D O S S I E R T H É M A T I Q U E Traitement de la douleur au cours du cancer du pancréas ● J. Auroux* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Le traitement de la douleur au cours du cancer du pancréas améliore la qualité de vie et augmente parfois la survie des patients. ■ Les antalgiques oraux, du paracétamol à la morphine, doivent être associés à un anti-inflammatoire qui optimise leur efficacité. ■ La gemcitabine a montré un intérêt, certes modeste, sur la survie mais aussi sur le contrôle de la douleur. ■ Le bloc cœliaque par neurolyse donne des résultats encourageants et pourrait être envisagé rapidement, notamment chez les patients sensibles aux AINS. e cancer du pancréas est de mauvais pronostic. Le taux de survie à 5 ans, tous stades confondus, varie de 2 à 5 % selon les études (1, 2). Le traitement est le plus souvent palliatif et le confort de vie des malades devient alors une priorité. La douleur est un symptôme fréquemment rencontré au cours du cancer du pancréas. Elle est le plus souvent localisée au-dessus de l’ombilic, irradiant parfois dans le dos. Elle est principalement décrite pour les tumeurs céphaliques (3). Une étude a montré que lorsque le diagnostic de cancer était précoce, la douleur était d’intensité moyenne à forte dans 29 % des cas, d’intensité faible dans 34 % et absente dans 37 % (4). En revanche lorsque la maladie était avancée, la douleur, présente dans 80 à 85 % des cas, était souvent associée à un état de dénutrition avancé et à un syndrome dépressif (5, 6). L’existence de douleurs avant résection tumorale est un facteur de mauvais pronostic tant pour la survie que pour le risque de récidive de la maladie (7). Deux mécanismes peuvent expliquer l’origine de la douleur au cours du cancer du pancréas : L * Service d’hépato-gastroentérologie, CHU Henri- Mondor, Créteil. 86 – l’hyperpression canalaire en rapport avec un obstacle d’amont lié à la tumeur. Dans ce cas le traitement par décompression canalaire est inconstamment efficace ; – l’infiltrat néoplasique, inflammatoire ou fibreux des plexus nerveux rétropancréatiques (plexus cœliaque principalement) pour lequel les techniques de neurolyse ont montré leur intérêt. TRAITEMENTS MÉDICAUX La prise en charge de la douleur pancréatique au cours du cancer du pancréas est le but principal du traitement adjuvant. Chez les patients opérés, la douleur peut influencer la survie (7). En cas de tumeur non extirpable, le traitement antalgique doit être au mieux adapté car il améliore la qualité et parfois même la durée de vie des patients. L’appréciation de l’efficacité d’un traitement antalgique est possible grâce à des tests qualitatifs et quantitatifs d’utilisation facile, mesurant l’intensité de la douleur comme l’EVA (échelle visuelle analogique) ou le questionnaire “qualité de vie” de l’EORTC (8). Selon le mécanisme impliqué dans la douleur et selon l’intensité de celle-ci, le traitement antalgique diffère. Il commence le plus souvent par l’association d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) tel que l’indométacine ou l’ibuprofène à un antalgique mineur (paracétamol) ou plus puissant (dextropropoxyphène, codéïne ou tramadol) jusqu’aux antalgiques majeurs de type morphinique. Ces derniers sont le plus souvent administrés par voie orale mais, en cas de nécessité, le recours à la voie sous-cutanée ou intraveineuse est possible (9, 10). Les doses de morphine peuvent être diminuées en cas de traitement anti-inflammatoire associé. L’utilisation du fentanyl par voie transdermique (Durogesic®) semble donner des résultats intéressants. L’escalade thérapeutique dans les classes d’antalgiques doit être progressive mais il est nécessaire de ne pas “courir après la douleur”et lorsque la classe d’antalgique et la posologie ont été déterminées, le traitement doit être donné à horaire régulier. Les corticoïdes sont parfois utiles notamment en cas de pathologie compressive. Ils peuvent améliorer transitoirement l’appétit des patients. La chimiothérapie reste décevante dans le traitement du cancer du pancréas. Cependant la gemcitabine (antimétabolite, analogue des nucléosides) en comparaison au 5-FU a montré son intérêt sur la survie mais aussi