La propagation des crises bancaires aux crises de l’endettement souverain. Dans leur
dernier ouvrage consacré { l’histoire des crises financières depuis huit siècles, Carmen Reinhart et
Kenneth Rogoff mettent clairement en relief cet engrenage. En moyenne, depuis l’après-guerre, la
dette publique augmente de 86 % dans les trois années faisant suite à une grave crise bancaire. Mais
certaines d’entre elles ont induit des effets plus importants. De ce point de vue, l’accroissement de la
dette grecque entre 2007 et 2010, de l’ordre de 105% du PIB à 142%, correspond à une dégradation
plus faible, seulement 35% environ. À titre d’exemple, la crise bancaire qui a frappé la Finlande en
1991 s’est traduite par une augmentation de la dette publique de près de 280%. Le solde budgétaire
passe alors de + 1% en 1990 à – 10,8% en 1994. On observe le même phénomène pour la crise
bancaire de la Suède en 1991 : soit le passage d’un excédent budgétaire de 3,8% l’année précédant la
crise, à un déficit de 11,6%, en 1993. Cet héritage de la crise bancaire systémique est naturellement
d’autant plus douloureux que l’endettement public était élevé avant la crise, ce qui était précisément
le cas de la Grèce avec un déficit budgétaire de 10% en 2008 et de 15% en 2009. Il s’y est ajouté une
gestion désastreuse de la crise par les pays-membres de la zone euro.
Analyse
Dès le déclenchement de la crise grecque, la spécificité d’une crise de la dette souveraine pour
un pays appartenant à une union monétaire est apparue clairement à travers plusieurs marqueurs :
1) l’impossibilité, en théorie, de faire appel aux refinancements monétaires de la BCE ; 2) la difficulté
d’envisager un recours au FMI, imposant des conditionnalités en matière de politique
macroéconomique { l’un des membres de la zone euro ; 3) la profonde résistance des autres pays-
membres à envisager un défaut souverain, à cause du risque de contagion parmi eux; 4)
l’impossibilité absolue d’utiliser l’arme du taux de change et de la dépréciation pour alléger le coût
de la rigueur budgétaire en donnant un coup de fouet aux exportations. Dès lors, il appartenait donc
aux organes dirigeants de l’Union monétaire européenne de faire face. C’est ce qu’a fait la BCE –
sous l’impulsion décisive de Jean-Claude Trichet – en adaptant de façon pragmatique sa doctrine et
en rachetant massivement de la dette grecque. Cette politique a été retenue non seulement pour
éviter un défaut, aussi pour prévenir l’effondrement de son prix, face { la spéculation internationale
susceptible de provoquer une hausse insoutenable des taux d’intérêt sur la dette publique grecque.
En revanche, du côté des gouvernements, on s’est enlisé dans les atermoiements ou les erreurs
d’analyse. Principalement déterminés par des considérations de politique intérieure ou par des
options doctrinales, certains pays – l’Allemagne au premier chef –, ont refusé, dans un premier
temps, l’octroi de prêts d’urgence à la Grèce, en surestimant la capacité de cette économie à ajuster
rapidement ses comptes publics, si massivement dégradés, au moyen d’une politique de rigueur
budgétaire. De même, ils ont réclamé une restructuration de la dette grecque, impliquant les
investisseurs privés : ils ont alors sous-estimé les effets induits sur la liquidité, voire la solvabilité, des
banques européennes ou des institutions financières détenant des titres grecs. Ils ont pourtant dû s’y
résoudre en acceptant de s’engager dans des plans de soutien et en avalisant la création du Fonds
européen de stabilité financière. Ce tournant s’est cependant opéré au terme de tergiversations
interminables qui expliquent la défiance des marchés, non plus seulement { l’égard des dettes
grecque ou espagnole, mais envers l’euro et la solidité des banques en Europe. Parallèlement, les
politiques budgétaires ont privilégié, dès la fin 2009, la réduction des déficits. Elles ont contribué
ainsi { l’affaiblissement de la croissance, aussi bien au cœur de l’Europe qu’à la périphérie de la zone
euro, en Espagne, en Italie et, surtout, en Grèce. La crise de la dette souveraine grecque s’est
aggravée, de sorte que la récession a réduit plus encore les capacités de remboursement et la rue
gronde à Athènes.
Références
Aglietta Michel, “La longue crise de l’Europe”, Le Monde, 18 mai 2010.
Cartapanis André, “L’intégration inachevée de l’UEM. La crise de la zone euro”, Chaos International, PAC, (25),
12 juin 2010.
Cohen Daniel, “La crise grecque. Leçons pour l’Europe”, Revue économique, 62 (3), mai 2011.
Reinhart Carmen et Kenneth Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folies financières, Paris, Pearson,
2010.