Collaborationinterdisciplinaire pour la prise en charge d`un patient

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perspective
Collaboration interdisciplinaire
pour la prise en charge d’un patient
qui présente un syndrome de Diogène
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 1420-3
S. Beggah-Alioua
J. Berger
M. Cheseaux
Sabah Beggah-Alioua
Drs Jérôme Berger et Michel Cheseaux
PMU, 1011 Lausanne
[email protected]
[email protected]
[email protected]
Interdisciplinary care for a patient suffering
from Diogenes syndrome
Interdisciplinarity is the combined care of a
patient by two or more healthcare professionals. Taking into account the contribution of
the different healthcare partners improves
patient follow-up, quality of the care and use
of resources. General practitioner (GP) becomes the pivot of a combined interdisciplinary ambulatory care allowing a prolonged
staying at home and avoiding the multiplication of care offers.
This paper, by the clinical description of a
patient suffering from Diogenes Syndrome,
allows a cross of the care between the GP,
home nurse and pharmacist. It deals with follow-up questions, acceptance, objectives of
treatment, communication between healthcare
partners and «false notes» in the follow-up.
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L’interdisciplinarité est la prise en charge coordonnée du
même patient par plusieurs professionnels de santé. La prise
en compte des contributions de différents professionnels de
santé améliore le suivi du patient, la qualité des soins et l’utilisation des ressources. Le médecin de premier recours (MPR)
devient le pivot d’une prise en charge ambulatoire interdisciplinaire coordonnée permettant de prolonger un maintien à
domicile tout en évitant la multiplication des offres de soins.
Cet article, à travers la situation clinique d’une patiente présentant un syndrome de Diogène, permet d’avoir un regard
croisé sur la prise en charge par le MPR, les soins à domicile
et la pharmacie. Il traite des questions du suivi, de l’adhésion,
des objectifs du traitement, de la communication entre les
partenaires de santé et des «fausses notes».
vignette clinique
Une femme de 71 ans, d’origine vietnamienne, suivie pour
un syndrome métabolique, décide de changer de médecin
de premier recours (MPR) pour l’introduction de l’insuline.
La première consultation médicale met en évidence une
surcharge pondérale avec un IMC à 29,5 kg/m2, une hypertension artérielle modérée à 158/85 mmHg sous traitement, une hémoglobine
glyquée élevée à 8,9% (N : 4,5-6,9), une anémie microcytaire hypochrome à 100 g/l
(N : 117-157), une ferritine à 6 µg/l (N : 30-300) et une vitamine B12 à 64 pmol/l
(N : 133-677). Concernant la surcharge pondérale, une consultation en diététique est mise en place. Le traitement de l’hypertension artérielle est majoré
par un anticalcique en plus de la bithérapie préexistante, composée d’un inhi­
biteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et d’un thiazidique. Le bilan
de la carence martiale met en évidence un adénocarcinome du sigmoïde de
stade pT4b pN0 cMo qui sera traité chirurgicalement puis complété par de la
chimiothérapie. La carence en vitamine B12, investiguée par une gastroscopie
qui s’avère être normale, est mise sur le compte d’un syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 et d’une malabsorption d’origine médicamenteuse,
secondaire à la prise de la metformine. L’insulinothérapie est introduite par
une forme basale une fois par jour, en association aux antidiabétiques préexistants, un biguanide et une gliptine. Au vu de son âge et de la carence en vitamine B12, un bilan cognitif de base est effectué par un Mini Mental Status qui
montre une valeur à 25/30 chez une patiente allophone. Le test de l’horloge
s’avère pathologique (figure 1) mais s’améliore avec la correction de la carence
en vitamine B12. Le réseau socio-familial est constitué de son ex-mari uniquement, qui participe très peu à la prise en charge médicale. Un passage journalier
des infirmières à domicile est organisé afin de surveiller les injections d’insuline et de vérifier les glycémies. Cette guidance médicale permet à la patiente
d’améliorer son profil glycémique, ce qui est confirmé par l’hémoglobine glyquée, qui est passée à 6,5%. La pharmacie unique, qui lui délivre son traitement, réalise que la patiente demande davantage de médicaments qu’elle
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Figure 1. Test de l’horloge
n’en consomme. La mise en place d’un semainier permet
d’améliorer la gestion du stock des médicaments mais
pas celle du matériel d’injection ni des compresses.
