Traité de psychologie des émotions

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PSYCHOLOGIE
CLINIQUE
Sous la direction de
David Sander et Klaus R. Scherer
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE
DES ÉMOTIONS
6496947
ISBN 978-2-10-052139-5
www.dunod.com
Professeur,
Section de psychologie,
faculté de psychologie
et des sciences de l’éducation,
université de Genève
et coordinateur scientifique
du Centre interfacultaire
en sciences affectives,
université de Genève.
KLAUS R. SCHERER
Professeur,
Section de psychologie,
faculté de psychologie
et des sciences de l’éducation,
université de Genève
et directeur du
Centre interfacultaire
en sciences affectives,
université de Genève.
Avec la collaboration de :
TATJANA AUE
TANJA BAENZIGER
GRAZIA CESCHI
ELISE DAN GLAUSER
PATRICIA GARCIA-PRIETO
CHEVALIER
JÉRÔME GLAUSER
DIDIER GRANDJEAN
OFRA HAZANOV
SUSANNE KAISER
SEBASTIAN KORB
KATIA SCHENKEL
VÉRONIQUE TRAN
THOMAS WEHRLE
STÉPHANE WITH
TANJA WRANIK
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE
DES ÉMOTIONS
• Qu’est-ce qu’une émotion ?
• Quelles sont ses différentes composantes ?
• Quel est le rôle de l’évaluation cognitive dans les
émotions ?
• Quels sont les rôles des expressions motrices et des
réactions corporelles dans les émotions ?
• Quels sont les débats théoriques majeurs en psychologie
de l’émotion ?
Toutes ces questions essentielles trouvent une réponse
dans ce livre, véritable outil de référence, rédigé par un
collectif de chercheurs et d’enseignants universitaires.
Ce Traité analyse ainsi de manière détaillée :
- la nature des émotions ;
- leurs composantes (évaluation cognitive, expression
faciale et expression vocale émotionnelles,
psychophysiologie de l’émotion, motivation et tendances
à l’action, sentiment subjectif) ;
- leurs domaines d’application (stratégies de régulation,
stress et coping, relations intergroupes, monde du travail,
personnalité et phobies).
Destiné en tout premier lieu aux étudiants de psychologie,
ce livre intéressera aussi les enseignants, chercheurs et
praticiens travaillant sur les émotions.
DAVID SANDER
C O G N I T I V E
PSYCHOLOGIE
SOCIALE
Sous la direction de
PSYCHOLOGIE
COGNITIVE
D. SANDER
K. R. SCHERER
PSYCHO SUP
Sous la direction de
David Sander et Klaus R. Scherer
Traité
de psychologie
des émotions
9782100521395-Livre.fm Page V Mercredi, 6. mai 2009 7:12 07
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS (David Sander et Klaus Scherer)
CHAPITRE 1
LA PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS : SURVOL DES THÉORIES
(David Sander et Klaus R. Scherer)
ET DÉBATS ESSENTIELS
CHAPITRE 2
IX
1
THÉORIE DE L’ÉVALUATION COGNITIVE ET DYNAMIQUE
DES PROCESSUS ÉMOTIONNELS
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
(Didier Grandjean et Klaus R. Scherer)
41
EXPRESSION FACIALE DES ÉMOTIONS
(Susanne Kaiser, Thomas Wehrle et Katia Schenkel)
77
EXPRESSION VOCALE DES ÉMOTIONS
(Didier Grandjean et Tanja Baenziger)
109
CHAPITRE 5
PSYCHOPHYSIOLOGIE DES ÉMOTIONS (Tatjana Aue)
157
CHAPITRE 6
MOTIVATION ET TENDANCES À L’ACTION (Tatjana Aue)
189
CHAPITRE 7
LE SENTIMENT SUBJECTIF. INTÉGRATION ET REPRÉSENTATION
CENTRALE CONSCIENTE DES COMPOSANTES ÉMOTIONNELLES
(Elise Dan Glauser)
223
CHAPITRE 8
LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS (Sebastian Korb)
259
CHAPITRE 9
STRESS ET COPING : UN ÉTAT DES LIEUX
(Ofra Hazanov, Susanne Kaiser et Stephane With)
289
9782100521395-Livre.fm Page VI Mercredi, 6. mai 2009 7:12 07
VI
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
CHAPITRE 10 ÉMOTIONS INTERGROUPES : APPLICATION DES THÉORIES
DE L’ÉVALUATION ET DE LA DIFFÉRENTIATION DES ÉMOTIONS
(THÉORIES DE L’APPRAISAL) AUX RELATIONS INTERGROUPES
(Patricia Garcia-Prieto Chevalier)
315
CHAPITRE 11 LES ÉMOTIONS DANS LE MONDE DE L’ENTREPRISE
ET DU TRAVAIL (Véronique Tran)
333
CHAPITRE 12 LA PERSONNALITE ET LES ÉMOTIONS (Tanja Wranik)
359
CHAPITRE 13 BIAIS D’ÉVALUATION COGNITIVE ET PHOBIE SOCIALE
(Jérôme Glauser et Grazia Ceschi)
383
BIBLIOGRAPHIE
414
INDEX DES NOTIONS
467
INDEX DES AUTEURS
473
TABLE DES MATIÈRES
477
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AVANT-PROPOS
« En fait, on peut affirmer sans exagération que, scientifiquement, nous ne
comprenons absolument rien aux émotions, que nous n’avons pas l’ombre
d’une théorie sur la nature des émotions en général ou de telle émotion en
particulier. »
Voici ce qu’écrivait Carl G. Lange il y a un peu plus d’un siècle (Lange, 1885).
