1. Comment peut-on, en cette inauguration
du XXIesiècle, imaginer que notre planète
puisse supporter six, et bientôt, huit ou dix
milliards d’individus, tous vivants pour la
croissance maximale, tous en compétition
contre tous, et tous atteignant des niveaux
de vie comparables ou supérieurs à ceux
des plus nantis?
2. Les nations et les États, et leurs poli-
tiques économiques, peuvent-ils être mis
sur le même pied, institutionnellement,
intellectuellement, éthiquement, morale-
ment, socialement, politiquement, qu’une
firme ou une entreprise, quelle qu’elle soit?
L’État-business peut-il être une catégorie de
pensée ou un fondement d’action collec-
tive? ou même, un idéal type théorique-
ment formulable? Les objectifs des États
ou des nations sont-ils réductibles à des
recherches d’avantages, de gains, de profi-
tabilité financière?
3. Le simplisme du modèle du « losange à
quatre variables » peut-il rendre compte de
l’énorme complexité des faits et processus
réels dont on parle?
4. La mondialisation de l’économie dont
Porter endosse le credo, n’a-t-elle décidé-
ment rien à voir avec la phase impérialiste
du capital, la phase néocolonialiste de la
géopolitique mondiale d’après guerre?
5. Peut-on par ailleurs négliger, ignorer,
rejeter toutes les troublantes analyses des
tiers-mondistes et ne tenir aucun compte
des « dualismes » criants qui affectent les
pays non développés?
6. Ne faire aucun cas de l’inégalité flagrante
de l’évolution des termes de l’échange entre
Nord et Sud? de la polarisation de la pla-
nète, pour reprendre la terminologie de
Samir Amin, en centres qui concentrent,
absorbent sans cesse les capitaux, et en
périphéries, qui font les frais de cette
absorption?
7. Peut-on sérieusement faire l’hypothèse
que la domination de fait, que nous vivons
de plus en plus chaque jour, de l’économie
planétaire par les multinationales et les
transnationales « fusionnant » puisse favo-
riser la concurrence et la compétitivité?
8. Le libre échange, tel que conçu sous le
système « portérien », ne serait donc qu’une
course à la domination de l’autre, appelée
« compétitivité », ne supposant que rivalités
et luttes, dans une mondialisation conçue
comme une expansion, depuis les frontières
nationales vers l’ensemble de la planète,
des champs de batailles entre firmes? le
tout sur le modèle américain?
9. La logique financière maximaliste du mar-
ché autorégulé du capitalisme à l’américaine
est-elle à mettre sur le même pied que celle
du « marché social étatiquement régulé » du
capitalisme industriel à l’allemande ou à la
japonaise? Pourtant, Porter cite et prend
indifféremment comme exemples, des entre-
prises américaines, anglaises, suédoises,
allemandes, japonaises…
10. Le terme « avantage » lui-même, est-il
un concept neutre, quand on sait combien le
jeu est inégal entre pays nantis et pays dits
en développement, entre pays producteurs
de matières de bases et pays détenteurs de
hautes technologies, entre toutes puissantes
multinationales et États du tiers-monde?
11. Comment peut-on, à l’instar de M. Por-
ter, faire l’hypothèse – au moins implicite –
que cette arène mondiale dénommée « mar-
ché », est un laboratoire transparent et asep-
tisé, sans maffias, sans corruptions, sans
collusions entre géants… où les joueurs
sont tous honnêtes, égaux devant les ins-
tances internationales, fair-play ne comp-
tant que sur des « avantages » venant, soit
Faut-il brûler Michael Porter? 221
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