Suivi de patientes non ménopausées sous tamoxifène après

TRIBUNE
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La Lettre du Sénologue - n° 10 - septembre 2000
e tamoxifène est utilisé depuis bientôt 30 ans dans le
traitement du cancer du sein. Ses indications ont
évolué au cours du temps. Administré initialement
avec succès aux femmes en situation métastatique, il a été uti-
lisé en situation adjuvante chez les femmes ménopausées por-
teuses de tumeurs hormonosensibles (récepteurs aux estro-
gènes et à la progestérone positifs). La durée de sa prescription
a progressivement augmenté : à l’heure actuelle, il est le plus
souvent prescrit pour cinq ans au moins.
La méta-analyse des essais thérapeutiques faite par R. Peto (1)
a démontré l’efficacité du tamoxifène en situation adjuvante
sur la survie sans récidive et la survie globale quel que soit
l’âge des patientes, si la tumeur contient des récepteurs
d’estrogènes.
Ces conclusions ont donné lieu à de nouvelles indications de
prescription, en particulier à des femmes non ménopausées qui
jusqu’alors étaient rarement candidates à ce type de traitement,
si ce n’est en situation métastatique (2).
En ce qui concerne les effets secondaires attendus chez ces
femmes préménopausées, il existe des données dans la littéra-
ture, mais elles sont souvent incluses dans les différentes
publications princeps ou sont des études ciblées de faible
effectif, voire des rapports de cas cliniques. On notera qu’il
s’agit en majorité de femmes préménopausées, dans des situa-
tions métastatiques, et que les effets secondaires sont comparés
à ceux de l’ovariolyse. Ces effets sont chiffrés dans un certain
nombre d’études, notamment celles de Ingle (3), Pritchard (4)
et Buchanan (5), et ils sont estimés à au moins 2 % dans la
fiche signalétique américaine de Nolvadex®.
Ce sont indéniablement les études de prévention testant la
molécule chez des femmes “jeunes”, à haut risque de cancer
du sein, qui apportent le plus de renseignements, mettant en
évidence les effets délétères significativement différents de
ceux du placebo, qui peuvent être responsables de l’abandon
du traitement (6-9).
L’étude NSABP B24 (10), s’intéressant à l’effet du tamoxifène
sur une population de femmes traitées pour un carcinome in
situ, apporte également quelques éléments.
Des études sporadiques relatent les effets de la molécule essen-
tiellement sur les ovaires et les taux hormonaux et concernent
des effectifs faibles (11, 12).
Compte tenu de ces données dispersées et du faible recul pour
cette indication nouvelle (13), soupçonnée par certains d’effets
délétères (14-17), il nous a paru utile de réaliser une étude de
faisabilité du suivi des patientes jeunes soumises à un traite-
ment par tamoxifène.
Le but est d’informer les patientes non ménopausées de façon
plus précise sur les effets secondaires de ce traitement.
Il s’agit d’une étude prospective d’observation de patientes
non ménopausées lors du diagnostic de cancer du sein et qui
sont soit encore réglées, soit en aménorrhée post-chimiothéra-
pique (18).
Une surveillance gynécologique hormonale assortie d’une
étude de qualité de vie QLQ-C30 (19) et du module “sein”
(BR 23) est proposée dans le cadre de l’EORTC.
RECENSEMENT DES EFFETS SECONDAIRES
GYNÉCOLOGIQUES
Il existe, chez la femme non ménopausée soumise à un traite-
ment par tamoxifène, une augmentation du taux plasmatique
d’estradiol, qui peut atteindre 1 000 ou 2 000 pcg/ml (15, 20-
27). Cette augmentation est due aux propriétés clomid-like de
la molécule du tamoxifène (inducteur de l’ovulation).
Suivi de patientes non ménopausées sous tamoxifène
après traitement d’un cancer du sein
au stade locorégional :
étude des effets secondaires gynécologiques
et étude de qualité de vie
A. Lesur*
* Centre Alexis-Vautrin, Nancy.
L
Certains auteurs ont souligné le paradoxe que représente
l’induction d’une hyperestradiolémie chez des patientes ayant
eu un cancer du sein (14, 15, 17).
Des kystes de l’ovaire et des dystrophies ovariennes ont été
décrits, ainsi que des modifications de l’endomètre dans ces
situations (28-33). Des complications ont été décrites à type de
tension ou d’hémorragie nécessitant une intervention chirurgi-
cale (12, 34, 35).
Les effets de l’hyperestradiolémie, déclenchée par le feed-
back, peuvent se traduire aussi par des métrorragies ou des
anomalies du cycle menstruel (6, 15, 36-39), des modifications
de l’endomètre (28, 32) et des perturbations d’ordre sexuel (6).
