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Les tachycardies supraventriculaires fœtales
Fetal supraventricular tachycardias
! A. Fraisse*
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epuis la réalisation du premier électrocardiogramme fœtal en 1906 (1), le diagnostic et la
prise en charge des tachycardies fœtales ont
connu une évolution croissante et représentent une partie
importante de la cardiologie fœtale. Les tachycardies supraventriculaires constituent environ 10 % des causes des anasarques fœto-placentaires d’origine non immunitaire, dont
c’est le meilleur groupe pronostic grâce aux possibilités de
traitement in utero (2). Elles exposent néanmoins au risque de
mort fœtale, de prématurité et de lésions cérébrales par
hypoxie (2-9).
EMBRYOLOGIE DE LA CONDUCTION INTRACARDIAQUE
Issu du sinus veineux, le tissu de conduction intracardiaque
apparaît avec le nœud sino-atrial dès la 7e semaine de grossesse, précédant le nœud auriculoventriculaire qui se forme
vers la 10e semaine. Le faisceau de His se développe entre la
10e et la 12e semaine. Des battements synchronisés apparaissent
dès le début de la 3e semaine de grossesse, puis la fréquence
cardiaque augmente graduellement de 90 bpm à 6 semaines à
180 bpm à 9 semaines. La fréquence cardiaque moyenne est
voisine de 150 bpm à la 15e semaine et continue à diminuer
très légèrement jusqu’au terme (10). Issu de la crête neurale, le
système nerveux autonome cardiaque est essentiellement composé de paraganglions latéro-aortiques sécrétant de la noradrénaline. La régulation du rythme cardiaque fœtal est principalement parasympathique par des fibres cholinergiques (11).
cardiotocographie est très imprécis en cas d’arythmie ou de
tachycardie : il ne permet pas d’en préciser la fréquence
lorsque celle-ci dépasse les 200 bpm, et encore moins le mécanisme. Ce sont des examens de dépistage et d’orientation vers
le spécialiste en cardiologie pédiatrique, qui pourra effectuer
une analyse plus performante du trouble du rythme cardiaque
fœtal.
Échocardiographie TM (figure 1)
À l’aide du repérage bidimensionnel, l’enregistrement TM
simultané de deux structures, représentant respectivement la
conduction auriculaire et ventriculaire, permet de calculer la
fréquence cardiaque auriculaire et ventriculaire, d’apprécier la
synchronisation auriculoventriculaire, de diagnostiquer des
extrasystoles et leur couplage (2, 4, 5, 7, 8). Il se fait habituellement à partir d’une coupe quatre cavités avec les parois auriculaires et ventriculaires ou avec la paroi atriale et une valve
auriculoventriculaire ou semi-lunaire.
MÉTHODE DE DÉTECTION DES TACHYCARDIES
SUPRAVENTRICULAIRES
Monitorage
L’auscultation cardiaque fœtale directe, réalisée à titre systématique dans le cadre des consultations de surveillance prénatale, permet de déceler les arythmies fœtales et les tachycardies. L’auscultation est réalisée sur l’abdomen maternel au
moyen d’un appareil ultrasonore à effet Doppler. Le tracé de
* Service de cardiologie pédiatrique, cardiologie A, hôpital de La TimoneEnfants, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille Cedex 05.
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Figure 1. Enregistrement en mode TM de l’aorte (AO) et de
l’oreillette gauche (OG) d’un fœtus en rythme sinusal. Le 3e battement (*) est une extrasystole supraventriculaire conduite alors que
le 7e battement (+) est une extrasystole bloquée suivie d’un repos
non compensateur.
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Échocardiographie-Doppler (figure 2)
Le Doppler pulsé permet l’analyse d’une arythmie si on
obtient sur le même enregistrement un flux auriculaire et ventriculaire, par exemple la valve mitrale et l’aorte sur une vue
cinq cavités en mettant le volume d’échantillonnage au voisinage de la continuité mitroaortique (4, 5, 7, 8). Dans le flux
transmitral, l’onde E correspond à l’ouverture de la valve
mitrale suivie par le remplissage ventriculaire passif alors que
l’onde A représente la systole auriculaire. Le flux d’éjection du
ventricule gauche correspond à la systole ventriculaire. De
nombreux autres enregistrements simultanés de cette synchronisation auriculoventriculaire sont possibles comme la veine
cave inférieure et l’aorte descendante, la veine cave supérieure
et l’aorte ascendante, artères et veine ombilicales, ou l’artère
pulmonaire et une des veines pulmonaires.
Figure 2. Enregistrement Doppler à la jonction mitroaortique du
même fœtus que sur la figure 1 confirmant le rythme sinusal avec
une onde E (ouverture mitrale) et A (systole auriculaire). Le 3e battement est une extrasystole supraventriculaire conduite, comme en
témoigne la systole ventriculaire qui la suit, en dessous de la ligne
de base.
