1 1 Cha p itr e Risques : réalité et perception De quoi parle-t-on ? • Petit Larousse : « Danger, inconvénient possible ». • Robert : « Danger éventuel, plus ou moins prévisible » ou « Le fait de s’exposer à un danger, dans l’espoir d’obtenir un avantage ». • Littré : « Péril dans lequel entre l’idée de hasard ». Le risque est un concept bien mal défini et encore plus galvaudé ! On utilise – et ce n’est pas le seul fait des médias – ce même mot pour désigner une situation dommageable, tout ou partie des causes de cette situation, ses conséquences, voire la victime potentielle. On dira ainsi : • Il y a un risque d’orage (situation) ; • La machine risque une surcharge électrique (cause) ; • Je risque la perte de mon investissement (conséquence) ; • Cette usine est un risque majeur pour ses assureurs (victime). Il importe donc d’adopter une définition précise, qui se démarque des différentes acceptions du langage courant. Nous dirons qu’un risque est une situation (ensemble d’événements simultanés ou consécutifs) dont l’occurrence est incertaine et dont la réalisation affecte les objectifs de l’entité (individu, famille, entreprise, collectivité) qui le subit. Certains risques pourront avoir des effets positifs. Ce sont ceux que l’on recherche, et que l’on appelle « chance » ou « opportunités ». D’autres auront assurément des effets négatifs. Ce sont ceux que l’on craint. © Éditions d’Organisation Nos activités génèrent directement certains risques. On les qualifiera d’endogènes. D’autres naissent dans notre environnement et nous affectent par contrecoup. On les appellera exogènes. Un risque se caractérise donc par deux grandeurs : • Sa probabilité d’occurrence, ou fréquence f. • Ses effets, ou gravité G. Un risque se mesure par le produit de ces deux grandeurs, sa criticité C : C=fxG La connaissance d’une seule de ces deux grandeurs est évidemment insuffisante pour complètement caractériser un risque. Cette évidence est cependant peu 11 Gestion des risques partagée, y compris dans la réglementation qui adopte souvent une approche déterministe. L’existence d’un danger, quelle que soit sa probabilité, suffit à déclencher des exigences de prévention parfois disproportionnées. L’application en France de la directive SEVESO II de prévention des risques d’accidents majeurs est une illustration de cette approche, qui repose sur le refus total du risque résiduel. Compréhensible bien que discutable dans le cas des risques de catastrophes, l’ignorance de la probabilité est évidemment absurde dans le cas de risques moins importants, et conduit à prendre des mesures dont le coût est excessif par rapport au risque qu’elles prétendent réduire. D’autres pays européens ont adopté depuis longtemps une approche probabiliste, permettant de définir à partir de quel moment des exigences supplémentaires en matière de prévention deviennent superfétatoires, voire dangereuses. Il est toutefois clair qu’une telle approche présuppose une plus grande maturité dans la communication sur le risque en direction des populations. Nous verrons plus loin que la Gestion des Risques se définit justement comme l’art de prendre en compte rationnellement les deux composantes du risque, fréquence f et gravité G. 2 Une petite histoire du risque Dire que le risque est inhérent à la vie est une évidence. Ceci dit, la perception du risque a longtemps été celle d’une fatalité attribuable aux dieux, sans la moindre notion de mesure. Les anciens ne savaient pas parler de chances, au sens moderne du terme, c’est-à-dire celui des probabilités. N’oublions pas que ce n’est qu’au milieu du XVIIe siècle que Fermat et Pascal ont jeté les premières bases de la prédiction mathématique du hasard en résolvant le problème posé deux siècles auparavant par le moine italien Luca Paccioli1. Ce n’est donc qu’à partir du XVIIIe siècle que le risque a commencé de remplacer la notion mystique de fatalité, non seulement grâce aux nouveaux outils mathématiques, mais aussi sous la pression de l’industrie naissante, et de la complexité croissante des modes de production et des relations commerciales. Les accidents devenaient alors plus complexes que ceux auxquels le monde rural avait à faire face, et donc plus difficiles à réparer. Ils impliquaient en chaîne plu1. Il s’agit du « problème des points », où comment diviser les gains entre deux joueurs alors que la partie est interrompue avant sa fin. 12 © Éditions d’Organisation Ce n’est que dans la première moitié du XVIIIe siècle que Bernoulli découvrit la loi des grands nombres et formula sa théorie de la décision, introduisant le premier la notion de criticité (fréquence x gravité). Enfin la fameuse loi de Gauss n’a même pas 150 ans, un instant en regard de notre histoire ! RISQUES : RÉALITÉ ET PERCEPTION sieurs acteurs économiques, et leurs conséquences devenaient plus lourdes à supporter, voire dramatiques. La conscience que le risque n’est pas une fatalité, mais la résultante d’une combinaison d’événements fut aussi le moteur de la notion d’entreprise, tant il est vrai qu’entreprendre est savoir prendre des risques, ce qui ne pouvait que favoriser le développement industriel, domaine privilégié de la prise de risque volontaire et rationnelle. Le XIXe siècle verra ces facteurs se conjuguer dans la spirale de notre monde moderne : la conscience de la logique déterministe du risque, qui justifie qu’on « tente sa chance » au travers du système industriel capitaliste, la complexité du risque créé par ce même système, enfin les modèles mathématiques permettant la prédiction sur la base des observations, fondements de l’assurance. Les entrepreneurs, soutenus par la prise de risque du capital, développent grâce aux scientifiques la machine industrielle sous la protection de l’assurance qui garantit que seul restera le risque de gagner ! La synergie entre l’esprit d’aventure, qui projette dans l’avenir, et la peur de l’échec, qui impose anticipation et assurance, permettront le formidable développement du monde moderne. On voit bien qu’au moment où ils comprenaient qu’un événement est le résultat d’une chaîne d’évènements antérieurs, complexe mais déterministe, nos pères ont intuitivement séparé les chances de gagner, qu’ils ont jugé être le fruit de l’esprit d’entreprise, de celles de perdre, qu’ils ont confiées aux assureurs. Cette dichotomie, pour ne pas parler de schizophrénie, persiste encore aujourd’hui : l’entrepreneur se juge maître des risques qu’il veut prendre, et n’hésite pas à bâtir des « arbres des causes » complexes pour atteindre ses objectifs, mais refuse de faire la même analyse pour les risques négatifs, car ce sont pour lui des échecs qu’il refuse d’envisager, mais aussi parce que l’assurance en fait son affaire...ou tout au moins le lui laisse croire ! Ainsi s’explique que la Gestion des Risques ait autant de mal à émerger, alors que jamais elle n’a été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, les risques croissants pour l’entreprise comme pour la société, et l’assurance réduisant chaque jour la réponse qu’elle peut y apporter. © Éditions d’Organisation 3 Panorama des risques aujourd’hui Les risques sont une composante incontournable de la vie. Sans risque, il n’y a pas de vie. Cependant, la vie moderne fait peser sur le citoyen des risques qu’il ne maîtrise pas, qui lui font peur, et qu’en règle générale il refuse en fonction de l’analyse intuitive qu’il fait entre risque et bénéfice, analyse qui dépend statistiquement de nombreux facteurs, tels que l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, etc. 13