Les réseaux de neurones de la conscience

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Guy ROLLET
Les réseaux de neurones
de la conscience
Approche multidisciplinaire du phénomène
Biologie, Écologie, Agronomie
LES RÉSEAUX DE NEURONES
DE LA CONSCIENCE
© L’Harmattan, 2012
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-336-00597-3
EAN : 9782336005973
Guy ROLLET
LES RÉSEAUX DE NEURONES
DE LA CONSCIENCE
Approche multidisciplinaire du phénomène
Biologie, Écologie, Agronomie
Collection dirigée par Richard Moreau
professeur honoraire à l’Université de Paris XII,
et Claude Brezinski, professeur émérite à l’Université de Lille
Cette collection rassemble des synthèses, qui font le point des
connaissances sur des situations ou des problèmes précis, des études
approfondies exposant des hypothèses ou des enjeux autour de
questions nouvelles ou cruciales pour l’avenir des milieux naturels et
de l’homme, et des monographies. Elle est ouverte à tous les domaines
des Sciences naturelles et de la Vie.
Déjà parus
Patrick MATAGNE, Éduquer à la biodiversité pour un
développement durable. Réflexions et expérimentations, 2012.
Elisabeth MATTHYS-ROCHON et Pierre SAVATIER, Biotechnologies : quelles conséquences sur l’Homme à venir ?, 2012.
Marcel B. BOUCHÉ, Pour un renouveau dans l'environnement, 2012.
Michel GODRON, Écologie et évolution du monde vivant, vol.3. Les
problèmes écologiques réels, 2012.
Michel GODRON, Écologie et évolution du monde vivant, vol.2.
L’échelle crée le phénomène, 2012.
Michel GODRON, Écologie et évolution du monde vivant, vol.1. La
vie est une transmission d’information, 2012.
Dominique MARIAU, L’univers fascinant des insectes. Nos amis, nos
ennemis, 2012.
Gérard BERTOLINI, Montre-moi tes déchets… 2011.
Alain GIRET, Histoire de la biodiversité, 2011.
Michel STEVENS, Revenons sur Terre, Comment échapper à
l’enlisement des négociations sur le changement climatique, 2011.
Bernard BOURGET, Les Défis de l’Europe verte, 2011.
André MARCHAND, De l’agriculture d’antan à celle d’aujourd’hui.
Les changements engendrés par les lois Pisani, 2011.
André MARCHAND, Filière viande. Propositions pour conjuguer
une agriculture rentable et une nourriture saine, 2011.
Guy JACQUES, Virer de bord. Plaidoyer pour l'homme et la planète,
2011.
Maurice BONNEAU, La forêt de Guyane française, 2010.
Michel GAUDICHON, L'homme au miroir de la science, 2010.
Jacques RISSE, L’élevage français. Évolutions et perspectives, 2010.
RÉSUMÉ
Chercher à comprendre la conscience est un exercice aussi ancien que
chercher à comprendre le monde. De nombreuses conceptions ont ainsi vu le
jour et il serait illusoire de traiter de ce phénomène en les ignorant, car les
concepts qui les composent et les points de vue qui les sous-tendent peuvent
être encore pertinents. La première partie de notre travail a donc consisté à
en faire une présentation. Nous avons ainsi abordé les conceptions classiques
des XVIIème et XVIIIème siècles, puis les conceptions phénoménologiques,
cognitivistes et fonctionnalistes. Nous avons évoqué la négation
comportementaliste. Nous avons ensuite abordé les conceptions
neurobiologiques et leurs tentatives de localisation de la conscience ; nous
avons ainsi examiné les positions émergentistes, celles de Damasio, de
Dehaene, puis celles d’autres auteurs la centrant dans le thalamus, comme
Crick et Koch, Llinas, Baars et Newman. Ces études nous ont permis de
comprendre les enjeux présents dans le problème de la conscience. Nous
avons ainsi pu élaborer un cahier des charges spécifiant cette entité, puis
définir nos orientations quant à sa localisation et son mode de prise en
compte.
