Philosophie dernière

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David Pradalié
Philosophie
dernière
Principes premiers
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Avant-propos
La philosophie ne s’enseigne pas. Elle n’est jamais
collection d’objets comme objets de la connaissance. Il n’y a
que l’histoire de la pensée et donc autant de fantasmes
comme autant de systèmes de pensée qu’il y a d’êtresmondes-fantasmés, qu’il y a de philosophes appelés ainsi
par cette même histoire, pour se nourrir de concepts tels que
la vérité, la nécessité, l’universalité, bref tout ce qui prétend
à la possibilité d’un vocabulaire, d’un langage faisant la part
belle à la lobotomisation forcée qui impose une croyance en
un système de représentations. La philosophie n’est rien de
tout cela. Nous avons vu qu’il n’y a pas de niveau, pas de
grades en philosophie à l’occasion de notre étude sur l’êtremonde-fantasmé. Ce qui est essentiel se trouve être
l’expérience individuelle et celle-ci ne se fait jamais que sur
un seul mode : celui de la rencontre comme confrontation.
La clarté de l’explication de mon monde ne vaut jamais
comme vérité générale. L’expérience authentique, la
rencontre de soi comme ce à quoi conduit l’écoute de l’êtrevieillissant propre à chacun, c’est en cela que réside tout
élément de philosophie dernière. J’ai horreur des ouvrages
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flanqués de préfaces et d’avant-propos qui n’en finissent
pas. Aussi je vous rends à la lecture de celui-ci et au soin que
vous prendrez pour vous l’approprier. Cette appropriation
sera toujours unique, toujours vraie, dès lors que
précisément, elle ne sera celle d’aucun être-mondefantasmé autre que vous-même. Bonne lecture.
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L’intelligence humaine
Je n’ai aucun souvenir qui soit lié à un évènement dont
la date est antérieure à celle de ma naissance. Amusant me
direz-vous ? Et pourtant. Ce faisant, il m’est tout à fait
possible de dire un sens aux évènements en question et plus
généralement à l’histoire de ces derniers, à leur genèse. Audelà de l’histoire contemporaine et de celle qui prend en
compte l’évolution économique, politique, culturelle, que
sais-je encore ? Au-delà de l’histoire que je dis être celle des
grands bouleversements qui ont marqué de façon
significative nos comportements, nos mentalités, je peux
également dire ou conter l’histoire la plus probable, la plus
logique de l’espèce humaine eu égard aux connaissances
notamment scientifiques de mon temps. Je peux penser une
logique, celle la plus probable, qui explique l’histoire de la
planète, l’histoire du système solaire. Je remonte ainsi le
temps à coup de milliers, de millions et de milliards d’années.
Je suis alors très loin des quelques dizaines d’années que
j’occuperai réellement en tant que vivant. Soit. Procédant
ainsi, nous prétendons agir comme ce vivant doué de raison
qui progresse dans la sémantique en usant de cette
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intelligence qui est la nôtre. Premier problème de langage :
aucune intelligence ici, seulement du fantasme. N’est-il pas
alors judicieux d’interroger ce que nous entendons par
« intelligence humaine » dès lors que nous nous mettons en
peine d’expliquer ce qui nous dépasse éternellement ?
Poussés par cette fièvre inquisitrice positiviste qui nous
conduit à remettre l’église non plus sur la place du village
mais à cette place qui est la sienne au sein de l’Univers sans
que qui que ce soit ne trouve à y redire, nous procédons petit
à petit par certitudes et autres affirmations péremptoires. Qui
ose dire aujourd’hui qu’il n’y a jamais eu de big-bang ? La
thèse de l’Univers stationnaire soutenue par Albert le
relativiste n’a aujourd’hui pour adeptes que d’indélicats
incultes et autres crétins patentés, avides de jouer les premiers
rôles dans une science fiction fondée sur des équations
mathématiques qui évacuent pourtant nécessairement tout
ce qui peut être pensé en termes de durée. Nous avons inventé
l’instant. Il y a un commencement et une fin à tout. Nous
affirmons cela sans nous demander s’il ne s’agit tout
simplement pas de l’unique possibilité qui est la nôtre de ne
pouvoir penser toute chose qu’au moyen d’un instant initial
et d’un instant final. Dans l’intervalle, il n’y a pourtant aucune
durée possible puisque la durée réelle ne demande à aucun
moment à être découpée par quelque système perceptif aussi
élaboré qu’il soit. Proposons ici que le vivant c’est à 90 % de
l’information et à 10 % des réactions physico-chimiques. En
décidant d’un début à tout processus engageant le vivant et
bien entendu d’une fin à ce même processus, nous coupons
arbitrairement et à deux reprises un flux informationnel
inaccessible à l’usage que nous prétendons faire de
l’intelligence qui est la nôtre. Pourtant, c’est cette même
intelligence qui nous permet de dire ici que notre attitude
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positivement scientifique fabrique un monde où tout est
totalement découpé, dans lequel tout s’enchaîne à la manière
de perles enfilées les unes derrière les autres, chacune
formant ainsi un tout. Si les anciens ont raison de dire que le
tout est antérieur à la partie, c’est parce que la partie est
introduite par nos soins dans un tout qui ne demande à
aucun moment à être scindé, mais cela, ils ne le précisent pas.