Qu’avons-nous appris depuis lors ? Tout d’abord, nous avons appris que
Carl G. Lange ne rendait pas totalement justice à ses prédécesseurs en niant
l’existence de toute théorie de l’émotion avant ses travaux. Mais, depuis un
siècle, nous en avons surtout appris beaucoup sur la nature de l’émotion, ses
composantes et ses fonctions. Ces avancées, nous les devons principalement
à la psychologie de l’émotion, champ disciplinaire naissant et fondement
des sciences affectives. En particulier, depuis une vingtaine d’années, avec une
pointe d’activité depuis les années 2000, une révolution affective dans de
nombreux domaines a généré un nouveau souffle scientifique dans l’étude
de l’émotion. Ainsi, la psychologie scientifique moderne reconnaît l’importance
des émotions et, par exemple en économie, des prix Nobel ont été attribués
à des chercheurs pour leurs travaux sur le rôle de l’émotion dans la prise
de décision et le jugement. Dans ce contexte d’une « révolution affective »
dans la plupart des sciences, l’objectif de ce Traité est de présenter certaines
contributions essentielles de la psychologie à l’étude empirique et à l’analyse
conceptuelle de l’émotion.
Une contribution importante de la psychologie a justement été de conceptualiser l’émotion en tant que phénomène multicomponentiel. Cette perspective
considère les différentes composantes de l’émotion que sont (1) les évaluations
de l’événement déclencheur (p. ex., le stimulus est agréable, je suis capable
de faire face à la situation), (2) le sentiment qui se profile dans la conscience
(p. ex., se sentir honteux, heureux ou en colère), (3) les réactions motrices (p. ex.,
sourire de plaisir, froncer les sourcils contre un événement allant contre nos
buts), (4) les réactions du système nerveux autonome (p. ex., rougir de honte,
avoir le cœur qui s’accélère), et (5) les tendances à agir (p. ex., préparation à
la fuite devant un danger, préparation à s’approcher d’un ami). La nature
multicomponentielle de l’émotion a été utilisée pour structurer ce Traité qui
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X
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
est organisé en treize chapitres. Après un chapitre introductif à la psychologie de l’émotion, une série de chapitres s’intéresseront aux composantes de
l’émotion en abordant de façon successive l’évaluation cognitive, l’expression
faciale émotionnelle, l’expression vocale émotionnelle, la psychophysiologie
de l’émotion, la motivation et les tendances à l’action, et, finalement, le
sentiment subjectif. La deuxième série de chapitres correspond à des thèmes
choisis pour leur importance dans la psychologie contemporaine de l’émotion.
Seront ainsi abordées des questions liées à la régulation émotionnelle, au
stress, aux émotions intergroupes, à l’émotion dans le monde de l’entreprise
et du travail, au lien entre la personnalité et l’émotion, et, finalement, aux
biais d’évaluation cognitive dans la phobie sociale.
