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Risques :
réalité et perception
De quoi parle-t-on ?
Le risque est un concept bien mal défini et
encore plus galvaudé ! On utilise – et ce
n’est pas le seul fait des médias – ce même
mot pour désigner une situation domma-
geable, tout ou partie des causes de cette
situation, ses conséquences, voire la vic-
time potentielle.
On dira ainsi :
Il y a un risque d’orage (situation) ;
La machine risque une surcharge électrique (cause) ;
Je risque la perte de mon investissement (conséquence) ;
Cette usine est un risque majeur pour ses assureurs (victime).
Il importe donc d’adopter une définition précise, qui se démarque des différen-
tes acceptions du langage courant. Nous dirons qu’un risque est une situation
(ensemble d’événements simultanés ou consécutifs) dont l’occurrence est
incertaine et dont la réalisation affecte les objectifs de l’entité (individu, famille,
entreprise, collectivité) qui le subit. Certains risques pourront avoir des effets
positifs. Ce sont ceux que l’on recherche, et que l’on appelle « chance » ou
« opportunités ». D’autres auront assurément des effets négatifs. Ce sont ceux que
l’on craint.
Nos activités génèrent directement certains risques. On les qualifiera d’endogè-
nes. D’autres naissent dans notre environnement et nous affectent par contre-
coup. On les appellera exogènes.
Un risque se caractérise donc par deux grandeurs :
Sa probabilité d’occurrence, ou fréquence f.
Ses effets, ou gravité G.
Un risque se mesure par le produit de ces deux grandeurs, sa criticité C :
La connaissance d’une seule de ces deux grandeurs est évidemment insuffisante
pour complètement caractériser un risque. Cette évidence est cependant peu
C = f x G
1
Petit Larousse : « Danger, inconvé-
nient possible ».
Robert : « Danger éventuel, plus ou
moins prévisible » ou « Le fait de
s’exposer à un danger, dans l’espoir
d’obtenir un avantage ».
Littré : « Péril dans lequel entre l’idée
de hasard ».
Chapitre 1
Gestion des risques
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partagée, y compris dans la réglementation qui adopte souvent une approche
déterministe. L’existence d’un danger, quelle que soit sa probabilité, suffit à
déclencher des exigences de prévention parfois disproportionnées. L’applica-
tion en France de la directive SEVESO II de prévention des risques d’accidents
majeurs est une illustration de cette approche, qui repose sur le refus total du ris-
que résiduel. Compréhensible bien que discutable dans le cas des risques de
catastrophes, l’ignorance de la probabilité est évidemment absurde dans le cas
de risques moins importants, et conduit à prendre des mesures dont le coût est
excessif par rapport au risque qu’elles prétendent réduire. D’autres pays euro-
péens ont adopté depuis longtemps une approche probabiliste, permettant de
définir à partir de quel moment des exigences supplémentaires en matière de
prévention deviennent superfétatoires, voire dangereuses. Il est toutefois clair
qu’une telle approche présuppose une plus grande maturité dans la communica-
tion sur le risque en direction des populations.
Nous verrons plus loin que la Gestion des Risques se définit justement comme
l’art de prendre en compte rationnellement les deux composantes du risque, fré-
quence f et gravité G.
Une petite histoire du risque
Dire que le risque est inhérent à la vie est une évidence. Ceci dit, la perception
du risque a longtemps été celle d’une fatalité attribuable aux dieux, sans la moin-
dre notion de mesure. Les anciens ne savaient pas parler de chances, au sens
moderne du terme, c’est-à-dire celui des probabilités. N’oublions pas que ce
n’est qu’au milieu du XVIIe siècle que Fermat et Pascal ont jeté les premières
bases de la prédiction mathématique du hasard en résolvant le problème posé
deux siècles auparavant par le moine italien Luca Paccioli1.
Ce n’est que dans la première moitié du XVIIIe siècle que Bernoulli découvrit la
loi des grands nombres et formula sa théorie de la décision, introduisant le pre-
mier la notion de criticité (fréquence x gravité). Enfin la fameuse loi de Gauss n’a
même pas 150 ans, un instant en regard de notre histoire !
Ce n’est donc qu’à partir du XVIIIe siècle que le risque a commencé de rempla-
cer la notion mystique de fatalité, non seulement grâce aux nouveaux outils
mathématiques, mais aussi sous la pression de l’industrie naissante, et de la com-
plexité croissante des modes de production et des relations commerciales. Les
accidents devenaient alors plus complexes que ceux auxquels le monde rural
avait à faire face, et donc plus difficiles à réparer. Ils impliquaient en chaîne plu-
1. Il s’agit du « problème des points », où comment diviser les gains entre deux joueurs alors
que la partie est interrompue avant sa fin.
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RISQUES : RÉALITÉ ET PERCEPTION
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sieurs acteurs économiques, et leurs conséquences devenaient plus lourdes à
supporter, voire dramatiques.
La conscience que le risque n’est pas une fatalité, mais la résultante d’une com-
binaison d’événements fut aussi le moteur de la notion d’entreprise, tant il est
vrai qu’entreprendre est savoir prendre des risques, ce qui ne pouvait que favori-
ser le développement industriel, domaine privilégié de la prise de risque volon-
taire et rationnelle.
Le XIXe siècle verra ces facteurs se conjuguer dans la spirale de notre monde
moderne : la conscience de la logique déterministe du risque, qui justifie qu’on
« tente sa chance » au travers du système industriel capitaliste, la complexité du
risque créé par ce même système, enfin les modèles mathématiques permettant
la prédiction sur la base des observations, fondements de l’assurance. Les entre-
preneurs, soutenus par la prise de risque du capital, développent grâce aux
scientifiques la machine industrielle sous la protection de l’assurance qui garan-
tit que seul restera le risque de gagner ! La synergie entre l’esprit d’aventure, qui
projette dans l’avenir, et la peur de l’échec, qui impose anticipation et assurance,
permettront le formidable développement du monde moderne.
On voit bien qu’au moment où ils comprenaient qu’un événement est le résultat
d’une chaîne d’évènements antérieurs, complexe mais déterministe, nos pères
ont intuitivement séparé les chances de gagner, qu’ils ont jugé être le fruit de
l’esprit d’entreprise, de celles de perdre, qu’ils ont confiées aux assureurs. Cette
dichotomie, pour ne pas parler de schizophrénie, persiste encore aujourd’hui :
l’entrepreneur se juge maître des risques qu’il veut prendre, et n’hésite pas à bâtir
des « arbres des causes » complexes pour atteindre ses objectifs, mais refuse de
faire la même analyse pour les risques négatifs, car ce sont pour lui des échecs
qu’il refuse d’envisager, mais aussi parce que l’assurance en fait son affaire...ou
tout au moins le lui laisse croire !
Ainsi s’explique que la Gestion des Risques ait autant de mal à émerger, alors
que jamais elle n’a été aussi nécessaire qu’aujourd’hui, les risques croissants
pour l’entreprise comme pour la société, et l’assurance réduisant chaque jour la
réponse qu’elle peut y apporter.
Panorama des risques aujourd’hui
Les risques sont une composante incontournable de la vie. Sans risque, il n’y a
pas de vie. Cependant, la vie moderne fait peser sur le citoyen des risques qu’il
ne maîtrise pas, qui lui font peur, et qu’en règle générale il refuse en fonction de
l’analyse intuitive qu’il fait entre risque et bénéfice, analyse qui dépend statisti-
quement de nombreux facteurs, tels que l’âge, le sexe, le niveau d’éducation,
etc.
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