sur la douleur (réduction de la consommation d’antalgiques et diminution de l’intensité des douleurs) et la stabilité de l’index de Karnofsky (11-13). L’effet antalgique La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 2 - vol. IV - avril 2001 de la radiothérapie externe avec des doses parfois élevées (jusqu’à 72 grays en conformationnel dans une étude de phase II) a été rapporté (13-16). La radiothérapie peropératoire au cours d’une chirurgie de décompression semble aussi donner de bons résultats (17). LES TECHNIQUES DE NEUROLYSE L’innervation émanant du pancréas peut recevoir des stimuli nociceptifs et transmettre ces informations au plexus cœliaque. Le plexus cœliaque est rétropéritonéal, en arrière du pancréas et de l’estomac, et au contact du tronc cœliaque. Les nerfs splanchniques partent du plexus cœliaque passent à travers le diaphragme et gagnent la moelle épinière. De là, le message est véhiculé au thalamus et au cortex cérébral où l’information est analysée comme douleur. La neurolyse chimique du plexus cœliaque (ou bloc cœliaque) et la splanchnicectomie chirurgicale peuvent interrompre les stimuli nociceptifs émanant du pancréas. La neurolyse chimique peut être réalisée par voie percutanée sous contrôle radiologique (échographique, scanographique ou scopique). Un test thérapeutique préalable avec le plus souvent de la lidocaïne à 0,5 % est systématique. En cas de test positif, la neurolyse est effectuée avec du phénol ou de l’alcool à 50 %. Un traceur iodé mélangé à l’agent neurolytique permet de suivre sa diffusion au cours de l’injection. L’adjonction d’anesthésique local (Lidocaïne® par exemple), évite les douleurs solaires souvent observées après le geste. L’effet antalgique dure environ 2 à 4 mois. Une méta-analyse de 24 articles (1 145 malades dont 722 cancers du pancréas) a montré que ce traitement était efficace chez près de 90 % des patients traités et que l’analgésie persistait jusqu’au décès des patients dans 70 à 90 % des cas selon la technique employée (18). Le bloc cœliaque réduit significativement la consommation de morphine comparé à celle des patients traités par anti-inflammatoires et morphine seuls (9). Une étude a défini trois critères de bonne réponse à la neurolyse : début des douleurs datant de moins de 2 mois avant le traitement, localisation élective de la douleur à la région cœliaque et efficacité initiale des anti-inflammatoires non stéroïdiens. Les complications sont le plus souvent mineures. Cependant, des cas de paraplégies, parfois définitives, ont été rapportés en particulier lorsque l’abord du plexus est postérieur, car il existe un risque d’ischémie de la moelle épinière en rapport avec une thrombose ou un spasme de l’artère d’Adamkiewicz, mais aussi lorsque l’alcool est injecté accidentellement dans l’espace sous-arachnoïdien, en épidural ou au sein des nerfs somatiques (10, 19-21). La splanchnicectomie chimique chirurgicale peut se faire par voie abdominale. Elle peut être réalisée à titre prophylactique au cours d’une laparotomie pour dérivation bilio-digestive +/- gastro-jéjunale (22). La splanchnicectomie bilatérale par voie transhiatale ou par voie thoracique sous thoracoscopie donnent de bons résultats (23, 24). L’écho-endoscopie linéaire électronique ou rotative à ponction permet de repérer le plexus cœliaque à l’origine du tronc cœliaque et de l’alcooliser (alcool absolu à 95°). Les taux de succès dépassent 80 %. Les complications sont mineures essentiellement marquées par une diarrhée ou une hypotension observées dans 38 et La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 2 - vol. IV - avril 2001 44 % des cas respectivement (25). Ce traitement peut être réalisé au cours du bilan écho-endoscopique loco-régional de la tumeur. TRAITEMENT ENDOSCOPIQUE L’hyperpression endo-canalaire par obstruction tumorale avec dilatation canalaire d’amont peut s’accompagner de douleurs. Ce mécanisme intéresserait environ 15 % des malades atteints de cancer du pancréas (26). L’insertion de prothèse au sein du canal de Wirsung par voie endoscopique permet dans certains cas de lever l’hyperpression et de réduire significativement l’intensité de la douleur. L’efficacité de ce traitement