LA PUISSANCE D`UN IMAGINAIRE

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LA PUISSANCE
D’UN IMAGINAIRE
Sous la direction de
OLIVIER
BERNARD
Collection
L’univers social
des arts martiaux
Les arts martiaux :
la puissance d’un imaginaire
COLLECTION « L’UNIVERS SOCIAL DES ARTS MARTIAUX »
Dirigée par Olivier Bernard
L’orientation de cette collection est propre aux sciences sociales, soit
celle de sortir des sentiers battus pour réfléchir au phénomène social
des arts martiaux dans les sociétés d’aujourd’hui. L’emblème de la collection reflète les éléments culturels qui ont modelé la pensée critique
sur les arts martiaux.
Intitulé « le dragon de la maïeutique », cet emblème s’inspire de la pensée
socratique, remontant à la philosophie antique, où l’idée était de faire
naître l’esprit critique. La lettre « phi » (φ), au premier plan, rappelle la
culture grecque qui a vu émerger le sens critique et la pensée de notre
civilisation occidentale. Le dragon prend également cette forme pour
imager le canevas académique avec lequel les arts martiaux sont interprétés et analysés. Dessiné sous l’aspect d’un serpent, le dragon rappelle
l’image de la considération du corps dans la tradition judéo-chrétienne.
La queue à double tranchant représente le potentiel d’un usage de
l’esprit critique. D’un côté, le chercheur s’affaire à contribuer à sa société
en étant un acteur porteur des valeurs de la majorité. D’un autre côté,
il s’oppose simultanément à ces valeurs parce qu’il remet constamment
en question son fonctionnement et sa structure dans un souci d’objectivité. La communauté scientifique a donc le devoir de repenser ou de
reconfigurer le rapport qu’elle a face à l’objet des arts martiaux.
Les arts martiaux :
la puissance d’un imaginaire
Sous la direction de
Olivier Bernard
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts
du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du
Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme
de ­publication.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par
l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Mise en pages : In Situ
Maquette de couverture : Laurie Patry
Photographies : Réjean Labelle
Illustration de la couverture par Emie Morissette www.emiemorissette.com
Cette toile a été réalisée précisément pour cet ouvrage. Le directeur de cette
publication souhaitait que l’image de couverture représente une idée commune
où les gens puisent en grande partie leurs références pour penser les arts martiaux. Le contexte du cinéma semblait tout indiqué. La projection dans la salle
montre des praticiens d’arts martiaux sous l’aspect d’une bande dessinée et, cela,
pour souligner que la plupart des images populaires véhiculées dans nos sociétés
se rapportent à des clichés et à des stéréotypes.
ISBN 978-2-7637-3168-1
PDF 9782763731698
© Les Presses de l’Université Laval 2016
Dépôt légal 4e trimestre 2016
LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL
www.pulaval.com
Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque
moyen que ce soit est interdite sans l’autorisation écrite des Presses de
l’Université Laval.
