La Prévention des lésions médullaires : aspects biologiques Docteur Alain PRIVAT Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale INSERM U 336, Université Montpellier 2 Toute agression contre le système nerveux central (cerveau et moelle épinière) se traduit, quelle qu'en soit l'origine, physique, chimique, infectieuse, traumatique, par des lésions initiales. Cellesci se traduisent par la destruction instantanée des neurones qui, dans l'état actuel de nos connaissances, ne peuvent pas être remplacés spontanément par le tissu nerveux, comme cela est le cas pour la plupart des autres tissus. Dans les minutes qui suivent cette lésion initiale, des lésions secondaires se développent qui, à partir d'un foyer limité, vont progressivement s'étendre concentriquement et aggraver considérablement le pronostic fonctionnel. Cela est particulièrement critique pour la moelle épinière, qui en raison de sa structure cylindrique, peut se trouver fonctionnellement interrompue par cette lésion secondaire (figure). L'utilisation de modèles expérimentaux, essentiellement le rat, mais aussi le chat et le singe, a permis de mettre en évidence le mécanisme des lésions secondaires et d'en analyser certaines des causes, L'une d'entre elles, qui est sans doute déterminante, est la libération rapide, au voisinage de la lésion initiale, d'une substance normalement utilisée par le système nerveux pour assurer la communication entre les neurones, le Glutamate. L'augmentation de la concentration de glutamate se traduit, dans la plupart des neurones, par l'ouverture de canaux situés leur surface qui vont laisser entrer le calcium, le sodium, l'eau, présents dans le milieu liquide dans lequel baignent les neurones. Ces derniers vont être littéralement "empoisonnés" par cet afflux brutal et certains d'entre eux vont exploser, libérant du glutamate, mais aussi d'autres substances toxiques. Ainsi cette "vague toxique" va se propager et s'amplifier jusqu'à ce qu'elle soit contenue et inactivée par les défenses propres au tissu nerveux. L'objectif des chercheurs est de lutter contre cette vague toxique aussi rapidement et aussi efficacementt que possible. Pour cela, des molécules originales ont été synthétisées dans les équipes de l'IRME, mais aussi dans de nombreux laboratoires en Europe, et aux Etats-Unis principalement. une famille de ces molécules s'est avérée efficace pour bloquer très rapidement les canaux activés par le glutamate, la famille des Phencyclidines. Il a été démontré, sur les modèles de lésion expérimentale chez le rat que les molécules, si elles sont injectées par voie intra-veineuse à l'animal dans les deux heures qui suivent la lésion, peuvent diminuer l'étendue finale de la destruction neuronale (zone grisée du schéma). Lésion cérébrale Lésion Secondaire Deux lésions identiques, l'une cérébrale, l'autre médullaire, ont des conséquences différentes : la lésion cérébrale peut être contournée par des axones intacts, la lésion médullaire bloque la transmission de toutes les informations en provenance du cerveau. Une expérimentation clinique a été conduite chez des traumatisés médullaires dans les conditions considérées comme optimales pour l'action de la molécule : intervention rapide, injection intra-veineuse, suivi clinique attentif. La grande difficulté de ces essais cliniques est constituée par la diversité des lésions, en fonction de leur siège; de leur étendue initiale, de l'état de santé antérieur de l 'accidenté, etc... tous éléments qui n'existent pas dans l'expérimentation animale opérant sur des animaux identiques avec des lésions précisément calibrées. Des études similaires, conduites à l'étranger avec d'autres molécules ont été souvent ininterprétables en raison d'une rigueur insuffisante dans la sélection des blessés : temps d'intervention trop long, prise en charge inégale suivant les centres, etc... L'étude actuelle conduite, à l'instigation de l'IRME, pourra, pour la première fois, quels que soient les résultats, évaluer l'efficacité d'une molécule "neuroprotectrice", dans des conditions aussi standardisées que le permettent les structures actuelles de relève des blessés en France. Elle permettra probablement, en comparant attentivement données expérimentales et données cliniques, de mettre au point d'autres molécules, agissant sur d'autres phénomènes toxiques que celui du glutamate. En raison de la rigueur de sa mise en oeuvre et de l'étroite collaboration entre cliniciens et chercheurs, cette étude pourra être utilisée par d'autres équipes à l'étranger pour améliorer les conditions de l'expérimentation animale et clinique. Des progrès dans ce domaine ne pourront être accomplis que grâce au dialogue incessant entre spécialistes aux compétences complémentaires et par une coordination internationale que l'IRME a unifiée, il y près de 10 ans, et qui se matérialise par des colloques dont le prochain aura lieu à Deauville, en Octobre 1998. Juillet 1998