Afin de mieux coordonner les aspects pratiques, une
rencontre de réseau est organisée au domicile de la patiente. En plus des troubles cognitifs, la suspicion d’un
syndrome de Diogène, qui interfère avec la prise en
charge, est confirmée par la visite de son appartement
(figure 2).
syndrome de diogène
Le syndrome de Diogène est décrit dans la littérature
par Clark en 1975,1 mais son appellation fait référence historiquement à Diogène le cynique, né à Sinope en 413
avant J.-C. et décédé en 324 avant J.-C. à Corinthe. Ce philosophe grec aurait vécu sale et seul dans un tonneau
comme un ascète, sans aucun objet personnel. Le syndro­me
de Diogène est une catégorie diagnostique polymorphe,
hétérogène et complexe,2 évoquant un trouble de la per-
Figure 1. Vue du salon de la patiente
sonnalité sans diagnostic psychiatrique, retenu par les manuels diagnostiques des troubles mentaux DSM-IV et ICD-10.
Ce syndrome se caractérise par une accumulation d’objets
hétéroclites, appelée syllogomanie,3 qui mène à des con­di­
tions de vie insalubre affectant la plupart du temps les personnes âgées, avec une prédominance féminine. L’événement déclenchant est souvent le décès d’un proche.4 La
personne atteinte vit seule et se caractérise par une négligence personnelle extrême à laquelle s’associent l’insalubrité de son domicile, le retrait social, une attitude paranoïaque, un sans-gêne de sa condition inexplicable et un
refus systématique de se faire aider. Les symptômes cardinaux les plus cités dans la littérature sont l’entassement, le
retrait social et le refus d’aide. Damecour et coll.5 citent
quatre groupes diagnostiques principaux, parmi lesquels on
peut s’attendre à rencontrer ce phénomène : les troubles
cognitifs avec une démence et/ou un retard intellectuel,
les troubles psychotiques, les troubles alimentaires et les
troubles obsessionnels compulsifs. A préciser qu’un vaste
champ transitionnel entre l’état normal et l’état pathologique peut exister. La responsabilité immédiate du médecin
face à une situation de collectionnisme et d’entassement
est de repérer les problèmes concomitants que sont la
mauvaise hygiène corporelle, la présence de parasites et
de maladies associées comme une infection de la peau et/
ou des voies respiratoires, des lésions podologiques (en
trébuchant sur les ordures), une anémie sur carence alimentaire, un déficit en vitamine B12 ou en acide folique,
une ostéomalacie ainsi qu’une albuminémie basse et d’autres
pathologies non traitées. Le syndrome de Diogène reste
polymorphe et hétérogène, ce qui rend le diagnostic difficile.
aspect socio-thérapeutique
La question de savoir si un individu concerné peut être
laissé dans cet état d’incurie et d’entassement sévère se
pose. Selon les premiers auteurs ayant décrit ce syndrome,
la liberté individuelle devant être respectée au maximum,
toute tentative d’aide sans consentement serait vouée à
l’échec. Souvent, l’ingérence de l’entourage, qui signale le
cas, correspond à l’effondrement des fonctions autonomes.
