Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Dossier Prise en charge chirurgicale de la rectocolite hémorragique La chirurgie chez les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin est utilisé en cas d’échec du traitement médicamenteux. Parfois lourdes et réalisées en plusieurs temps, les interventions chirurgicales impliquent les infirmières dans l’éducation du patient, la surveillance, la prévention et le repérage des complications. Sarah Alves © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Marine Hascoet Mots clés - chirurgie ; colectomie ; maladie inflammatoire chronique de l’intestin ; rectocolite hémorragique ; stomie Infirmière Infirmière Cindy Gauthier Infirmière Linsee Lucien Infirmière Surgical treatment of ulcerative colitis. Surgery for patients suffering from inflammatory bowel diseases is an option when medication-based treatment fails. Sometimes complex and carried out in several stages, the procedures require the nurses to be involved in the education of the patient, monitoring, prevention and identification of complications. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Infirmière stomathérapeute Hélène Corté Chef de clinique en chirurgie colorectale Service de chirurgie colorectale, Hôpital Beaujon, 100 boulevard du Général Leclerc, 92110 Clichyla-Garenne, France Keywords- colectomy; inflammatory bowel disease; stoma; surgery; ulcerative colitis © Hôpital Beaujon D ans le service de chirurgie colorectale de l’hôpital Beaujon (AP-HP) de Clichy-laGarenne (92), les patients sont hospitalisés la veille de l’intervention. Ils sont familiers de l’hôpital, ayant souvent subi plusieurs hospitalisations pour la prise en charge de leur maladie inflammatoire chronique de l’intestin (Mici) et pris de nombreux traitements médicamenteux. La chirurgie représente leur dernier recours. Dès l’accueil, et outre la mise en œuvre des prescriptions médicales, l’infirmière en charge du futur opéré vérifie s’il a bien compris le sens de l’intervention et ses conséquences. Il est constaté que bien souvent ils n’ont pas vraiment intégré les explications fournies par le chirurgien durant la consultation. Aussi, ils abordent l’hospitalisation sans avoir vraiment conscience des suites opératoires qui vont pourtant nécessiter des auto-soins. La consultation avec l’infirmière stomathérapeute de l’équipe permet d’expliquer de nouveau, de conseiller, d’écouter le patient, de répondre à ses questions, de lui montrer du matériel (figure 1), le rassurer et l’orienter vers les membres de l’équipe pluridisciplinaire (psychologue, diététicien, assistante sociale, association...). L’emplacement de la future stomie1 est alors repéré. La chirurgie de la rectocolite hémorragique (RCH) s’effectue le plus souvent en trois temps. Delphine Paradis* Figure 1. Échantillons de différents types d’appareillages. Les chirurgiens retirent une importante partie du côlon, ne laissant que le sigmoïde (partie terminale du côlon) et le rectum. L’iléon, partie terminale de l’intestin grêle, est abouché à la peau, créant ainsi un anus artificiel temporaire (stomie). Le rectum, toujours en place, est très inflammatoire. Dans ce milieu hostile, la réalisation d’anastomoses digestives n’est pas indiquée car les sutures ne tiendraient pas. En attendant ce deuxième temps opératoire, des lavements anti-inflammatoires sont effectués pendant plusieurs semaines. Ce type d’intervention se réalise sous cœlioscopie, ce qui implique des suites opératoires souvent plus simples et une durée d’hospitalisation plus courte. Premier temps opératoire Éducation thérapeutique du patient Le premier temps opératoire consiste en une colectomie subtotale2. Le rôle de l’infirmière et en particulier de la stomathérapeute est de mettre en place une éducation, La revue de l’infirmière ● Mars 2014 ● n° 199 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 14/03/2016 par CHU TOULOUSE - (322385) *Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Paradis). © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.revinf.2013.12.006 19 Dossier Notes 1 Stomie vient du grec stoma qui signifie “bouche”, d’où l’abouchement de l’intestin au niveau de la paroi abdominale. 