1 La dimension institutionnelle du management stratégique Interview de Bernard de Montmorillon, Professeur des Universités à l’Université Paris Dauphine, menée par JeanPhilippe Denis (Precepta Stratégiques) Coop alternatives, 436 Rte de la Croix de Chorre – 38950 Quaix en Chartreuse 06 48 03 74 14 [email protected] SIRET : 519 675 144 00025 2 La dimension institutionnelle du management stratégique. Avec Patrick Joffre, dans un ouvrage qui a fait date, coordonné par Alain Charles Martinet et Raymond-Alain Thiétart, Stratégies, actualités et futurs de la recherche, un texte consacré aux approches institutionnelles. Pourquoi s’intéresser aux approches institutionnelles c’est important quand on veut faire de la stratégie ? La question institutionnelle nous avait Patrick et moi intrigué il y a une dizaine d’années. A l’époque, nous travaillions sur la coordination dans les organisations. De plus en plus, il devenait évident que la coordination dans les organisations ne pouvait plus seulement être appréhendée par des analyses traditionnelles fondées sur le marché ou fondées sur l’autorité ; là, je reprends les grandes catégories de Williamson. Parallèlement à ces modes de coordination, il fallait s’intéresser à des types de coordination d’un autre niveau. Avec Patrick Joffre, nous nous sommes intéressés à la coordination réticulaire, la coordination par le réseau, en nous appuyant sur Mark Graovetter, la force des liens faibles et puis nous nous étions intéressés à la coordination dans la société, en nous inspirant des travaux de Mauss. Je pense aujourd’hui que cette dimension là est devenue de plus en plus essentielle pour les organisations et les sciences de gestion. On ne peut plus envisager la gestion des organisations sans envisager leur intégration dans leur environnement et notamment leur environnement territorial. Poser la question comme cela, c’est poser la question des institutions. C’est pour cela que je pense que ce thème aujourd’hui est devenu encore plus central qu’il ne l’était il y a 10 ans. A quoi ça sert l’entreprise ? Quelle est la finalité du pilotage de l’entreprise ? On a longtemps parlé du primat de la valeur actionnariale. Aujourd’hui, de plus en plus, à côté de cette valeur actionnariale que personne ne songe à remettre en cause, il y a d’autres dimensions de la valeur qu’il faut approfondir et l’approfondissement passe de mon point de vue par une réflexion de type institutionnelle. Dans la lignée du prix, il y a le contrat, qui passe par l’échange contractuel traditionnel. Ce que vous avez approfondi à travers cette dimension réticulaire c’est tout ce qui entoure les relations entre les individus dans l’organisation ? D’où l’importance de cette dimension institutionnelle, sur des choses très concrètes, comme par exemple le territoire. Je crois qu’il y a au moins deux ancrages pour lesquels ces dimensions institutionnelles deviennent incontournables : Un premier ancrage est assez centré sur l’organisation : quelle est la logique profonde de l’organisation ? A quoi sert-elle ? Comment mobiliser les collaborateurs ? Comment donner une vision ? Comment donner un sens ? Dès lors qu’on travaille sur les valeurs du management, on peut analyser ces questions là avec la logique des conventions. Quelles sont les valeurs synthétiques qui portent l’action collective ? Quelles sont les dimensions de cette action collective ? Les travaux sur les conventions me paraissent donner une réponse à la fois économique et sociale. Je les trouve très intéressants et pas assez mobilisés aujourd’hui. Il y a une deuxième dimension, c’est quelle est la finalité de l’entreprise du point de vue du territoire politique qui l’accueille ? Pour le coup, la réflexion sur ce sujet là est en train de se développer très vigoureusement. On parle beaucoup du modèle allemand : qu’est-ce que c’est que le modèle allemand ? Il est de mon point de vue très largement marqué par le droit des sociétés allemandes mis en place en 1951, revu en 1976. 3 Toutes les entreprises allemandes de plus de 2 000 salariés sont régies avec une structure de conseil de surveillance et directoire et les conseils de surveillance sont paritaires, sont mixtes, moitié représentant des actionnaires, moitié représentant des collaborateurs et des salariés. Quand on a un conseil de surveillance qui surveille le management stratégique et qui est mixte, bien sûr les décisions stratégiques qui seront prises tiendront compte des points de vue des deux partenaires. Je pense que c’est tout à fait fondamental. Ce type de question là pose la question de l’encastrement du management stratégique dans le développement collectif des territoires, dans le développement politique. C’est une question centrale. Bien sûr. Au fond, on ne peut pas raisonner autrement. Vous avez posé la question de la valeur actionnariale. On ne peut pas raisonner autrement que sur des formes de valeurs partenariales. Comment à l’intérieur de ces dynamiques institutionnelles les concours sont divers, multiples et des compromis doivent être gérés ? C’est l’excellent article de Charreaux et Desbrières à la fin du siècle dernier mais c’est aussi tous les travaux de March, de Simons, de Sayer, sur lesquels on est en train de revenir et qu’on redécouvre 30 ans après. Dans cette logique partenariale, il y a évidemment l’intérêt collectif, il y a évidemment l’intérêt du territoire. Il est urgent dans notre pays de re-légitimer la finalité territoriale, collective, du développement de l’entreprise. C’est tout à fait indispensable ! Comment le faire ? Est-ce qu’il faut transposer en France le modèle allemand ? Il faut peut être s’en inspirer. Nous, nous avons toujours eu un Etat protecteur. Comment faire en sorte que cet Etat protecteur développe l’initiative créatrice du manager ? C’est aujourd’hui me semble-t-il la question clé ou la question centrale. Au fond, la culture, dont vous êtes un des spécialistes, porte des enjeux de compétitivité ? Absolument ! Je reprends les deux points évoqués précédemment : La culture au niveau de l’entreprise. Vous ne mobilisez pas les collaborateurs si vous ne les faites pas adhérer à un système de valeurs qui les amène à être créatifs : la confiance, la prise de risques, la créativité. En même temps, vous avez du mal à les mobiliser s’ils se disent que tous leurs efforts vont servir n’importe quel conseil d’administration aux antipodes du système de valeurs. Même si la dimension du village mondial est aujourd’hui de plus en plus intégrée, notamment du fait de la révolution numérique, cependant, cette révolution là ne doit pas écarter l’intérêt du territoire proche, du territoire dans lequel vivent les acteurs que le projet professionnel mobilise. Cette inscription dans l’intérêt du territoire, c’est le rôle du politique. Parmi les parties prenantes, il y a les représentants politiques des territoires dans lesquels l’entreprise se développe. Mots clés : Management, Marketing et Stratégie, Organisation, Institutions, Bernard de Montmorillon, Management stratégique