Quand elle est acceptée, une aide-ménagère est souvent
incapable d’améliorer la saleté et le désordre. Un objectif
raisonnable consiste en l’évacuation des matières périssables, des déjections et en un minimum d’hygiène corporelle. En Suisse, si le trouble psychiatrique ne peut pas
être traité d’une autre manière, une expulsion du logement ainsi qu’une privation de liberté à des fins d’assistance conduisent à une admission dans un établissement
psychiatrique. Habituellement, l’incurie ne suffit pas à elle
seule à motiver un internement. La prise en charge d’un
syndrome de Diogène repose sur la pathologie de base,
qui est définie par un diagnostic clinique, des examens de
laboratoire et, le cas échéant, des tests cognitifs. Un traitement peut ensuite être proposé ainsi que différentes thérapies actives, axées sur le rétablissement d’une structure
quotidienne permettant d’éloigner le patient des activités
de fonctionnement à vide que sont l’emmagasinage et le
collectionnisme.
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suivi et collaboration interdisciplinaire
La non-adhésion chez cette patiente impliquait une
gestion non rationnelle des médicaments et du matériel
médical (par exemple : surstockage, conservation dans des
conditions inadéquates, etc.). Sa prise médicamenteuse
permettait toutefois d’atteindre les objectifs thérapeutiques.
Rôle des intervenants médicaux
Chez cette patiente, la coordination entre les différents
partenaires de santé a été nécessaire pour améliorer le
suivi et avoir une bonne qualité des soins. La collaboration
interdisciplinaire a permis d’améliorer la gestion des médicaments et du matériel médical et de sécuriser leur circuit d’approvisionnement.
Médecin de premier recours
La qualité de la relation va indiscutablement influencer
la confiance que le patient place dans son thérapeute,
avec des répercussions sur l’adhésion thérapeutique. Le
traitement sera mieux suivi lorsqu’il découle d’une décision libre et réfléchie de la part du patient plutôt que
d’une imposition arbitraire de la part du médecin, d’autant
plus s’il s’agit d’une maladie chronique.6 Le MPR doit privilégier l’acte d’information et d’éducation dans lequel la
communication médecin-malade joue un rôle essentiel. Il
doit être au courant de l’histoire personnelle du patient,
de ses représentations sociales, de ses croyances, de sa
personnalité, de ses besoins, de ses désirs et de ses craintes.
Le niveau d’anxiété et le status émotionnel peuvent induire
un décalage entre l’information donnée par le MPR et celle
reçue par le patient. Le MPR ne peut obliger le patient à se
soigner mais va le motiver à adhérer au mieux aux prescriptions, optimiser et simplifier les traitements dans la
forme la mieux acceptée, limiter les manifestations indésirables en sélectionnant les médicaments les mieux tolérés, en respectant les contre-indications, les interactions
ainsi que les prises en compte d’échecs antérieurs. En
bref, donner tout son sens à la prescription. Le MPR doit
tout mettre en œuvre pour aider le patient dans le suivi
thérapeutique : remise d’une information écrite, semainier,
soutien social suffisant.
Pharmacien
L’un des rôles du pharmacien est d’être un membre du
réseau informel, constitué autour des patients par les différents intervenants. Lors du renouvellement de prescriptions ou d’achat d’articles d’hygiène ou de soins, il est possible d’observer les évolutions de la situation du patient
selon, par exemple, ses comportements, demandes ou
plaintes par rapport à son état de santé ou ses médicaments. Selon les informations récoltées, le pharmacien doit
contacter le médecin prescripteur (idéalement le MPR) afin
de faire part de ses observations.7,8 Dans le cas présent, les
différentes demandes répétées de la patiente, sous forme
de téléphones ou de messages écrits transmis par son
conjoint, ont éveillé la vigilance de l’équipe de la pharmacie.
En effet, la patiente demandait régulièrement des emballages de médicaments ou de bandelettes d’autocontrôle
alors que, sur la base des dates de remise et des posologies,
des quantités suffisantes pour plusieurs semaines, voire
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mois, lui avaient été remises. Le dialogue téléphonique avec
la patiente, lui rappelant les quantités délivrées et l’invitant à vérifier ce dont elle disposait à domicile, n’a pas eu
d’impact sur ses demandes. Ce type de situation peut être
relativement inconfortable pour l’équipe de la pharmacie.
