PLACE DE LA CHIRURGIE DANS LA PRISE EN CHARGE DES TUMEURS DE VESSIE Avec 8250 nouveaux cas par an, le cancer de vessie représente la sixième cause de mortalité par cancer en France (4500 décès par an, soit 3% des décès par cancer). Le carcinome urothélial est la forme la plus fréquente des cancers de vessie et prédomine nettement chez l’homme (sex-ratio proche de 5). Le pronostic reste largement corrélé au stade et au degré de différenciation de ces tumeurs. Les tumeurs de vessie sont hétérogènes. On distingue classiquement 2 types : les tumeurs vésicales n’infiltrant pas le muscle (TVNIM) et les tumeurs vésicales infiltrant le muscle (TVIM). Il est généralement admis que 60 à 70% des nouveaux cas de tumeur de vessie sont diagnostiqués au stade non infiltrant (50% pTa, 20% pT1). Ces tumeurs n’infiltrant pas le muscle posent deux problèmes évolutifs différents, mais pouvant s’associer : le risque de récidive et le risque de progression. La majorité des TVNIM est accessible à un traitement conservateur. Aux tumeurs n’infiltrant pas le muscle, on peut opposer les tumeurs infiltrantes de vessie (30 % des cas). Celles-ci peuvent résulter de l’évolution vers l’infiltration d’une tumeur non infiltrante, mais, le plus souvent, il s’agit de tumeurs d’emblée infiltrantes. La survie à 5 ans est de l’ordre de 80% si la tumeur ne dépasse pas le plan musculaire (≤ pT2b). Elle chute à moins de 30% en cas d’atteinte de la graisse péri-vésicale (pT3) et à environ 5% lorsqu’il existe des métastases (N+, M+). Leur évolution possiblement péjorative impose une prise en charge chirurgicale agressive (cystectomie). Enfin, certaines tumeurs sont métastatiques au moment du diagnostic et les traitements ne peuvent être que palliatifs. PLACE DE LA CHIRURGIE DANS LA PRISE EN CHARGE DES TUMEURS NON INFILTRANT LE MUSCLE VESICAL La résection uréthrale de vessie constitue le premier temps à visée diagnostique et thérapeutique. Elle doit être aussi complète que possible et emportant le muscle sous-jacent. En cas de tumeur pT1 de haut grade, une résection de second look est indiquée afin de compléter la résection (tumeur résiduelle dans 33% des cas) et de s’assurer de l’absence d’infiltration du muscle sous-jacent (sous-staging dans 7,6% des cas) (Divrik et al., 2010). Un traitement complémentaire par instillations endo-vésicales pourra ensuite être discuté. Le rationnel de l’utilisation de la chimiothérapie endovésicale, dans le traitement des tumeurs n’infiltrant pas le muscle (TVNIM), est basé sur la connaissance de leur histoire naturelle, en particulier leur risque de récidive pour une grande part alors que seulement une petite proportion de ces tumeurs a un risque de progression. Le Comité de Cancérologie de l'Association Française d'Urologie a classé les TVNIM en 3 groupes pronostiques suivant le risque évolutif (Pfister et al., 2010). Risques Tumeur vésicale Risque de Risque de décès Evolutifs n’infiltrant pas le muscle progression par tumeur à 5 ans à 10 ans - pTa unique, de bas grade ou LMP (Low Risque faible Malignancy Potential) et diamètre < 3 7,1 % 4,3 % cm, sans récidive tumorale - pTa de bas grade ou LMP multifocal Risque intermédiaire et/ou récidivant 17,4 % 12,8 % 41,6 % 36,1 % - pT1 de bas grade (G1-G2) - pTa de haut grade (G2/3 et G3) Risque élevé - pT1 de haut grade (G2/3 et G3) - pT1 récidivant - pT1 multifocal - pTis (carcinome in situ) Les traitements adjuvants intra-vésicaux (Mitomycine C, BCG) ont pour but de diminuer le risque de récidive tumorale ou d’évolution vers l’infiltration et sont proposés chez les patients à risque intermédiaire ou à risque élevé (Babjuk et al., 2008; Lamm et al., 2000). Les résultats sont significatifs sur