les droits de l`homme sont bons Pour les affaires

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28∑interview
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Amnesty International. La secrétaire générale lance
la campagne mondiale «Exigeons la dignité».
Propos recueillis par
michel beuret
L
Actuels
a secrétaire générale d’Amnesty International était
invitée à Genève au Forum sur
la sécurité internationale, du 18
au 20 mai. Avec la publication
du Rapport 2009 démarre la
campagne mondiale «Exigeons
la dignité».
Le rapport 2009 d’Amnesty
International débute par l’Afrique. La situation des droits de
l’homme sur ce continent estelle pire qu’ailleurs?
En fait, l’Afrique arrive en premier pour des raisons alphabétiques mais le hasard fait que ce
continent est celui qui concentre les plus gros problèmes de
droits humains, bien qu’il soit
riche en ressources naturelles. Il
est remarquable que les pays
dont le sous-sol est le plus riche
sont aussi ceux où les populations vivent le plus pauvrement,
comme la République démocratique du Congo (RDC), le Soudan, la Guinée équatoriale ou
l’Angola. Dans tous ces pays, le
gap en matière de droits
humains est immense, aggravé
par des guerres oubliées, comme
en RDC, au Darfour ou en Somalie, un pays qui est entré dans
l’actualité avec les pirates, mais
où la situation à l’intérieur est
désespérée.
Que pensez-vous de la réponse
des pays développés à la crise
somalienne?
Elle n’est pas adéquate. La pression n’est pas assez forte et surtout ce n’est pas la bonne. On le
voit bien, les raisons économiques et les facteurs politiques
priment sur les droits de
l’homme. Or les problèmes ne
sont pas sur l’eau, mais sur terre,
enracinés dans une faible gouvernance, des abus de pouvoir et
la corruption.
La lecture du rapport est assez
déprimante. Diriez-vous que
globalement, la situation
empire sur le plan des droits de
l’homme ou y a-t-il de bonnes
nouvelles?
Oui, il y a de bonnes nouvelles
aussi. En matière de lutte contre
l’impunité, on a vu s’ouvrir le
premier procès touchant à la
du G20. Des progrès ont aussi
été faits pour renforcer le
contrôle des «armes légères».
Malgré tout, les problèmes restent bien plus importants. Et le
risque que nous voyons à
Amnesty est que la crise économique aggrave encore le déni de
droits économiques et sociaux,
qu’elle ne détourne l’attention
des gouvernements de la question des droits de l’homme. Certains pouvoirs sont devenus très
sensibles avec la crise et répriment plus durement encore les
manifestations.
Cette année, justement, marque
les 20 ans du massacre de Tianan men. Quel est le message
d’Amnesty à Pékin?
Ce que nous disons au Gouvernement chinois est que la Chine
est perçue comme une puissance
montante, en effet, et de ce fait,
en tant que leader
mondial, elle doit
On a coupé dans le filet
montrer de la crésocial et les droits humains dibilité et de la
Et cela
ont été sacrifiés au marché. légitimité.
viendra lorsque la
Chine souscrira
RDC devant la Cour pénale elle aussi aux valeurs mondiales
internationale. Au Sierra Leone de défense des droits humains
il y a eu aussi un tribunal spécial. dans sa politique étrangère. Je
Pour les Africains, c’est une pense que la Chine n’est pas
bonne nouvelle que justice soit imperméable à ces valeurs.
rendue. On voit aussi reculer la L’autre point sur lequel je veux
peine de mort, même si 78% des insister est que les affaires cherexécutions ont lieu dans les pays chent la stabilité. Et cette stabi-
quent un paquet d’aide pour
redémarrer l’économie telle
qu’elle était avant. Nous disons,
nous, que cette crise est une
opportunité pour les gouvernements d’adopter un regard plus
critique sur le système. Par le
passé, l’Etat s’était retiré du
monde financier et
l’on a vu ce que l’autoprofil
régulation a donné.
irene khan
L’Etat s’était aussi
1956 Naît à Dhaka
retiré d’autres sec(Bangladesh)
teurs: privatisation de
1978 Etudie
la sécurité, de l’éducale droit
tion, de la santé. Cela
à Manchester,
puis à Harvard.
n’est pas un problème
1980 Entre au
en soi. Le problème
service du Hautémerge lorsque les
Commissariat
gens n’ont plus accès
de l’ONU pour les
aux soins, à l’éducaréfugiés. Missions
en Inde et en extion ou à une eau
Yougoslavie.
salubre par exemple.
2001 Secrétaire
Ces dernières années,
générale
on a coupé dans le
d’Amnesty
filet social et les
International.
droits humains ont
été sacrifiés au marché. A présent l’Etat est obligé
de repenser son rôle et la crise
devrait l’encourager à investir
de manière similaire à l’économie, dans le secteur des droits
de l’homme. S’il ne le fait pas, le
fossé social va se creuser et l’on
verra apparaître des trous noirs
dans lesquels tout progrès va
disparaître: racisme, xénophobie, discrimination, violence
envers les femmes, prolifération de la violence comme on l’a
vu l’an passé en Afrique du
Sud.