Nous avons pris ensuite une orientation neuro-computationnelle. Nous
avons rappelé les différents modèles de neurone comme les modèles
« Intègre-et-tire » et le modèle de McCulloch et Pitts, puis les modèles de
Hopfield et le modèle de l’attention de Taylor et Alavi. Nous avons rappelé
les grandes lignes d’un moteur d’inférence. Nous avons alors conçu un
moteur d’inférence de nature neuro-computationnelle dont nous avons
précisé la structure, le fonctionnement et les paramètres. Nous avons
confronté ce modèle au cahier des charges élaboré précédemment : il est
apparu qu’il répondait à plusieurs points, mais qu’il existait des manques
dont la gestion des besoins et des pulsions. Nous avons alors entrepris la
modélisation d’un réseau pulsionnel. Nous avons fait un historique des
différentes conceptions des pulsions et nous avons précisé notre position, ce
qui nous a permis de définir un modèle neuro-computationnel des pulsions.
Nous avons vu comment il pouvait s’incarner et nous l’avons confronté à
différentes théories et à notre cahier des charges. Nous avons ainsi compris
ce qu’était la conscience-noyau (dite encore conscience primaire) et
comment elle fonctionnait.
7
Si le problème des besoins et des pulsions était résolu dans ses grandes
lignes, il restait à examiner certains problèmes comme la planification et les
fonctions exécutives, la réflexivité, la mémoire explicite, la construction du
soi et le problème de la verbalisation. Dans ce but, nous avons abordé
l’interface de la conscience-noyau avec différents systèmes de l’esprit dont
le cortex préfrontal. Nous avons traité individuellement chacun de ces
problèmes en tentant d’apporter un point de vue neuro-computationnel. Nous
avons compris que le langage avait un rôle fondamental et donnait à
l’homme une conscience d’ordre supérieur.
En annexe, nous avons rendu compte de la construction d’un prototype de
notre moteur d’inférences floues. Celui-ci nous a permis de réaliser un
raisonnement simple et de nous confronter à une tâche de Stroop. Cette
simulation a permis de valider notre moteur d’inférence neurocomputationnel, modèle d’une conscience stricto sensu. Nous avons ensuite
déterminé son pseudo-code. Nous l’avons fait évoluer pour intégrer une
condition d’arrêt et pour qu’il optimise les démonstrations.
Mots-clés
Neurone, réseau de neurones, Hopfield, moteur d’inférence, conscience,
conscience-noyau, conscience étendue, émotion, fonctions exécutives, Soi,
langage.
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ABSTRACT
Understanding consciousness is as old as understanding the world. Many
designs have thus emerged and it is pointless to address this problem by
ignoring them, because the concepts they contain and the views that underlie
them are still relevant. Therefore, the first part of our work was to make a
presentation of them. We have discussed the classic designs of the
seventeenth and eighteenth centuries, then the phenomenological, cognitive
and functionalist approaches. We talked about the behaviorist denial. Then,
we addressed the neurobiological concepts and their attempt to locate the
consciousness ; we have analyzed the emergentist positions, those of
Damasio and Dehaene, then those of other authors who locate it in the
thalamus, as Crick and Koch, Llinas, Baars and Newman. These studies
helped us understand the issues present in the problem of consciousness,
which enabled us to develop specifications for consciousness and a guidance
for its location and its mode of account.
Then, we take a neuro-computational orientation. We recalled the various
neuron models such as the models « integrate-and-fire » and the model of
McCulloch and Pitts, then the Hopfield models and the model of attention
from Taylor and Alavi. We recalled the outline of an inference engine. Then,
we designed an inference engine of neuro-computational nature of which we
have clarified the structure, functioning and settings. We compared this
model to the specifications developed earlier : we saw it answered to several
points, but gaps, such as needs and impulses management, appeared. We
have undertaken the modeling of an impulse network. We did an history of
the different conceptions of the impulses and we have clarified our position,
which allowed us to define a neuro-computational model of impulses and
emotions. We saw how it could be incarnated and we confronted it to
different theories and to our specifications. We understood what is core
consciousness (yet known as primary consciousness) and how it works.
