- © PUF - 29 juillet 2013 10:21 PM ‑ L’Année sociologique vol. 63/2013 - n° 2 ‑ Collectif ‑ L’Année sociologique ‑ 135 x 215 ‑ page 345 / 530 Introduction Michel Dubois Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 25/01/2014 13h31. © P.U.F. « La science est, après tout, une activité sociale »1. La formule inaugurale de Robert K. Merton date de 1938. Elle résume bien tant l’orientation que la part d’hésitation caractéristique du projet initial de la sociologie des sciences. Elle indique la voie empruntée depuis par des générations successives de sociologues d’abord américains puis européens : étudier la science non pas seulement comme un ensemble de méthodes, de procédures ou de savoirs certifiés, mais également et surtout comme une activité sociale à part entière. Et ce rétrospectivement avec un succès indéniable : la sociologie des sciences est aujourd’hui non seulement une spécialité bien établie, mais une composante majeure d’un domaine interdisciplinaire – les Science and Technology Studies (STS) – qui fédère des milliers de chercheurs à travers le monde. La formule souligne également, avec un simple adverbe, qu’une telle perspective n’a pas le statut de l’évidence. Il revient au sociologue de l’établir… « après tout », une fois notamment soupesé le degré de validité des discours préexistants sur la science : ceux des historiens et des philosophes, mais également ceux des scientifiques eux-mêmes. Or, que peut bien avoir de si important à dire le sociologue des sciences qui ne puisse être dit par les uns ou par les autres ? En quoi le fait d’affirmer que la science est, après tout, une activité sociale consiste-t-il à dire autre chose qu’une banalité – il n’y aurait donc de science qu’en société, la belle affaire !– ou qu’une 1. Merton, 1938, p. 584. L’année sociologique, 2013, 63, n° 2, p. 345-357 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 25/01/2014 13h31. © P.U.F. 530 30 - © PUF - 29 juillet 2013 10:21 PM ‑ L’Année sociologique vol. 63/2013 - n° 2 ‑ Collectif ‑ L’Année sociologique ‑ 135 x 215 ‑ page 346 / 530 Michel Dubois Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 25/01/2014 13h31. © P.U.F. futilité – à quoi bon restituer l’« arrière-cuisine » de la science, celle-ci ne se suffit-elle donc pas à elle-même ? Ainsi que le rappelait Jean-Michel Berthelot (2008), il existe autant de façons de répondre à cette double interrogation que de façons de définir la science comme activité sociale. La controverse qui agite cycliquement depuis trente ans la sociologie des sciences autour de la démarcation de la science l’illustre abondamment. La polarité de cette controverse peut être rappelée ici à grands traits. D’un côté la thèse selon laquelle le caractère social de l’activité scientifique n’est ni banal ni futile dans la mesure où il représente la condition nécessaire de l’autonomie, sinon absolue du moins relative, de la science et de ses produits. Le social s’apparente ici à un état et/ou un processus collectif – interactionnel, organisationnel, normatif – dont la spécificité est indissociable de celle des produits de l’activité scientifique comme de la légitimité du « pouvoir social » des scientifiques. De l’autre, la thèse selon laquelle le caractère social de l’activité scientifique ne peut être ni banal ni futile dans la mesure où il fait l’objet d’un travail systématique d’occultation de la part des scientifiques. Une fois « dévoilé » par le sociologue, il permet d’en finir définitivement avec l’« illusion » d’une autonomie de la science et de la communauté scientifique. Le social s’apparente là encore à un état et/ou un processus collectif, mais dont l’absence de spécificité ne peut qu’alimenter tant le scepticisme quant à celle des produits de l’activité scientifique que la critique du « pouvoir social » des scientifiques. Cette controverse a été reconstituée dans ses grandes lignes historiques et épistémologiques (Stehr, 1978 ; Ben-David, 1991 ; Boudon, Clavelin, 1994 ; Dubois, 2001 ; Raynaud, 2003 ; Shinn, Ragouet, 2005 ; Evans, 2005). La sociologie des sciences nordaméricaine – en particulier celle développée en contact direct ou indirect avec les départements de sociologie des universités de Harvard ou de Columbia dans la seconde moitié du xxe siècle – incarne traditionnellement le pôle centré sur l’idée d’une autonomie de la science. Pour mémoire on peut évoquer rapidement quelques figures sociologiques classiques. Dans le sillage des variantes du fonctionnalisme incarnées par Parsons et Merton, B. Barber (1953) affirme par exemple que « la science conserve une marge d’indépendance, comme toutes les autres parties de la société, parce qu’elle possède sa propre structure interne et un principe d’action qui lui est propre ». Parmi les éléments qui garantissent l’« autonomie relative de la science » il faut compter certes Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 25/01/2014 13h31. © P.U.F. 346 29 jui