, addition successive de l’unité dans le temps.
Mais pb que Bergson souligne : cela suppose que je retienne mentalement chaque unité, que je la
place quelque part en attendant et que je juxtapose peu à peu les unités qui s’additionnent ainsi
par une sorte d’accumulation progressive. Autrement chaque unité disparaîtrait, s’évanouirait
instantanément. Quand je dénombre, quand je compte, je me représente donc un espace je
place, je situe les unités. Ce n’est donc pas une succession temporelle qui me permet de compter,
mais un espace idéal (qui existe dans l’esprit et non dans la réalité matérielle). Cf. p. 17 : « Car si
une somme… »
Compter des unités, ce n’est pas seulement les dérouler dans le temps, il faut en plus une
intuition de l’espace pour conserver une trace du parcours accompli. Autrement dit, compter
dans sa tête, compter mentalement cela revient à spatialiser, c’est-à-dire à conserver dans un
espace mental les unités que l’on passe en revue. Cela ne s’effectue dons pas dans le temps malgré
ce qu’en dit Kant.
Le cas des fractions, des nombres rationnels renforce cette idée : le nombre est certes une
collection d’unités, mais chaque unités est elle-même décomposable et divisible. Or ce qui se
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décompose en une infinité de parties est pensé dans l’espace et a besoin de l’espace pour être
représenté.
La multiplicité qualitative
C’est l’un des concepts clés de ce début de chapitre II qui est assez difficile à comprendre. Nous
voyons tous ce que peut être une multiplicité quantitative. C’est d’ailleurs le sens le plus évident :
le multiple s’oppose à l’un. Nous sommes face à une multiplicité lorsque plusieurs éléments
existent, se côtoient, se juxtaposent. Nous pouvons compter ces unités, les classer, etc. Il s’agit de
la multiplicité appliquée aux objets matériels « qui forment un nombre », nous dit Bergson. Nous
avons donc un ensemble d’éléments divisibles et distincts, séparés donc par des intervalles et
selon Bergson, cette multiplicité nécessite une médiation, une représentation intermédiaire, celle
de l’espace (cf. l’acte de compter).
Au contraire, une multiplicité qualitative n’est pas composée d’éléments divisibles et distincts
mais elle est produite par un ensemble indivisible et indistinct d’éléments. Cette multiplicité
forme ainsi une unité immédiate, et non pas une somme qui résulterait d’un comptage ou d’une
addition. Il y a donc bien du multiple, mais ce multiple est confus, indistinct et n’est pas le
produit d’un calcul.
Cette multiplicité qualitative, Bergson l’attribue, par opposition aux objets matériels, à nos états
de conscience (la vie de notre esprit). Lorsque nous les comptons, lorsque nous voulons les
expliquer, les communiquer, nous commençons par les dissocier les uns des autres, pour les
passer en revue, les juxtaposer en les insérant dans une succession, ex : nous sommes fatigué, puis
triste, puis nous nous ennuyons, et nous nous réjouissons. Or pour les comptabiliser ainsi nous
les transposons, nous les projetons mentalement dans un milieu, afin de les juxtaposer
successivement. Nous les dissocions et nous les rendons extérieurs les uns aux autres et ainsi, au
lieu de nous penser dans le temps, dans une succession temporelle selon Bergson, nous nous
servons d’un espace idéal, d’une sorte d’espace intérieur dans lequel nous situons ces états de
conscience les uns par rapport aux autres. Il s’agit bien ici d’une médiation qui s’interpose entre
nous, ce que la conscience immédiate perçoit et nos états de conscience. L’esprit effectue un acte
qui produit donc la quantité ou la multiplicité quantitative. Pour comprendre ce qu’est une
multiplicité qualitative et donc la durée, nous le verrons, il faut revenir à une perception
immédiate, intuitive, à un sentiment.
Ainsi on peut compter des objets matériels dans la mesure il est possible de les juxtaposer
dans l’espace et pourquoi est-il possible de les juxtaposer dans l’espace ? Parce que deux corps ne
peuvent occuper le même lieu, qu’il est logique donc que ces corps se juxtaposent et puissent être
comptés.
Au contraire, on le verra ensuite de la durée : en tant que multiplicité qualitative, elle ne
juxtaposent pas des éléments impénétrables mais elle est un tout multiple, un ensemble
d’éléments confondus et indistincts. Nos sensations, souvenirs, émotions, humeurs peuvent se
prolonger les uns dans les autres, se fondent et se colorent les uns les autres. Il n’y a pas de
séparation distincte, nette, pas de coupure entre les moments de la durée, à la différence des
objets matériels qui se juxtaposent sans se fondre dans l’étendue, l’espace conçu « partes extra
partes », où tous les corps sont extérieurs les uns aux autres.