est médiocre lorsque les douleurs sont permanentes (27, 28). CONCLUSION Les possibilités thérapeutiques permettant de lutter contre la douleur au cours du cancer du pancréas sont peu nombreuses. Ces traitements doivent cependant être au mieux utilisés, en particulier lorsqu’il s’agit d’un traitement palliatif. La neurolyse cœliaque donne de bons résultats surtout chez les patients répondant au traitement par AINS. Dans ce cas, elle doit être réalisée précocement soit par voie radiologique ou écho-endoscopique par des praticiens expérimentés, soit par voie chirurgicale notamment au cours d’une chirurgie de décompression. Les traitements par morphine au long cours ou par radiothérapie pourraient être réservés aux échecs de la neurolyse (29, 30). La décompression canalaire par prothèse donne de bons résultats chez certains patients. ■ Mots clés. Analgésiques oraux – Anti-inflammatoires non stéroïdiens – Chimiothérapie – Radiothérapie – Neurolyse. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Lombard-Bohas C, Mornex F, Saurin JC. Locally advanced adenocarcinoma of the pancreas : current therapeutic modalities. Cancer Radiother 1997 ; 1 : 547-54. 2. Lillemoe KD. Palliative therapy for pancreatic cancer. Surg Oncol Clin N Am 1998 ; 7 : 199-216. 3. Grahm AL, Andren-Sandberg A. Prospective evaluation of pain in exocrine pancreatic cancer. Digestion 1997 ; 58 : 542-9. 4. Hudis C, Kelsen D, Niedzwiecki D et al. Pain is not a prominent symptom in most patients with early pancreatic cancer (abstract). Proc Am Soc Clin Oncol 1991 ; 10 : 326. 5. Kalser MH, Barkin J, MacIntyre JM. Pancreatic cancer. Assessment of prognosis by clinical presentation. Cancer 1985 ; 56 : 397-402. 6. Kelsen DP, Portenoy RK, Thaler HT et al. Pain and depression in patients with newly diagnosed pancreas cancer. J Clin Oncol 1995 ; 13 : 748-55. 7. Mannell A, Van Heerden JA, Weiland LH, Ilstrup DM. Factors influencing survival after resection for ductal adenocarcinoma of the pancreas. Ann Surg 1986 ; 203 : 403-7. 8. Krakowski I, Gestin Y, Jaulmes F et al. Recommendations for a successful cancer pain management in adults and children. Bull Cancer 1996 ; 83 : 9s-79s. 9. Kawamata M, Ishitani K, Ishikawa K et al. Comparison between celiac plexus block and morphine treatment on quality of life in patients with pancreatic cancer pain. Pain 1996 ; 64 : 597-602. 87 E R T H 10. Mercadante S. Celiac plexus block versus analgesics in pancreatic cancer U U T T O O - É É V V A A A. Quels sont les facteurs de risque reconnus de l’adénocarcinome du pancréas ? 1. Le tabagisme. 2. Le diabète. 3. La consommation excessive de café. 4. La consommation excessive d’alcool. A T I Q U E L L U U A A T T I I O O N N D. Quelles sont les affirmations vraies concernant les marqueurs génétiques du diagnostic de l’adénocarcinome du pancréas ? 1. La mutation de l’oncogène Ki-ras surviendrait précocement dans la carcinogénèse pancréatique. 2. Le dépistage couplé de p53 muté et de Ki-ras améliore la sensibilité du dépistage du cancer par rapport à celui de Ki-ras seul. 3. Le dosage du Ca 19-9 sérique ne permet pas le diagnostic précoce de l’adénocarcinome du pancréas. B. Quelles sont les affirmations vraies concernant la place de la chimiothérapie dans le traitement du cancer du pancréas ? 1. Elle n’apporte aucun bénéfice en termes de survie. 2. Elle a bénéficié de l’apport récent de la gemcitabine. 3. Elle peut être envisagée en situation adjuvante (préchirurgicale). 4. Elle permet d’obtenir une réponse tumorale qui dépasse les 40 %. E. Quelles sont les affirmations vraies concernant le traitement chirurgical des adénocarcinomes du pancréas ? 1. La duodénopancréatectomie céphalique est possible dans plus de 50 % des cas. 2. L’envahissement de l’axe veineux mésentérico-porte est une contre-indication formelle à l’exérèse chirurgicale. 3. La survie à long terme des patients ayant un adénocarcinome du pancréas opéré est supérieure à 20 %. C. Quelles sont les affirmations vraies concernant le diagnostic et le bilan d’extension de l’adénocarcinome du pancréas ? 1. Le scanner spiralé a une sensibilité équivalente à l’échoendoscopie dans le diagnostic de l’adénocarcinome du pancréas. 