À Nathalie,
celle qui partage ma vie
DIRECTION ET COMITÉS DE LECTURE
Direction de l’ouvrage
Olivier Bernard
Comité de lecture
Olivier Bernard (Ph. D. sociologie)
Nathalie Gagnon (doctorante en sociologie à l’Université Laval)
Dominic Larochelle (Ph. D. sciences religieuses, chargé de cours à l’Université Laval)
Pascal Le Rest (Ph. D. ethnologie, Conseiller technique à l’ADSEA de Seine-et-Marne)
Comité de lecture professoral
Jean-Paul Callède (sociologue, CNRS – Groupe d’étude des méthodes de l’analyse
sociologique, Université Paris 4)
Andrée Fortin (sociologue, professeure émérite, Université Laval)
Benoît Gaudin (sociologue, Université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines)
Alexandre Jobin-Lawler (enseignant d’anthropologie et de sociologie,
Campus Notre-Dame-de-Foy)
Frédéric Laugrand (anthropologue, Université Laval)
Élias Rizkallah (sociologue, Université du Québec à Montréal – UQÀM)
Martine Roberge (ethnologue, Département des sciences historiques, Université Laval)
Table des matières
Préface ...................................................................................................XI
Andrée Fortin
Présentation.............................................................................................1
Olivier Bernard
La référence commune des arts martiaux : l’imaginaire............................7
Olivier Bernard
La mosaïque sociale des arts martiaux..................................................... 7
Étudier les arts martiaux par le cinéma................................................... 17
Le cinéma participe à l’évolution de l’imaginaire..................................... 20
Les a priori sociohistoriques du cinéma d’arts martiaux.......................... 24
Questionner sociologiquement les films d’arts martiaux :
les représentations sociales, un tremplin vers l’imaginaire..................... 31
Classement thématique des films............................................................ 34
Agencements sonores, matériels et spatiaux............................................. 38
Attitudes et comportements.................................................................... 41
Finalités de l’action................................................................................. 43
Contenu verbal et paraverbal.................................................................. 45
Le héros, ce gardien de l’imaginaire des arts martiaux............................. 48
La structure de l’imaginaire des arts martiaux......................................... 53
L’avenir de l’imaginaire des arts martiaux : les jeux vidéo ?....................... 61
Bibliographie.......................................................................................... 64
Filmographie.......................................................................................... 69
Documents filmiques analysés pour la thèse...................................... 69
Documents filmiques cités................................................................ 71
Séries citées ...................................................................................... 74
VII
VIII LES ARTS MARTIAUX : LA PUISSANCE D’UN IMAGINAIRE
Mixed martial arts : vecteur de représentations........................................75
Yann Ramirez
Causes et effets d’un imaginal hybride.................................................... 75
Au contact des premières représentations liées au MMA......................... 80
Dénominations et responsabilité............................................................. 89
Le combat moderne entre reviviscences archaïques et sensorialité ........... 96
Tatouages et engagement corporel.......................................................... 101
« MMARTS » : sports, arts et littérature .................................................. 106
Du téléspectateur au joueur.................................................................... 110
MMA et cinéma : l’influence réciproque................................................. 116
Conclusion............................................................................................. 121
Bibliographie.......................................................................................... 124
Filmographie.......................................................................................... 128
Séries télévisées ....................................................................................... 132
Les points d’accroche dans la capoeira : quand l’imaginaire
vient suppléer les compétences corporelles..............................................133
Benoit Gaudin
Qui sont les capoeiristes en France ?........................................................ 135
Profil sociologique des capoeiristes.......................................................... 136
Les points d’accroche dans la capoeira.................................................... 138
Être « sportif » (ou « en condition physique » ou « en forme physiquement »
ou « entraîné »).................................................................................. 139
Avoir « des origines »…...................................................................... 141
Être lusophone.................................................................................. 144
Être artiste........................................................................................ 145
Être « rebelle ».................................................................................... 145
Deux cas en apparence atypiques............................................................ 146
Conclusion............................................................................................. 148
Bibliographie.......................................................................................... 149
Le karatéka et son groupe : de la réalité de la pratique martiale
à l’univers des représentations culturelles.................................................151
Pascal Le Rest
Propos introductif.................................................................................. 151
Le groupe des karatékas de maître Kamohara à Chartres......................... 153
Dojo, lieu de la pratique, cathédrale du karaté........................................ 154
TABLE DES MATIÈRES
IX
Le chemin vers le deuxième corps .......................................................... 157
Les saluts dans le dojo....................................................................... 157
Le déroulement des cours dans le dojo.................................................... 159
L’échauffement.................................................................................. 159
Les techniques éducatives.................................................................. 159
Les ippon kumité.............................................................................. 160
Verticalité............................................................................................... 161
Horizontalité.......................................................................................... 162
Les démonstrations devant le groupe ou devant des spectateurs
dans une exhibition.......................................................................... 164
Les manifestations festives et les invitations aux différentes soirées
et fêtes que le groupe ou l’un de ses membres organisent................... 167
Les membres du groupe et leurs grades................................................... 170
Du croisement de la verticalité et de l’horizontalité................................. 173
Le temps éclaté ...................................................................................... 177
Les maîtres du maître........................................................................ 177
Le maître.......................................................................................... 181
Le purgatoire des justes ou la fin d’une quête.......................................... 184
La reconnaissance du style Shito-ryu Shukokaï et du maître
du groupe......................................................................................... 184
Les passages de grades au siège de la ligue.......................................... 185
Le Graal des antipodes ou le temps retrouvé........................................... 190
Bibliographie.......................................................................................... 191
Évolution des catégorisations dans les arts martiaux.