Conséquence de cette représentation numérique et spatiale de nos faits de conscience
Concevoir nos états de conscience (souvenirs, humeurs, émotions, etc.) symboliquement comme
des unités situées dans un milieu, projetées dans un espace n’est pas sans répercussions sur notre
manière de percevoir ces états de conscience. Cette manière de compter, d’énumérer ce qui
constitue le tout foisonnant de la vie intérieure est pour Bergson néfaste puisque, on verra l’idée
davantage encore développée, cela nous conduit à en uniformiser, homogénéiser, appauvrir
considérablement toutes les nuances. Elle modifie donc notre manière de nous percevoir, de
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manière réfléchie et non plus de manière immédiate, dans ce qui est de l’espace et non pas du
temps.
Bergson termine cette première partie de sa réflexion en mettant au jour une distinction entre un
temps dans lequel nous juxtaposerions nos états de conscience, ce temps décrit par le langage
ordinaire un milieu homogène, comme un contenant dans lequel prendraient place une suite
d’émotions, de sentiments, d’idées, de souvenirs, etc. ET le temps vécu, ou la durée, le temps tel
qu’il s’éprouve lorsque nous ne réfléchissons pas, lorsque nous nous laissons aller au rythme de
notre vie intérieure.
2e partie : Une étude directe des idées d’espace et de temps
Qu’est-ce que l’espace ?
Pour Bergson la question de la réalité absolue, ou relative de l’espace est un faux problème. En
cela, il est d’accord avec Kant, qui définit l’espace comme la forme a priori de la sensibilité,
comme un cadre, un contenant, qui contiendrait et organiserait le divers sensible, l’ensemble de
nos sensations. Il se conçoit indépendamment des corps matériels qu’il reçoit, il a une existence
en dehors de son contenu. Il a donc une réalité absolue (indépendante), puisque nous pouvons
d’après Kant nous le représenter vide de tout objet. Il est a priori, autrement dit, antérieur à la
perception de tout objet particulier et qui rend possible la perception des objets qui viennent s’y
placer. Aussi la philosophie de Kant a-t-elle l’avantage de s’accorder avec le sens commun.
Comme le résume Bergson, p. 43 : « Kant a détaché l’espace de son contenu. » L’espace résulte
d’un acte de l’esprit qui sépare les objets et leurs qualités de ce milieu vide homogène.
Comme l’explique Frédéric Worms dans son Vocabulaire de Bergson : L’espace est la représentation
pure et homogène nous disposons les objets simultanés (= présents au même moment), pour
les distinguer et les diviser. C’est l’esprit qui forge cette représentation pour les besoins de
l’action. Ainsi en un sens nous déformons le réel pour pouvoir l’utiliser, le manipuler, le
connaître. Cet espace pur et vide, c’est celui de la géométrie, qui a une réelle efficacité comme le
montrent ses applications en physique mathématique, mais qui repose sur une prise de distance,
une épuration d’un espace vécu, intuitif.
Dans la droite ligne de Kant on arrive ainsi à une définition de l’espace qui est quelque chose de
conçu et non pas senti ou perçu. Conçu par l’intelligence et non perçu par l’intuition. Homogène
ici signifie (cf. note) ce dont les parties sont identiques, sans différence d’ordre qualitatif. Comme
avec Kant, idée que c’est grâce à l’espace que s’ordonnent nos sensations : c’est un « principe de
différenciation », qui distingue les positions, les situations entre des sensations, nous permettant
de « distinguer l’une de l’autre plusieurs sensations identiques et simultanées ». Or cet espace
abstrait, vide et homogène résulte selon Bergson d’un effort de l’intelligence, d’une conception,
qui se distinguera par la suite du vécu immédiat du temps réel, de la durée. Ainsi l’espace n’est pas
une donnée originaire, immédiate, il résulte d’une activité. Cela prépare la suite : il est possible de
connaître, de sentir sans l’espace, indépendamment de cette transposition.
Ceci nous distingue de la perception de l’espace qu’ont les animaux, qui est un vécu au contraire
concret, ce qui leur permet de s’orienter sans difficulté, comme s’ils étaient eux-mes des
boussoles, ce que Bergson appelle la « perception de l’étendue », qui n’est pas cet espace
homogène, ométrisable des hommes. Alors que les animaux sont capables de s’orienter de
façon immédiate, avec une facilité déconcertante dans l’espace (en fait, l’étendue pensée
qualitativement), voir par ex. des animaux qui retrouvent des mois plus tard la maison de leurs
maîtres après s’être perdus, tandis que nous avons besoin de cartes et de GPS. Les animaux se
rapportent à l’extériorité sur un mode purement intuitif, tandis que nous construisons, nous
reconstruisons sur cette expérience immédiate, des concepts, des médiations, etc. C’est à un
espace qualitatif, une étendue que nous sommes ainsi confrontés lorsque nous distinguons de
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