En effet, ce sont souvent différents interlocuteurs qui communiquent avec la patiente. Un certain temps et le regroupement de notes dans le dossier pharmaceutique de la
patiente peuvent être nécessaires avant d’identifier le caractère récurrent de la problématique. De plus, sans accès
au dossier médical, le pharmacien n’a pas connaissance de
diagnostics n’ayant pas entraîné la prescription d’un médica­
ment, par exemple ici, l’identification de troubles cognitifs.
Dans ce cas, la pharmacie a transmis des éléments factuels
sur la fréquence et la nature des demandes récurrentes de
la patiente en les mettant en rapport avec les quantités
délivrées. Sur la base de ces observations, le but de la
pharmacie était de savoir si d’éventuels troubles cognitifs
pouvaient être à l’origine des demandes de cette patiente
et si un cadre pouvait être convenu afin de les prendre en
charge de manière adéquate : utilisation rationnelle de médicaments tout en maintenant un lien permettant un suivi
adéquat de la patiente.9 Le diagnostic de syndrome de
Diogène ayant été posé, un réseau incluant la pharmacie a
été créé autour de cette patiente afin de répondre de manière uniforme et adéquate aux différentes demandes (incluant notamment la préparation de semainiers par la
pharmacie).
Infirmière à domicile
L’infirmière à domicile identifie les patients à haut ris­que,
les motivations du patient à se prendre en charge. Pour
cette patiente, le rôle de l’infirmière était de reconnaître
les signes et critères permettant le repérage du syndrome
de Diogène tels que l’entassement d’objets, la condition
de vie insalubre, la négligence corporelle et vestimentaire,
le refus d’aide et l’isolement social. Les conséquences de
l’insalubrité peuvent conduire à une menace pour la santé
du patient et de son voisinage. L’accumulation d’objets peut
être une menace pour la sécurité, interférer avec l’usage
normal des lieux, rendre le passage difficilement accessible, et comporte le risque d’incendie, les problèmes de
voisinage et les risques d’exclusion.
conclusion
Le syndrome de Diogène est une catégorie diagnostique polymorphe et complexe nécessitant une prise en
charge multidisciplinaire. Le MPR, pivot de cette collaboration, assure la bonne coordination des soins, met en
place des mécanismes de communication efficaces et vérifie l’atteinte des objectifs. Le fonctionnement en équipe
multidisciplinaire a eu comme résultat une amélioration
de l’état de la patiente et de sa prise en charge. De plus,
le renforcement du message venant de plusieurs partenaires de santé peut avoir un impact positif sur l’acceptation de la prise en charge auprès de certains patients, en
particulier lors de pathologies chroniques. En outre, cette
collaboration interdisciplinaire a permis de mieux protéger
les professionnels de santé contre le sentiment d’épuise-
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ment, en offrant le soutien d’autres professionnels pour
gérer l’intensité du travail et les différentes demandes de
la patiente. Le travail en équipe permet une utilisation
plus rationnelle du temps des professionnels impliqués.
Le MPR occupe une position centrale pour coordonner les
soins au patient, en veillant parmi les objectifs à développer les moyens permettant de faciliter l’adhésion thérapeutique par exemple en termes de prise, mais aussi de
gestion médicamenteuse.
Implications pratiques
> Le syndrome de Diogène est une catégorie diagnostique
polymorphe et complexe nécessitant une prise en charge
interdisciplinaire
> La collaboration interdisciplinaire permet d’améliorer la
qualité des soins et l’utilisation efficace des ressources, surtout lors de pathologies chroniques complexes
> Le médecin de premier recours, pivot de cette collaboraLes auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec
cet article.
tion, assure la bonne coordination des soins
Bibliographie
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