Ce monde fantasmé n’a donc rien à voir avec la réalité. Ce
n’est jamais qu’un simulacre, une sorte d’exemple de ce à
quoi la réalité pourrait ressembler, si tout en elle y était
découpé sans qu’aucun flux informationnel ne s’y trouve,
sans qu’aucune cellule du vivant commençant à se dédoubler
après la fécondation, ne contienne en elle toute l’information
qui fera que progressivement, chaque cellule connaîtra le rôle
qui est le sien dans l’élaboration de l’être vivant en cours de
construction continue et jamais interrompue. Ce que
Bergson appelait « l’élan vital », « le grand souffle de la vie ».
Nous avons beau nous heurter sans cesse à cette réalité, à cette
vérité, qu’importe, nous continuons vaille que vaille à
affirmer que rien ne nous est inaccessible. C’est cela même
qui est la preuve de notre immanence positiviste car tout ce
que nous avons affirmé et que nous continuons de professer
sur le vivant à travers celui dénaturé que nous fabriquons, est
faux et ne cessera jamais de l’être. Pire encore, il semble que
plus que jamais, nous ayons confié ce qui relève de
l’intelligence humaine aux scientifiques et à eux seuls. C’est à
la fois hallucinant et lamentable. Il n’y a aucune intelligence
là où nous nous mettons en peine de déterminer ce qui de
toute façon ne peut que nous échapper. Il y a de la persistance,
de l’entêtement bref de la bêtise, celle humaine bien entendu
et c’est là la preuve la plus manifeste de l’existence de l’hyper
désir d’immortalité. Nous repoussons la mort et ce faisant
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c’est notre existence dont nous condamnons la possibilité.
L’intelligence, si nous en étions flanqués autant que nous
prétendons l’être, travaillerait à ce que nous appelons ici « la
réduction de la différence » au sein du vivant et certainement
pas à la domination et au contrôle de ce dernier. Travailler à
cette réduction relève de ce constat premier qui prend
conscience que rien n’est dissocié de rien. Nous retrouvons
l’acharnement contraire dans tout ce que nous faisons, dans
tout ce que nous disons. Nous prétendons parler de la
connaissance universelle là où il n’y a que de l’expérience
individuelle. Nous condamnons cette expérience individuelle
à converger vers un socle commun. Nous prétendons encore
qu’il existe une vérité en arrière plan de ce socle et que cette
vérité sera atteinte par nos soins et par le progrès humain. Et
c’est là-dedans que nous voyons de l’intelligence ! Tout ceci
n’est pas sérieux. Il y a de la manipulation des consciences,
cela est certain. Et non content de cela, nous faisons en sorte
que ceux qui sont le plus éloignés du socle par leur parcours
scolaire, soient le plus tôt possible dans leur existence,
convaincus qu’ils n’étaient pas assez intelligents pour
comprendre, persuadés que la performance notamment
scolaire n’est l’affaire que de ceux qui seraient en quelque
sorte frappés par la grâce alors que pour la plupart, ils sont
simplement socialement favorisés. Comme l’expliquait
Bourdieu, ce sont ceux qui ont le moins accès à la culture qui
ont en même temps le moins conscience d’en être privés.
Nous fabriquons de la richesse, quoi que de moins en moins,
je parle ici de celle économique, mais en aucun cas nous ne la
partageons même en comité restreint à la taille d’une nation.