Magnétocardiographie
Cet examen permet d’obtenir un enregistrement transabdominal
précis de l’ECG fœtal, au prix d’un équipement très sophistiqué, avec des capteurs électromagnétiques ultrasensibles (12).
Cette technique est une voie de recherche prometteuse mais
n’est pas encore applicable dans la pratique clinique courante.
INCIDENCE
Un à 2 % des grossesses présentent des arythmies, qui sont des
extrasystoles dans environ 75 % des cas (4). L’incidence de ces
dernières est probablement sous-estimée si on considère que
20 à 30 % des nouveau-nés ont une extrasystolie sur des enregistrements prolongés. Les tachycardies supraventriculaires
représentent environ 10 % des arythmies fœtales (5).
FACTEURS FAVORISANTS DES TACHYCARDIES
SUPRAVENTRICULAIRES
Facteurs maternels
Dans la plupart des cas, aucun facteur favorisant maternel n’est
retrouvé, bien que tout ce qui affecte le rythme cardiaque
maternel peut également affecter le rythme cardiaque fœtal.
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Les catécholamines maternelles passent la barrière fœto-placentaire, comme de nombreux médicaments et hormones. Les
changements de température sont également transmis au fœtus.
Ainsi, toute pathologie maternelle du type fièvre, déshydratation, ingestion de médicaments ou de toxiques, problème hormonal, peut favoriser la survenue d’arythmies fœtales.
Les extrasystoles supraventriculaires
Elles peuvent être auriculaires ou jonctionnelles. Elles peuvent
être suivies par une contraction ventriculaire, ou bloquées
lorsqu’elles surviennent très tôt dans le cycle cardiaque avec
une pause inférieure à deux cycles cardiaques (repos non compensateur). L’enregistrement TM ou Doppler permet de les
identifier et de distinguer leur caractère bloqué ou non (figures
1 et 2). Il ne permet pas de reconnaître leur site auriculaire ou
jonctionnel. Bénignes et isolées la plupart du temps, l’association à une tachycardie supraventriculaire est cependant retrouvée dans un à 6 % des cas, peut-être plus fréquemment en cas
d’extrasystoles bloquées (6). Les extrasystoles isolées ne justifient aucun traitement, hormis l’arrêt maternel du tabac, du
café ou de l’alcool, produits qui peuvent les favoriser (4). Elles
disparaissent spontanément le plus souvent durant la suite de la
grossesse ou en période néonatale. La surveillance préconisée
est un contrôle du rythme cardiaque fœtal, une à deux fois par
semaine, par un simple monitorage afin de détecter une éventuelle tachycardie (4). Cette surveillance peut être abolie en cas
de disparition des extrasystoles, ou renforcée si elles sont bloquées ou bien deviennent plus fréquentes avec bi- ou trigéminisme.
LES PRINCIPAUX TYPES DE TACHYCARDIES
SUPRAVENTRICULAIRES
Description et mécanisme
Le plus souvent par réentrée ou par un mécanisme automatique, la fréquence cardiaque est comprise entre en moyenne
220 et 320 bpm (figure 3, A et B). Dans 10 à 30 % des cas, la
fréquence auriculaire est plus rapide et un bloc auriculoventriculaire fonctionnel (conduction 2 : 1 ou beaucoup plus rarement 3 : 1) est présent. Ces tachycardies supraventriculaires
sont alors souvent appelées flutter auriculaires (4). Dans une
étude récente, la fréquence cardiaque auriculaire moyenne de
ces flutters était de 450 bpm pour une fréquence ventriculaire
moyenne de 224 bpm (7). La distinction avec les tachycardies
en conduction 1 : 1 se justifie, pour certains, par le retentissement plus important à type d’anasarque et l’inefficacité du traitement digitalique qui caractérise le flutter (7). La fibrillation
auriculaire est, quant à elle, rarissime.
Retentissement et pronostic
Les tachycardies supraventriculaires diminuent la diastole et
donc le remplissage ventriculaire sur des ventricules peu distensibles. La conséquence est une diminution du débit cardiaque avec élévation des pressions de remplissage ventriculaire, génératrice d’une anasarque dans environ 10 % des cas,
plus fréquemment en cas de trouble du rythme continu (4, 8).
