Un terrain fort glissant

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A 15
LA PRESSE MONTRÉAL DIMANCHE 11 NOVEMBRE 2007
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FORUM
Mario
strikes again
Un terrain fort glissant
Classifier et déclassifier les droits s’avère un exercice périlleux
ALAIN
DUBUC
CLIFFORD
L I N CO L N
Ancien député
libéral tant à
Québec qu’à
Ottawa, l’auteur
a été ministre de
l’Environnement
sous Robert
Bourassa.
[email protected]
COLLABORATION SPÉCIALE
C
ette semaine, le chef de l’opposition
officielle a déposé une motion de
blâme pour renverser le gouvernement
Charest: «Que l’Assemblée nationale
blâme sévèrement le gouvernement et lui retire
sa confiance pour sa défense des commissions
scolaires, son approche bureaucratique, et son
incapacité à assurer aux écoles et aux enfants du
Québec les services auxquels ils ont droit.»
L’abolition des commissions scolaires constitue manifestement un enjeu fondamental pour
l’ADQ. C’était un de ses principaux engagements électoraux, et cela semble maintenant un
motif suffisant pour vouloir précipiter le Québec
en campagne électorale.
Prenons donc Mario Dumont au mot. Si c’est
un enjeu majeur, regardons la chose de plus
près. Pourquoi abolir les commissions scolaires?
Comment le faire? Cela posera-t-il des problèmes? Quels seraient les avantages? On m’accusera sans doute de m’acharner sur l’ADQ. Mais
bien au contraire, le fait d’analyser les idées d’un
parti qui va peut être prendre le pouvoir est une
façon de le prendre au sérieux.
Mais encore une fois, on découvre que, derrière le slogan, il n’y a rien. L’ADQ n’a pas de
réponses aux questions que soulève un tel projet. L’idée, informe au moment des élections, le
semble tout autant huit mois plus tard. Si M.
Dumont a relancé ce débat cette semaine, c’est
parce que les élections scolaires de dimanche
dernier ont été un désastre.
L’ADQ n’a pas de réponses
aux questions que soulève
l’abolition des commissions
scolaires.
Est-ce que le fait que les gens ne soient pas allés
voter signifie qu’ils ne veulent plus de commissions scolaires? Et est-ce que le fait que le processus démocratique ne fonctionne pas prouve qu’il
faut larguer les commissions? C’est ce qu’affirme
M. Dumont, qui prétend que l’argent consacré au
maintien de cette structure bureaucratique prive
le réseau scolaire de ressources précieuses pour
résoudre des problèmes importants, comme le
décrochage ou les piètres résultats scolaires.
Sur un budget des commissions scolaires de
9 milliards, surtout des salaires, environ 400
millions va à l’administration. En éliminant
cette structure, l’ADQ, en campagne électorale,
estimait pouvoir économiser 150 millions. Estce le cas? Les commissions scolaires font des
choses essentielles. Si on les abolit, il faudra que
ces activités soient prises en charge autrement.
L’ADQ estime qu’on peut y arriver en confiant
les responsabilités des commissions aux municipalités et en donnant plus d’autonomie aux
écoles. Mais cela pose trois problèmes.
Le premier, c’est que, pour la plupart des responsabilités des commissions scolaires, les villes n’ont ni l’expérience ni le personnel pour s’en
acquitter. Et les écoles ne peuvent pas prendre le
relais. C’est le cas de la planification de la clientèle et donc des besoins, des services spécialisés
comme les orthopédagogues, des ressources
humaines et de la formation, de l’encadrement
pédagogique, des grands enjeux comme le
décrochage et l’intégration des immigrants, de
la répartition des ressources pour soutenir les
plus démunis. Il faudrait donc transférer en bloc
les effectifs actuels des commissions. Et donc
peu ou pas d’économies.
Bien sûr, il y a des cas où le transfert aux villes
peut se faire sans problèmes. D’abord la gestion
de la taxe scolaire. Peut-être le transport scolaire,
quoique les réseaux dépassent les frontières des
villes. Et surtout l’entretien des immeubles, où
les villes ont de l’expertise.
Mais il y a un second problème. Les villes coûtent plus cher à administrer que les commissions
scolaires, surtout à cause des salaires. Comme
on l’a vu avec les fusions municipales, on assistera à un ajustement vers le haut. Une étude de
l’économiste François Vaillancourt montre que,
seulement pour la gestion des immeubles, cela
coûterait de 38 à 58 millions de plus!
Il y a un troisième problème. En éducation, il
y a des enjeux plus globaux et plus politiques, le
respect de normes et de standards, des stratégies
pour améliorer les résultats. Qui fera cela? Pas
les maires. On risque fort de se retourner vers le
ministère de l’Éducation, avec le résultat paradoxal que le système serait encore plus éloigné
des gens et plus bureaucratique.