Alors que « la recherche d’émotion » est omniprésente dans les médias, les
technologies, et la société en général, il est frappant de constater le décalage
entre cette recherche d’émotion dans la société et la quantité relativement
faible d’enseignements universitaires spécifiques dans le domaine la psychologie de l’émotion. Dans ce contexte, ce Traité aura atteint son objectif principal s’il sert de support aux cours existant ainsi qu’au développement de
nouveaux enseignements universitaires sur l’émotion en licence, Bachelor
ou master de psychologie.
De façon générale, nous espérons que ce Traité conçu pour les étudiants
en psychologie, mais également adressé à nos collègues des diverses disciplines intéressées aux sciences affectives, devienne une source utile pour
l’enseignement et la recherche. De plus, il nous semble que ce Traité va audelà du champ spécifique consacré à l’étude de l’émotion et nous invitons nos
collègues s’intéressant aux autres territoires de l’esprit humain à le consulter.
En effet, la plupart des processus cognitifs apparaissent, soit nécessaires à
l’émotion en tant que telle (par exemple, le déclenchement de l’émotion ou
son expression), soit influencés par l’émotion (par exemple, la perception,
l’attention, la mémoire, le jugement moral, et la prise de décision), soit encore
impliqués dans la modulation de l’émotion (par ex., la réévaluation ou la
suppression). Ce statut privilégié de l’émotion dans l’esprit humain révèle
que l’émotion est au cœur de la cognition, et cela pas seulement d’un point
de vue métaphorique.
David SANDER et Klaus SCHERER
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EXPRESSION FACIALE
87
5 EXPRESSIONS FACIALES ET ÉMOTIONS :
DIFFÉRENTES APPROCHES THÉORIQUES
5.1 Théorie des émotions discrètes (Tomkins, Ekman,
Izard) : émotions de base
Rappelons que le concept d’émotions de base (basic emotion) provient des
tenants des théories des émotions discrètes, comme Ekman (1982), Izard (1991)
et Tomkins (1980). Ils affirment l’existence d’un petit ensemble d’émotions
primaires, chacune différenciée des autres et caractérisée biologiquement par
des réactions qui seraient préprogrammées. Selon Ekman (1992), une émotion
fondamentale :
1) possède un signal universel distinct ;
2) est présente chez d’autres primates que l’humain ;
3) a une configuration propre de réactions physiologiques ;
4) est associée à des événements déclencheurs universels distincts ;
5) a des réponses émotionnelles ou des composantes convergentes ;
6) est rapidement déclenchée ;
7) est de courte durée ;
8) est évaluée automatiquement ;
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
9) apparaît spontanément.
L’argument selon lequel il existe un petit nombre d’émotions fondamentales
est en grande partie fondé sur la découverte qu’ont faite Ekman et Friesen à
l’université de San Francisco. Dans leurs études, les expressions faciales
correspondant à six émotions (joie, colère, dégoût, tristesse, peur et surprise)
sont correctement identifiées par des individus appartenant à des cultures du
monde entier, y compris par des peuples n’utilisant pas l’écriture et qui n’ont
pas encore été influencés par le cinéma et la télévision – ce qui tendrait à
prouver l’universalité des émotions.
Plus précisément, Ekman et Friesen ont montré des photos de visages
exprimant ces émotions à des personnes appartenant à des peuples aussi lointains que les Fore de Nouvelle-Guinée, une tribu vivant encore à « l’âge de
pierre » sur des plateaux reculés, et ils ont constaté que ces expressions faciales
étaient partout reconnues (Ekman et Friesen, 1971). Cette universalité des
expressions faciales des émotions a été remarquée d’abord par Darwin, qui y vit
la preuve que les forces de l’évolution ont imprimé ces signaux dans notre
système nerveux central. La figure 3.2 montre les photos utilisées dans des
recherches interculturelles.
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88
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
A : joie ; B : surprise ; C : peur ; D : colère ; E : dégoût ; F : tristesse.
Figure 3.2
Photos utilisées dans des recherches interculturelles
(Ekman, Sorenson et Friesen, 1969).
Tableau 3.1
Taux de reconnaissance dans différentes cultures (Ekman, 1973, p. 206).