2 Voir schéma sur www.snfge. org/02-Connaitre-maladie/0Dcolon/faq/colon_rch.htm. 20 Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Tableau 1. Complications précoces les plus fréquentes survenant sur une stomie Nature Origine Symptômes Actions à mener Abcès et infection Maladie de Crohn, corticothérapie, désunion Pus sur le pourtour stomial, douleurs, parfois fièvre Vu par le médecin, soins locaux Prolapsus Effort important, paroi déficiente Déroulement de l’intestin sur lui-même vers l’extérieur S’il ne réintègre pas sa place dès que le patient est allongé, manipulation manuelle par un médecin Désinsertion et désunion Lâchage de suture partiel ou total Brèche entre la stomie et la paroi abdominale Vu par un médecin, soins locaux si pas d’intervention en urgence Nécrose Mauvaise vascularisation de la stomie Stomie sèche, qui ne saigne pas et est noire Urgence de reprise au bloc opératoire Œdème Inflammation physiologique de l’intestin Stomie gonflée, voire translucide Surveillance locale par le médecin Irritation et ulcération Fuites des effluents, mauvais appareillage, soins insuffisants Douleurs péristomiales, peau suintante, ulcérée Soins locaux à réaliser pour une cicatrisation Tableau 2. Complications tardives les plus fréquentes survenant sur une stomie Nature Origine Symptômes Actions à mener Bourgeons Cicatrisation anarchique, résidus de fils, lésions Douleurs, saignements, gêne à l’appareillage Soins locaux Folliculites Rasage agressif Boutons, pustules, douleurs à la base des poils Utilisation de tondeuse électrique ; soins locaux Eczéma de contact Réaction à l’appareillage Assèchement de la peau, rougeurs, prurit Changement d’appareillage Éventration Prise pondérale, effort intense Relâchement de la paroi abdominale, troubles du transit Si importante et gênante, voir pour ceinture abdominale pour la stomie et les lavements, qui pourra commencer une fois la douleur maîtrisée. L’éducation est débutée assez tôt afin que le patient retourne à domicile dans de bonnes conditions. Mais ce n’est pas toujours facile car les patients sont déjà sous antalgiques depuis de nombreuses années et la douleur est de plus en plus difficile à faire disparaître. Pour cela, l’équipe mobile de prise en charge de la douleur vient en renfort. L’infirmière stomathérapeute éduque le patient aux soins de stomie et parfois même son entourage, quand celui-ci ne peut se résoudre à les réaliser lui-même. Une relation se crée avec le patient. La stomathérapeute adapte l’appareillage, explique les complications possibles. Elle le soutient dans son cheminement vers l’acceptation de sa stomie. Le fait d’essayer divers appareillages, avec son aide, permet au patient de retrouver un certain confort, essentiel au bien-être et au travail d’acceptation. Surveillance du transit En parallèle de l’éducation et de la prise en charge de la douleur, la principale surveillance infirmière porte sur la reprise du transit, qui peut prendre parfois plusieurs jours. L’équipe infirmière surveille l’évolution de la stomie car des complications peuvent survenir (tableaux 1 et 2). L’infirmière stomathérapeute explique au patient qu’une stomie doit être rosée, humide, vascularisée, avec au pourtour une peau saine (figure 2). Elle le sensibilise à l’importance de surveiller sa stomie. Suivi du patient À la sortie du patient, la stomathérapeute fait le lien entre l’hôpital et le domicile ou le service de soins de suite, programme des rendez-vous de suivi, rédige les ordonnances de sortie, fournit des contacts utiles, laisse ses coordonnées ainsi que celles des stomathérapeutes de la région. Le patient est suivi par le service de gastroentérologie et assistance nutritive pour les conduites à tenir La revue de l’infirmière ● Mars 2014 ● n° 199 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 14/03/2016 par CHU TOULOUSE - (322385) Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Dossier néo-rectum, une non-reprise de la diurèse à l’ablation de la sonde vésicale (dans ce cas, une sonde est reposée). À long terme existe un