Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen
01.06.2016
Raiffeisen Economic Research
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Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen
Le monde préfère qu’on lui mente
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Lorsque je quittai il y a 25 ans la
construction et arrivai dans le sec-
teur bancaire, je n'aurais jamais
imaginé, même pas en rêve, que je
retravaillerai dans une branche
susceptible de connaître un déclin
historique. Le secteur de la cons-
truction a maintenant énormément
maigri. Sa rentabilité représente
aujourd'hui tout juste un quart du
niveau maximal par rapport à la fin
des années quatre-vingt lorsque le cartel de la construction
fonctionnait encore sans heurts et que 10% de marge du
chiffre d'affaires étaient encore la norme dans cette
branche. A présent, la mise à terre du secteur bancaire bat
son plein, il suffit d'observer les rendements sur les capitaux
propres (RoE) des grands établissements dans le monde
entier et leur évolution depuis la crise financière. Aujour-
d'hui, plus aucun CEO ne parle d'un RoE dans un ordre de
grandeur de 25%, du moins pas dans une grande banque.
Avec ce type d'affirmation, il ne récolte aujourd'hui point
d'admiration mais suscite plutôt la méfiance, voire la raillerie.
De même, l'image des professions bancaires est aujourd'hui
bancale comme jamais. Jadis, celui qui travaillait dans une
banque était estimé. Son rôle dans la société était celui d'un
modèle admiré, parfois même envié. Mais aujourd'hui, tout
cela appartient au passé. Les agents de collecte des déchets,
les coiffeurs ou les simples artisans jouissent d'une meilleure
réputation dans notre société que l'employé de banque
moyen. Les banques d'investissement sont particulièrement
tombées en discrédit, et dans une moindre mesure mais de
manière également virulente, la gestion de fortune. Malgré
des rémunérations toujours généreuses dans la branche, de
nombreux établissements financiers peinent à trouver de la
relève ou un renouvellement des effectifs. Les diplômés des
universités de l'élite mondiale ne choisissent plus en premier
lieu les établissements financiers mais les entreprises techno-
logiques. Que ce soit pour intégrer la vie active ou pour un
plan de carrière à moyen terme.
Discrédit
Le terme latin «credere» à l'origine des mots crédit et donc
confiance, a été tellement brimé, entre autres par des éta-
blissements comme Credit Suisse, Crédit Agricole ou Unicré-
dit qui arborent même ce mot dans leur nom, qu'aujourd'hui
un banquier rencontre plutôt de la méfiance au lieu de la
bienveillance. Tel est hélas aussi le cas des banquiers qui font
du bon travail et considèrent que la satisfaction de leurs
clients est plus importante que la leur. Cela durera des an-
nées, voire des décennies pour restaurer l'image de la
branche d'une façon ou d'une autre. Mais d'abord, il faut
rectifier les structures, ce qui entraînera une saignée sup-
plémentaire. Nota bene: tout crédit est vite perdu. Or, re-
couvrer la confiance est une affaire bien lente.
Enseignements tirés de l'Histoire
Dans la Rome antique, pendant longtemps, personne ne
voulait croire que l'âge d'or touchait à sa fin et encore moins
que le déclin était imminent. Tout au contraire: Le pain et les
jeux maintenaient Rome de bonne humeur alors que les
frontières extérieures étaient déjà en flammes. Mais il ne
faut pas remonter aussi loin dans l'Histoire pour démontrer
que la transfiguration mystique précède la chute. En effet,
les banques et la construction ont encore davantage de
points en commun. Durant le boom de la construction à la
fin des années quatre-vingt, les rencontres des maîtres
d'œuvre du secteur industriel étaient aussi toujours une
démonstration de puissance par des voitures de luxe et de
sport, souvent même en Haute-Engadine. Dans le secteur
bancaire, ce n'était pas si différent, sauf qu'aujourd'hui en-
core la branche connaît des exagérations d'abondance, en
insistant sur le «encore», comme nous l'enseigne la construc-
tion. Dans la structure actuelle corrigée du marché de la
construction, on peut certes encore gagner beaucoup d'ar-
gent mais plus des sommes faramineuses. «Les profits déme-
surés» ne sont pas durables dans le système de l'économie
de marché libre car ils incitent les concurrents à vite venir sur
la piste. Ce n'est rien d'autre que la logique de la libre con-
currence. Et cette logique signifie, à l'inverse, que des
marges extrêmement élevées ne peuvent être maintenues
longtemps que là où la concurrence est restreinte. Que ce
soit par des barrières d'entrée élevées, par des ententes et
des cartels ou d'autres facteurs allant jusqu'à la criminalité.
Longtemps ne veut pas dire éternellement et même Rome a,
dans un certain sens, été victime de sa propre corruption et
décadence. Rome sur le déclin trouvait la concurrence trop
épuisante.
Mauvaise compréhension de l'économie de marché
L'économie de marché ne fonctionne malheureusement que
dans les modèles théoriques des cours d'économie politique.
L'équilibre stable est autant une utopie que l'idée des
banques centrales qu'elles arrivent à réaliser un objectif
d'inflation. A vrai dire, dans le système de l'économie de
marché, tout est en mouvement, le parfait contraire de
l'équilibre statique prôné en théorie. On sait tout cela en
principe dans les universités mais les étudiants en économie
veulent-ils vraiment l'entendre et leurs professeurs l'ensei-
gner? Et ainsi, on préfère continuer à simuler des modèles
hors de la réalité qui donnent l'illusion d'un monde en équi-
libre et l'on exclut la vraie réalité dans les séminaires de
«l'économie non marchande». Là-bas, il n'y a plus de con-
sommateurs rationnels mais des consommateurs hybrides, la
corruption y est également abordée comme la cupidité, la
fraude et l'altruisme. Il est temps pour le milieu enseignant
de ne plus se mentir et d'arrêter de mentir aux autres. Mais
malheureusement, le mythe de la complexité qui est soi-
disant fermé au citoyen lambda est à ce moment-là aussi
révolu. Et avec lui, un modèle d'affaires derrière lequel aime
se cacher l'économie moderne de partage du travail. Car, si
tout était aussi simple, on n'aurait guère besoin des experts