If the problem of needs and impulses was solved in broad outline, other
issues such as planning and executive functions, reflectivity, explicit
memory, self and verbalization must be examined. To this end, we discussed
the interface of the core consciousness with different systems of the brain
such as the prefrontal cortex. We individually treated each of these problems
9
with a neuro-computational point of view. We understood that the language
had a fundamental role and gave man a consciousness of higher order.
In the appendix, we reported our prototyping of fuzzy inference engine.
This allowed us to make a reasoning and to confront us with a Stroop task.
This simulation was used to validate our neuro-computational inference
engine, model of a stricto sensu consciousness. Then, we determined its
pseudo-code. We evolved it to incorporate a stop condition and to optimize it
for demonstrations.
Keywords
Neuron, Neuron network, Hopfield, inference engine, consciousness, core
consciousness, extended consciousness, impulse, emotion, executive
functions, Self, language.
10
REMERCIEMENTS
Ce document arrive à l’issue d’une réflexion commencée il y a de plus de
quarante ans et d’un travail à temps complet de neuf ans. Je tiens tout
particulièrement à remercier les personnes qui m’ont aidé et soutenu tout au
long de ma recherche.
Je remercierai d’abord ma mère, Rose Rollet, ainsi que Michel Patois, qui
m’ont soutenu depuis le début de mon travail et se sont intéressés à ce
document et aux textes précédant celui-ci.
Ma reconnaissance ira ensuite à David Freire, avec qui j’ai eu de longues
conversations sur la psychologie, la psychanalyse et tout particulièrement les
conceptions lacaniennes, ainsi que l’ensemble de la psychopathologie.
Je remercierai aussi Bruno Savelli pour les corrections qu’il a bien voulu
effectuer sur le manuscrit. J’espère que des modifications ultérieures n’ont
pas introduit trop de fautes.
Je remercierai encore Emilie Languer, pour l’aide qu’elle m’a apportée sur la
finalisation de certaines figures.
Enfin, j’adresserai toute ma reconnaissance à Marc Dubois, qui s’est
intéressé à mes travaux, qui a fait l’effort de lire l’ensemble de mes textes
même s’ils étaient parfois longs et rébarbatifs, qui m’a prodigué de
nombreux conseils et a permis l’édition effective de cet ouvrage.
Sans l’aide active de ces personnes, la réalisation et l’édition de ce
document n’auraient pas été possibles.
11
1. INTRODUCTION
La conscience paraît dotée de deux particularités contradictoires :
x d’une part, elle est dotée de la réflexivité qui lui permet l’exercice de
l’introspection, ce qui poussera chacun à tenter d’en construire une
image même sommaire, d’où l’existence d’une multitude de
conceptions qu’il sera difficile de juger a priori,
x d’autre part, l’introspection se révèlera être un art difficile où l’objet
s’échappe dès qu’on tente de le cerner de trop près, d’où l’apparition
d’une frustration.
Traiter de la conscience imposera un examen préalable des différentes
conceptions ou du moins des différentes familles de conceptions afin d’en
éliminer certaines a priori et d’en retirer des concepts pertinents qui
serviront à se positionner ultérieurement.
Dans ce but, nous aborderons les différents sens du mot conscience. Nous
examinerons les différentes conceptions des XVIIème et XVIIIème siècles, puis
nous étudierons les conceptions phénoménologiques, cognitivistes et
fonctionnalistes. Nous évoquerons aussi l’introspectionnisme et la négation
comportementaliste.
