Intérêt en milieu tropical de la neurolyse percutanée chimique du

Étude originale
Intérêt en milieu tropical de la neurolyse percutanée
chimique du plexus solaire et des nerfs splanchniques
sous contrôle scanographique
au cours des tumeurs malignes évoluées du pancréas
Alexis Victorien Konan
1
Hatem Rajhi
1
Nejla Mnif
2
Radhi Hamza
2
1
Service d’imagerie médicale,
CHU-Cocody-Abidjan,
04 BPV 997,
Abidjan,
Côte d’Ivoire
2
Service d’imagerie médicale,
EPS Charles Nicolle,
Boulevard du 9 avril 1938,
1006 Tunis, Tunisie
Résumé
La diffusion récente des scanographes dans de nombreux pays en Afrique au sud du
Sahara a ouvert dans ces pays des perspectives nouvelles à la radiologie interventionnelle,
en particulier dans le traitement de la douleur d’origine néoplasique. Nous rapportons
l’observation d’un patient souffrant de violentes douleurs viscérales abdominales secon-
daires à un cancer avancé du pancréas. À la suite d’un échec par traitement morphinique
bien adapté, il a bénéficié d’une neurolyse scanno-guidée par alcoolisation des plexus
cœliaque et splanchnique. Au travers de cette observation nous voulons illustrer la
technique et discuter de ses applications possibles en milieu tropical.
Mots clés :cancer, douleur, imagerie médicale, thérapeutique, Côte d’Ivoire.
Abstract
Treating pain related to inoperable pancreatic cancer in tropical areas: The
advantage of CT-guided celiac plexus block and splanchnic nerves neurolysis
Many sub-Saharan African countries have recently acquired computed tomography
scanners that make interventional radiology possible, especially for the treatment of
cancer pain. We report the case of a patient with severe abdominal pain related to
advanced pancreas cancer. After unsuccessful morphine treatment, he underwent
CT-guided alcohol injection for neurolysis of the celiac plexus and splanchnic nerves. This
report describes the technique and discusses its potential applications in tropical
countries.
Key words:cancer, pain, medical imaging, therapy, Côte d’Ivoire.
L
es pathologies viscérales sus-
mésocoliques atteignant le rétro-
péritoine, les ganglions du plexus
solaire et les nerfs splanchniques [1] peu-
vent provoquer des douleurs insupporta-
bles. Le traitement de première intention
repose sur les antalgiques et les opiacés
[2]. La splanchnicectomie chirurgicale est
un geste lourd mal supporté par des
patients en mauvais état général [2, 3]. La
neurolyse cœliaque et splanchnique per-
cutanée est une alternative à la chirurgie
[4, 5].Elle a l’avantage d’être peu agressive
et peu onéreuse [2]. Notre objectif est
d’illustrer la technique et de discuter de ses
applications possibles en milieu tropical.
Observation
M. B.Z, âgé de 54 ans, atteint d’un adéno-
carcinome du pancréas inopérable, souf-
frait de douleurs abdominales réfractaires
aux morphiniques. Devant l’intensité des
douleurs, l’indication d’une neurolyse
percutanée du plexus solaire et des nerfs
splanchniques était indiquée en équipe
multidisciplinaire. Le bilan d’hémostase
était normal. La procédure était réalisée
malade en décubitus dorsal. Après repé-
rage cutané par voie épigastrique
médiane et dans les conditions habituel-
les d’asepsie, une ponction transgastrique
Tirés à part : A.V. Konan
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et transtumorale à l’aide d’une aiguille de
Chiba 22 Gauge était pratiquée sous gui-
dage tomodensitométrique. Le position-
nement correct précœliaque de l’aiguille
était vérifié par l’injection de 1cc de pro-
duit de contraste iodé mélangé à un anes-
thésique local permettant de réaliser un
block test marqué par une régression de
la douleur. La neurolyse était ensuite
effectuée par l’injection de 15cc d’alcool
absolu (figure 1). Par la même voie trans-
gastrique et avec la même aiguille, nous
avions réalisé un passage transaortique
pour atteindre le site splanchnique. La
bonne position de l’aiguille était vérifiée
par l’injection de 0,5cc de produit de
contraste montrant la diffusion rétroaorti-
que et prévertébrale du contraste
(figure 2). La neurolyse splanchnique
était ensuite réalisée en injectant 5cc
d’alcool absolu. Aucun incident n’était
observé au cours du geste. Les douleurs
spontanées avaient disparu en 24 heures.
Le patient avait présenté une hypotension
au cours de la surveillance rapidement
corrigée par le remplissage vasculaire.
Dans les suites immédiates, aucune autre
complication n’avait été observée.
Aucune douleur n’est réapparue à 5 mois
de recul.
Commentaires
L’interruption des voies de la douleur par
destruction des fibres nerveuses sensiti-
ves et végétatives (neurolyse) est consi-
dérée comme l’une des thérapeutiques
les plus efficaces de la douleur d’origine
néoplasique [2, 4]. Un tel geste est indi-
qué lorsque la douleur est insuffisamment
soulagée par les antalgiques majeurs
(notre observation) ou lorsque ceux-ci
sont contre-indiqués ou mal supportés
par le patient [2]. Les applications de la
neurolyse sont nombreuses et peuvent
concerner des affections diverses,
qu’elles soient néoplasiques [6] ou non
[7]. Les tumeurs gastriques et pancréati-
ques constituent les principales indica-
tions [8] de la neurolyse cœliaque.