Et on ose encore nous parler du bien-fondé d’élections dites
au suffrage universel. Il y a en fait des habitudes prises
individuellement ainsi que collectivement. Celles
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individuelles nous conduisent à n’évoluer que dans un
monde totalement fantasmé, ce monde est propre à chacun
de nous et il en existe autant qu’il existe d’êtres vivants, tout
simplement. C’est là le sort de chacun de nous, le sort de
l’être-monde-fantasmé. Les animaux aussi vivent dans un
monde propre à chacun d’eux, à la différence de ce petit plus
« moral » qui fait que ces derniers ne passent pas leur temps
à tenter de convaincre leurs congénères que c’est leur vision
du monde qui est la plus pertinente. Là encore, nous disons
que nous sommes plus évolués donc plus intelligents, c’est
donc que nous accompagnons l’intelligence de cette curieuse
attitude consistant à « convaincre » l’Autre d’un bien-fondé
qui ne lui appartient pourtant en rien. Il est absolument
normal de chercher à convaincre ses congénères du bienfondé de sa propre vision des choses et par-delà de sa vision
du monde, puisque nous venons de le dire : nous vivons tous
dans un monde qui nous est propre et que nous ne pouvons
aborder autrement que par la réflexion. Cette réflexion est
propre à chacun car à chaque fois qu’elle progresse dans son
développement, elle fait appel à des représentations mentales
qui quoi qu’il arrive ne ressemblent jamais à celles que peut
avoir même une communauté d’individus s’étant mis en
peine de résoudre un problème. Nous pouvons nous
entendre collectivement sur la solution apportée au
problème, il n’empêche que cette solution n’a jamais la même
couleur pour chacun de celles et ceux qui y souscrivent
pourtant. C’est ainsi que procédant petit à petit, les
constructions mentales que nous élaborons ne font jamais
que diverger. Cela ne nous empêche en aucune façon de
tomber d’accord en diverses étapes d’une réflexion plus vaste
que nous choisissons de mener à bien. Mais loin de
reconnaître qu’il s’agit là de notre authentique façon
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d’exister, nous affirmons au contraire qu’il y a donc bien un
monde objectivement constitué qui existe de façon sousjacente et que c’est précisément ce monde que nous mettons
à jour au fur et à mesure. Ce monde puisqu’il est
objectivement constitué, procède forcément d’une volonté
sous-jacente, fut-elle celle d’un Dieu quelconque. En perçant
petit à petit ce mystère, nous prenons petit à petit la place de
cette volonté sous-jacente. Dynamique positiviste de la prise
de pouvoir totale, c’est cela la dynamique intrinsèque à
l’homme, la dynamique de l’Univers puisque c’est nousmêmes qui avons inventé chacun de ces mots, qui avons
inventé chacun de ces maux. Il y a donc une réalité dans
laquelle nous baignons toute notre vie. Dans cette réalité,
nous nous permettons de penser bien au-delà de celle-ci, en
jonglant avec les années qui ont précédé notre insertion dans
cette dernière ainsi qu’avec celles qui suivront, cela afin de
mieux comprendre éventuellement cette entité bizarre que
nous appelons « le présent ». L’intelligence humaine nous
ordonne alors des concepts toujours étranges tels que
« universalité », « nécessité », « vérité ». Nous découpons tout
ce qui peut passer à portée de notre main, à portée de notre
pensée, faute de ne pouvoir faire autrement. Nous qui ne
découpons que des objets qui ne demandent à aucun
moment à l’être, nous persistons à dire que c’est ainsi que
nous mettons à nue la réalité qui nous entoure. Nous disons
alors la vérité par le découpage arbitraire d’un flux
informationnel et c’est ce qui nous conduit à agir ainsi, que
nous appelons l’intelligence humaine. A coup sûr et pour peu
que j’observe mes chats dans leur évolution au quotidien, tout
comme lorsque je pense à ce jour où j’ai surpris mes plans de
tomate la nuit en train de croître, je ne peux alors édicter de
vérité plus certaine que celle suivante : la race humaine est
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sinon « le » en tout cas « un » cancer pour le vivant, un cancer
