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JOURNAL DU RÉSEAU CANCER DE L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES N°3 – SEPTEMBRE 2005
La cancérologie a pour thème l’étude des
déviations de la vie d’une cellule et la
mise au point de méthodes permettant de
l’éliminer.
Tous les cancers sont des maladies du maté-
riel génétique. Dans la majorité des cas,il ne
s’agit pas de maladies héritables. En général,
il s’agit d’accidents du matériel génétique
apparus par hasard dans une cellule non
reproductrice, dite cellule somatique.
L’accident cancérigène peut avoir une origine
soit interne soit externe à la cellule. Celui-ci
peut frapper une cellule très jeune, on par-
lera alors de cellule souche cancéreuse. Ces
dernières évoluent vite dans leur malignité
et les tumeurs qu’elles forment deviennent
rapidement résistantes au traitement appli-
qué. Quand l’événement cancérigène affecte
une cellule plus mature, la descendance de
celle-ci est plus stable. Ces considérations
sont cependant des généralités souffrant
des exceptions.
L’apparition de cellules résistantes au traite-
ment atteste de la grande plasticité des cel-
lules cancéreuses. Leur caryotype est souvent
profondément modifié, l’aneuploïdie est très
fréquente. Il y a, cependant, beaucoup de cas
où le nombre et la structure des chromoso-
mes sont normaux. La modification est dis-
crète. Ici, la cancérologie moléculaire four-
mille d’exemples découverts récemment et
faisant l’objet d’une recherche intense visant
à la maîtrise du défaut. Citons, par exemple,
la mutation du gène B-raf présente dans 66%
des mélanomes. Cette mutation rend la pro-
téine B-RAF constamment active,ce qui oblige
la cellule à se multiplier sans arrêt. La muta-
tion est connue, la structure tertiaire de la
molécule B-RAF (son mode de reploiement
dans l’espace) aussi; l’effort se porte donc du
côté de la modélisation moléculaire et de la
synthèse chimique de molécules organiques
susceptibles de reconnaître l’enzyme mutée
et de la bloquer. Quand ce blocage réussit, il
ne dure, en général, pas éternellement. Le
gène codant pour l’enzyme à bloquer pré-
sente de nouvelles mutations qui rendent
l’enzyme résistante à l’inhibiteur. Il faut donc
mettre au point un nouvel inhibiteur.
Cette démarche est en train d’être réalisée
dans le cas de la leucémie myéloïde chroni-
que où la molécule à bloquer est la protéine
ABL (pour Abelson, chercheur américain
découvreur de cet oncogène). ABL est une
tyrosine kinase, activée par mutation et
responsable de cette leucémie.
Le médicament Glivec® (Gleevec) ou Imatinib
fait merveille, non seulement contre la tyro-
sine kinase ABL, mais aussi contre plusieurs
autres tyrosines kinases impliquées dans
l’induction et la prolifération de toute une
gamme de tumeurs malignes. Des résistan-
ces au Glivec® apparaissent. Le traitement
par le Glivec® est alors suivi par le traitement
à l’aide d’une molécule apparentée mais
moins encombrante, ce qui lui permet de
s’insérer dans la gouttière de la kinase mutée
où le Glivec® n’a plus accès.
Ce second médicament, aujourd’hui en essais
cliniques, porte le nom de code AMN-107. Il
manifeste de très bons niveaux de réponse
contre une série de kinases ABL mutées (une
trentaine de mutations causant la résistance
au Glivec® sont connues aujourd’hui).
On estime que AMN-107 est 20 fois plus
actif que le Glivec®.
“Tous les cancers sont des
maladies du matériel génétique”
D’autres modes d’attaque des tumeurs sont
soit déjà en usage, soit en essais précliniques.
Citons-en quatre:
– le Velcade® est un inhibiteur du protéasome
actif dans le myélome. Le protéasome est
un assemblage multi-moléculaire dont la
fonction est d’hydrolyser les protéines
mal repliées. La cellule tumorale est sou-
vent soumise au stress du réticulum endo-
plasmique. Ce stress aurait pour consé-
quence une accumulation anormale de pro-
téines dans ce compartiment cellulaire.
Les protéines accumulées y sont alors diri-
gées vers le protéasome. Si celui-ci est blo-
qué, la mort cellulaire est facilitée. Le Vel-
cade® aura des effets synergiques avec de
nombreux traitements anti-cancéreux.
– les inhibiteurs de BCL-2. Cette recherche est
au stade préclinique. BCL-2 (pour B-cell leu-
kemia/lymphoma) exerce des effets anti-
apoptotiques puissants et est fortement
exprimé dans des tumeurs cancéreuses.
L’inhibiteur ABT-737 tue des lignées de
lymphomes et de carcinomes pulmonaire
à petites cellules. Il induit la régression
de tumeurs établies chez la souris à par-
tir de tumeurs humaines.
– les inhibiteurs d’histones désacétylases et
les inhibiteurs de DNA méthyle transféra-
ses. De nombreuses molécules de ce groupe
sont en essais cliniques. Elles ont manifes-
tement des effets pleiotropes et synergi-
sent avec des traitements plus classiques
pour induire la mort spécifique des cellu-
les tumorales.
– les inhibiteurs de la voie de signalisation
NOTCH. Cette voie est d’importance dans
le développement embryonnaire et dans
l’ontogenèse des cellules T. L’activation de
la voie NOTCH dépend d’une enzyme pro-
téolytique, la g-sécrétase. Un essai clinique
de phase 1 utilisant un inhibiteur de g-
sécrétase vient de démarrer au Dana-Far-
ber Cancer Institute à Boston. Cet essai
vise les malades atteints de LLA à cellules
T et en rechute ou réfractaires. Une inhi-
bition efficace de la g-sécrétase pourrait
avoir un impact positif chez les patients
atteints de maladie d’Alzheimer.
Un cas extrême de mutations ponctuelles
vient d’être décrit dans deux cas de LLC.
Celles-ci affectent deux microRNAs diffé-
rents. Elles rendent le microRNA non-fonc-
tionnel. Les techniques actuelles de biolo-
gie moléculaire et de bioinformatique vont
permettre d’identifier rapidement le RNA-
messager, cible du RNA interférant, dérivé
du microRNA. Il reste donc à identifier la
cascade de réactions impliquées dans ce
nouveau mode de cancérogenèse.
Cet aperçu illustre combien la cancérolo-
gie est une discipline intégrative alliant
beaucoup de ressources du savoir. Cytolo-
gie, biologie moléculaire, bioinformatique,
modélisation moléculaire, synthèse orga-
nique constituent avec la recherche cli-
nique l’ossature du progrès à accomplir
pour soigner et guérir.
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Nouveaux traitements contre les cancers:
quelles sont les cibles?
Arsène Burny, Faculté Universitaire de Gembloux et ULB,
RECHERCHE
Le cancer est une maladie hétérogène et changeante. Avec quelques exemples, Arsène
Burny nous permet d’accéder à cette complexité et nous dit: “La cancérologie est une
discipline intégrative alliant beaucoup de ressources du savoir. Biologie et modélisation
moléculaire constituent, avec la recherche clinique, l’ossature du progrès à accomplir.”