Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen Le monde préfère qu’on lui mente Lorsque je quittai il y a 25 ans la construction et arrivai dans le secteur bancaire, je n'aurais jamais imaginé, même pas en rêve, que je retravaillerai dans une branche susceptible de connaître un déclin historique. Le secteur de la construction a maintenant énormément maigri. Sa rentabilité représente aujourd'hui tout juste un quart du niveau maximal par rapport à la fin des années quatre-vingt lorsque le cartel de la construction fonctionnait encore sans heurts et que 10% de marge du chiffre d'affaires étaient encore la norme dans cette branche. A présent, la mise à terre du secteur bancaire bat son plein, il suffit d'observer les rendements sur les capitaux propres (RoE) des grands établissements dans le monde entier et leur évolution depuis la crise financière. Aujourd'hui, plus aucun CEO ne parle d'un RoE dans un ordre de grandeur de 25%, du moins pas dans une grande banque. Avec ce type d'affirmation, il ne récolte aujourd'hui point d'admiration mais suscite plutôt la méfiance, voire la raillerie. De même, l'image des professions bancaires est aujourd'hui bancale comme jamais. Jadis, celui qui travaillait dans une banque était estimé. Son rôle dans la société était celui d'un modèle admiré, parfois même envié. Mais aujourd'hui, tout cela appartient au passé. Les agents de collecte des déchets, les coiffeurs ou les simples artisans jouissent d'une meilleure réputation dans notre société que l'employé de banque moyen. Les banques d'investissement sont particulièrement tombées en discrédit, et dans une moindre mesure mais de manière également virulente, la gestion de fortune. Malgré des rémunérations toujours généreuses dans la branche, de nombreux établissements financiers peinent à trouver de la relève ou un renouvellement des effectifs. Les diplômés des universités de l'élite mondiale ne choisissent plus en premier lieu les établissements financiers mais les entreprises technologiques. Que ce soit pour intégrer la vie active ou pour un plan de carrière à moyen terme. Discrédit Le terme latin «credere» à l'origine des mots crédit et donc confiance, a été tellement brimé, entre autres par des établissements comme Credit Suisse, Crédit Agricole ou Unicrédit qui arborent même ce mot dans leur nom, qu'aujourd'hui un banquier rencontre plutôt de la méfiance au lieu de la bienveillance. Tel est hélas aussi le cas des banquiers qui font du bon travail et considèrent que la satisfaction de leurs clients est plus importante que la leur. Cela durera des années, voire des décennies pour restaurer l'image de la branche d'une façon ou d'une autre. Mais d'abord, il faut rectifier les structures, ce qui entraînera une saignée supplémentaire. Nota bene: tout crédit est vite perdu. Or, recouvrer la confiance est une affaire bien lente. Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen 01.06.2016 Raiffeisen Economic Research [email protected] Tél. +41 44 226 74 41 Enseignements tirés de l'Histoire Dans la Rome antique, pendant longtemps, personne ne Raiffeisen voulait croire que l'âge d'or touchaitEconomic à sa fin etResearch encore moins [email protected] que le déclin était imminent. Tout au contraire: Le pain et les Tél. humeur +41 44 226 74 41 jeux maintenaient Rome de bonne alors que les frontières extérieures étaient déjà en flammes. Mais il ne faut pas remonter aussi loin dans l'Histoire pour démontrer que la transfiguration mystique précède la chute. En effet, les banques et la construction ont encore davantage de points en commun. Durant le boom de la construction à la fin des années quatre-vingt, les rencontres des maîtres d'œuvre du secteur industriel étaient aussi toujours une démonstration de puissance par des voitures de luxe et de sport, souvent même en Haute-Engadine. Dans le secteur bancaire, ce n'était pas si différent, sauf qu'aujourd'hui encore la branche connaît des exagérations d'abondance, en insistant sur le «encore», comme nous l'enseigne la construction. Dans la structure actuelle corrigée du marché de la construction, on peut certes encore gagner beaucoup d'argent mais plus des sommes faramineuses. «Les profits démesurés» ne sont pas durables dans le système de l'économie de marché libre car ils incitent les concurrents à vite venir sur la piste. Ce n'est rien d'autre que la logique de la libre concurrence. Et cette logique signifie, à l'inverse, que des marges extrêmement élevées ne peuvent être maintenues longtemps que là où la concurrence est restreinte. Que ce soit par des barrières d'entrée élevées, par des ententes et des cartels ou d'autres facteurs allant jusqu'à la criminalité. Longtemps ne veut pas dire éternellement et même Rome a, dans un certain sens, été victime de sa propre corruption et décadence. Rome sur le déclin trouvait la concurrence trop épuisante. Mauvaise compréhension de l'économie de marché L'économie de marché ne fonctionne malheureusement que dans les modèles théoriques des cours d'économie politique. L'équilibre stable est autant une utopie que l'idée des banques centrales qu'elles arrivent à réaliser un objectif d'inflation. A vrai dire, dans le système de l'économie de marché, tout est en mouvement, le parfait contraire de l'équilibre statique prôné en théorie. On sait tout cela en principe dans les universités mais les étudiants en économie veulent-ils vraiment l'entendre et leurs professeurs l'enseigner? Et ainsi, on préfère continuer à simuler des modèles hors de la réalité qui donnent l'illusion d'un monde en équilibre et l'on exclut la vraie réalité dans les séminaires de «l'économie non marchande». Là-bas, il n'y a plus de consommateurs rationnels mais des consommateurs hybrides, la corruption y est également abordée comme la cupidité, la fraude et l'altruisme. Il est temps pour le milieu enseignant de ne plus se mentir et d'arrêter de mentir aux autres. Mais malheureusement, le mythe de la complexité qui est soidisant fermé au citoyen lambda est à ce moment-là aussi révolu. Et avec lui, un modèle d'affaires derrière lequel aime se cacher l'économie moderne de partage du travail. Car, si tout était aussi simple, on n'aurait guère besoin des experts Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen Le monde préfère qu’on lui mente que l'on trouve, c'est bien connu, à foison dans le secteur bancaire. Pourtant, Wolfgang Streeck le disait depuis longtemps déjà: «Le capitalisme est le système économique et social le plus dynamique que l'humanité ait inventé. La stabilité n'existe en lui qu'à titre de volonté et de représentation. Le capitalisme est le harcèlement incessant d'individus extrêmement motivés et créatifs visant les ordres sociaux auxquels d'autres voudraient bien s'intégrer.» Non, tout sauf ça, c'est pas vrai, alors le monde préfère qu'on lui mente. 01.06.2016 Raiffeisen Economic Research [email protected] Tél. +41 44 226 74 41 Raiffeisen Economic Research [email protected] Tél. +41 44 226 74 41 Martin Neff, chef économiste de Raiffeisen Mentions légales importantes Ceci n'est pas une offre Les contenus publiés dans le présent document sont mis à disposition uniquement à titre d'information. Par conséquent, ils ne constituent ni une offre au sens juridique du terme, ni une incitation ou une recommandation d'achat ou de vente d'instruments de placement. 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