pour la planète. C’est ainsi et il est parfaitement inutile de
chercher un remède. Ici la cause est connue et nous ne
pouvons rien faire d’autre qu’en dresser le constat. Le cancer
lui aussi est dans une dynamique de prise de pouvoir totale
mais lui, on n’en connait pas les causes et lorsqu’il se produit
une rémission, nous disons que la médecine a pris le cancer à
temps. En clair, nous ne reconnaissons jamais notre
impuissance. Il n’y a pas la plus petite trace du début d’un
commencement d’humilité comme celle qui nous ferait dire
qu’après avoir mutilé le corps, après l’avoir charcuté ou bien
après avoir éradiqué le système immunitaire du condamné
avant l’heure, c’est tout simplement le vivant respecté dans sa
durée propre, dans la continuité qui est la sienne qui est seul
maître à bord et qui fait qu’un individu semble passer ce cap
provoqué par ce que nous appelons le cancer. Combien sont
d’ailleurs dits en rémission et lorsque le mal se déclare à
nouveau quelques mois après, il en est terminé de l’espoir en
lequel nous plaçons notre vie ? La médecine n’est peut-être
pas totalement impuissante, mais sa prétention à l’efficacité
même réduite est toujours flanquée de son incapacité à
expliquer pourquoi et pour cause. Nous ne saurons jamais
pourquoi un individu meurt et pourquoi un autre survit
parce que l’intelligence qui nous conduirait sur cette voie de
l’humilité certaine, n’est en aucune façon la nôtre. C’est ainsi
que tout comme le cancer, nous détruisons petit à petit. Mais
le cancer est encore quelque chose de vivant. Cette
dynamique intrinsèque du vivant qui semble lutter pour
éviter de mourir, jamais nous ne l’examinons sous l’angle
d’une finalité constructive pour tout vivant. Nous préférons
nous obstiner à dire que le vivant cherche de toute éternité à
combattre la mort. Il me semble qu’il s’agit là, d’une posture
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qui illustre ô combien un hyperdésir d’immortalité en même
temps que notre dynamique de prise de pouvoir. Nous
fabriquons l’immortalité de façon conceptuelle et à force de
nous répéter, nous finissons par croire qu’elle peut faire
partie de la réalité. Nous affirmons que l’immortalité d’une
entité vivante fait partie de la réalité et que si cette
immortalité ne nous appartient pas en tant que race humaine,
il nous faut la trouver biologiquement, chimiquement autour
de nous, pour mieux l’apprivoiser afin de l’asservir pour
finalement l’exploiter. Il y en a donc qui y croient tellement
fort que dès qu’ils ont franchi le Rubicon en affirmant qu’elle
existe, ne reviennent jamais sur cela. Voici en quoi l’habitude
que nous prenons devient véritablement une seconde nature.
Une nature que nous légitimons non pas en disant qu’elle a
elle aussi sa place dans la réalité, nous légitimons cette
dernière en affirmant qu’il n’y a qu’elle qui soit possible.
Notre seconde nature devient donc notre unique nature.
Il y a la réalité. Soit. Il y a ce que nous disons qu’elle est.
Bien. La réalité doit alors se conformer à ce que nous disons,
nous qui à aucun moment ne sommes capables de
l’appréhender. « Si les faits ne correspondent pas à la théorie,
changez les faits » voilà ce qu’Albert le relativiste et
illusionniste sans doute, nous a servi. Reprenons ici ce que
nous avons montré dans l’étude de l’être-monde-fantasmé
pour illustrer à quel point le scientifique montre un grave
problème de réalisme certain. Les faits sont ce que nous
croyons être la réalité prise dans son effectuation et dire que
nous pouvons changer ces faits relève moins de l’intelligence
que d’une déficience mentale. Le fait est la preuve en quelque
sorte de la réalité qui s’effectue mais nul ne peut dire qu’il n’y
a qu’un fait ou bien qu’il y en a plusieurs. Seules nous sont
données les manifestations de la réalité car seules ces
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manifestations se présentent à notre perception. Nous
repérons le début de la manifestation et nous disons la fin de
cette dernière dès qu’elle ne semble plus montrer
suffisamment d’autonomie pour pouvoir être efficacement
isolée de l’ensemble de ce qui se manifeste. Ce découpage