Le tamoxifène n’a pas d’effet contraceptif, et son effet térato-
gène a été décrit (40).
Nous développerons les résultats de trois publications s’atta-
chant particulièrement à la situation de préménopause : celle
du Royal Marsden Hospital (9), celle rapportée dans l’étude de
la qualité de vie dans l’essai de prévention P1 du NSABP (6)
et enfin l’étude de Cohen (11).
Powles : essai du Royal Marsden Hospital (9)
La population des femmes non ménopausées était répartie
entre 609 patientes sous tamoxifène et 632 sous placebo pour
un total de 2 012 femmes randomisées de 1986 à 1993
(360 femmes sous tamoxifène et 344 sous placebo étaient
ménopausées, 36 sous tamoxifène et 31 sous placebo étaient
en périménopause).
L’étude des effets gynécologiques a été menée chez des
femmes préménopausées qui ont été questionnées sur leurs
cycles menstruels avant et pendant le traitement et sur leurs
troubles fonctionnels gynécologiques : sécheresse vaginale,
métrorragies, et toutes les informations d’ordre gynécologique
ont été collectées. Des échographies pelviennes avec sonde
vaginale de 5 mHz et doppler couleur ont été pratiquées. La
présence d’un kyste a été définie par un espace transsonique
supérieur à 3 cm.
Les femmes ménopausées, qu’elle soient ou non sous traite-
ment hormonal substitutif, ont également été interrogées sur le
plan gynécologique, et des échographies pelviennes ont été
effectuées.
On note :
– Une augmentation significative des bouffées de chaleur chez
les patientes préménopausées : 36 % sous tamoxifène contre
17 % sous placebo (p < 0,005). On ne trouve pas de différence
significative chez les femmes ménopausées en ce qui concerne
ce symptôme.
– Des pertes vaginales et des irrégularités de cycles en excès
dans le groupe sous tamoxifène : respectivement 13 % sous
tamoxifène contre 3 % sous placebo (p < 0,005) et 14 % sous
tamoxifène contre 9 % sous placebo (p < 0,005).
– Une incidence d’apparition des kystes ovariens détectés par
échographie pelvienne nettement plus importante dans le bras
tamoxifène que dans le bras placebo (tableau I).
Il n’y a pas de différence significative entre les deux bras dans
le groupe des femmes ménopausées.
On note également une augmentation des fibromes utérins à
partir de 12 mois de prise, particulièrement nette après
24 mois, et cette augmentation est également visible chez les
femmes ménopausées.
En ce qui concerne les causes d’arrêt et de non-compliance des
patientes incluses dans l’essai, les effets toxiques de bouffées
de chaleur et d’irrégularités menstruelles apparaissent comme
significatifs entre les deux bras.
On ne note pas d’intervention chirurgicale en excès, dans le
bras tamoxifène par rapport au bras placebo, en rapport avec
l’existence de kystes ovariens qui se seraient compliqués.
Étude sur la qualité de vie de l’essai P1 du NSABP
(6)
Les effets gynécologiques ont également été notés sous forme
de bouffées de chaleur et de pertes vaginales, ainsi que de dys-
fonctionnements sexuels, plus marqués dans le bras tamoxi-
fène, et ce particulièrement chez les patientes jeunes dans le
groupe 35-49 ans (tableau II).
Étude de Cohen
(11)
L’étude de Cohen est intéressante car elle compare deux
échantillons : l’un de 20 patientes préménopausées sous
tamoxifène et l’autre de 12 patientes non traitées qui consti-
tuent le groupe contrôle. L’étude est réalisée sur un cycle avec
des dosages hormonaux et des échographies pelviennes aux 3e,
14e et 21ejours du cycle.
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La Lettre du Sénologue - n° 10 - septembre 2000
Tableau I. Incidence des kystes de l’ovaire trouvés en échographie
pelvienne chez les femmes préménopausées.
Mois Tamoxifène Placebo
0-2 78/236 33 % 66/231 28 %
3-11 (s*) 61/156 39 % 44/170 26 %
12-23 (s**) 58/151 38 % 31/143 22 %
24 et plus (s***) 44/118 37 % 40/174 23 %
*s : p < 0,025 ; **s : p < 0,005 ; ***s : p < 0,01.
Tableau II. Effets secondaires rapportés entre 3 et 36 mois chez des
femmes non ménopausées dans l’essai P1.
