1. Les dimensions économiques
et sociales
Depuis quelques années, de nombreux
sociologues dénoncent un paradoxe surpre-
nant: dans les sociétés où la sécurité ali-
mentaire atteint un niveau inégalé, un senti-
ment croissant d’inconfort, d’anxiété, de
doute, voire de peur à l’égard des aliments
et de leur consommation, anime un nombre
croissant d’individus (Poulain, 2002;
Fischler, 2001). Certains chercheurs consi-
dèrent que l’origine de cette nouvelle forme
de peur est due à une violation perçue de
l’ordre naturel du processus alimentaire.
Selon Merdji (2002), dans le débat sur les
OGM, ce n’est ni la modification du goût,
de l’aspect ou de la sécurité qui est en jeu.
C’est l’intrusion exogène et froidement
scientifique de la technologie dans la chaîne
du vivant et du naturel qui révulserait
nombre de personnes. C’est le savoir-faire
lentement accumulé par l’humanité qui
semblerait en danger. Pour d’autres
chercheurs, le mythe du progrès n’est pas
considéré comme la panacée. Paradoxale-
ment, alors que les chaînes alimentaires
sont soumises aux plus rigoureux des
contrôles d’hygiène, le sentiment de risque
est plus fort que dans l’achat de produits
alimentaires à un commerçant local qui
fabrique ses produits artisanalement. Selon
Pynson (1993), il y aurait ainsi un écart
important entre la sophistication des pro-
cessus de production industrielle mis en
œuvre (par exemple, l’ultrafiltration, la
VSM ou viande séparée mécaniquement) et
la représentation mentale que se fait le
consommateur de la fabrication de ces ali-
ments. Ainsi, le produit alimentaire acquiert
une symbolique sociale qui l’éloigne de son
sens alimentaire. Le cheval ou le lapin
domestiqués, deviennent des compagnons
symboliques qu’il est difficile de manger.
Et toutes les meilleures campagnes de com-
munication auront de la difficulté à freiner
cette tendance. Le marketing publicitaire
n’a pas d’autres choix que d’y substituer
une symbolique artificiellement construite
(Lahlou, 1998). Jamais les publicistes n’au-
ront autant construit d’images d’Épinal
autour des thèmes de la campagne, de la
nature, des vaches ou des moutons, pour
vanter les mérites de produits parfaitement
usinés et souvent artificiellement reconsti-
tués.
Parallèlement, les disparités en matière ali-
mentaire sont importantes au sein de la
même population. L’attitude face à l’ali-
mentation paraît d’abord fortement influen-
cée par les facteurs économiques. Ainsi,
l’obésité a augmenté de 50% chez les
hommes et de 100 % chez les femmes des
classes sociales IV et V par rapport à ceux
des catégories I et II en 10 ans en Angle-
terre (White et al., 1993). De très nom-
breuses études montrent que les individus
ayant de faibles revenus économiques ont
tendance à adopter des conduites à risque
face à l’alimentation. Par exemple, le
revenu discrétionnaire des personnes à
faible revenu serait d’abord utilisé à l’al-
cool et au tabac avant d’être consacré à
l’alimentation. Par ailleurs, elles seraient
peu sensibles à cet aspect de prise en charge
individuelle, et c’est ainsi la population
noire du sud des États-Unis qui est signifi-
cativement le plus en danger alimentaire
par rapport au reste de la population du
pays. Ainsi, les personnes à faible revenu et
éducation seraient peu sensibles à des
facettes du risque alimentaire classique,
telles que le risque financier, physique,
Le risque alimentaire perçu comme risque de consommation 129
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