Nous examinerons ensuite les conceptions neurobiologiques et nous
évoquerons les différentes tentatives de localisation de la conscience. Les
émergentistes le feront dans l’ensemble du cerveau, Antonio Damasio
pensera qu’elle se trouve dans la réticulée mésencéphalique, Jean-Pierre
Changeux et Stanislas Dehaene l’imagineront dans les cortex préfrontal et
inféro-pariétal. De nombreux autres auteurs, comme Francis Crick et
Christof Koch, Rodolfo Llinas, Bernard Baars et James Newman, la
centreront dans le thalamus.
A la suite de ces études, nous établirons les enjeux de la conscience. Nous
ferons une synthèse des conceptions présentées et nous verrons les liens de
la conscience avec les différentes formes de mémoire. Nous réaliserons un
cahier des charges permettant de définir cette entité. Nous nous orienterons
vers une localisation, ou plutôt une centration, de la conscience dans le
thalamus et une formalisation sous forme de réseaux de neurones selon un
paradigme connexionniste.
13
Nous entrerons alors dans la partie neuro-computationnelle de cet
ouvrage. Nous rappellerons deux modèles de neurones. Nous nous
intéresserons à la plasticité synaptique. Nous examinerons le modèle de
réseau de neurones de Hopfield et nous verrons son application dans la
détermination d’un maximum. Nous étudierons le modèle de l’attention de
Taylor et Alavi. Nous rappellerons enfin les grandes lignes d’un moteur
d’inférence.
Nous pourrons alors présenter un moteur d’inférence de nature neurocomputationnelle. Nous définirons sa structure et son fonctionnement. Nous
verrons comment peuvent être déterminés ses paramètres. Nous
confronterons ce modèle à notre cahier des charges de la conscience et nous
tenterons de déterminer comment est il est incarné par comparaison à
d’autres modèles de la conscience, ce qui nous permettra de définir le
concept de conscience stricto sensu. Nous construirons un prototype que
nous testerons sur un raisonnement simple et une tâche de Stroop. Nous
définirons son pseudo-code dans différentes situations.
Nous nous attaquerons ensuite au problème de la gestion des besoins et
des pulsions. Nous ferons un rappel historique, ce qui nous permettra de
préciser notre position. Nous pourrons alors présenter notre modèle
pulsionnel, qui devra naturellement être interfacé avec le moteur d’inférence
de la conscience. Nous verrons comment sont déterminés ses paramètres et
comment ce système est incarné. Nous le confronterons à trois conceptions
des pulsions et aux points défaillants de la confrontation précédente.
Globalement, cette partie de l’étude permettra de définir la conscience
primaire edelmanienne ou encore la conscience-noyau damasienne.
Nous poursuivrons notre travail en cherchant à étendre la notion de
conscience. Nous aborderons son interface avec différents systèmes de
l’esprit. Nous étudierons la gestion hiérarchique intervenant dans la gestion
des actions, des textes et des phrases. Nous examinerons plus spécifiquement
la gestion des actions et des mouvements.
Nous étudierons ensuite la construction du Soi. Nous verrons d’abord
qu’elle peut se développer chez certains animaux supérieurs. Nous
aborderons le développement du processus de l’induction au sein de la
mémoire sémantique. Nous examinerons les actes réflexifs de la consciencenoyau. Nous étudierons la relation d’appropriation. Nous verrons alors
comment peut émerger le concept de Soi et la conscience de Soi dont nous
étudierons les différentes instances. Nous préciserons le processus
d’identification entre Soi et Autrui. En nous appuyant sur les conceptions de
Hegel, nous étudierons les ruptures qu’elle présente dans son
développement.
Puis, nous nous concentrerons sur le problème de la parole. Nous
étudierons d’abord le point de vue cognitif, puis le point de vue
14
neuroanatomique avec les aires liées à la parole. Nous examinerons trois
modèles neuroanatomiques. Nous tenterons de comprendre les processus de
la verbalisation et de l’audition. Nous verrons que le langage oriente la
réflexion effectuée par la conscience stricto sensu et permet une nouvelle
forme de conscience.