35-49 ans Tamoxifène Placebo RR
%%T/P
Pertes gynécologiques 62,55 46,29 1,35
Sueurs nocturnes 74,16 59,58 1,24
Bouffées de chaleur 81,28 65,54 1,24
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La Lettre du Sénologue - n° 10 - septembre 2000
Les auteurs démontrent qu’ils retrouvent, chez 80 % des
patientes sous tamoxifène, des kystes ovariens (contre 8,3 %
pour le groupe contrôle). Des irrégularités de cycle sont égale-
ment plus fréquentes dans le groupe traité (50 % contre
16,7 %), et des variations de taux hormonaux ont été enregis-
trées pour le 17ß-estradiol, avec des taux trois fois supérieurs à
ceux des témoins. Cependant, cette étude ne porte que sur un
cycle, et il n’est pas précisé si la symptomatologie devient
fonctionnelle ou s’il s’agit seulement d’une découverte écho-
graphique. Il n’est pas non plus précisé ce qu’il advient de ces
kystes ovariens quand on prolonge le traitement.
Autres études
Beaucoup d’études ont été présentées à partir d’un petit
nombre de cas isolés (35, 41-43).
PROPOSITIONS
Compte tenu de ces données sporadiques dans la littérature,
nous proposons un enregistrement prospectif des patientes non
ménopausées sous tamoxifène à l’aide du modèle de fiche ci-
joint (figure 1), qui collecte les données fonctionnelles, phy-
siques et biologiques à trois mois, six mois et un an.
Protocole
Sélection des patientes : toutes les patientes âgées de moins
de 50 ans, mises sous tamoxifène après un cancer du sein en
situation adjuvante, qu’elles soient non ménopausées ou en
aménorrhée induite par la chimiothérapie.
NB : si une patiente est en aménorrhée de moins d’un an après
la chimiothérapie, elle entre dans l’étude.
Critères d’exclusion : patientes ménopausées depuis plus
d’un an avant la chimiothérapie, patientes hystérectomisées
avec ablation des ovaires. On vérifiera qu’il n’existe pas
d’autres prises hormonales, telles qu’un traitement hormonal
substitutif de la ménopause, une contraception orale ou des
progestatifs isolés.
Posologie et modalités d’administration du traitement :
tamoxifène 20 mg, un comprimé tous les matins pendant 5 ans.
Si cette dose est difficilement supportée, notamment en raison
de problèmes digestifs ou de bouffées de chaleur, on peut la
répartir en deux comprimés de 10 mg (un le matin, un le soir).
Le protocole de surveillance prévoit un premier entretien avec
le médecin investigateur pour expliquer la raison de l’étude,
recueillir le consentement éclairé de la patiente et lui donner le
schéma d’étude. Les consultations à trois mois et à six mois
pourront être confiées au gynécologue habituel de la patiente,
qui sera informé du protocole et aura des fiches d’enregistre-
ment à remplir, qu’il transmettra au centre investigateur.
Associée à ces aspects gynécologiques, une recherche évaluant
la qualité de vie sera effectuée, avec un questionnaire validé.
Évaluation préthérapeutique : une consultation gynécolo-
gique en début de prise du tamoxifène est souhaitée. Elle a
pour but :
– de vérifier l’absence de pathologie ovarienne préexistante, de
type dysovulation ou kyste de l’ovaire,
– de proposer une contraception efficace, et d’informer des
risques tératogènes de la molécule.
Elle permet la réalisation d’un frottis s’il a moins de deux ans.
Si la patiente est en aménorrhée récente (postchimiothérapie
immédiate), un frottis vaginal peut être réalisé pour connaître
l’imprégnation hormonale.
Une échographie pelvienne complétera l’examen gynécolo-
gique afin de visualiser les ovaires. Cette échographie sera réa-
lisée de préférence en début de cycle si la patiente est toujours
réglée.
Surveillance : à trois mois, six mois et un an, consultation
gynécologique avec interrogatoire et recherche de signes fonc-
tionnels (bouffées de chaleur, algies pelviennes, anomalies des
cycles avec soit ménométrorragies soit aménorrhée, cépha-
lées...), de signes physiques (prise de poids, insuffisance vei-
neuse des membres inférieurs, paraphlébites ou autres...).
L’examen gynécologique recherchera une anomalie pelvienne.
Une échographie pelvienne sera également réalisée, à la
recherche d’anomalies de type dystrophie ovarienne, kyste
ovarien.
Une prise de sang sera effectuée au 10ejour du cycle, compre-
nant un dosage de la FSH et du 17ß-estradiol.
Les traitements, qu’ils soient médicaux ou chirurgicaux, seront
soigneusement consignés. Si certaines patientes arrêtent le trai-
tement, les raisons de l’arrêt seront explicitées.