Pays
Photo A
Photo B
Photo C
Photo D
Photo E
Photo F
États-Unis
(N = 99)
97 %
joie
95 %
surprise
85 %
peur
67 %
colère
92 %
dégoût
84 %
tristesse
Brésil
(N = 40)
95 %
joie
87 %
surprise
67 %
peur
90 %
colère
97 %
dégoût
59 %
tristesse
Chili
(N = 119)
95 %
joie
93 %
surprise
68 %
peur
94 %
colère
92 %
dégoût
88 %
tristesse
Argentine
(N = 168)
98 %
joie
95 %
surprise
54 %
peur
90 %
colère
92 %
dégoût
78 %
tristesse
Japon
(N = 29)
100 %
joie
100 %
surprise
66 %
peur
90 %
colère
90 %
dégoût
62 %
tristesse
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EXPRESSION FACIALE
89
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Ekman et Friesen (Ekman, 1980) proposent un modèle neuro-culturel
intégrant deux aspects différents en ce qui concerne la question de la relation
entre l’universel et le culturel. Ils postulent, d’une part, un programme neuromoteur (universel, inné) et, d’autre part, des normes sociales établies (display
rules) spécifiant les expressions faciales qu’il est d’usage de montrer dans
une situation précise (contexte culturel variable).
Sur la base du FACS, qui, comme nous l’avons vu, représente un système
de codage purement objectif et sans hypothèses théoriques préalables,
Ekman et Friesen ont développé un système visant à caractériser les expressions faciales émotionnelles prototypiques. Ce système est appelé EMFACS
(EMotion FACS). Les expressions faciales émotionnelles les plus courantes
comme la colère, la peur, la tristesse, le dégoût, la surprise et la joie sont
ainsi répertoriées. La mise en correspondance entre les unités d’action et ces
émotions est établie dans une table de prédiction des émotions. À titre
d’illustration, la figure 3.3 montre l’expression prototypique de la tristesse,
comme postulée par Ekman et Friesen.
Les paupières
recouvrent
une partie du champ
de vision. (AU41)
Le mouvement principal
de cette émotion vient sans
nul doute des sourcils.
Ceux-ci sont légèrement
froncés pour donner
cette forme / \ ou encore ⎠ ⎝.
(AU1+AU4)
La bouche est serrée
et descend
légèrement. (AU15)
Par ce mouvement, la partie
intérieure du front est levée.
Des rides y apparaissent, elles
sont horizontales au centre
et courbées aux extrémités.
Figure 3.3
Expression prototypique de la tristesse (source : Philippot P. (2007).
Émotions et psychothérapie, Wavre, Mardaga).
Les problèmes les plus importants intervenant dans une telle conception des
expressions prototypiques des émotions de base ainsi que dans des prédictions
qui y sont liées, sont les suivants :
– les configurations des unités d’action propres aux émotions sont rarement
observées dans le cas d’une interaction réelle ;
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90
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
– opérationnaliser des expérimentations visant à prouver la correspondance
entre la présence de certaines unités d’action et une émotion se révèle être
une tâche extrêmement délicate ;
– cela est d’autant plus vrai pour les émotions qui ne sont pas considérées
comme faisant partie des émotions primaires ;
– le sens d’une expression faciale dépend largement du contexte ;
– et comme nous l’avons vu précédemment, beaucoup d’expressions faciales n’ont pas nécessairement valeur d’émotions (cf. illustrators, AU 1 + 2
(soulèvement des sourcils), AU 4 (froncement des sourcils et regulators,
AU 12 (sourire)) ;
– ajoutons à cela une grande variabilité inter-individuelle.
5.2 Une approche dimensionnelle-contextuelle
des expressions faciales (Russell)
Russell (1997), quant à lui, rejette l’idée que les expressions faciales correspondent à des émotions spécifiques et il renoue avec l’approche dimensionnelle proposée par Wundt (1874), Schlosberg (1954), Plutchik (1980) et
Woodworth (1938). Selon la perspective dimensionnelle, les phénomènes
émotionnels peuvent se décrire et s’expliquer en faisant appel à un ensemble
de dimensions élémentaires qui se combinent pour produire n’importe quel
état émotionnel. Au sein du courant dimensionnel, Russell propose un modèle
circulaire (circumplex model) postulant que l’espace affectif peut être représenté efficacement par un cercle dans un espace bidimensionnel, avec les
dimensions plaisant/déplaisant et niveau d’activation. La figure 3.4 montre
comment chaque émotion se situe sur un cercle construit en fonction de ces
deux dimensions.