arbitraire de la manifestation nous le baptisons « fait ». Nous
fabriquons ensuite son contenu pour mieux nous convaincre
d’un enchainement fidèle à la rationalité que nous disons,
afin que cette bribe de réalité ne nous soit plus du tout
étrangère. Le scientifique va plus loin en confondant
systématiquement la perception et l’observation. La
perception ne veut rien, ne se prépare jamais à quoi que ce
soit qui puisse se manifester à elle. L’observation est tout
entière pensée et préparée. L’observation est pleine de ce que
nous voulons trouver dans la manifestation. Nous disons en
fin de compte ce que la réalité doit être, nous ne disons jamais
ce qu’elle est ! S’il vous plaît, parlez-moi encore de
l’intelligence humaine ! Ou plutôt endormez-moi encore
avec ce conte magique qui encense l’espèce humaine en lui
promettant un paradis terrestre, une vie éternelle et pour les
queutards les plus invétarés – pardon pour la faute
d’orthographe – les plus invétérés, la promesse de la
jouissance phallique suprême inondant alors un limon pur
car vierge de toute autre substance fécondante… Il
n’empêche, avec l’allongement de l’espérance de vie qu’a
connu le siècle dans lequel je suis né, j’ai entendu des gens
dire que demain il sera possible de vivre deux-cent ans, troiscent ans voire plus. Les arguments sur lesquels ils s’appuient
sont à couper le souffle. Le travail d’Adorno et Horkheimer
dans « la dialectique de la raison » concluant à la réification
totale, ne m’a jamais paru aussi pertinent que ce jour où je fus
témoin de cette logorrhée insensée. Je n’en croyais pas mes
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oreilles et pourtant l’insistance de celui qui tenait ces propos,
affirmait comme évidente, comme sûre et certaine, la
conclusion qu’il avançait. La réification totale est en marche
et elle écrase tout sur son passage. Voilà ce que ces abrutis de
scientifiques de tous poils, sèment dans la tête de ceux qui
sont complètement dépassés, dans cette époque qui est la
mienne. Cette science qui lisse tout, qui parle de « matière
vivante », qui rend homogène tout ce qui ne l’est pas, qui
nivèle par l’atome ou la molécule tout corps vivant ou pas.
Plus aucune différence de nature, perte de réalité, perte de
sens et à l’arrivée véritablement n’importe quoi. Oh oui ! Oh
oui ! Donnez-moi encore de l’intelligence humaine ! Chacun
de nous a raison d’affirmer ce qu’il dit mais combien ignorent
pourquoi ? Nous défendons ce que nous disons car il y a tout
un enchaînement de représentations mentales qui nous est
propre et celui-ci est comme recouvert par une tonalité
affective unique. Cette expérience individuelle en miroir
entre raison et sensibilité est à chaque fois unique. Il n’y en a
pas deux qui peuvent se superposer. Il n’y en a pas deux qui
se ressemblent au point de pouvoir se confondre. Il est donc
certainement délicat d’exposer clairement ce que produit en
nous l’expérience individuelle, il n’en reste pas moins que
chacun de nous est le siège d’une expérience unique. C’est
ainsi que chacun de nous vit dans son monde-fantasmé.
Chaque individu est un être-monde-fantasmé à part entière.
Cela est absolument inaccessible à toute science cantonnée à
la reproductibilité de l’observation. Toute science ne peut être
qu’une science fiction. Là encore, la science se fait fort de
poser in fine comme certain ce que doit être l’observation et
jamais ce qu’elle est. L’esprit scientifique mais plus largement
l’usage de la raison ne peuvent faire autrement qu’affirmer la
certitude d’étapes dans un raisonnement choisi, sans que
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celles-ci ne puissent faire l’objet d’aucune remise en cause,
une fois qu’elles sont admises comme incontournables,
inévitables, irrépressibles, irréfragables. Dès lors que l’on
entend : « sur ce point, toutes les études scientifiques disent
la même chose », il est tout simplement impossible de dire
autre chose sans passer pour un ignorant. Et pourtant, le
scientifique évolue dans une constante surenchère. Penchons
nous pour bien saisir en quoi consiste le nombre
mathématique, sur cette surenchère comme frénésie.