Le cas de l’école javanaise Merpati Putih................................................195
Jean-Marc de Grave
Origines royales et divines, et élaboration des techniques........................ 196
Nationalisme et impératifs d’État............................................................ 201
Processus de rationalisation des techniques, réseaux académiques,
politiques et économiques.................................................................... 205
Place de la religion et dimension rituelle................................................. 208
Conclusion............................................................................................. 212
Références bibliographiques.................................................................... 215
Documents....................................................................................... 218
X
LES ARTS MARTIAUX : LA PUISSANCE D’UN IMAGINAIRE
Pratiques interculturelles et karaté : le discours de Grands Maîtres
à propos des stéréotypes...........................................................................219
Jérémie Bride et Nathalie Wallian
Introduction........................................................................................... 219
Cadre théorique. Culture corporelle et stéréotypes.................................. 221
Où la notion de stéréotype fait sens….............................................. 223
Le stéréotype en karaté, objet d’étude................................................ 224
Approche contrastive et interculturalité............................................. 224
La question de la recontextualisation de la pratique.......................... 225
Migrations et transductions du karaté..................................................... 226
Méthode. La question de l’ouverture à l’altérité...................................... 227
L’analyse de contenu du discours des Grands Maîtres........................ 227
Mode de recueil des données discursives........................................... 228
Population étudiée de Grands Maîtres France/Japon
et biographies................................................................................... 229
Élaboration des entretiens et contrat de communication................... 230
Résultats. Stéréotypes dans le discours des Grands Maîtres
français/japonais.................................................................................. 230
Un processus confidentiel de propagation......................................... 231
Du stéréotype au tropisme................................................................ 232
Du tropisme à la pratique transplantée.............................................. 234
Entre austérité et communautarisme................................................. 235
Surinterprétation et mésinterprétation des pratiques......................... 236
Les Maîtres japonais à l’étranger, ou le choc en retour............................. 237
Discussion. Formes culturelles globalisées, interprétations
et interculturalité................................................................................. 241
Conclusion. Perspectives......................................................................... 242
Références bibliographiques.................................................................... 243
Notes sur les auteurs et collaborateurs.....................................................245
Préface
Andrée Fortin
C
et ouvrage titré Les arts martiaux : la puissance d’un imaginaire
intéressera tant les praticiens et amateurs d’arts martiaux que ceux
qui, sans être adeptes de ces arts, s’interrogent sur l’imaginaire.
Aux premiers, il montrera à quel point ces disciplines du corps et de
l’esprit s’appuient non seulement sur une tradition et une philosophie que
sur des images et des représentations, largement répandues par la culture
populaire, et qui cadrent tant les modes de pratique, le rapport au maître,
et le choix d’une discipline martiale plutôt qu’une autre.
Aux seconds, il présentera une étude de cas, une fenêtre sur l’imaginaire
tant individuel que social, illustrant bien le développement de cet imaginaire,
sa circulation, son appropriation. D’origine orientale (ou à tout le moins
exotique dans le cas de la capoeira), les arts martiaux s’installent dans les
sociétés occidentales, y trouvent des points d’ancrage dans l’histoire européenne (féodale), aussi bien que dans la société actuelle et s’y déploient à la
faveur des médias de communication, du cinéma bien entendu, mais aussi
des jeux vidéos, puisant de la sorte à des sources exotiques, anciennes et
contemporaines, largement réinventées, investies de significations identitaires pour ceux qui les pratiquent.