Russell pense que lorsqu’un observateur regarde le visage d’une autre
personne, il obtient d’abord une information qu’il appelle « quasi physique » : il
voit le comportement de l’émetteur et l’attention que celui-ci porte à son environnement, par exemple lorsque l’émetteur détourne son regard, qu’il demeure
silencieux ou qu’il crie…, etc. Il juge également le taux de satisfaction de
l’émetteur (plaisant ou déplaisant) et son état d’activation (agité ou détendu).
L’évaluation de l’information quasi physique ainsi que du taux de plaisir
et du niveau d’activation se font automatiquement et sans effort. Mais le traitement cognitif ne s’arrête pas là et cette première information sera combinée à d’autres informations qui détermineront l’attribution d’une émotion
spécifique. En effet, avec un peu d’effort, l’observateur peut continuer à faire
un certain nombre d’inférences concernant le contexte de l’état émotionnel de
l’individu qu’il est en train de regarder. Il peut par exemple se demander : « Estce que l’expression est simulée ou spontanée ? », « Est-ce qu’on cherche à
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EXPRESSION FACIALE
91
Modèle circomplexe de Russel
Éveil
effrayé
exalté
en colère
heureux
Déplaisir
Plaisir
neutre
triste
détendu
épuisé
somnolent
Endormissement
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Figure 3.4
Espace de jugement de plaisir et d’activation pour les sentiments subjectifs.
Figure 3.5
Huit expressions faciales situées dans l’espace plaisir/activation de la figure 3.4
(Russell, 1997).
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376
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
émotionnelle comme compétence (ability IE) et l’intelligence émotionnelle
comme trait (trait IE).
2.2 L’intelligence émotionnelle comme compétence
(« ability EI »)
Ability EI se rapporte essentiellement au modèle d’intelligence émotionnelle
tel qu’il a été originalement présenté par Salovey et Mayer (1990 ; révisé par
Mayer et Salovey, 1997). D’après ce modèle, l’intelligence émotionnelle
consiste en la capacité à percevoir, comprendre, utiliser et gérer les émotions.
La perception des émotions
Elle implique la capacité à reconnaître les expressions émotionnelles faciales,
vocales et gestuelles des personnes qui nous entourent (par exemple, Ekman
et Friesen, 1975 ; Nowicki et Mitchell, 1998 ; Johnston, Van Reekum et Scherer,
2001) ainsi que les nôtres. Par exemple, une sensibilité générale pour les
émotions (Campbell, Kagan et Krathwohl, 1971) et l’habileté à déchiffrer
des signaux émotionnels non verbaux (Rosenthal, Hall, DiMatteo, Rogers et
Archer, 1979) se réfèrent aux aptitudes liées à la perception des émotions
exprimées par autrui. La conscience de ses propres émotions (Lane, Quinlan,
Schwartz, Walker et Zeitlin, 1990), la capacité à les nommer et à les communiquer (Apfel et Sifneos, 1979), ainsi qu’à les exprimer de manière peu ambivalente (King, 1998 ; King et Emmons, 1990) se rapportent aux compétences
liées à la perception de ses propres émotions.
La compréhension des émotions
Ce deuxième domaine renvoie au langage et à la pensée propositionnelle. Il
se rapporte à la capacité à analyser les émotions, à apprécier leurs évolutions
probables sur la durée et à comprendre les comportements qui peuvent en
découler (Frijda, 1988 ; Lane, Quinlan, Schwartz, Walker et Zeitlin, 1990 ;
Roseman, 1984). Ceci implique une large compréhension du lexique émotionnel
et la manière par laquelle les émotions combinent, évoluent et changent d’un
état à un autre (par exemple, de l’irritation vers la colère et la rage). Ce domaine
est fortement influencé par des facteurs développementaux et évolue, normalement, avec l’âge et l’expérience (Lewis, 2000). La compréhension des
émotions, incluant celles des processus d’appraisal, des normes et règles sociales, joue probablement un rôle clé dans l’intelligence émotionnelle (Wranik,
Feldman Barrett et Salovey, 2006).
