l`insulinothérapie fonctionnelle

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clinique
L’insulinothérapie fonctionnelle
L’apprentissage du traitement insulinique
intensifié du diabète de type 1
Dr Lise Dufaitre*
L’insulinothérapie fonctionnelle (IF)
s’est considérablement développée
en France depuis plusieurs années.
Ce type d’apprentissage du traitement insulinique intensifié doit
pouvoir être proposé aux patients
diabétiques de type 1 sous schéma
basal-bolus. Les outils technologiques, pompes et Holters sont et
deviendront incontournables pour
aider le patient dans la compréhension mais également la gestion de
son traitement. L’insulinothérapie
fonctionnelle ne doit pas être perçue ni comme une mode ni comme
la solution.
Qu’est-ce que
l’insulinothérapie
fonctionnelle ?
évolution du concept
• L’insulinothérapie
fonctionnelle (IF) est une méthode d’apprentissage du traitement insulinique dont le concept prend
probablement sa source très peu
de temps après la découverte de
l’insuline comme en témoigne
cette réflexion du Dr Herbert
Moxon, diabétologue en Australie en 1929 : « Le diabète est
différent des autres maladies
dans un aspect bien précis ; si
* Service du Pr Raccah, Hôpital Sainte-Marguerite,
CHU de Marseille,
216
© Helga Jaunegg - iStockphoto
Résumé
par exemple, un patient souffre
d’une pneumonie, il va guérir même s’il ne connaît pas le
nom de sa maladie, dans le cas
du diabète c’est bien différent,
la première chose à faire est de
chercher la coopération du patient. »
• En 1978, des programmes
d’apprentissage du traitement
insulinique sont mis en place
par l’équipe de Berger (1, 2). Ces
programmes ont permis d’améliorer l’équilibre glycémique des
patients de façon durable sans
augmenter le nombre d’hypoglycémies sévères (2, 3). A partir
de ces constats, Howorka et al.
ont développé en Allemagne et
en Autriche le concept IF avec le
DTTP (Diabetes Treatment And
Teaching Programme).
Méthode pédagogique
La méthode pédagogique doit
permettre au patient d’acquérir
les outils qui lui sont nécessaires
pour reproduire au mieux (le
traitement insulinique restant
malgré tout encore imparfait)
cette insulinosécrétion physiologique.
L’IF est apparue en France il y
a environ 20 ans mais est restée longtemps confinée dans
quelques services parisiens.
Cette méthode pédagogique
s’est par la suite développée
dans le reste de la France après
l’apparition des analogues de
l’insuline. Elle est actuellement
reconnue par les sociétés savantes comme en témoigne le
groupe de travail créé à la SFD il
y a quelques années. Les services
proposant ce mode de prise en
Diabète & Obésité • Juin 2011 • vol. 6 • numéro 50
L’insulinothérapie fonctionnelle
charge pour les patients diabétiques de type 1 sont actuellement nombreux sur le territoire
français.
Des détracteurs
Certains de ses détracteurs affirment qu’elle est élitiste et
qu’elle ne s’adresserait qu’à un
certain type de patients (patients ayant fait des études supérieures, « dotés de capacités
intellectuelles hautement développées »). Savoir si l’IF est possible chez tous les patients diabétiques de type 1 reste un sujet
de débat aujourd’hui.
Pour qui ?
Concept de l’insulinothérapie fonctionnelle
Il s’agit :
• d’une insulinothérapie visant à reproduire de façon aussi rigoureuse
que possible l’insulinosécrétion physiologique (étudiée chez des sujets
sains (4-7) ;
• d’une approche pédagogique transférant au patient le processus décisionnel de la gestion de son insulinothérapie (tout en respectant son
style de vie, ses habitudes alimentaires, ses modalités d’apprentissage).
Les contre-indications de l’insulinothérapie
fonctionnelle.
Les contre-indications temporaires sont :
• la rétinopathie diabétique proliférante non stabilisée (risque d’aggravation lors d’un équilibre glycémique trop rapidement obtenu) ;
• la grossesse (il est souhaitable que les jeunes femmes diabétiques aient
bénéficié de l’IF avant le désir ou la programmation de grossesse) ;
• une pathologie psychiatrique non stabilisée ou ne permettant pas l’acquisition d’un apprentissage en groupe.
