Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen
Le point de vue du chef économiste de Raiffeisen
De l’utilité économique de la fuite
01.12.2015
Raiffeisen Economic Research
economic-research@raiffeisen.ch
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Bien qu'enseignée en tant
que telle à l'université, l'éco-
nomie n'est malheureusement
pas une science exacte. Les
théories d'un Prix Nobel con-
tredisent les travaux du pré-
cédent; il existe même des
économistes qui calculent
l'utilité soit de garder un pa-
tient à l'hôpital soit de le
laisser mourir – du point de
vue de l'hôpital, du patient, de la collectivité et de
l'économie. Les comportements des acteurs et les
hypothèses simplifiées font partie intégrante des mo-
dèles économiques et n'ont de valeur que dans la
mesure où les acteurs remplissent les conditions des
prémisses. Désormais, il existe de nombreux phéno-
mènes, et non seulement au niveau microéconomique,
que les théories peinent à expliquer. L'émergence de
schémas de consommation spécifiques, dont les con-
sommateurs hybrides, les hipsters, les dinkies, les vé-
gétaliens ou les anticonsommateurs remettent en
cause le pouvoir prédictif des modèles de comporte-
ment, compliquant ainsi davantage les prévisions.
Le marché financier a sa vie propre
Depuis que la politique monétaire tient les rênes, fût-
ce au prix de distorsions majeures, le niveau macroé-
conomique a lui-aussi subi de grands bouleversements.
Les bonnes nouvelles en provenance de l'économie
réelle, en particulier s'il s'agissait des Etats-Unis étaient
toujours source d'inquiétude, la question étant de
savoir si on allait relever les taux. Les marchés finan-
ciers affichaient une nervosité croissante face à l'em-
bellie de la conjoncture. Tous semblent avoir compris
aujourd'hui que ce comportement a inquiété la
Banque centrale américaine, renonçant ainsi au
«forward guidance» et refusant de relever les taux,
bien que le chômage ait atteint un taux de 6,5%. La
BCE semble également prendre un malin plaisir à im-
pressionner les marchés sans arrêt, au lieu d'appliquer
la politique de la main invisible, autrefois la marque de
fabrique des banques centrales. Les représentants de
ces dernières ne semblent aujourd'hui s'attacher qu'à
la question de savoir comment les marchés réagiront à
leurs mesures ou à leurs allusions douteuses. La seule
motivation des grands argentiers semble être de récol-
ter les applaudissements des marchés en se montrant
toujours plus expansionnistes. L'impact des mesures
sur l'économie réelle n'est qu'accessoire. Le marché
financier a depuis longtemps sa vie propre. Il existera
toujours des analystes qui ne jureront que par la poli-
tique monétaire et susciteront des attentes dispropor-
tionnées, surtout en Europe, alors que cette dernière a
un problème bien plus pressant: il est bien connu
qu'elle se détruit, au lieu de se construire.
Coûts élevés
Les Européens se sont d'abord voilé la face devant la
crise financière, puis ont attendu trop longtemps avant
de finalement capituler devant la Grèce. Maastricht,
Dublin et Schengen ne sont plus que des noms de
villes, qui n'engagent plus à rien, et l'Europe menace
de se fracturer sur la question des réfugiés. L'Alle-
magne est secouée par un débat enflammé quant à
l'impact des réfugiés sur l'économie. Une fois de plus,
ce sont les économistes qui attisent le débat. Certains,
à l'image de Hans Werner Sinn (IFO Institut), de Cle-
mens Fuest (Centre pour la recherche européenne en
économie), ou encore récemment de Bernd Raf-
felhüschen (Forschungszentrum Generationenverträge,
«Centre de recherche sur les contrats générationnels»,
Université de Freiburg), avancent un coût de près de
mille milliards d'euros. Selon leurs calculs, les coûts
dépassent les bénéfices, même en cas d'une intégra-
tion rapide des nouveaux arrivants au marché du tra-
vail. Les études menées par Marcel Fratzscher, prési-
dent du Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung
(Institut allemand de recherche économique, DIW),
aboutissent à une toute autre conclusion. Selon ses
analyses, les réfugiés seront à même de contribuer de
manière positive à l'économie, s'ils trouvent un emploi,
aussi peu qualifiés soient-ils. Difficile de défendre des
points de vue plus opposés. S'il s'avère que Hans Wer-
ner Sinn et ses collègues ont raison, l'Allemagne devra
faire face à des coûts exorbitants, les sommes évo-
quées étant d'au moins 15 milliards par an, ce qui
devrait mettre le ministère des finances – et les mar-
chés – en état d'alerte. En effet, peu importe qui aura
raison à la fin, une chose est sûre: la consolidation des
finances publiques européennes a une fois de plus été
repoussée aux calendes grecques. La BCE maintiendra
donc des taux artificiellement bas sur une période plus
longue encore. Grâce à la Syrie, la politique monétaire
se voit ainsi une fois de plus bénie.
Martin Neff, chef économiste de Raiffeisen