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LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS
377
L’utilisation des émotions pour faciliter la pensée
Elle implique la capacité à utiliser les humeurs et les émotions afin de focaliser
son attention et penser de manière plus rationnelle, logique et créative. Elle
peut également consister en des actions telles que maîtriser des sentiments
perturbateurs afin de permettre le raisonnement, la résolution de problème et
la prise de décision. En effet, des recherches passées ont montré que les humeurs
et les émotions peuvent créer divers états mentaux plus ou moins adaptés
selon les situations. Ainsi, par exemple, le fait d’être d’humeur positive favoriserait la création et les pensées innovantes (Isen et Daubman, 1984 ; Isen,
Daubman et Nowicki, 1987), alors que les humeurs négatives serviraient
plutôt le raisonnement déductif (Palfai et Salovey, 1993). De plus, la planification de diverses actions peut être facilitée par la compréhension des liens
entre des émotions spécifiques et la pensée (Izard, 2001). Puisque l’on sait
que les émotions positives favorisent la créativité, il serait préférable d’attendre
d’être de bonne humeur avant de se lancer dans une séance de brainstorming.
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
La gestion des émotions
La capacité à réguler ses propres humeurs et émotions signifie habituellement que l’individu doit pouvoir percevoir, discriminer et nommer les sentiments de manière plus ou moins correcte. En effet, une régulation efficace
des émotions signifie habituellement d’être capable de gérer les émotions en
accord avec les règles sociales, selon les émotions et les situations. Si nous
ne percevons pas correctement que nous sommes en colère à cause de notre
employeur, il est plus difficile de contrôler notre expression faciale et/ou
vocale liée à cette émotion face à lui. La capacité à gérer ses émotions dépend
également de la personnalité de chacun, puisque la gestion des émotions se
base aussi sur nos buts, ainsi que sur la connaissance de soi et de son environnement social (Averill et Nunley, 1992 ; Gross, 1998 ; Parrott, 2002). Il
existe clairement des différences individuelles dans la capacité à gérer les
émotions (Catanzaro et Greenwood, 1994 ; Gross et John, 2003 ; Salovey,
Mayer, Goldman, Turvey et Palfai, 1995), différences qui peuvent en partie
être reliées à d’autres variables telles que la confiance en soi et l’estime de
soi (Rosenberg, 1965).
Les individus qui sont compétents dans les quatre domaines décrits cidessus sont considérés comme émotionnellement intelligents. On s’attend à
ce qu’ils aient de meilleures relations interpersonnelles, soient en meilleure
santé et éprouvent plus de bien-être. Les recherches empiriques, qui mesurent généralement ces ability EI à l’aide de batteries de tests fondées théoriquement (par exemple, le test d’intelligence émotionnelle de Mayer-SaloveyCaruso (MSCEIT) ; Mayer, Salovey et Caruso, 2002), ont mis en évidence
des données allant dans ce sens. En particulier, un haut score sur l’IE a été mis
en lien avec : des comportements quotidiens adaptés chez les jeunes adultes
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378
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
(Brackett, Mayer et Warner, 2004), la qualité perçue des interactions sociales
(Lopes, Salovey, et Straus, 2003), la qualité des interactions sociales (Lopes,
Brackett, Nezlek, Schütz, Sellin et Salovey, 2004), ainsi qu’avec diverses
variables liées à la vie professionnelle, comme la performance, le potentiel
de leadership, les affects et les attitudes au travail (Lopes, Côté, Grewal,
Kadis, Gall et Salovey, 2006).
2.3 L’intelligence émotionnelle comme trait
(« trait EI »)
Trait EI est de loin le modèle prédominant de l’IE dans le monde du travail et de
l’éducation. Selon ce modèle, l’IE est composée de caractéristiques personnelles non cognitives qui sont bénéfiques au fonctionnement et aux succès de
l’individu (Bar-On, 1997 ; Goleman, 1995). On parle également des modèles
de trait EI comme de « modèles mixtes » (Mayer, Caruso, et Salovey, 2000),
car ils rassemblent plusieurs habiletés, traits de personnalité, humeurs et
facteurs motivationnels qui sont potentiellement intéressants pour l’adaptation
sociale et le succès professionnel.
Deux des mesures les plus utilisées des traits d’IE sont le EQ-i (Bar-On,
1997) et l’Emotional Competence Inventory (ECI) (Boyatzis, Goleman et
Rhee, 2000). Le premier est un autoquestionnaire comportant quinze souséchelles organisées en cinq facteurs. Le second est un instrument multi-juges
qui fournit des informations provenant de soi, du manager, de l’employé et
du jugement des pairs relativement à quatre domaines qui regroupent vingt
sous-échelles (voir tableaux 12.3 et 12.4).