CONCLUSION
Cette étude a été présentée à la Commission de recherche cli-
nique du Centre Alexis-Vautrin et a reçu son accord. Elle a été
soumise à l’examen du Comité consultatif de protection des
personnes se prêtant à des recherches biomédicales (CPPRB).
Elle a également été présentée à un certain nombre de centres,
qui se sont montrés intéressés et se sont proposés comme
centres investigateurs (centres anticancéreux, centres privés,
cabinets de gynécologie...). La liste n’est pas définitive.
Si cette étude vous intéresse, il suffit de contacter le
Dr Lesur au Centre Alexis-Vautrin (Tél. : 03 83 59 84 07).
L’avantage de cet enregistrement prospectif de patientes réside
essentiellement en l’observation en temps réel des effets
secondaires, souvent notés sporadiquement et rapportés de
façon non exhaustive. Cela permettra, sur 300 patientes, de
donner les pourcentages réels observés de celles présentant des
anomalies, ainsi que le pourcentage éventuel d’arrêts en raison
de ces effets secondaires.
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La Lettre du Sénologue - n° 10 - septembre 2000
FICHE D’ENREGISTREMENT
DES PATIENTES NON MÉNOPAUSÉES SOUS TAMOXIFÈNE ADJ
Nom ................................................. N° dossier ..................................................
Centre ................................................................................................................
Nom du médecin (responsable de la fiche), adresse .............................................................
Spécialité .............................................................................................................
Âge au diagnostic de cancer du sein
Statut hormonal au diagnostic • Cycles spontanés réguliers
• Cycles spontanés irréguliers
• Pilule
laquelle ...................................................................
• Progestatifs
lesquels .................................................................
• Stérilet
Dosage des récepteurs hormonaux RE RP
Résumé du traitement Chirurgie : chirurgie conservatrice avec curage Patey
Radiothérapie
Chimiothérapie
Type de chimiothérapie (en clair) .......................................................
Aménorrhée induite Date :
Antécédent familial de cancer Sein Ovaire
Dystrophie ovarienne antérieure En clair ...............................................................
1re CONSULTATION
Information + consultation gynécologique
Échographie pelvienne avant le traitement : normale pathologique
Si pathologique ..............................................................................................
Dosages hormonaux au 10ejour FSH 17ß-estradiol
Frottis vaginal d’imprégnation hormonale (pour les patientes en aménorrhée transitoire) (en clair)
..........................................................................................................................
DATE DU DÉBUT DU TRAITEMENT PAR TAMOXIFÈNE (mois et année)
Doses utilisées en mg Date des dernières règles
Figure 1.
TRIBUNE
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La Lettre du Sénologue - n° 10 - septembre 2000
BILAN À TROIS MOIS
– Observation des cycles pendant le début du traitement
Date des dernières règles 1er mois 2emois 3emois
– Signes observés RAS Douleurs pelviennes Méno- ou métrorragies
Kystes ovariens symptomatiques asymptomatiques Prise de poids Nausées
Dépression Mastodynies Bouffées de chaleur Autres
Dosages hormonaux : FSH 17ß-estradiol
Échographie pelvienne (au 10ejour si cycles conservés ; n’importe quand si cycles non conservés)
Normale Pathologique Si pathologique en clair .......................................................
– Traitements ajoutés :
Pour les bouffées de chaleur, lesquels (si progestatifs, lesquels) ..............................................
.......................................................................................................................
Autres ...............................................................................................................
BILAN IDENTIQUE À SIX MOIS
– Cycles conservés OUI NON
– Signes observés RAS Douleurs pelviennes Méno- ou métrorragies
Kystes ovariens symptomatiques asymptomatiques Prise de poids Nausées
Dépression Mastodynies Bouffées de chaleur Autres
Dosages hormonaux : FSH 17ß-estradiol
Échographie pelvienne (au 10ejour si cycles conservés ; n’importe quand si cycles non conservés)
Normale Pathologique Si pathologique en clair .......................................................
– Traitements médicaux ou chirurgicaux (lesquels) : ..........................................................
(Si commentaires, veuillez les noter sur une fiche détachée).
BILAN À UN AN
– Cycles conservés OUI NON
– Signes observés RAS Douleurs pelviennes Méno- ou métrorragies
Kystes ovariens symptomatiques asymptomatiques Prise de poids Nausées
Dépression Mastodynies Bouffées de chaleur Autres
Dosages hormonaux : FSH 17ß-estradiol
Échographie pelvienne (au 10ejour si cycles conservés ; n’importe quand si cycles non conservés)
Normale Pathologique Si pathologique en clair .......................................................
– Traitements médicaux ou chirurgicaux (lesquels) : ..........................................................
(Si commentaires, veuillez les noter sur une fiche détachée).
Figure 1.
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