Une annexe rendra compte de la construction d’un prototype du moteur
d’inférences floues. Celui-ci permettra d’effectuer un raisonnement simple et
de se confronter à une tâche de Stroop, ce qui validera la cohérence interne
du concept de conscience stricto sensu. Nous en donnerons le pseudo-code
que nous ferons évoluer pour obtenir une condition d’arrêt et une
optimisation du raisonnement produit.
L’originalité de notre démarche sera de s’appuyer sur des conceptions
variées allant :
x de la philosophie classique à la phénoménologie,
x de la psychologie à la neurobiologie,
x du connexionnisme aux neurosciences computationnelles,
x de la psychanalyse aux conceptions les plus récentes des émotions.
Elle sera orientée par la réalisation d’un quadruple objectif sous la forme
d’un modèle :
x en phase avec les données de la philosophie,
x ayant une définition fonctionnelle précise,
x défini en termes neuro-computationnels,
x dont les éléments sont localisés en termes neuroanatomiques.
15
2. LES CONCEPTIONS NORMATIVES
DE LA CONSCIENCE
Dans ce premier chapitre, nous nous proposons de donner quelques clés
qui permettront, d’une part d’éviter les pièges les plus grossiers, d’autre part
d’être capable d’évaluer si les constructions que nous allons réaliser sont en
adéquation avec notre sujet. Nous verrons d’abord que le terme de
conscience est récent et qu’il renvoie à plusieurs concepts. Nous rappellerons
ensuite différentes conceptions normatives de la conscience que sont les
conceptions classiques, la phénoménologie, l’introspectionnisme et les
positions cognitivistes et fonctionnalistes.
2.1. Origine et sens du mot conscience
Avant d’aborder le problème de la conscience, voyons l’origine et le sens
donné à ce mot.
Les Grecs n’avait pas de terme pour désigner un tel concept bien que les
personnages des mythes et des œuvres littéraires conversent intérieurement
avec eux-mêmes. Le terme sera amené par les stoïciens latins vont utiliser
l’expression suneidesis alias conscienta. René Descartes va alors reprendre
le terme de Conscienta dans la première partie des Principes (1644). Il va
parler aussi de Conscius esse dans les Réponses aux deuxièmes objections.
Mais « il s’agit moins de décrire les critères et les structures de la conscience
que de dégager un fondement absolu qui serve d’aune de vérité à partir
duquel tout déduire » (Depraz N, 2001, p. 21)
Actuellement, ce terme est devenu polysémique. Selon les auteurs, il va
recouvrir différentes significations :
x La première correspond à une capacité centrale et unifiée à accéder à
l’information et à raisonner. Elle est proche des conceptions
rationalistes de René Descartes exprimées dans Le discours de la
méthode (1637) et de celles d’Emmanuel Kant développées dans la
Critique de la raison pure (1781-1787).
x La seconde correspond à la perception consciente des phénomènes.
Elle est proche du sentiment intérieur de Nicolas Malebranche, mais
aussi de la notion de qualia chère à Robert Boyle et à John Locke.
17
x
x
x
Ce dernier concept a été repris plus tard par John Searle dans Le
mystère de la conscience (1997) et s’apparente aux intuitions
husserliennes (Cf. § 2.3).
La troisième signification correspond à la conscience de Soi chère à
Hegel dans La phénoménologie de l’esprit (1807). Elle va faire
appel à la réflexivité, comme l’avait déjà fait John Locke.
La quatrième va correspondre à la conscience morale, c’est-à-dire à
l’œil de Caïn sensé nous suivre jusqu’au fond de notre tombe en
nous poussant à la repentance. Cette conception est proche du
Surmoi freudien (Voir Freud S, 1923a).
La cinquième signification correspond au niveau de vigilance lié aux
états de l’attention et à certains états de la conscience (anesthésie,
coma, etc.).
Dans cet ouvrage, nous voulons surtout traiter de la première
signification, la capacité centrale et unifiée à accéder à l’information et à
raisonner, qui nous paraît la plus fondamentale.