le risque de récidive dans la majorité des séries (Bohle & Bock, 2004; Jarvinen et al., 2009; Sylvester et al., 2002). En revanche, l'efficacité du traitement adjuvant intra vésical sur le risque de progression est largement controversée. La Mitomycine C (MMC) (Amétycine® – Sanofi-Synthélabo) est la chimiothérapie endovésicale la plus employée en France actuellement. Le traitement d’induction doit être débuté 4 à 6 semaines après la RTUV. Il comporte 8 instillations hebdomadaires de 40 mg dans 20 cc. Elle a un impact sur le risque de récidive, mais son rôle sur la progression n’est pas démontré. Le traitement d’entretien n’a pas fait la preuve de son efficacité. Une instillation précoce post opératoire permettrait également de réduire le risque de récidive, mais ces données restent controversées (Cai et al., 2008; Gudjonsson et al., 2009; Sylvester et al., 2004). Elle doit être réalisée idéalement dans les 6h suivant la RTUV (salle de reveil) et au plus tard dans les 24h. Elle est contre-indiquée en cas d’hématurie importante ou de brèche vésicale. Le bénéfice de cette instillation précoce concernerait surtout les tumeurs à faible risque, unique et non récurrente (Gudjonsson et al., 2009; Sylvester et al., 2004). Les conditions dans lesquelles sont réalisées les instillations sont essentielles car la MMC peut être facilement inactivé ou trop diluée. La Mitomycine C, poids moléculaire 344, se présente sous une forme de poudre pourpre, stable à la chaleur, soluble dans l’eau et dans les solvants organiques. Elle est extrêmement instable à pH acide et à des pH très basiques. Une urine acide inactive toute instillation de Mitomycine C. Le contrôle du pH urinaire, l’alcalinisation des urines par bicarbonates et la restriction hydrique avant chaque instillation sont donc recommandés. L’immunothérapie par BCG utilise une souche atténuée du bacille de Calmette et Guérin et agit en créant une réaction inflammatoire et immunologique locale. Le traitement endovésical par le BCG des TVNIM à haut risque de récidive et de progression (pT1, lésions de haut grade, Cis) comporte un schéma de 6 instillations hebdomadaires d’Immucyst® 81mg. Le traitement d’induction doit être débuté 4 à 6 semaines après la RTUV. Le traitement d’entretien défini par le schéma de Lamm comporte un cycle de 3 instillations hebdomadaires supplémentaires à 3 mois, puis 3 instillations à 6 mois, puis 3 instillations tous les 6 mois pendant 3 ans (Babjuk et al., 2008; Lamm et al., 2000). Il doit bien sûr être adapté à la tolérance du patient. En effet, dans la série de Lamm, seuls 16% des patients traités ont pu mener à terme le protocole d’entretien, les autres ayant du arrêter en raison d’effets secondaires (Lamm et al., 2000). Le BCG diminue significativement le risque de récidive. Il est, par ailleurs, le seul agent thérapeutique pour lequel une diminution de la progression tumorale a été mise en évidence (Bohle & Bock, 2004; Sylvester et al., 2002). Il existe un net avantage en faveur du traitement d’entretien comparée au traitement d’induction seul (Jarvinen et al., 2009). Plus récemment, Sylvester et al. ont également montré un bénéfice en terme de survie globale et spécifique pour les TVNIM à risque intermédiaire ou élevé. Ces résultats font du BCG le traitement de première ligne des TVNIM à risque intermédiaire et élevé (Sylvester et al., 2010). Les effets secondaires des instillations de BCG sont : symptômes d’irritation vésicale, prostatite granulomateuse symptomatique, orchi-épididymite, éruption cutanée, arthralgie, arthrite réactionnelle ou syndrome de Reiter, voire réactions systémiques au BCG. En fonction de leur gravité, ils nécessitent une interruption