Ce sont là des écueils très sérieux. Cela ne veut
pas dire qu’il faut se battre pour la survie des
commissions scolaires. L’ADQ a peut-être raison
de dire que ces structures ont fait leur temps.
Mais l’ADQ ne semble pas savoir comment procéder et n’a certainement pas démontré que cela
permettrait des économies.
Et surtout, parce que l’abolition des commissions serait un processus pénible, ce projet
précipiterait le monde de l’éducation primaire et
scolaire dans un monstrueux débat de structures
qui drainerait les énergies et nous éloignerait des
véritables enjeux.
En 1964, un concours
de circonstances m’a amené à Montréal
pour un transfert d’emploi qui devait durer
deux ans. J’avais débuté mon immersion
canadienne en Colombie-Britannique,
jouissant pleinement du cadre de vie
exceptionnel qu’offrent Vancouver et ses
environs. Je m’y étais fait de nombreux
amis, qui le sont encore. Pourtant, après
ces deux ans à Montréal, j’avais décidé d’y
rester. C’était l’époque de l’Expo, Montréal
et le Québec vibraient d’enthousiasme, de
joie et de confiance en l’avenir.
J’aimais surtout pouvoir vivre dans les
deux langues et les grandes cultures que
sont le français et l’anglais – que la bonne
fortune m’avait permis de connaître et d’apprécier dès mon plus bas âge à l’Île Maurice,
ma petite terre natale. Pouvoir aller voir
un film en français, bouquiner dans une
librairie française ou anglaise, jouir de
cette ébullition si vivifiante que stimulent
les contacts continuels entre les nombreuses cultures et langues qui font le charme
de Montréal... J’ai donc choisi le Québec,
malgré tous les avantages que m’offrait un
retour en Colombie-Britannique.
Et j’ai voulu, pour mes débuts en politique, opter pour l’Assemblée nationale, où
j’ai eu la chance d’être témoin d’une page
enlevante de notre histoire.
La bonne fortune a aussi voulu que la
famille d’où je viens ait eu à travers les
générations des attaches dans plusieurs
pays et continents – famille où nos aînés
nous prêchaient souvent la richesse de
la diversité internationale et la valeur de
l’ouverture au monde d’outre-frontière.
Vous dire mon désarroi et mon amère
déception devant l’initiative à rebours
de M me Marois, politicienne intelligente
et expérimentée que j’ai connue à l’Assemblée nationale. Au lieu d’ouverture et
de confiance envers tous ceux qui cherchent à vivre en toute plénitude et équité
PHOTO JACQUES BOISSINOT, PC
Le projet de Mme Marois nous fait paraître mesquins voire ridicules à l’étranger, estime M. Lincoln.
comme citoyens à part entière, on veut au
contraire classifier, rétrécir et soustraire.
Classification et déclassification sont un
terrain glissant, où il n’est jamais facile de
s’arrêter. Car classifier reste par la nature
même très subjectif et laisse toujours des
brèches et des exceptions, qu’il faut sans
cesse colmater ou tâcher d’éliminer.
Et il est très juste que des exercices tels
que celui de M me Marois nous font paraître
mesquins voire ridicules à l’étranger. Cela
à l’heure du village global, où la crédibilité internationale devient un attribut
essentiel.
N’en déplaise à M. Pierre Curzi, je vis
aujourd’hui dans un petit village historique du West Island où les habitants qui
parlent tant une langue que l’autre vivent
en exemplaire harmonie. Ceux qui me
parlent du projet de loi 195, quelle que soit
leur origine ou leur langue, qu’ils soient de
souche ou nouveaux citoyens, en déplorent
le plus vivement le sentiment de négativisme, d’exclusion et de petite politique
qu’il transmet. De grâce, tâchez de nous
rassembler vers un avenir commun, plutôt
que de broyer du noir et de nous diviser.
Il faut admettre en même temps que l’in-
POST SCRIPTUM
La pub montrée du doigt
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PIERRE-PAUL GAGNÉ
I
l va de soi qu’un tragique accident
comme celui qui a coûté la vie à la
petite Bianca Leduc, à l’Île-Perrot,
il y a 10 jours, nous indigne tous et
nous chagrine.
En même temps, un tel drame nous
fait sentir coupables parce que nous
savons tous, dans notre for intérieur,
que cela aurait pu nous arriver. Parce
que, un jour ou l’autre, nous avons
conduit un véhicule automobile de
façon téméraire, voire avec les facultés
affaiblies.
L’accident de l’Île-Perrot a donc suscité un abondant courrier de lecteurs
où, au-delà de l’expression du chagrin
et de la compassion, beaucoup cherchaient des solutions pour empêcher la
répétition d’un tel drame...
Retarder à 21 ans l’âge où on peut
conduire une automobile, limiter la
puissance des voitures, diminuer la
vitesse maximale, augmenter les peines contre les contrevenants, hausser
le nombre de policiers qui surveillent
les routes, introduire les radars photo,
installer des dos d’ânes dans les rues
résidentielles, rendre obligatoires les
cours de conduite et, surtout, sensibiliser les conducteurs au danger de la
vitesse au volant.