Aux Etats-Unis, Barack Obama
a fait de nombreuses promesses
sur lesquelles il est revenu.
Avons-nous des raisons d’être
déçus?
Je dirais qu’il est trop tôt pour le
dire. Les premiers signes ont été
très positifs. Obama a décidé de
fermer Guantánamo, de dénoncer la torture, de déclassifier les
«mémos». Nous voudrions qu’il
aille plus loin et que l’on parle
aussi de la situation dans la prison de Bagram en Afghanistan,
où il y a davantage de prisonniers et dans une situation sans
doute plus difficile qu’à Guantánamo. Le plus dur, bien sûr, sera
d’obtenir une enquête indépendante et des poursuites pour les
responsables de tortures. Obama
tente de restaurer l’autorité
morale des Etats-Unis sur la
scène internationale et pour le
faire, il devra franchir ce pas-là.
Je crois que si l’on maintient la
pression, il y a une bonne chance
pour qu’il le fasse.
Obama a rencontré récemment
Benjamin Nétanyahou. Que
vous inspire le nouveau
Gouvernement israélien pour
l’avenir des droits de l’homme
dans la région?
L’expérience d’Amnesty jusqu’ici
est qu’aucun Gouvernement
israélien ne s’est montré intéressé à une enquête indépendante sur les crimes de guerre
dans les territoires occupés.
Amnesty la demande depuis des
années, en vain. Mais je pense
que les récents événements de
Gaza ont bouleversé l’opinion
publique. Je constate que la pression internationale est très forte
pour qu’une enquête indépenL’Hebdo 28 mai 2009
dante soit menée. L’actuel blocus
de Gaza est déplorable et la
situation en Cisjordanie reste
très mauvaise également. La
liberté de mouvement y est
presque nulle. Dans ce genre de
situation, on ne peut s’attendre
à un processus de paix.
28 mai 2009 L’Hebdo
Vous l’avez dit, votre conviction
est que la croissance économique dépend de la stabilité
sociale. Pensez-vous que cette
idée est entendue par les leaders des pays de l’OCDE?
Non, pas assez. Ce que l’on voit
pour l’instant c’est qu’ils fabri-
Comment mettre ces idées en
pratique?
Il faut une mobilisation plus
forte de l’opinion publique,
comme celle qui a eu lieu lors du
G20 à Londres. Ceux qui sont
descendus dans la rue n’étaient
pas des manifestants antimondialisation classiques, mais des
gens qui ont pris conscience que
nous vivons dans une économie
mondialisée fondée sur un système de croissance très fragile
pour protéger les droits
humains. Ceci implique que les
gens ordinaires doivent faire
savoir à leurs gouvernements
qu’ils veulent un nouveau système. C’est dans ce but qu’Amnesty International lance
aujourd’hui sa campagne pour
la dignité (Demand Dignity
Campaign), centrée sur le thème
de la pauvreté et les droits de
l’homme.
L’un des premiers droits de
l’homme est d’avoir un toit.
Vous êtes née au Bangladesh,
un pays menacé par la montée
des eaux. Le rapport 2009 dit
peu de chose sur les réfugiés
climatiques. N’est-ce pas
encore un enjeu? Si, cela est devenu un enjeu et la
communauté internationale des
droits de l’homme commence à
le réaliser. Les conflits au Darfour et en Somalie reposent tous
deux sur des écosystèmes fragiles. Les causes de ces conflits
sont liées à la désertification, à
la lutte pour la terre. On verra de
plus en plus ce genre de situation. L’impact climatique va
aussi provoquer des déplacements de personnes et les problèmes de droits humains qui
vont avec, parfois insoupçonnés.
En certains endroits par exemple, les femmes devront s’aventurer plus loin pour trouver de
l’eau ou du bois et s’exposer
davantage à des zones d’insécurité. C’est pourquoi, à Amnesty,
nous parlons aujourd’hui avec
d’autres organisations et
menons campagne avec elles
pour le Global Climate Change
Action. Dans le domaine de la
société civile, les agendas commencent, on le voit, à s’intégrer
mutuellement. Les gens qui travaillent dans le développement,
l’environnement, les droits de
l’homme, savent qu’ils doivent
avoir une vue intégrée pour trouver des solutions aujourd’hui. On
ne peut plus travailler chacun
dans son coin.√
Actuels
Les droits de
l’homme sont bons
pour les affaires
lité ne peut venir que là où la
justice et les droits de l’homme
sont respectés. En ce sens, les
droits de l’homme sont bons
pour les affaires. Et c’est un autre
argument que nous donnons
aux Chinois qui investissent
aujourd’hui en Afrique.
mychele daniau Afp
irEne Khan
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