« Imaginaire », ici, renvoie à une façon de concevoir le monde, parfois
aussi désignée par les sociologues comme vision du monde ou comme
représentation sociale. Et la façon de comprendre l’univers social où l’on se
situe induit bien sûr la façon dont on s’y comporte. À cet égard, il convient
d’insister sur ce que le social n’est pas un phénomène objectif au même sens
qu’une table ou une chaise. À la limite, on peut même se demander si « la
société » existe en dehors de la compréhension que l’on en a, en dehors du
sens qu’on lui attribue. C’est pourquoi il est important de saisir ces imaginaires, ces définitions du monde.
XI
XII LES ARTS MARTIAUX : LA PUISSANCE D’UN IMAGINAIRE
Cet imaginaire des arts martiaux, bien mis en évidence au fil des textes
que contient l’ouvrage, est celui d’un rapport à soi (au corps), à un autre
proche (l’école, le maître) et à un autre plus lointain (exotique) ; c’est essentiellement celui d’une force qu’il faut apprendre à maîtriser. C’est ainsi que
pour les adeptes, ce rapport à soi et à l’autre construit une identité, nouvelle,
choisie, par opposition à celle qui est reçue dans la famille dans le système
scolaire. Dans ce contexte, divers signes d’appartenance et de reconnaissance
mis en œuvre dans les cercles de praticiens, dans les écoles, dans les médias
prennent une grande importance.
L’ouvrage dans son ensemble illustre bien comment se déploie l’imaginaire dans un aller-retour entre l’individu et le collectif, comment les
représentations individuelles nourrissent l’imaginaire social, et comment en
contrepartie celui-ci influence les représentations. La vision proposée par la
culture populaire repose sur des stéréotypes qu’elle contribue à renforcer et
que les amateurs d’arts martiaux s’approprient et reconduisent dans leur
pratique et dans leurs attentes par rapport à cette pratique. À cet égard, la
« puissance » des arts martiaux renvoie davantage pour certains adeptes, et
davantage pour certains de ces arts, à la force physique et à la violence et
dans d’autres cas à une maîtrise de soi et à une philosophie. Dans tous les
cas, il y a invention de rites et quête de sens, d’identité individuelle et collective.
Cela dit, plusieurs déclinaisons de l’imaginaire sont illustrées dans le
livre. Il y a d’abord un imaginaire géographique, lequel renvoie surtout à
l’Orient, mais aussi au Brésil, bref à un ailleurs, lequel s’ancre désormais un
peu partout en Occident, non seulement à travers l’industrie culturelle,
mais aussi à travers des écoles, des villes, des lieux bien précis de pratique.
Cet imaginaire géographique se double parfois d’un imaginaire historique,
à travers des généalogies de praticiens, mais aussi des histoires personnelles.
L’imaginaire philosophique renvoie à un rapport au corps, à l’esprit.
Pourquoi parler d’imaginaire à ce propos ? Parce qu’il ne s’agit pas d’un
corpus écrit au sens de la philosophie occidentale, remontant à Platon et à
Aristote, mais d’une tradition orale, transmise aussi bien par la culture
populaire que par les maîtres, et en ce sens soumise à des appropriations
diverses et à des transformations selon les personnes et les contextes. De
plus, la culture populaire tend à gommer les différences entre divers arts
martiaux et à proposer une vision du rapport au corps et à l’esprit relativement commune, une « référence commune ». L’importance de l’imaginaire
transmis par le cinéma est soulignée dans plusieurs des textes de l’ouvrage.
Le cinéma propose des images de la pratique, de ce que peut ou doit être
XIII
PRÉFACE
un combat, des arts martiaux en général ou plus rarement d’une discipline
en particulier.