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Le nombre mathématique
ne renvoie à rien de réel
Le nombre que nous proposent les mathématiques ne
mesure rien. Voyons cela de plus près. Tout d’abord,
portons notre attention sur deux vis provenant de la même
boîte et d’égales longueurs en apparence. Si j’utilise dans un
premier temps un mètre enrouleur, admettons que cet outil
me donne deux longueurs identiques au demi-millimètre
près. Bien. Prenons à présent un pied à coulisse avec une
erreur relative de l’ordre du dixième de millimètre et posons
que là encore les deux mesures soient identiques. Le nombre
qui me permet d’évaluer leur taille en est au dixième de
millimètre. De fil en aiguille, imaginons un outil de mesure
dont la précision dépasse celle de la machine qui a permis
de calibrer les deux vis. Je n’aurai alors très probablement
pas la même taille pour les deux vis. En fait peu importe qu’à
ce stade, les deux nombres soient identiques ou pas. En
continuant les mesures toujours plus précises de nos deux
vis, j’augmente le nombre de décimales de mes deux
nombres mesurés. Je vais pouvoir continuer ainsi mes
mesures jusqu’à atteindre les limites de la matière dont sont
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composés les deux vis. Avant cela, je serai en possession de
deux nombres qui auront commencé à se différencier à
partir d’un certain rang après la virgule. Qu’est-ce que cela
signifie ? La chose suivante : Aussi identiques que soient les
deux objets que nous allons mesurer, il arrivera un moment
à compter duquel les deux nombres mesurés ne pourront
plus être considérés comme les mêmes. Le nombre ne
prévoit aucune reproductibilité entre deux objets fussent-ils
fabriqués par la main de l’homme. Il en découle qu’en toutes
circonstances, nous ignorons la valeur du nombre qui nous
permet quand même de mesurer un objet de taille
déterminée et finie. L’objet a en effet une taille certaine
puisque je peux le tenir entre deux de mes doigts. L’objet
commence au zéro de ma mesure et se termine de façon
certaine mais cela sans que je puisse connaître avec certitude
la valeur du nombre qui détermine la longueur de mon
objet. Et pourtant il y en a bien un puisque l’objet s’arrête.
Ici la limite de la matière entre en jeu et je peux donc me
douter qu’il y a bel et bien un nombre qui permet de
mesurer l’objet, même si je ne parviens pas à mesurer avec
exactitude la longueur au milliardième de milliardième
de… de millimètre. Déjà et malgré le fait que l’objet peut
être tenu entre deux de mes doigts, le nombre décimal que
me proposent les mathématiques ne me permet pas de
réaliser la mesure de l’objet tout simplement parce que les
mathématiques prévoient dans l’ensemble indénombrable
qu’est celui des nombres décimaux qu’entre deux nombres
à virgule aussi proches que l’on voudra qu’ils soient l’un de
l’autre, il existe encore une infinité de nombres venant
s’intercaler entre ceux-ci. D’ores et déjà, la limite de la
matière ne répondant pas favorablement au nombre
mesurant proposé par les mathématiques, nous voyons bien
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que le réel ne constitue pas l’objet d’étude des
mathématiques. Tenons-nous le pour dit. Nous pouvons
cependant et parce que le simple jeu des mathématiques ne
satisfait pas à notre curiosité, aller plus avant dans l’analyse
du nombre que bien trop d’enseignants présentent comme
absolu. A noter que les mathématiques ne s’embarrassent
pas de tant de soucis dès lors que par convention, on admet
dans ce jeu, qu’à partir d’un certain rang après la virgule,
n’importe quel nombre va se terminer par une séquence
identifiable pouvant permettre d’inclure celui-ci dans un
ensemble dans lequel toujours ce même nombre, va en
rencontrer d’autres qui comme lui, seront identifiés par la
même séquence. Restons dans le réel. A partir d’une
soucoupe de tasse à café, on trace le contour de la dite
soucoupe sur une feuille de papier. Nous obtenons une
figure ressemblant à ce que les mathématiques appellent un
cercle. La meilleure façon d’obtenir la longueur du cercle est
de la mesurer à l’aide d’un outil qui va épouser le contour
du dessin. Aussi peut-être, serait-il plus simple de mesurer
directement le contour de la soucoupe à l’aide d’un outil que
je vais enrouler autour. Dans cet exemple, je ne vais pas à
proprement parler, rencontrer les limites de la matière. Je
vais seulement fixer un point de départ et je n’aurai qu’à me
mettre en peine de rejoindre ce point de départ après avoir
réalisé le tour de l’objet. L’approximation est plus grande car
mon point de départ n’est pas matérialisé en quelque sorte
par la limite de la matière, la limite physique rencontrée
dans l’exemple de la vis. Ici la ligne permettant de
représenter l’objet n’a pas de commencement et elle n’a pas
de fin. La mesure d’un tel objet va donc rencontrer une
difficulté au moins aussi importante que celle nous
conduisant à bien vouloir admettre l’impossibilité du
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