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Raisons Politiques inaugure dans ce numéro une nouvelle rubrique, le Forum.
La rédaction la conçoit comme un espace de dialogue continu sur un thème,
un concept ou un mouvement en lien avec la théorie politique. Un espace de
débat sur l’identité, la recherche et l’enseignement de la théorie politique en
France et ailleurs. Un lieu de discussion sur les relations entre la théorie poli-
tique et les autres sciences humaines et sociales. C’est une rubrique ouverte
qui accueillera des contributions sur notre discipline plutôt que des articles qui
relèvent de la discipline.
Reconnue dans la plupart des universités anglo-saxonnes, la théorie poli-
tique est encore peu enseignée en France. Elle ne souffre pas d’une identité
imprécise, elle se heurte plutôt à la rigidité du monde académique où les dis-
ciplines sont clairement définies, d’un mot ou d’une phrase : la sociologie étudie
les faits sociaux, compris comme des choses (Durkheim), ce qui la distingue
de la philosophie ; la philosophie est l’art d’inventer des concepts (Deleuze),
ce qui la distingue des autres disciplines.
La théorie politique n’a pas cette concision. Elle ne la recherche pas d’ail-
leurs, attentive qu’elle est à ce que chacun de ces versants peut avoir d’impor-
tant pour l’autre. Elle noue ce qui est et ce qui peut ou doit être. Par son
attention au réel, elle dialogue avec les sciences sociales ; par son exigence de
normativité, elle s’apparente à la philosophie.
La théorie politique se situe ainsi dans un lieu original où les routes se
conjoignent plus qu’elles ne se croisent. Elle n’est pas simplement à la rencontre
ou au carrefour, elle ne met pas sur le même plan le concept et le fait, elle
interroge le fait par le concept et, pour cette raison, elle entretient une amitié
particulière, à vrai dire indissoluble, avec la philosophie politique.
Où classerions-nous Aristote, Machiavel, Rousseau ou Stuart Mill ? Parmi
les philosophes ? Les théoriciens du politique ? Sommes-nous plus proches de
Leo Strauss, qui oppose au nihilisme des sciences sociales la vérité de la phi-
losophie ? De Hannah Arendt, qui tisse un lien solide entre la philosophie et
l’histoire ? Les deux à l’évidence appartiennent au corpus de la discipline par
leur manière d’interroger les grands textes au-delà de leur contexte de produc-
tion. Les deux trouvent dans la tradition cachée (Arendt) ou dans le libéralisme
des Anciens (Strauss) notre meilleure assurance pour comprendre le réel, pour
enrichir, contrarier ou renverser les institutions de notre temps.
Ainsi armé, le théoricien du politique déplace les points de vue au gré de
ses interrogations. Raymond Aron était-il philosophe ? Était-il sociologue, ou
historien ? Aucune de ces propositions ne rend pleinement justice à son par-
cours. Il était l’un et l’autre, l’un et les autres. Théoricien du politique ? Il ne
le disait pas clairement, mais il l’était sans doute comme l’est aujourd’hui la
longue tradition américaine inaugurée par Rawls.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Institut d'Etudes Politiques de Paris - - 193.54.67.93 - 13/12/2016 14h44. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)
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