2. La wirsungographie est un examen à visée diagnostique. 3. La ponction biopsie sous écho-endoscopie permet le diagnostic d’adénocarcinome du pancréas dans plus de 75 % des cas. 4. L’écho-endoscopie évalue aisément l’adhérence de la tumeur aux vaisseaux mésentériques ainsi qu’à la veine porte. F. Quelles sont les affirmations vraies concernant le traitement palliatif de l’adénocarcinome du pancréas ? 1. Le traitement par antibiotique prévient l’obstruction des prothèses biliaires. 2. Les prothèses métalliques doivent être, en principe, changées tous les ans. 3. En cas de sténose duodénale associée à une sténose biliaire, la mise en place d’une prothèse dans les voies biliaires doit précéder l’insertion d’une prothèse duodénale. 4. La chimiothérapie fait partie de la prise en charge de la douleur des patients atteints de l’adénocarcinome du pancréas. F. 3 - 4 88 M 20. De Conno F, Caraceni A, Aldrighetti L et al. Paraplegia following coeliac plexus block. Pain 1993 ; 55 : 383-5. 21. Wong GY, Brown DL. Transient paraplegia following alcohol celiac plexus block. Reg Anesth 1995 ; 20 : 352-5. 22. Lillemoe KD, Cameron JL, Kaufman HS et al. Chemical splanchnicectomy in patients with unresectable pancreatic cancer. A prospective randomized trial. Ann Surg 1993 ; 217 : 447-55 ; discussion 456-7. 23. Saenz A, Kuriansky J, Salvador L et al. Thoracoscopic splanchnicectomy for pain control in patients with unresectable carcinoma of the pancreas. Surg Endosc 2000 ; 14 : 717-20. 24. Sastre B, Carabalona B, Crespy B et al. Transhiatal bilateral splanchnicotomy for pain control in pancreatic cancer: basic anatomy, surgical technique, and immediate results in fifty-one cases. Surgery 1992 ; 111 : 640-6. 25. Wiersema MJ, Wiersema LM. Endosonography-guided celiac plexus neurolysis. Gastrointest Endosc 1996 ; 44 : 656-62. 26. Costamagna G, Alevras P, Palladino F et al. Endoscopic pancreatic stenting in pancreatic cancer. Can J Gastroenterol 1999 ; 13 : 481-7. 27. Tham TC, Lichtenstein DR, Vandervoort J et al. Pancreatic duct stents for “obstructive type” pain in pancreatic malignancy. Am J Gastroenterol 2000 ; 95 : 956-60. 28. Caraceni A, Portenoy RK. Pain management in patients with pancreatic carcinoma. Cancer 1996 ; 78 : 639-53. 29. Andren-Sandberg A, Viste A, Horn A et al. Pain management of pancreatic cancer. Ann Oncol 1999 ; 10 : 265-8. 30. Francon D, Giovannini M. Management of pain in pancreatic cancer. Ann Chir 2000 ; 125 : 413-9. pain. Pain 1993 ; 52 : 187-92. 11. Rothenberg ML, Moore MJ, Cripps MC et al. A phase II trial of gemcitabine in patients with 5-FU-refractory pancreas cancer. Ann Oncol 1996 ; 7 : 347-53. 12. Kurtz JE, Trillet-Lenoir V, Bugat R et al. Compassionate use of gemcitabine in advanced pancreatic cancer: a French multicentric study. Bull Cancer 1999 ; 86 : 202-6. 13. Burris HA, Moore MJ, Andersen J et al. Improvements in survival and clinical benefit with gemcitabine as first-line therapy for patients with advanced pancreas cancer : a randomized trial. J Clin Oncol 1997 ; 15 : 2403-13. 14. Gastrointestinal Tumor Study Group. Radiation therapy combined with Adriamycin or 5-fluorouracil for the treatment of locally unresectable pancreatic carcinoma. Cancer 1985 ; 56 : 2563-8. 15. Minsky BD, Hilaris B, Fuks Z. The role of radiation therapy in the control of pain from pancreatic carcinoma. J Pain Symptom Manage 1988 ; 3 :199205. 16. Ceha HM, van Tienhoven G, Gouma DJ et al. Feasibility and efficacy of high dose conformal radiotherapy for patients with locally advanced pancreatic carcinoma. Cancer 2000 ; 89 : 2222-9. 17. Fossati V, Cattaneo GM, Zerbi A et al. The role of intraoperative therapy by electron beam and combination of adjuvant chemotherapy and external radiotherapy in carcinoma of the pancreas. Tumori 1995 ; 81 : 23-31. 18. Eisenberg E, Carr DB, Chalmers TC. Neurolytic celiac plexus block for treatment of cancer pain : a meta-analysis. Anesth Analg 1995 ; 80 : 290-5. 19. Abdalla EK, Schell SR. Paraplegia following intraoperative celiac plexus injection. J Gastrointest Surg 1999 ; 3 : 668-71. A A É E. aucune I D. 1 - 3 S C. 1 - 3 S B. 1 - 2 - 3 O Résultats : A. 1 D La lettre de l’hépato-gastroentérologue - no 2 - vol. IV - avril 2001