risque de pouchite, qui est l’inflammation du néo-rectum. Troisième temps opératoire © Hôpital Beaujon Le troisième temps opératoire peut intervenir lorsque l’anastomose est bien cicatrisée. Il consiste en un rétablissement de continuité digestive. Cette intervention est beaucoup moins lourde que les précédentes et l’hospitalisation moins longue. Figure 2. Exemple de stomie saine. et suivis médicaux, lors d’hospitalisation longue ou courte durée. Dans ce cas, la stomathérapeute peut être amenée à le rencontrer. Cette infirmière experte est un soutien pour l’équipe, qu’elle forme régulièrement. Deuxième temps opératoire Le second temps opératoire consiste en une protectomie secondaire, c’est-à-dire à l’ablation du reste du côlon et de tout le rectum, jusqu’à l’anus. Une anastomose iléo-anale est effectuée dans un milieu beaucoup moins inflammatoire, ce qui est source d’une meilleure cicatrisation. La création d’un réservoir “en J” avec l’iléon terminal2, pour remplacer le rectum (néo-rectum), autorise une meilleure régulation des selles. Une iléostomie latérale est mise en place afin de protéger l’anastomose et d’éviter les conséquences d’une éventuelle désunion de celle-ci. À son retour du bloc, le patient dispose d’une sonde rectale qui permet d’évacuer les potentiels saignements du néo-rectum et de pratiquer des lavements si besoin. Une sonde urinaire est également posée au bloc. Elle restera en place durant cinq jours car la dissection pelvienne est importante et la reprise de la diurèse peut s’avérer difficile. Surveillance infirmière Le patient sait en principe déjà réaliser ses auto-soins de stomie. Il est cependant important de quantifier le débit de la stomie car, suite à cette seconde intervention, les principales complications sont la déshydratation et la dénutrition. En effet, l’iléon n’absorbe pas suffisamment d’eau, de minéraux et de nutriments. Pour pallier ce problème, l’équipe travaille avec le service d’assistance nutritive spécialisé dans la prise en charge des Mici. Les complications sont les mêmes que lors du premier temps opératoire : liées à la stomie, des difficultés de reprise du transit, une hémorragie du Surveillance infirmière Les surveillances infirmières ciblent la reprise du transit ainsi que la propreté du pansement de rétablissement qui s’effectue avec des irrigations et des méchages en stérile jusqu’à cicatrisation complète. Le méchage vise à drainer les sérosités pour permettre une cicatrisation en profondeur. Une attention particulière est portée aux complications possibles. Celle qui est la plus redoutée est la péritonite due à un lâchage de suture. La vie du patient est alors en jeu et ce dernier doit être pris en charge chirurgicalement le plus vite possible. Les signes d’alerte sont les suivants : hyperthermie, douleurs intenses non calmées par la morphine, abdomen parfois météorisé et distendu, altération de l’état général. Des zones de sténose peuvent se former. La surveillance est primordiale pour en repérer les signes de survenue : nausées/vomissements en postprandial et arrêt du transit. Au niveau du pansement, les principales complications sont l’abcès de paroi (écoulement de pus par l’orifice) et la fistule entéro-cutanée (écoulement de liquide digestif par l’orifice). 21 Conclusion Le traitement chirurgical de la rectocolite hémorragique est lourd mais offre une guérison définitive – ce qui n’est pas le cas, à ce jour, de la maladie de Crohn. Au-delà de la lourdeur des traitements qu’elles nécessitent, les Mici appellent aussi une réelle prise en charge psychologique des patients. Une écoute est proposée par la psychologue du service de chirurgie colorectale. Les patients sont entourés d’une équipe pluridisciplinaire pour pallier au mieux leurs pathologies et les accompagner vers une guérison partielle ou totale. Gageons que les progrès liés à la recherche permettent de guérir la maladie de Crohn dans quelques années. La revue de l’infirmière ● Mars 2014 ● n° 199 © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 14/03/2016 par CHU TOULOUSE - (322385) • Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.