Cet imaginaire est celui d’identités que l’on se donne, que l’on se
construit (« accroches »), dans une relation aux autres, mais aussi à son corps,
à une histoire personnelle et collective, de l’appropriation de symboles.
À travers tout cela, il appert bel et bien que l’imaginaire a des effets
concrets. L’imaginaire des arts martiaux ne se réduit pas à un « miroir » de
la pratique, puisqu’il les construit, à travers les images qu’il fournit, les
valeurs et récits qu’il véhicule.
Et si la collection où s’inscrit le livre s’intéresse, selon son intitulé, à
l’univers social des arts martiaux, pouvons-nous penser que l’imaginaire
qu’il présente est la réalité sociale première des arts martiaux ? Comme
l’illustration de la couverture l’indique, l’imaginaire se développe à travers
la culture populaire où il se met en scène.
Présentation
Olivier Bernard
C
e deuxième ouvrage de la collection « L’univers social des arts
martiaux » porte à votre attention la dimension sociale de l’imaginaire. Aborder les arts martiaux sous cet aspect nécessite de
prendre un grand pas de recul pour apprécier un tableau qui réunit tout ce
qui peut circuler d’informations à propos de cette thématique dans nos
sociétés. Porter un regard sur l’imaginaire des arts martiaux est donc une
entreprise vaste, un vrai défi à relever ! Or, c’est le pari que nous avons fait
lors de la réalisation de cet ouvrage.
Parler des arts martiaux sous l’angle de l’imaginaire nécessite, pour un
instant, de mettre les outils de notre raison derrière la lunette des sciences
sociales. Ces dernières nous proposent de voir une nouvelle facette de la
réalité des arts martiaux. De cette position privilégiée, nous constatons que
le discours que les gens tiennent à propos des arts martiaux a évolué en
interactions avec plusieurs thématiques imaginaires, par exemple les idées
modernes de progrès et de performance. Ces idées sont des formes historiques
de l’imaginaire (Morisette, 1984) et participent au récit de la société qui
permet une communication et une organisation cohérente (Durand, 2008)
auxquelles n’échappent pas les arts martiaux.
Aborder les arts martiaux par l’imaginaire revient donc à comprendre
et à analyser la société dans son ensemble sous un angle particulier, soit celui
de la communication par les représentations que chacun se fait de l’existence
des arts martiaux dans ce monde. À ce titre, il existe une multitude de
manières de se représenter les arts martiaux qui dépend des références et des
expériences personnelles. Toutefois, le caractère social de ces éléments de
discours prend forme lorsque quelqu’un d’autre comprend la signification
de ce qu’on lui transmet comme information. En fait, plus sont nombreuses
1
2
LES ARTS MARTIAUX : LA PUISSANCE D’UN IMAGINAIRE
les personnes qui saisissent une référence, plus le propos tenu se rapproche
du cœur d’une représentation propre à un imaginaire précis. Par exemple,
si je parle des techniques de wing chun qui ont inspiré la création du jeet
kune do, peu de personnes seront en mesure de comprendre la référence.
Par contre, si je parle de l’art martial développé par Bruce Lee, il y a de fortes
chances que cette information évoque la référence d’un personnage célèbre
pour une grande majorité de gens.
Les représentations imaginaires des arts martiaux ne se limitent toutefois pas aux références techniques ou aux célébrités, elles comportent tout
un lot de mythes, de personnages et de lieux. Par exemple, la notion de ki
(japonais), qi (chinois, prononcé chi) ou khi (vietnamien) s’accompagne la
plupart du temps de croyance en la capacité de développer certains pouvoirs
associés à la surpuissance. Dans ce cas, il se crée une certaine distance avec
les capacités réelles du corps humain. Néanmoins, l’imaginaire englobe
beaucoup plus que la simple mise à distance du réel par la représentation.