L’expérience de Marseille
A Marseille, dès 2004, avec le
Dr Olivia Ronsin, nous avons
développé l’IF dans le service
du Pr Vague puis dans le service du Pr Raccah. Nous avons
accueilli de nombreux patients considérés “en impasse
thérapeutique”. L’IF semblait
parfois être le dernier recours
pour ces patients et pour leurs
diabétologues. L’absence de
possibilité de faire une sélection parmi les candidats nous a
conduits très tôt à nous adapter aux modalités d’apprentissage de chaque patient et
à l’hétérogénéité des groupes
constitués.
Le traitement basal-bolus :
traitement de base
Cependant, comme il est illusoire de vouloir apprendre la
plongée sous-marine équipé
seulement d’un tuba, le traitement basal-bolus apparaît l’outil nécessaire et indispensable
pour apprendre l’IF.
Comme hier, l’équipe multidisciplinaire en charge de l’IF au
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sein du service du Pr Raccah à
Marseille accueille aujourd’hui
les patients diabétiques de
type 1 traités par un schéma
basal-bolus aux sessions de
groupe sous la forme d’hospitalisation de 5 jours ou d’hôpitaux de jours espacés d’une
semaine, au nombre de 5.
Mauvaises réponses
au traitement
Bien souvent les sessions d’insulinothérapie permettent de
démasquer les raisons de mauvaises réponses au traitement
insulinique :
• neuropathies digestives ;
• troubles de la diffusion souscutanée de l’insuline ;
• mauvaise observance thérapeutique ;
• peur phobique de l’hypoglycémie…
Dans ces cas les résultats obtenus sur l’équilibre glycémique
ne sont pas toujours ceux espérés par le patient ou par l’équipe
soignante. Cependant, en dépit
de ces difficultés, il est légitime
de proposer à ces patients de
connaître le mode de fonctionnement de leur schéma insulinique basal-bolus même si
d’autres paramètres rentrent en
jeu.
Quelles compétences
intellectuelles ?
Par ailleurs, nous pensons que le
débat concernant les capacités
de calculs des patients et le quotient intellectuel minimal et nécessaire pour pouvoir bénéficier
de l’IF n’a pas lieu d’être.
En effet, tout patient atteint de
maladie chronique est désireux
d’apprendre sur sa maladie et
sur la façon de gérer son traitement insulinique. Bien que
l’insulinothérapie fonctionnelle
ne soit pas indispensable, car
heureusement pour eux les patients ont beaucoup appris sans
nous, elle ne peut et ne doit pas
être élitiste. A nous de créer une
217
clinique
méthode pédagogique adaptée aux capacités de chacun en
n’oubliant pas que si le calcul
des glucides fait partie des outils proposés lors de l’IF, l’IF n’est
pas le calcul des glucides.
Comment ?
Le cadre
Il est souvent difficile de conjuguer l’approche individuelle du
patient avec la prise en charge
en groupe. Pour cette raison il
nous apparaît peu adapté d’accueillir plus de 6 patients par
session. L’approche individuelle
présente l’avantage d’être extrêmement personnalisée mais elle
nécessite beaucoup de temps
pour les soignants et limite parfois la richesse des acquisitions
que les interactions de groupe
peuvent générer. Conjuguer les
2 types d’approches au cours de
nos sessions d’IF nous paraît nécessaire.
Nous proposons l’IF sous forme
de séances de groupe de 4 à 
6 patients, soit lors d’une hospitalisation de 5 jours, soit en 5 HDJ
au rythme d’une par semaine.
Pour les sessions en hospitalisation, il n’existe pas d’unité de semaine et les patients sont donc
programmés en unité conventionnelle.
Dans notre expérience, nous
n’avons pas démontré la supériorité de la prise en charge lors
d’une hospitalisation conventionnelle sur la prise en charge
en ambulatoire. Nous maintenons donc les deux modes de
déroulement pour offrir au patient en fonction de son travail
ou de ses activités, le choix de
l’une ou ou de l’autre des options.