L’abord percutané nécessite un contrôle
de la progression et un positionnement
précis de l’aiguille [9]. Plusieurs techni-
ques sont décrites et elles concernent
surtout la radioscopie, l’échographie et le
scanner [4]. La radioscopie a laissé pro-
gressivement la place aux méthodes
d’imagerie en coupes (échographie et
scanner) à cause de son imprécision et
des risques accrus de perforation acci-
dentelle [10]. L’utilisation du guidage
échographique est une bonne alternative
mais elle reste de réalisation difficile en
cas de surcharge pondérale, de météo-
risme abdominal ou de situation haute du
colon transverse [10]. Le scanner offre une
plus grande précision des détails anato-
miques, indépendamment du morpho-
type et de la position du patient ; il per-
met une vision correcte des structures
vasculaires (aorte et tronc cœliaque) qui
ont des rapports étroits avec les ganglions
cœliaques et les nerfs splanchniques. Les
ganglions du plexus solaire sont classi-
quement disposés de part et d’autre de la
face antérieure de l’aorte abdominale et à
moins d’un centimètre en dessous de
l’émergence du tronc cœliaque [11, 12].
Les troncs des nerfs splanchniques thora-
ciques sont situés en arrière des piliers du
diaphragme à la hauteur de D11, D12 [11,
12]. L’approche percutanée peut se faire
par voie antérieure ou postéro-latérale [1].
La voie antérieure transabdominale que
nous avons choisie permet en un seul
Haut
Gauche
Figure 1. Cancer du pancréas avec métastases hépatiques.
Figure 1. Pancreatic cancer with liver metastases.
Ponction percutanée transgastrique transtumorale ; positionnement paratronculaire cœliaque droit de l’extrémité de
l’aiguille 22G sous contrôle tomodensitométrique ; injection du mélange xylocaïne-contraste ; bonne diffusion para-
aortique. Neurolyse cœliaque.
Haut
Gauche
Figure 2. Neurolyse splanchnique.
Figure 2. Splanchnic neurolysis.
Avec la même aiguille, passage transaortique pour atteindre le site des nerfs splanchniques : bonne diffusion pré- et
latéro-corporéale de l’agent lytique.
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temps et par la même voie d’abord de
réaliser la neurolyse à la fois splanchni-
que et cœliaque [1]. L’abord par voie
rétropéritonéale postéro-latérale a l’avan-
tage d’éviter le passage à travers un
organe creux digestif. L’utilisation d’une
aiguille fine de calibre inférieur à 22
Gauge autorise un passage sans grand
danger dans la majorité des organes
abdominaux (dans notre cas, l’estomac et
le pancréas) à l’exception du colon qu’il
est préférable d’éviter à cause des risques
septiques non négligeables [9]. Entre des
mains entraînées et en l’absence des
contre-indications habituelles [1], ce pas-
sage transaortique de l’aiguille permet la
neurolyse, au cours de la même procé-
dure, du plexus solaire et des nerfs splan-
chniques [12]. Dans nos régions où les
patients consultent tardivement et où les
tumeurs sont souvent diagnostiquées à
un stade avancé, la prise en charge de la
douleur solaire constitue un problème de
pratique quotidienne. Les médications
antalgiques et surtout opiacées ne sont
pas toujours faciles à obtenir et parfois
leur coût peut devenir rapidement prohi-
bitif. Devant les moyens limités des
patients en Afrique et les risques d’une
mauvaise observance du traitement, la
neurolyse est un recours appréciable, soit
comme adjuvant thérapeutique, soit
comme traitement isolé. Elle ne permet
pas toujours un sevrage complet des
antalgiques, mais elle améliore l’analgésie
induite par l’utilisation des morphiniques
et réduit de façon significative leur poso-
logie [13]. Un effet antalgique significatif
immédiat et à moyen terme a été observé
chez 87 % à 93 % des cancéreux selon les
séries [4, 5]. Dans une méta-analyse
concernant 1 145 patients ayant subi une
neurolyse cœliaque pour des douleurs
solaires d’origine néoplasique, Eisenberg
et al. [4] ont montré une sédation com-
plète de la douleur pendant au moins
deux semaines chez 89 % des patients,
une persistance totale ou partielle des
effets antalgiques chez 90 % d’entre eux
après 3 mois et, jusqu’au décès, dans
70 % à 90 % des cas. De plus, la neurolyse
percutanée chimique qui est relativement
peu coûteuse [10, 11] présente plusieurs
autres avantages : hospitalisation de
courte durée, procédure rapide réalisée
sous anesthésie locale, répétition facile-
ment acceptée par les patients en cas
d’épuisement de l’effet antalgique [13].
Les complications digestives, vasculaires
et neurologiques rapportées dans la litté-
rature sont rares [1, 4]. Bien que notre
travail n’ait concerné qu’un seul patient,
nous pensons que la diffusion récente des
appareils scanographiques et une bonne
maîtrise des techniques de neurolyse per-
cutanée peuvent aider à améliorer vala-
blement la survie des patients oncologi-
ques pour lesquels un traitement curatif
n’est plus indiqué. D’autres travaux
seront utiles pour mieux préciser ces
aspects et pour évaluer les enjeux psy-
choculturels que peut poser pareil geste
de médecine palliative, dans un contexte
socioculturel traditionnel où la symboli-
que de pénétration du corps par un objet
pointu peut être chargée de représenta-
tions insoupçonnées par l’opérateur et
son équipe (sortilège utilisé par des enne-
mis ou par des esprits malveillants pour
donner la mort...).
Conclusion
La neurolyse cœliaque et splanchnique
sous contrôle scanographique est une
alternative thérapeutique intéressante au
cours des douleurs solaires néoplasiques.
C’est une technique ambulatoire simple,
peu coûteuse, peu invasive et efficace qui
s’applique bien aux situations classique-
ment rencontrées dans le contexte tropi-
cal. Les charges financières, éléments non
négligeables dans les pays en développe-
ment, peuvent être ainsi réduites tant
pour l’hôpital que pour le patient
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