temporaire ou définitive des instillations. Ils sont traités par antipyrétiques pour les réactions fébriles courtes, par traitement antituberculeux pour les atteintes systémiques. La tolérance peut être améliorée en utilisant une prophylaxie par Ofloxacine 6h après chaque instillation, ce qui permettrait une réduction de l’ordre de 18,5% des effets secondaires de grade II et III (Colombel et al., 2006). On peut également proposer une réduction de doses (27mg) lors du traitement d’entretien, pour les TVNIM à risque intermédiaire uniquement et sans impact sur le risque de récidive et/ou de progression (Martinez-Pineiro et al., 2002). Cystectomie pour TVNIM : Si 75 à 85 % des patients se présentent initialement avec une TVNIM, environ 10 à 15 % d’entre eux progresseront vers une lésion infiltrante. C’est pourquoi, en cas de tumeurs réfractaires au traitement par immunothérapie (persistance tumorale ou récidive précoce à 6 mois ; progression en stade ou en grade à 3 mois), la cystectomie reste le traitement de référence (Babjuk et al., 2011; Pfister et al., 2010). Un certain nombre d’auteurs préconisent la cystectomie totale précoce d’emblée pour des lésions T1G3 multifocales car il existe, pour ces lésions, un risque de 50 % d’envahissement rapide du détrusor (Hautmann & Paiss, 1998; Herr, 1997). Dans cette indication, les taux de survie spécifique à 5 ans après cystectomie approche les 90%. Stein et al. rapportent en 2001 une série de 1 054 patients (843 hommes et 211 femmes) d’un âge moyen de 66 ans (22-93). Pour les patients ayant une maladie confinée à la vessie avec un curage ganglionnaire négatif, la survie sans récidive à 5 et 10 ans était respectivement de 91 et 89 % pour les pTis et de 83 et 78 % pour les pT1 (Stein et al., 2001). PLACE DE LA CHIRURGIE DANS LA PRISE EN CHARGE DES TUMEURS INFILTRANT LE MUSCLE VESICAL (FORMES LOCALISEES) La cystectomie totale est le traitement de référence des tumeurs infiltrantes de vessie, non métastasiques. Il s’agira d’une cystoprostatectomie totale chez l’homme et d’une pelvectomie antérieure (emportant utérus, annexes et paroi antérieure du vagin) chez la femme. Elle doit idéalement être réalisée dans les 12 semaines suivant le diagnostic afin de ne pas grever le pronostic (Gore et al, 2009). Le geste de reconstruction peut consister soit en un remplacement vésical (entérocystoplastie) permettant une préservation de l’intégrité corporelle soit en une dérivation cutanée non continente (dérivation trans-iléale type Bricker ou urétérostomies cutanées). Un curage pelvien étendu, remontant jusqu’à la bifurcation aortique, est recommandé parce qu’il peut y avoir des envahissements ganglionnaires haut situés (8% des ganglions envahis sont localisés au dessus du croisement de l’uretère). Ce curage étendu permet un staging optimal puisqu’il détecte 90% des métastases ganglionnaires contre seulement 50% en cas de curage standard ilio-obturateur. Par ailleurs, le curage étendu semble avoir une valeur curative avec un impact sur la survie globale à 5 ans (Dhar et al., 2008; Hollenbeck et al., 2008; Roth et al., 2010), le pronostic étant corrélé au nombre de ganglions retirés et à la densité ganglionnaire (Roth et al., 2010). Ces données reposent sur le résultat de plusieurs études rétrospectives et devraient prochainement être confirmées par une étude prospective en cours (SWOG S-1011). Il s’agit d’une intervention chirurgicale lourde qui ne peut s’envisager que chez des patients en bon état général avec peu de co-morbidités et après une évaluation pré-opératoire rigoureuse. Les principales complications sont : les complications hémorragiques per- ou post-opératoires, les fistules urinaires, les