copernicienne » de Kant, dans lesquels nous citions une prédiction
faite en 1969 par Alexis Philonenko. Prédiction d’autant plus
troublante qu’elle constitue à nos yeux une désignation, par le plus
grand spécialiste français de la pensée kantienne et néo-kantienne,
du lieu où cette pensée doit aujourd’hui livrer son sens auto-
transcendant1. Nous introduirons, présenterons et discuterons la
pensée de Stiegler à partir de cette référence, qui nous est
désormais commune, à ce que nous nommerons ici l’anticipation de
Philonenko. A la dernière page du premier tome de son Œuvre de
Kant, ce dernier écrivait en effet :
« Si le kantisme toutefois a signifié l’agonie du platonisme, il est à craindre
que notre époque n’assiste à une grande agonie du kantisme, qui sera tout
autre que ne l’imaginent les philosophes qui tantôt réfutent Kant,
tantôt le dépassent. Il y a tout d’abord une chose que personne
n’ignore : le kantisme est tombé des sciences dans l’histoire des
sciences. En dépit des louables efforts d’E. Cassirer il n’apparaît
plus possible de lier le kantisme avec la science physique moderne
[...]. En un siècle où la machine tient une place de plus en plus
grande dans la constitution de la connaissance, la raison humaine
se complique et se transforme. Quel sera exactement le sort de la
raison désormais liée à la machine d’une manière étroite ? Nul ne
peut le dire exactement – mais c’est dans cet avenir que le
kantisme agonisera [...] et si la lecture de Kant demeure nécessaire
c’est en un sens très précis : nous devons savoir d’où nous partons [...] et
l’on pourra se consoler en songeant que Kant lui-même ne serait
plus de nos jours tout à fait kantien »2.
Nous avons longuement commenté ailleurs cette page du
grand historien de la philosophie3, et en viendrons donc ici
d’emblée à la pensée de Stiegler en ce qu’elle a pu, à la fin du tome
1 Sur le concept d’auto-transcendance du sens, voir J-H. Barthélémy, Penser
l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, Paris, L’Harmattan (préface de
Jean-Claude Beaune), 2005, Introduction, 2., et « Husserl et l’auto-transcendance
du sens », Revue philosophique, n°2/2004.
2 Alexis Philonenko, L’œuvre de Kant, t.1, Paris, Vrin, 1969, pp. 335-336 (souligné
par l’auteur).
3 Voir l’Introduction à notre ouvrage Penser la connaissance et la technique après
Simondon, qui est le tome 2 de Penser l’individuation (op. cit.).