Cette notion de responsabilisation est
revenue dans plusieurs courriels où les
auteurs exprimaient l’idée que la source
du problème réside dans l’insouciance
face à l’arme que peut constituer l’automobile. En voici un exemple :
– « Pour paraphraser une réplique
américaine en regard des armes à feu :
"Cars don’t kill people, idiots driving
cars kill people". On n’a jamais vu
une voiture tuer qui que ce soit. Par
contre, des débiles profonds au volant
d’une arme de deux tonnes ont tué
des milliers de gens. Au coeur du
problème, c’est toujours la personne
située à environ un pied derrière le
volant qui doit contrôler à la fois le
véhicule et ses propres réactions. Et
je n’en ai pas que contre les jeunes,
mais contre tous ceux qui prennent le
volant alors qu’ils ne se contrôlent pas
eux-mêmes. » (Yves Pratte)
Y a-t-il moyen de faire
la promotion de l’auto
autrement qu’en vantant
les performances et la
vitesse ?
Parallèlement à l’insouciance, nos
lecteurs n’ont pas manqué de cibler un
autre grand coupable à leur sens : la
publicité des voitures qui, la plupart du
temps, est concentrée sur la vitesse et la
performance.
– « Ceux qui doivent être montrés
du doigt en premier lieu, ce sont les
constructeurs d’automobiles qui, avec
leurs publicités valorisant la vitesse et
la puissance, créent des pseudo-coureurs automobiles. Que nos gouvernements légifèrent pour mieux encadrer
la publicité et nous éviterons de créer
ce type de conducteurs qui risquent
non seulement leur vie, mais surtout
celle des autres. » (Guy Bureau)
– « La publicité devrait se comporter plus intelligemment. Si on se fie
aux pubs, ça ne va jamais assez vite.
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tention du gouvernement de classifier les
droits de la Charte québécoise n’est guère
plus apte à dorer le blason du Québec
sur la scène internationale. Les droits
fondamentaux constituent une chaîne de
protection dont les maillons sont chacun
aussi importants que les autres, trouvant
leur force et leur équilibre à travers leur
interdépendance.
C’est pourquoi tous les grands instruments qui consacrent et protègent les droits
fondamentaux évitent à dessein de les classifier et leur assigner des priorités arbitraires. Là aussi, le gouvernement s’embarque
sur un terrain glissant, où il est difficile de
s’arrêter.
En effet, un droit qui peut paraître
prioritaire aujourd’hui, pourrait le devenir moins qu’un autre selon les circonstances d’un moment donné. Faudrait-il
alors reclassifier et jouer à nouveau à la
Charte ?
Le gouvernement devrait au contraire
solidifier la Charte québécoise pour en
faire une vraie Charte, au lieu d’une
simple loi amendable selon les courants
du moment. C’est ce que je lui recommande fortement.
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Comme cette annonce qui insiste sur
le fait que le véhicule X atteint 100 km
en 6 secondes ? Vraiment, les jeunes
ne sont pas les seuls responsables ! »
(M. Hébert)
– « Le changement de culture doit
aussi s’adresser à la publicité télévisée
concernant les automobiles. On y "vend"
des voitures toujours plus puissantes et
plus performantes. Et on les présente
généralement comme des bolides roulant
comme s’ils étaient sur des pistes de
Formule 1.» (Micheline Jourdain)
– « Ça me rend malade de voir les pubs
de "chars". On ne parle presque jamais
du confort ou de la sécurité. Non ! Ce
qui est valorisé, c’est la vitesse et la
performance. Comment voulez-vous
que les jeunes perçoivent le message
autrement qu’en se disant : les limites
de vitesse, c’est fait pour les autres… »
(Ginette Lachance, Montréal)
Un lecteur d’origine française en a
rajouté :
– « En France, depuis bien longtemps,
les publicitaires ont changé leur message. Aujourd’hui, on ne voit plus ce
genre de pub. Le confort, l’environnement, la famille sont des valeurs plus
importantes pour les constructeurs
d’autos que la vitesse. Si au Québec, on
arrête de voir des annonces où les traces
de pneus et la course sont mis en avant,
ça calmera peut-être certains téméraires. » (Mickael Leveque)
Les grandes agences de publicité et les
constructeurs d’automobiles saisirontils le message? Y a-t-il moyen de faire
la promotion de l’auto autrement qu’en
vantant les performances et la vitesse?
D’autres atouts ne peuvent-ils pas être
mis en évidence ? Après avoir vu les
images des émouvantes funérailles de
la petite Bianca, mercredi dernier, il y a
sans doute aujourd’hui à l’Île-Perrot et
ailleurs bon nombre d’individus qui en
sont désormais convaincus…
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