Québec Pharmacie vol. 48, no6, juin 2001 481
présence d’une hépatite d’origine
virale. Un test de dépistage d’intoxi-
cation à l’acétaminophène ou l’alcool
s’est révélé négatif. De plus, on
procède à un test pour le dépistage
d’anticorps antinucléaires (ANA) afin
de vérifier la possibilité d’une hépatite
auto-immune.
Au jour 3, les tests ANA et de
virologie s’avèrent négatifs (voir le
tableau III). L’état de la patiente se
détériore : le taux d’enzymes hépa-
tiques augmente et une coagulopathie
s’installe. On introduit alors la
vitamine K, qu’on administrera par
voie sous-cutanée à raison de 10 mg
une fois par jour pendant trois jours.
La patiente vomit un liquide verdâtre :
on lui donne du dimenhydrinate
PO/IV, 25-50 mg toutes les quatre à
six heures, au besoin. Une échogra-
phie abdominale révèle une légère
dilatation ductale intra-hépatique;
rien n’indique la présence d’une
tumeur de Klatskin ou d’une pierre
biliaire ductale.
Le jour 4, l’état de la patiente
s’est encore détérioré: une encéphalo-
pathie hépatique (grade I à II) s’est
ajoutée à la coagulopathie. La
patiente présente de l’astérixis, de
l’ataxie et de la confusion (elle dit se
sentir sur un nuage). On introduit le
lactulose p.o. à raison de 30 ml stat
puis 30 ml toutes les trois heures
jusqu’à deux selles par jour ainsi que
le métronidazole (FlagylMD), 500 mg
p.o. trois fois par jour.
Le jour 5 à 2 h, G. B. est trans-
férée à un autre centre hospitalier;
elle recevra une greffe de foie le lende-
main, jour où son mari décède.
Discussion
Lorsque l’insuffisance hépa-
tique progresse rapidement au
cours des deux à trois semaines
suivant le début des symptômes, on
parle d’insuffisance hépatique
fulminante(4). Plusieurs causes sont
possibles, mais les principales sont :
l’hépatite virale (de 50 à 65 %) et
l’hépatite d’origine médicamenteuse
ou causée par des substances
toxiques (de 25 à 30 %)(4). L’hépatite
d’origine médicamenteuse est de
deux types : prévisible et fonction
de la dose ou idiosyncrasique et
non fonction de la dose. Il est à
noter que les lésions hépatiques
peuvent être de même type dans les
deux cas. Toutefois, les réactions
idiosyncrasiques ont tendance à
survenir au cours des premiers
jours ou des premières semaines de
traitement; de plus, elles sont rares,
intenses et souvent décrites comme
une hypersensibilité hépatique au
médicament(5). L’insuffisance hépa-
tique, ou cirrhose, peut mener à
plusieurs complications médicales
incluant l’ictère, l’hypertension
portale (ascite, œdème,
hépatosplénomégalie, rupture des
varices œsophagiennes),
neuropathies périphériques,
encéphalopathie hépatique,
syndrome hépato-rénal et autres
problèmes d’ordre infectieux.
Imputabilité
Il est difficile d’établir avec
certitude un lien entre l’hépatotoxi-
cité fulminante et la néfazodone
puisque la réintroduction du
médicament était impossible. On
sait toutefois que la patiente ne
présentait aucune maladie ou
antécédent pouvant causer une
insuffisance hépatique. Une intoxi-
cation à l’acétaminophène a été
exclue et les tests de virologie n’ont
pas révélé une hépatite virale. Par
ailleurs, le test de dépistage des
anticorps antinucléaires (ANA) s’est
révélé négatif, ce qui exclut la
possibilité d’une hépatite auto-
immune. Pour ce qui est des causes
probables d’origine médica-
menteuse, on ne note que l’intro-
duction récente de néfazodone, de
pénicilline et d’ArtécholMD. Des cas
de lésions hépatiques ont déjà été
associés à la pénicilline(6). Cepen-
dant, l’état des patients s’améliorait
dès l’arrêt du traitement(6). G. B.
avait terminé son traitement à la
pénicilline depuis une semaine et
ses symptômes s’étaient accrus par
la suite. Par contre, elle prenait
ArtécholMD depuis une semaine
pour un épisode de douleur épigas-
trique, ce qui nous laisse croire que
l’hépatotoxicité était déjà en train
de s’installer et que la prise d’Arté-
cholMD visait à traiter ces symptô-
mes. L’artichaut, un des ingrédients
actifs du médicament, ne semble
pas causer de problèmes hépatiques
particuliers (mais il est contre-
indiqué en présence d’obstruction
biliaire ou d’hépatite active)(7, 8). En
ce qui a trait à la néfazodone, qui a
été introduite trois semaines avant
l’admission de la patiente à l’urgen-
ce, précisons qu’au moins cinq cas
d’insuffisance hépatique grave ont
été associés à cet agent(6). Cette
toxicité hépatique s’explique par
une pharmacocinétique non
linéaire, un métabolisme hépatique
étendu, une diminution de la
clairance hépatique chez les
personnes âgées et une structure
apparentée à celle de la trazodone
(DésyrelMD), dont les effets hépato-
toxiques sont bien connus(6). En
effet, le métabolisme hépatique de
la partie m-chlorophenylpipérazine
Pharmacovigilance L’insuffisance hépatique grave associée à la néfazodone (SerzoneMD)
Tableau III
Tests virologiques et immunologiques
Tests effectués
Anti-hep A IgM AB
Anti-hep A Total AB
Anti-hep B Core AB
Anti-hep C virus AB
CMV IgG AB
Mono (EBV)
ANA
Résultats
Négatif
Négatif
Négatif
Négatif
Négatif
Négatif
Négatif
Tableau II
Profil pharmacologique
Médicament
SerzoneMD (néfazodone)
ProveraMD (médroxyprogestérone)
PremarinMD (œstrogènes conjugués)
AvaproMD (irbesartan)
SynthroidMD (lévothyroxine)
Apo-Clonazépam
Posologie
100 mg p.o. BID
2,5 mg p.o. DIE
0,625 mg p.o. DIE
150 mg p.o. DIE
150 mcg p.o. DIE
0,5 mg p.o. QHS PRN
À l'admission
Retiré
Retiré
Retiré
Retiré
Maintenu
Maintenu