Tableau 12.3
Échelles du EQ-i (Bar-On, 1997)
Intra-personnel
Connaissance de ses émotions, assertivité, estime de soi,
accomplissement de soi, indépendance
Interpersonnel
Empathie, relation interpersonnelle,
responsabilité sociale
Adaptation
Résolution de problèmes,
confrontation à la réalité, flexibilité
Gestion du stress
Gestion du stress,
inhibition
Humeur
Bonheur,
optimisme
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LA PERSONNALITÉ ET LES ÉMOTIONS
379
Tableau 12.4
Emotional Competence Inventory (ECI) (Boyatzis, Goleman et Rhee, 2000)
Reconnaissance
© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit.
Régulation
Conscience de soi
Conscience sociale
Connaissance de ses émotions
Auto-évaluation réaliste
Confiance en soi
Empathie
Relations client
Connaissance de l’organisation
Gestion de soi
Compétences sociales
Gestion de ses Émotions
Honnêteté
Conscience
Flexibilité
Besoin de réussite
Initiative
Formation d’autrui
Influence
Communication
Gestion des conflits
Leadership
Agent de changements
Compétence relationnelle
Travail en équipe et collaboration
Un examen détaillé de ces deux instruments indique qu’ils mesurent des
traits de personnalité similaires à ceux de deux inventaires de personnalité
présentés dans le tableau 12.1. C’est pourquoi il n’est pas étonnant de constater
que le EQ-i corrèle fortement avec les mesures de personnalité fréquemment
employées (Brackett et Mayer, 2003) et que les quatre domaines de l’ECI
sont pour leur part également fortement corrélés avec les facteurs Extraversion
et Conscience (Murensky, 2000). Au contraire, les scores du MSCEIT montrent
peu de corrélations avec la personnalité et l’intelligence cognitive (Brackett et
Mayer, 2003). Cependant, ces instruments, et particulièrement l’ECI, incluent
également d’autres sous-échelles portant sur les relations professionnelles et
la performance (telles que le développement personnel, la gestion managériale
des conflits, le travail d’équipe) qui sont indirectement liées aux émotions.
Ainsi, bien que ces instruments soient utiles parce qu’ils prédisent d’importants facteurs en jeu dans la réussite professionnelle et privée (Day, 2004), ils
doivent être considérés comme des mesures de personnalité spécialisées,
voire comme des inventaires de capacités interpersonnelles professionnelles,
et non comme des instruments mesurant des compétences émotionnelles.
■
Implications
Le modèle de l’Ability EI est enraciné dans la recherche en psychologie. Il
suggère qu’il existe d’importantes différences individuelles dans le domaine
des compétences et des habilités émotionnelles. De nombreux groupes de
recherches sont actuellement occupés à examiner une large variété de différences individuelles dans les processus émotionnels afin de différencier
diverses compétences et habilités, de déterminer comment les mesurer et de
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TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE DES ÉMOTIONS
comprendre comment elles sont reliées entre elles ainsi qu’avec d’autres mesures. Le cadre de ce chapitre ne nous permet pas de discuter des multiples
avancées qui ont déjà été menées. Toutefois, des résultats et discussions intéressants devraient certainement voir le jour au cours des prochaines années.
Par conséquent, dans la mesure où nous parlons de différences individuelles
dans le domaine des aptitudes, habilités ou compétences, et que l’avancement de la recherche dans ce domaine ne nous informe pas sur le nombre de
ces compétences ni sur l’étendue des relations qu’elles entretiennent entre elles,
il nous paraît plus indiqué de parler de « compétence émotionnelle » (ou de
compétences émotionnelles) que d’« intelligence émotionnelle ». Ceci
suggère que chaque personne possède des compétences dans le domaine des
émotions. Par ailleurs, le fait d’employer les termes de compétences et
d’habiletés laisse envisager qu’elles puissent être entraînées et développées,
un des objectifs majeurs de ce courant de pensée. Pour la majorité en effet,
les termes d’intelligence et de personnalité renvoient à des domaines qui sont
plus difficiles à modifier et influencer. Dans ce sens, le concept de compétence émotionnelle permet également de différencier le modèle de l’Ability
EI, focalisé sur les processus émotionnels et les compétences, de l’approche
Trait EI, pour sa part plus centrée sur les traits de personnalité et les compétences sociales en général.