218
Le contenu
L’objectif des séances d’IF est de
permettre à chaque patient d’acquérir le savoir et le savoir-faire
pour reproduire au mieux la sécrétion physiologique de l’insuline avec son propre traitement
dans sa propre vie. L’ensemble
du programme est ainsi élaboré
autour des 3 rôles de l’insuline :
vivre, manger et corriger. Parallèlement il est important de souligner aux patients les limites et
imperfections de son traitement
pour qu’il puisse apprendre à le
corriger. D’après le Pr Grimaldi,
l’IF a pour but « d’apprendre au
patient à tirer avec un mauvais
arc et de mauvaises flèches pour
atteindre le centre de la cible »,
ce qui illustre très bien les imperfections du traitement par
voie sous-cutanée et déculpabilise les patients qui ont tous une
fois au moins obtenu des résultats glycémiques bien en deçà
de l’effort fourni. A la lumière
de nos objectifs pédagogiques,
il apparaît évident que 5 jours
d’apprentissage ne peuvent
suffire à une personne atteinte
d’une maladie chronique qui
plus est avec un traitement très
imparfait.
Nous avons donc repensé notre
approche de l’IF comme le
B.A.BA du traitement intensifié et l’avons rebaptisé « Programme d’apprentissage du traitement insulinique intensifié »
(Tab. 1). D’autres types d’apprentissage et d’éducation thérapeutique doivent être créés pour répondre aux besoins des patients
notamment sur le savoir-être.
L’IF n’est pas une mode et encore moins une méthode miraculeuse ou recette, elle s’inscrit
dans l’accompagnement guidé
de nos patients et peut être proposée à tout ceux bénéficiant
d’un traitement basal-bolus.
L’apport des outils
technologiques
❚❚Les pompes
Le traitement proposé pour l’IF
doit permettre de mimer au
mieux la sécrétion physiologique
du pancréas. A ce titre, le traitement par pompe externe et de
surcroît le traitement par pompe
implantée avec diffusion intrapéritonéale de l’insuline sont probablement les traitements les plus
indiqués. Le Dr Elisa Sarde dans sa
thèse de médecine a montré que
des patients traités par pompe à
infusion sous-cutanée d’insuline
(n = 46) tendaient (de façon statistiquement non significative) à
avoir une HbA1c plus basse que
les patients traités par multi-injections (n = 91) 1 an après avoir bénéficié de l’IF au sein de notre service. Par ailleurs, 8 patients sous
pompe implantée ayant bénéficié
de l’IF dans le service ont amélioré
significativement leur HbA1c et
cela sur 2 années (8,1 ± 1,7 avant vs
6,6 ± 0,5 2 ans après). A la lumière
de ces résultats d’autres études
sont et doivent être menées, mais
l’association de la pompe et de l’IF
constitue le traitement de choix
pour le patient du diabétique de
type 1.
❚❚Les Holters glycémiques
Grâce à l’enregistrement continu des glycémies tout au long
du nycthémère, la lecture des
courbes glycémiques permet de
confronter les résultats à ceux
d’une courbe physiologique attendue et de proposer des corrections adaptées. Avec le Dr Laure
Rocher, nous avons tout d’abord
utilisé cet outil lors des sessions
en HDJ comme recueil des glycémies lors du jeûne à domicile.
Depuis quelques mois nous l’utilisons également entre la quatrième et la cinquième session
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L’insulinothérapie fonctionnelle
pour évaluer les doses proposées
pour les repas. Nous avons pu
ainsi démasquer des hausses glycémiques majeures en lien avec
un bolus réalisé après le repas,
(Fig. 1) et corriger notre discours.
Mais surtout, dans notre pratique, la lecture des courbes est
un outil éducatif devenu essentiel. Les patients en observant
leurs courbes et celles des autres
participants trouvent et proposent seuls des solutions. Une
courbe glycémique remplace
souvent, de fait tout discours
médical. Enfin les deux cycles
de Holter proposés durant la
session d’IF en HDJ mettent en
évidence les progrès obtenus et
soutiennent les patients dans
leurs efforts (Fig. 2).