La présence d’une anasarque et une anomalie structurelle car25
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A
A
B
B
Figure 3. Enregistrement TM (A) et du Doppler mitroaortique (B)
d’une tachycardie supraventriculaire à 283 bpm en mode 1 : 1 chez
un fœtus à 37 semaines. L’échographie cardiaque morphologique
montrera une communication interventriculaire associée. La tachycardie sera réduite en anténatal par de la digitoxine puis par de
l’amiodarone en postnatal en raison d’une récidive. La communication interventriculaire a été fermée chirurgicalement à l’âge de
6 mois. OG, oreillette gauche ; AO, aorte ; VD, ventricule droit.
diaque associée sont les principaux facteurs pronostiques des
tachycardies fœtales dont la mortalité est de 0 à 14 % (4, 7-9).
Des séquelles neurologiques, liées au bas débit cérébral, sont
également constatées dans la période postnatale chez 8 % des
patients (2, 7).
Prise en charge et traitement
Plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour le traitement de ces tachycardies : âge gestationnel, caractère soutenu
et durée de la tachycardie, mécanisme supposé de l’arythmie et
fréquence ventriculaire, existence d’une anasarque et son
importance, association à une anomalie structurelle (réalisation
systématique d’une échocardiographie morphologique fœtale).
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Figure 4. Doppler mitroaortique (A) chez un fœtus de 30 semaines
avec une tachycardie apparemment sinusale entre 190 et 210 bpm.
Aucun traitement ne sera donné compte tenu de la bonne tolérance.
Après un accouchement à terme par voie basse, l’ECG postnatal (B)
montre une tachycardie à 200 bpm d’apparence sinusale. L’injection d’ATP en créant un BAV 2 : 1 transitoire montrera qu’il s’agit
en fait d’une tachycardie atriale ectopique, actuellement traitée par
de l’amiodarone.
L’hospitalisation de la mère se discute en fonction des critères
de gravité. Elle est probablement souhaitable en cas de mauvaise tolérance fœtale avec anasarque. L’indication de traitement médicamenteux maternel est en général formelle en cas
de tachycardie soutenue quel que soit son retentissement, et en
cas de tachycardie discontinue avec anasarque (2, 4, 6, 7, 9).
Certains préconisent de traiter également les tachycardies discontinues sans anasarque, ce qui se justifie certainement
lorsque l’arythmie est présente sur plus de 50 % du temps
d’enregistrement (12). Le transfert placentaire des antiarythmiques donnés à la mère s’effectue le plus souvent par
diffusion passive de la forme libre du médicament. Après le
passage placentaire, la distribution des médicaments dépend de
la circulation fœtale qui ignore le foie, les poumons et expose
particulièrement le système nerveux central (13). Le traitement
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Tableau. Caractéristiques des principaux antiarythmiques utilisés.
Drogues
Digitoxine
Flécaïnide
Sotalol
Amiodarone
Doses quotidiennes
Effets secondaires
Taux thérapeutique
0,5-1mg i.v., 2 à 3 fois/j,
ajusté en fonction de la digoxinémie
150-400 mg per os en 2 prises
80-320 mg per os en 2 prises
1 200 à 2 000 mg per os pendant 2-7 j
en prise unique, puis 200-400 mg/j
Nausées, bradycardies, BAV
1,5-2,5 ng/ml
BAV, troubles visuels, rares décès in utero
Nausées, vertiges, asthénie
Nausées, dysthyroïdie, thrombopénie
0,2-1 mcg/ml
inconnu
0,7-2,8 mcg/ml
digitalique reste le plus utilisé (2, 4), en particulier en raison de
sa bonne tolérance et de l’absence d’effet tératogène.
Cependant, d’autres antiarythmiques plus efficaces, comme la
flécaïnide, lui sont de plus en plus souvent associés ou préférés
(3, 4), en particulier en cas d’anasarque présente dès le diagnostic. Les caractéristiques des principaux antiarythmiques
utilisés sont exposées sur le tableau. En cas d’échec de l’administration maternelle, la voie fœtale directe (au cordon surtout)
peut être utilisée mais reste hasardeuse compte tenu de la mauvaise connaissance de la pharmacocinétique fœtale. Une décision d’extraction doit parfois être prise, mais reste toujours un
compromis entre les risques de la prématurité et la mauvaise
tolérance fœtale de la tachycardie. Lorsque la tachycardie est
bien tolérée, l’accouchement doit toujours se faire normalement.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :
LES TACHYCARDIES SINUSALES
La tachycardie sinusale peut être distinguée d’une tachycardie supraventriculaire sur la fréquence cardiaque. Il est en
effet extrêmement rare qu’une tachycardie sinusale excède
210 bpm, alors que c’est le cas pour la plupart des tachycardies supraventriculaires. Certains cas, rares, de tachycardies
soutenues, diagnostiquées tardivement pendant la grossesse,
avec une fréquence cardiaque peu élevée (180 à 220 bpm),
peuvent correspondre à des tachycardies atriales ectopiques
(figure 4, A et B).
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B I B L I O G R A P H I Q U E S
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