Exercices de Théorie Quantique des Champs II Séance 3 : Intégrales fonctionnelles en physique statistique Rappels : Les intégrales de chemin ne sont pas confinées à la mécanique quantique et à la théorie des champs. Au contraire, leur champ d’applications est remarquablement large, puisqu’elles peuvent s’utiliser dès que des variables évoluent de manière aléatoire dans le temps et/ou dans l’espace. En mécanique quantique, ces variables sont les variables de Lagrange ; mais les processus stochastiques, la physique statistique et la finance sont autant de domaines où les intégrales de chemin jouent un rôle important. Le but de cette séance est de vous montrer quelques applications amusantes des intégrales de chemin en physique statistique. Ceci sera utile, d’une part, pour vous apporter un nouveau regard vis-àvis de la physique statistique, où les fluctuations thermiques deviennent l’analogue des fluctuations quantiques ; d’autre part, cela développera votre intuition des phénomènes quantiques comme étant des phénomènes statistiques dont la “température” est d’ordre ~. I. Mouvement brownien et équation de la chaleur 1. On considère une particule se mouvant de manière aléatoire le long de la droite réelle R. La particule change de position par pas de temps ∆t discrets ; si elle se trouvait à la position xj au temps tj , alors on demande que la distribution de probabilité pour la position xj+1 adoptée au temps tj + ∆t ≡ tj+1 soit une gaussienne centrée en xj et d’écart-type σ : " # (xj+1 − xj )2 1 exp − . (1) p(xj+1 , xj ) = √ 2σ 2 2πσ 2 On supposera que x0 = 0, c’est-à-dire que la position initiale de la particule est l’origine. On se demande alors quelle est la densité de probabilité p(x, N ) pour que la particule se trouve à une position x au temps N ∆t. (a) Montrez que cette densité de probabilité peut s’écrire comme l’intégrale suivante : " N −1 # Z NY −1 X (xk+1 − xk )2 dxj 1 √ exp − , (2) p(x, N ) = √ 2σ 2 2πσ 2 2πσ 2 j=1 k=0 où x0 ≡ 0 et xN ≡ x. (b) Montrez, par récurrence, que l’intégrale (2) vaut 1 x2 p(x, N ) = √ exp − 2 . 2σ N 2πσ 2 N (3) √ Ainsi, p(x, N ) est une gaussienne centrée en 0, d’écart-type σ N . (c) Déduisez-en l’espérance du carré de la distance parcourue par la particule en un temps N ∆t. 1 (d) Supposons qu’on veuille prendre la limite N → +∞ de l’expression (3). Montrez que cette limite n’a de sens qu’à condition de prendre en même temps σ 2 → 0 en gardant fixe le produit σ 2 N . Ainsi, la limite N → +∞ n’a de sens que si les gaussiennes individuelles (1) sont parfaitement localisées. (e) Cette propriété de la limite N → +∞ vous rappelle-t-elle une propriété analogue en mécanique quantique ? Quel était, en mécanique quantique, “l’écarttype” qu’on faisait tendre vers zéro pour avoir un résultat fini ? 2. On étudie maintenant l’équation de la chaleur sur la droite réelle : ∂ 2T ∂T (x, t) = κ 2 (x, t), ∂t ∂x κ > 0. (a) Introduisez la transformée de Fourier Z T̃ (p, t) ≡ dxeipx T (x, t) du champ de température T . Quel est l’inverse de cette transformation ? (C’està-dire : comment écrire T (x, t) comme une intégrale de T̃ (p, t) ?) (b) Montrez que, pour ∆t très petit, l’équation de la chaleur permet d’écrire Z Z dp ip(x−x0 )−κp2 ∆t 0 e T (x, t). (4) T (x , t + ∆t) ' dx 2π (c) En adaptant un argument du type “discrétisation du temps” (comme celui utilisé dans la séance précédente pour les intégrales de chemin), généraliser le résultat (4) au cas d’un intervalle de temps fini. Montrer que la solution T (x0 , t0 ) de l’équation de la chaleur pour une condition initiale T (x, t) peut s’écrire comme Z 0 0 T (x , t ) = dxD(x0 , t0 ; x, t)T (x, t) avec le “propagateur” D(x0 , t0 ; x, t) ≡ lim N →+∞ " # Z Y N N X dpk xk+1 − xk dxj exp ∆t ipk − κp2k , 2π ∆t j=1 k=0 k=0 Z Y N où ∆t ≡ (t0 − t)/(N + 1), x0 ≡ x et xN +1 ≡ x0 . (d) Calculer explicitement ce propagateur et l’écrire comme une fonction de x0 , t0 , x et t. (e) En déduire la solution de l’équation de la chaleur pour une configuration initiale gaussienne. Montrer que l’écart-type de la solution croı̂t comme la racine carrée du temps écoulé depuis le temps initial. (f) Ceci vous rappelle-t-il quelque chose que vous avez vu en mécanique quantique ? (Pensez à la particule libre sur une droite.) Comment croissait l’écart-type de la distribution de probabilité quantique associée à une fonction d’onde initiale gaussienne ? Est-ce le même type de croissance que pour l’équation de la chaleur ? 