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Motivation et positionnement de la recherche
« La région arabe est plus riche qu’elle n’est développée » [UNDP, 2002 : p.28]. Tel était l’un des
principaux constats fait par une équipe d’éminents experts du monde arabe dans un rapport
réalisé pour le compte du PNUD, qui analyse la crise de développement que connaît cette région.
Depuis le début des années 80, une crise économique aiguë touche la plupart des pays arabes.
Débordant le cadre des désajustements macro-financiers dans laquelle elle était née, la crise a
atteint la sphère politique à partir de laquelle elle s’est propagée vers les autres sphères de la
société. La persistance de la stagnation économique a conduit à remettre en cause le modèle de
développement de ces pays dans sa globalité. Dès lors, les blocages du développement ne sont
plus appréhendés sous le seul prisme des variables économiques, mais la recherche de l’origine de
ces blocages est élargie au champ des libertés politiques et des opportunités sociales et
économiques, dont le déni entrave le développement économique [Sen, 1999]. Cette approche a
conduit les experts du PNUD à conclure que les obstacles au développement sont dus à « la
présence de lacunes profondément ancrées dans les institutions arabes » qui traduisent un déficit
important en matière de « bonne gouvernance ». Un an plus tard, un rapport de la Banque
mondiale [World Bank, 2003b] vient confirmer que le décollage économique dans ces pays ne
peut être amorcé sans une amélioration de la « bonne gouvernance ». C’est la pertinence de ce
dernier argument qui sera discutée dans ce travail : la « bonne gouvernance » est-elle
une solution appropriée à la crise de développement des pays arabes ? La « bonne gouvernance »
est-elle une bonne stratégie de développement ? Avant d’aller plus loin dans la description de
l’objet de cette recherche, il nous semble utile de resituer cette crise dans le contexte économique
et politique dans lequel elle a évolué et de dresser un bref bilan de vingt ans de réformes.
Au début des années 90, les pays arabes du Proche-Orient et du Maghreb ont connu une
succession de mutations qui allaient déclencher un déluge de rhétorique optimiste. Sur le plan
économique, les changements induits ou attendus par les plans d’ajustement structurel
(stabilisation macro-financière, désengagement de l’État de l’appareil productif, privatisation), les
accords de libre-échange, l’appel aux investissements étrangers, et les incitations à l’entreprise
privée, allaient enfin faire émerger une nouvelle classe moyenne qui, en symbiose avec d’autres
forces nationales et internationales, engagerait résolument la région dans la voie de l’économie de
marché. Comme en Amérique latine et en Europe du Sud (Espagne, Grèce), des élites
ingénieuses serviraient de catalyseurs des transformations institutionnelles économiques et
politiques. Sur le plan politique, la chute du mur de Berlin et la première guerre du Golfe ont
amené un nouvel ordre mondial où les règles du droit international et les résolutions des Nations-
Unies seraient dorénavant appliquées partout. Une vague de démocratisation allait déferler sur
tout le monde arabe et les régimes autoritaires seraient fortement incités (mais non contraints) à
se démocratiser. Ainsi, la région arabe allait pouvoir rejoindre ce qui était alors perçu comme un
mouvement de progrès planétaire.
Vingt ans plus tard, le bilan est sans appel : des réformes, certes, mais sans changement. Sur le
plan économique, si les politiques néolibérales ont stimulé la croissance, elles n’ont permis ni
d’absorber le chômage de masse, particulièrement important chez les jeunes [World Bank, 2003c,
2003d], ni d’impulser l’investissement privé [Aysan et al., 2006 ; World Bank, 2003a] et encore
moins d’endiguer le phénomène de la corruption devenu « endémique » [Transparency
International, 2003]. Les pays arabes exportateurs d’hydrocarbures ont certes accumulé des