En fait, le réel n’existe pas indépendamment de l’imaginaire. Même s’ils
peuvent être considérés séparément, l’imaginaire est la façon dont les gens
conçoivent ce qui existe, ce qu’ils voient et comprennent de ce qui les
entoure.1 Les choses existent parce qu’il y a l’imaginaire, parce que notre
esprit les conçoit. Par exemple, la fiction ou le fantastique ne montre pas
quelque chose d’illusoire, mais le donne à voir autrement (Cournarie, 2006).
« Se représenter quelque chose et se le représenter comme existant est une
seule et même chose » (Schaeffer, 2006-2007 : 6).
Issue de l’imaginaire, la fiction suggère donc la capacité de « croire à la
vérité de ce que je sais être faux ou à l’existence de ce qui n’existe pas » (Perret,
2006-2007 : 9). L’univers des arts martiaux regorge d’exemples de fiction.
Ne pensons qu’au mythe du ninja aux compétences inouïes ou aux légendes
d’anciens maîtres qui méditent reclus pendant des années pour ensuite être
illuminés par des révélations. Tant au cinéma que chez les pratiquants d’arts
martiaux, la fiction entretient et façonne les représentations individuelles
1.
Le personnage de Kail vulgarise très bien cette idée lors d’un épisode de Southpark :
« Est-ce que Luke Skywalker ou le père Noël n’ont pas plus changé nos vies que toutes
ces vraies personnes autour de vous ? Que Jésus soit vrai ou pas, il a eu un plus gros
impact sur le monde que vous ou moi, et l’on peut en dire autant de Bugs Bunny,
de Superman ou de Harry Potter. Ils ont changé ma vie, changé ma façon de voir
certaines choses. Est-ce que quelque part ça ne les rend pas vrais ? Alors, ils sont peutêtre imaginaires, mais ils sont plus importants que beaucoup d’entre nous et ils vont
continuer à l’être quand nous serons tous morts. Dans un sens, on peut dire qu’ils
sont plus vrais que n’importe qui ici » (Parker et Stone, 2007).
PRÉSENTATION
3
et les références collectives, tout en les faisant évoluer. Toutefois, la fiction
ne garantit pas la similarité entre les choses réelles et leurs images.
Typiquement, le réel est associé au tangible, au matériel, au physique,
au corps, à la nature, tandis que l’imaginaire est associé à l’intangible, à la
psyché (la pensée, l’esprit), à la culture. Concrètement, le corps et la pensée
ne sont qu’une seule et même entité et, en cela, nous devons considérer
l’imaginaire, et à juste titre l’imaginaire des arts martiaux sous toutes ses
formes, comme un moyen qui a pour fonction de faire voyager l’individu
dans un autre monde. Pour nous, cet autre monde est la réalité que chacun
s’est forgé au contact des autres pour créer leur propre vision des arts martiaux et qui teinte définitivement d’une couleur singulière la manière dont
ils interprètent les événements de leur vie.
Les auteurs qui ont participé à cet ouvrage nous livrent les résultats de
leur recherche pour mettre en lumière certaines dimensions sociales qui
participent au tout de cet imaginaire des arts martiaux. Chacun des chapitres
s’affaire à montrer la manière dont sont ordonnées les représentations, soit
une logique qui accorde à certaines d’entre elles une position plus centrale,
comme la clef de voûte d’un édifice.
Olivier Bernard montre qu’il existe un ordre établi dans la manière
de comprendre et de transmettre les représentations de l’imaginaire des arts
martiaux par le cinéma. Cela constitue, en fait, le propre de son caractère
social. C’est-à-dire que les divers éléments des représentations des arts martiaux s’organisent à partir d’un schéma sémantique précis qui permet de
comprendre la dynamique sous-jacente de son existence dans plusieurs
univers filmiques simultanés. Ses recherches doctorales lui ont permis de
découvrir le squelette des éléments essentiels (système structurant ou noyau
central) autour duquel viennent se comprendre et se construire les images
cinématographiques des arts martiaux. Ce squelette dicte le canevas fondamental d’un récit porteur de l’imaginaire des arts martiaux.