Malgré l’avancée prometteuse dans le domaine des compétences émotionnelles, de nombreuses questions restent ouvertes. À savoir par exemple, quel est
le niveau optimal des habiletés perceptives dans le domaine des émotions ?
D’une part, les individus qui sont insensibles aux indices émotionnels non
verbaux d’autrui auraient probablement plus de difficultés à répondre à leurs
besoins et problèmes. À l’autre extrême, les individus qui seraient trop sensibles
pourraient être submergés par les émotions des autres et être inaptes à recourir
aux difficiles – mais nécessaires – comportements de régulation sociale, tels
que réprimander un enfant irrespectueux ou licencier un employé paresseux.
Il est probable que d’autres compétences émotionnelles présentent un pattern
similaire et sont dysfonctionnelles lorsqu’elles sont trop « hautes/fortes »
ou trop « basses/faibles ». Deuxièmement, qu’est-ce que cela signifie être
compétent dans le champ de la régulation émotionnelle ? Est-ce que les individus sont compétents pour réguler leurs émotions d’une manière globale ou
est-ce que certains individus sont aptes à réguler certaines émotions, et pas
d’autres ? Troisièmement, jusqu’à quel point les habiletés et compétences
émotionnelles sont-elles définies culturellement ? Pouvons-nous identifier
des compétentes émotionnelles universelles ou les définitions et instruments
de mesures doivent-ils être culturellement construits ? Enfin, comment
peut-on développer des instruments de mesure fiables dans le domaine des
compétences émotionnelles ? Certes, le MSCEIT a permis de montrer le lien
entre certaines compétences émotionnelles et des habilités sociales spécifiques,
mais il ne mesure qu’une partie limitée des compétences émotionnelles. Une
grande part de la recherche a actuellement pour objectif le problème de la
PSYCHOLOGIE
CLINIQUE
Sous la direction de
David Sander et Klaus R. Scherer
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE
DES ÉMOTIONS
6496947
ISBN 978-2-10-052139-5
www.dunod.com
Professeur,
Section de psychologie,
faculté de psychologie
et des sciences de l’éducation,
université de Genève
et coordinateur scientifique
du Centre interfacultaire
en sciences affectives,
université de Genève.
KLAUS R. SCHERER
Professeur,
Section de psychologie,
faculté de psychologie
et des sciences de l’éducation,
université de Genève
et directeur du
Centre interfacultaire
en sciences affectives,
université de Genève.
Avec la collaboration de :
TATJANA AUE
TANJA BAENZIGER
GRAZIA CESCHI
ELISE DAN GLAUSER
PATRICIA GARCIA-PRIETO
CHEVALIER
JÉRÔME GLAUSER
DIDIER GRANDJEAN
OFRA HAZANOV
SUSANNE KAISER
SEBASTIAN KORB
KATIA SCHENKEL
VÉRONIQUE TRAN
THOMAS WEHRLE
STÉPHANE WITH
TANJA WRANIK
TRAITÉ DE PSYCHOLOGIE
DES ÉMOTIONS
• Qu’est-ce qu’une émotion ?
• Quelles sont ses différentes composantes ?
• Quel est le rôle de l’évaluation cognitive dans les
émotions ?
• Quels sont les rôles des expressions motrices et des
réactions corporelles dans les émotions ?
• Quels sont les débats théoriques majeurs en psychologie
de l’émotion ?
Toutes ces questions essentielles trouvent une réponse
dans ce livre, véritable outil de référence, rédigé par un
collectif de chercheurs et d’enseignants universitaires.
Ce Traité analyse ainsi de manière détaillée :
- la nature des émotions ;
- leurs composantes (évaluation cognitive, expression
faciale et expression vocale émotionnelles,
psychophysiologie de l’émotion, motivation et tendances
à l’action, sentiment subjectif) ;
- leurs domaines d’application (stratégies de régulation,
stress et coping, relations intergroupes, monde du travail,
personnalité et phobies).
Destiné en tout premier lieu aux étudiants de psychologie,
ce livre intéressera aussi les enseignants, chercheurs et
praticiens travaillant sur les émotions.
DAVID SANDER
C O G N I T I V E
PSYCHOLOGIE
SOCIALE
Sous la direction de
PSYCHOLOGIE
COGNITIVE
D. SANDER
K. R. SCHERER
PSYCHO SUP
Sous la direction de
David Sander et Klaus R. Scherer
Traité
de psychologie
des émotions
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