lymphorrhées et lymphocèles secondaires au curage étendu, les sténoses anastomotiques, les complications infectieuses, l’incontinence urinaire, la dysfonction érectile, les rétentions urinaires par mauvaise vidange de la plastie,… Les résultats de la dernière décennie ont montré une nette diminution de la morbidité de la cystectomie qui était de l’ordre de 35 % en 1970 pour atteindre moins de 20 % dans les études les plus récentes. De la même façon, la mortalité initialement de 20 % est actuellement de moins de 3 % (Gschwend et al., 2000). Depuis les années 1990, il est admis que les taux de survie globale et spécifique à 5 ans des patients ayant eu une cystectomie tous stades confondus sont respectivement de 50 et 70 %. La chimiothérapie néo-adjuvante à base de sels de platine est conseillée car elle permet d’améliorer la survie globale après cystectomie (77 mois versus 46 mois), avec un gain de survie significatif de l’ordre de 5% à 5 ans, quel que soit le stade, probablement en traitant une maladie micro-métastatique et en facilitant la chirurgie d’exérèse (32% de pT0) (Sternberg C et al., ABC, 2005; Grossman et al., 2003). Seul le protocole M-VAC (Methotrexate, Vinblastine, Doxorubicine et Cisplatine) sous sa forme classique et un protocole similaire, le CMV (Cisplatine, Methotrexate et Vinblastine) sont validés dans les essais néo-adjuvants (Sternberg C et al., ABC, 2005). Cette chimiothérapie doit être débutée le plus tôt possible afin de ne pas retarder le geste chirurgical et doit comporter une évaluation radiologique à mi-parcours afin de contrôler la réponse au traitement. Elle est encore très largement sous-utilisée malgré des niveaux de preuve élevés. A l’inverse, on ne dispose que de peu de données sur l’efficacité des traitements chimiothérapiques en adjuvant à la cystectomie. Ceux-ci seront préférentiellement proposés pour les tumeurs infiltrantes de mauvais pronostic (≥ pT3, N+, marges chirurgicales positives) après discussion en réunion de concertation pluri-disciplinaire (Bochner et al., 2006). PLACE DE LA CHIRURGIE DANS LA PRISE EN CHARGE DES TUMEURS INFILTRANT LE MUSCLE VESICAL (FORMES AVANCEES) Au stade métastatique (M+), la chirurgie n’a qu’une place limitée et ne sera jamais curatrice. Il pourra s’agir de résection trans-uréthrale de vessie à visée palliative et généralement associée à une montée d’endoprothèses urétérales en cas d’envahissement des bas uretères avec urétéro-hydronéphrose d’amont et insuffisance rénale aigüe obstructive. Rarement une cystectomie dite « de propreté » ou d’ « hémostase » sera proposée chez des patients métastatiques mais localement symptomatiques. Place de la chirurgie de rattrapage : Les patients avec un faible volume tumoral, en rechute localisée et sans facteur de mauvais pronostic, peuvent avoir une réponse de qualité à la chimiothérapie. Certaines études rétrospectives ont montré qu’un traitement chirurgical de rattrapage à l’issue de la chimiothérapie et chez des patients bons répondeurs, pouvait amener à une rémission prolongée (Siefker-Radtke et al., 2004). L’exérèse chirurgicale possible d’une métastase isolée doit également être considérée dans la stratégie thérapeutique. REFERENCES ABC, Sternberg C et al., S.C.a. (2005). Neoadjuvant chemotherapy in invasive bladder cancer: update of a systematic review and meta-analysis of individual patient data advanced bladder cancer (ABC) meta-analysis collaboration. Eur Urol, 48, 202-5; discussion 205-6. Babjuk, M., Oosterlinck, W., Sylvester, R., Kaasinen, E., Bohle, A. & Palou-Redorta, J. (2008). EAU guidelines on non-muscle-invasive urothelial carcinoma of the bladder. 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