Yann Ramirez présente les vecteurs de représentations sociales et
individuelles des arts martiaux mixtes. Ces derniers sont la cause et la
conséquence d’un imaginal hybride. Sa réception connaît une dichotomie
des représentations entre des initiés pratiquants ou non et des non-initiés.
Des différentes dénominations jusqu’aux tatouages en passant par les surnoms, elles révèlent les éléments clés qui expliquent d’un côté l’engouement
mondial pour ce sport et d’un autre côté son dégoût. L’intérêt d’une telle
étude s’appuie sur les controverses suscitées par les arts martiaux mixtes, en
France en particulier. La réception de cette pratique sportive est en relation
directe avec les arts, dont les œuvres de fiction où le MMA (Mixed Martial
Arts) s’y développe.
4
LES ARTS MARTIAUX : LA PUISSANCE D’UN IMAGINAIRE
Benoît Gaudin montre que dans les pratiques culturelles de loisir,
l’engagement est généralement volontaire et l’adhésion au groupe de pratiquants relève bien peu de la communauté d’intérêts (Gesellschaft) mais plutôt
de la communauté d’affects (Gemeinschaft). On adhère à un groupe parce
qu’on « s’y retrouve », c’est-à-dire parce qu’on y retrouve, du moins en partie,
une part constitutive de soi-même. Dans les activités physiques et sportives,
cette partie de soi que l’on retrouve comprend non seulement une dimension corporelle hexis, culture somatique ou technique de corps, mais également
une dimension axiologique (liée à des valeurs, mise en évidence par Bourdieu) et culturelle. C’est cette dimension culturelle et symbolique que je
souhaite mettre en évidence dans cet article. Celui-ci présente une étude
auprès de la population des pratiquants de cinq academias de capoeira de
la ville de Toulouse dans les années 2000. Une enquête par questionnaire a
permis de recueillir des données sociologiques, culturelles et sportives sur
les pratiquants, et ces données permettent de déterminer plusieurs qualités
sociales, culturelles ou sportives qui aident à l’ancrage des individus dans
l’activité capoeira.
Pascal Le Rest a observé la pratique du karaté (de 1990 à 2015) dans
un dojo particulier, à Chartres, à 80 kilomètres au sud-ouest de Paris. Dans
ce dojo, le professeur est un grand maître japonais du style Shito-ryu Shukokaï, 8e dan FFKDA en France et 9e dan SSU au Japon. Il se nomme
Tsutomu Kamohara. Au-delà d’une simple observation, il a partagé intensément la vie du groupe des karatékas de Chartres et il propose au lecteur
d’entrer dans une réalité complexe pour saisir la trajectoire du karatéka
chartrain, avec ses rituels et ses initiations. Pour comprendre les motivations
qui poussent le Chartrain vers le karaté de maître Kamohara, il faut également pénétrer plus avant dans les arts martiaux et l’histoire qu’ils véhiculent,
par la littérature ou le cinéma, et résoudre quelques énigmes : pourquoi les
karatékas admettent-ils sans réserve la pyramide des grades et la hiérarchie
qui s’impose à tous ? La structure du groupe, à travers une hiérarchie clairement établie, renvoie à une représentation du monde, à des mythes qui
exacerbent l’imaginaire. Est-ce assez puissant pour que le Chartrain entreprenne cette aventure martiale ?
Jean-Marc de Grave s’intéresse au système de valeurs de l’école de
pencak silat indonésienne Merpati Putih. Les descriptions données
concernent les origines javanaises nobles et mystiques de l’école, ainsi que
le développement de celle-ci dans le sillage du nationalisme lié à l’accession
à l’indépendance. Ce développement s’est traduit par un investissement
poussé dans les réseaux académiques, politiques et économiques s’accompagnant d’une réfutation de la mystique javanaise au travers de référents
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