2 II. Physique statistique Soit H l’espace d’états d’un système quantique, muni d’un hamiltonien Ĥ. On rappelle que la fonction de partition de ce système est la quantité o n (5) Z(β) ≡ Tr e−β Ĥ , où la trace est prise sur H et où β ≡ 1/kB T est l’inverse de la température T , à la constante de Boltzmann kB près. 1. Généralités : (a) Supposons que les valeurs propres de Ĥ sont discrètes ; notons-les En (n ∈ N) et notons ∆n la dégénérescence de la valeur propre En . Que vaut alors la fonction de partition (5) en termes des En et des ∆n ? (b) Supposons maintenant que H est l’espace d’états d’une particule se mouvant le long de la droite réelle R et que Ĥ est une fonction des opérateurs P̂ et Q̂. Montrez que la fonction de partition (5) peut s’écrire comme l’intégrale de chemin discrétisée ! ! Z N Z Y N Y dpk × Z(β) = lim dqj N →+∞ 2π~ j=0 k=0 " # N ∆tE X qk+1 − qk × exp − + H (qk+1 , pk ) , (6) −ipk ~ k=0 ∆tE où ∆tE ≡ β~/(N + 1) et qN +1 ≡ q0 ; H(q, p) désigne le symbole q − p de l’hamiltonien. (c) Soit τ une coordonnée temporelle ; on introduit le temps euclidien correspondant, τE ≡ iτ . Soit aussi H(q, p) l’hamiltonien (classique) d’un système ; on définit l’action hamiltonienne euclidienne associée par Z dq + H(q, p) . SH,E [q, p] ≡ dτE −ip dτE Montrez (en admettant que cette limite a un sens) que la limite continue de (6) s’écrit I h i Z(β) = DqDp exp − SH,E [q, p] /~ , où l’intégrale de chemin est prise sur les chemins (q(τE ), p(τE )) périodiques, de période β~. Les mesures Dq et Dp sont les mêmes que celles introduites dans la séance précédente, sauf que maintenant il y a autant d’intégrales sur q que sur p. (d) Supposons que l’hamiltonien est de la forme 1 2 Ĥ = P̂ + V (Q̂). 2m Montrez, en intégrant sur les impulsions, que l’expression (6) se réduit alors à ! (N +1)/2 Z Y N m Z(β) = lim dqj × N →+∞ 2π~∆tE j=0 " !# 2 N ∆tE X m qk+1 − qk × exp − + V (qk+1 ) . (7) ~ k=0 2 ∆tE 3 (e) Quelle est la limite continue de l’expression (7) ? (En admettant que cette limite a un sens...) (f) Si hq 0 , t0 |q, ti représente l’amplitude de propagation quantique considérée dans la séance précédente, montrez que Z Z(β) = dqhq, −iβ~|q, 0i, (8) où hq, −iβ~|q, 0i représente l’amplitude hq, t|q, 0i évaluée en t = −iβ~. 2. A la séance précédente, nous avons dérivé l’expression du propagateur d’une particule libre à une dimension : 1/2 me−iπ/2 im(q 0 − q)2 0 0 hq , t |q, ti = exp . 2π~(t0 − t) 2~(t0 − t) On admettra que la généralisation de cette expression au cas d’une particule libre à trois dimensions (décrite par un vecteur position ~q ) est " # 3/2 2 0 −iπ/2 im k~ q − ~ q k me . exp h~q 0 , t0 |~q, ti = 2π~(t0 − t) 2~(t0 − t) (a) Utilisez la formule (8) (généralisée au cas d’une particule se mouvant en trois dimensions) pour calculer la fonction de partition pour une particule libre en trois dimensions, confinée à un volume V . (b) Déduisez-en l’expression de la fonction de partition ZN (β) pour un système de N particules libres indiscernables à trois dimensions. (c) Pour un système statistique décrit par une fonction de partition Z, l’énergie libre de Helmholtz est définie comme F ≡ −kB T ln(Z), et la pression du système est donnée par p ≡ −∂F/∂V, où V est le volume du système. Montrez que, pour N particules libres indiscernables à trois dimensions, pV = N kB T. 3. Dans la séance précédente, nous avons dérivé le propagateur d’un oscillateur harmonique à une dimension : 0 hq , t|q, 0i = mω 2πi~ sin(ωt) 1/2 imω exp 2~ sin(ωt) 02 q +q 2 cos(ωt) − 2qq 0 . (a) Soit x ∈ R. Montrez que sin(−ix) = −i sinh(x) et que cos(−ix) = cosh(x). (b) Utilisez la formule (8) pour calculer la fonction de partition d’un oscillateur harmonique à une dimension. 4 (c) Soit {En |n ∈ N} le spectre de l’hamiltonien de l’oscillateur harmonique. Evaluez la somme +∞ X e−βEn . n=0 Ceci devrait confirmer le résultat du point précédent. (d) On rappelle que l’énergie moyenne d’un système décrit par une fonction de partition Z(β) est ∂ ln(Z) . hEi = − ∂β Montrez que l’énergie moyenne d’un oscillateur harmonique de température T est ~ω ~ω hEi = cotanh . 2 2kB T Déduisez-en que hEi ' ~ω/2 à basse température. Sens physique de ce résultat ? 5