Si un jour les Holters sont remboursés, nous obtiendrons alors
le gold standard : IF pompe
Holter.
Pourquoi ?
A mon sens, l’IF a plusieurs raisons d’être.
• Elle confère au patient diabétique de type 1 une autonomie
non normative permettant d’obtenir une amélioration de son
équilibre métabolique et de sa
qualité de vie (comme en témoignent de nombreuses études
réalisées à ce sujet dans différents pays (9-11)).
• Elle apporte aux soignants la
reconnaissance des patients et
répond au désir d’utilité qui parfois fait défaut dans la prise en
charge des patients atteints de
maladie chronique.
• L’IF est un vivier, elle nous aide
à nous interroger sur nos pratiques, à nous adapter aux situations rencontrées et nous rappelle que rien n’est immuable.
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Tableau 1 - Objectifs des séances de l’insulinothérapie fonctionnelle.
Séance d’IFObjectifs éducatifs et/ou évaluatifs
Séance 1
Savoir évaluer la quantité d’aliments
Savoir élaborer une enquête alimentaire
Séance 2
Savoir utiliser pour la période de jeûne le Holter glycémique
Evaluer la qualité de l’enquête alimentaire
Repérer les difficultés et trouver des solutions d’adaptation
Valider la technique d’auto-surveillance et d’auto-injection
Connaître le rôle de l’insuline basale ou “insuline pour vivre”
Pouvoir réaliser le jeûne glucidique de 36 h sans danger
Séance 3
Comprendre le dépistage des complications du diabète
Valider la connaissance du rôle de la basale
Valider la pesée des différents aliments
Savoir calculer la quantité de glucides dans son repas et repérer si le repas est gras (> 40 g de lipides)
Pouvoir mettre en place le compte de glucide dans l’enquête
alimentaire pour la séance suivante
Séance 4Savoir utiliser les courbes d’un Holter glycémique en temps
réel pour adaptation des bolus
Valider le calcul de glucides dans l’alimentation
Savoir calculer sa dose d’insuline rapide pour les repas
Connaître les objectifs glycémiques durant le nycthémère
Pouvoir mettre en place pour la session suivante le calcul des
doses d’insuline rapide en U/10 g de glucides
Séance 5Connaître l’influence de l’activité physique sur sa glycémie
pour adapter ses doses d’insuline
Savoir calculer sa dose de rapide lors d’un repas festif sans
balance
Savoir contrôler son diabète lors de maladies intercurrentes
400
15/01/2009 (jeu.)
mg/
dL
300
200
180
100
70
0
3
6
9
12
15
18
Heure de la journée
21
Figure 1 - Insuline rapide injectée à la fin du petit-déjeuner : hyperglycémie brutale,
suivie deux heures plus tard d’une chute de 1 g de la glycémie en moins d’une heure.
219
clinique
• Enfin, tout comme l’IF permet
au patient de comprendre son
traitement et de l’adapter, elle
permet aussi au jeune soignant
de s’initier à la diabétologie.
L’IF a des objectifs clairement
énoncés et donc ses propres limites. La prise en charge des
patients diabétiques de type 1
n’est pas réglée une bonne fois
pour toute après 5 jours d’apprentissage. Nous avons encore
beaucoup à innover pour accompagner nos patients vers un équilibre glycémique et une bonne
qualité de vie au long cours.
Nous devons également faire
émerger leur motivation à prendre
du temps pour apprendre ou
réapprendre ce B. A. BA, indispensable à une gestion adaptée de
leur traitement. Et pour cela il est
avant tout nécessaire que l’IF ne
résonne plus chez les soignants
comme « unités pour 10 g, pesée
des aliments… » et autres images
réductrices. n
A
B
Mots-clés :
Insulinothérapie, Traitement, Basalbolus, Apprentissage, Physiologie,
Glycémie
Figure 2 - Chez la même personne :
- courbes A obtenues après la seconde séance d’IF en HDJ ;
- courbes B obtenues après la 4e séance d’IF en HDJ.
Les profils sont devenus beaucoup plus reproductibles sur les courbes B.
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