La seconde signification, la perception consciente des phénomènes, renvoie
à des processus perceptifs, inductifs et réflexifs. Elle doit surtout être
désamorcée (Cf. § 6.5, 7.8, 8.2, 8.5).
La troisième signification, la conscience de Soi, fera l’objet d’une section
spécifique (§ 8.5). La quatrième signification, la conscience morale, sera
approchée dans les sections 8.5 et 8.6. La cinquième signification sera
abordée, quant à elle, dans la section 6.9.
2.2. Les conceptions classiques de la
conscience
Par conceptions classiques, nous visons les conceptions des XVIIème et
XVIIIème siècles. Nous verrons qu’elles se caractérisent d’abord par un
dualisme que nous tenterons de réfuter. Certains auteurs verront un esprit
fort et autonome, d’autres le verront plutôt dépendre du cœur ou du corps. La
réflexivité sera vue comme un attribut fondamental de la conscience. Une
conception empiriste s’opposera à des conceptions innéistes plus anciennes.
La conception dualiste de la conscience
La conception dualiste de la conscience correspond à une position
religieuse ; on parle alors plutôt de l’âme. Celle-ci répond à des lois
différentes de celle qui régissent les objets du monde d’ici-bas et notamment
du corps et est en relation avec Dieu. René Descartes, mais aussi tous les
philosophes de l’époque classique, Blaise Pascal, Baruch Spinoza, John
18
Locke, Nicolas Malebranche, Gottfried Wilhelm Leibniz, Emmanuel Kant
en ont été les ardents défenseurs.
Descartes va alors poser le problème de la communication entre le corps
et l’âme et verra la solution dans la glande pituitaire (l’hypophyse). Il faut
dire qu’à cette époque, le cerveau servait plutôt à produire la morve. Ce
problème sera repris par John Eccles dans Evolution du cerveau et création
de la conscience (1989) et par Roger Penrose dans Les ombres de l’esprit
(1994). Le premier verra la solution dans les dendrons, sorte d’amas de
dendrites constituant des microsites ; le second verra une solution dans les
microtubules composant le cytosquelette. Ces deux structures permettraient
la communication du corps avec l’âme située dans l’au-delà.
Ainsi, selon cette conception, l’âme et, par là, la conscience sont de
l’ordre du transcendant. Toute modélisation par un moyen informatique est
vaine et il n’y a aucun espoir de comprendre ces phénomènes qui ne peuvent
que rester des mystères. On ne peut que prier Dieu et lui remettre son âme.
A cette conception, nous répondrons par des arguments matérialistes
généraux :
x d’ordre cosmologique, expliquant la formation de l’univers, des
galaxies et des étoiles par le Big-bang, il y a treize milliards
d’années, puis la synthèse des éléments chimiques par la fusion
nucléaire au sein des étoiles, puis la dispersion de ceux-ci par
l’explosion des supernovae,
x d’ordre cosmogonique, expliquant la formation secondaire du
système solaire et de la terre, il y a cinq milliards d’années,
x d’ordre paléontologique, montrant l’apparition de la vie, sous la
forme de cellules isolées, il y a 3,8 milliards d’années,
x d’ordre biologique, expliquant l’évolution et la diversification des
espèces par le processus darwinien de la sélection naturelle sur une
durée de 3,8 milliards d’années, et montrant l’apparition
d’organismes pluricellulaires possédant des cellules spécialisées,
x d’ordre neurologique, montrant les propriétés individuelles des
cellules nerveuses, des synapses et leur organisation dans le système
nerveux,
x d’ordre neuro-computationnel, montrant les capacités de calcul d’un
neurone et de ses synapses, puis celle des réseaux de neurones plus
complexes, et projetant ces capacités sur 100 milliards de neurones
et 10 000 fois plus de synapses.
Même si tous les arguments n’ont pas reçu des développements et des
preuves totalement satisfaisants, il paraît cependant raisonnable d’écarter
l’hypothèse dualiste au moins à titre provisoire et avec elle la conception
correspondante de la conscience.
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