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PIERRE-PAUL GAGNÉ
Ilvadesoi qu’untragiqueaccident
commecelui quiacoûté la vieàla
petite Bianca Leduc, àl’Île-Perrot,
il ya10jours,nousindigne tous et
nouschagrine.
En même temps, un teldramenous
fait sentir coupablesparce quenous
savons tous, dans notrefor intérieur,
quecela aurait pu nousarriver. Parce
que, un jour ou l’autre, nousavons
conduit un véhicule automobilede
façontéméraire, voireavec lesfacultés
affaiblies.
L’accident de l’Île-Perrot adonc sus-
cité un abondant courrier de lecteurs
où,au-delàde l’expressiondu chagrin
et de la compassion,beaucoupcher-
chaient dessolutions pour empêcher la
répétition d’un teldrame...
Retarder à 21 ansl’âgeoù on peut
conduire uneautomobile, limiterla
puissancedes voitures,diminuer la
vitesse maximale,augmenter lespei-
nescontre lescontrevenants, hausser
le nombre de policiers quisurveillent
les routes,introduire lesradars photo,
installerdesdosd’ânes dans lesrues
résidentielles,rendreobligatoires les
coursde conduite et,surtout, sensibi-
liserles conducteurs au danger de la
vitesseau volant.
Cettenotionderesponsabilisation est
revenuedansplusieurs courrielsoùles
auteursexprimaient l’idée quelasource
du problème réside dans l’insouciance
face àl’armeque peutconstituerl’auto-
mobile. En voiciunexemple:
–«Pour paraphraser uneréplique
américaine en regard desarmes àfeu:
"Carsdon’t kill people,idiotsdriving
cars kill people". On n’ajamaisvu
unevoituretuerqui quecesoit. Par
contre,des débiles profonds au volant
d’unearmededeuxtonnesont tué
desmilliersdegens. Au coeurdu
problème,c’est toujours la personne
située àenviron un pied derrière le
volant quidoit contrôleràlafoisle
véhicule et sespropresréactions.Et
je n’en ai pasque contre lesjeunes,
mais contre tous ceux quiprennentle
volant alorsqu’ilsnesecontrôlent pas
eux-mêmes.»(Yves Pratte)
Parallèlementàl’insouciance,nos
lecteurs n’ont pasmanqué de cibler un
autregrand coupable àleursens: la
publicitédesvoitures qui, la plupartdu
temps, estconcentrée surla vitesseet la
performance.
–«Ceux quidoivent être montrés
du doigtenpremier lieu,cesont les
constructeursd’automobiles qui, avec
leurspublicités valorisant la vitesseet
la puissance, créent despseudo-cou-
reursautomobiles.Quenosgouverne-
mentslégifèrent pour mieux encadrer
la publicitéet nouséviterons de créer
ce type de conducteursqui risquent
nonseulement leur vie, mais surtout
celledesautres.» (Guy Bureau)
–«La publicitédevrait se compor-
terplusintelligemment. Si on se fie
auxpubs,çanevajamaisassez vite.
Commecette annoncequi insistesur
le fait quelevéhiculeXatteint 100km
en 6secondes? Vraiment,les jeunes
ne sont pasles seulsresponsables!»
(M.Hébert)
–«Le changement de culturedoit
aussis’adresser àlapublicité télévisée
concernant lesautomobiles.Ony"vend"
desvoiturestoujourspluspuissantes et
plus performantes. Et on lesprésente
généralement commedes bolidesroulant
commes’ils étaientsur despistesde
Formule1.» (Micheline Jourdain)
–«Ça me rend malade de voir lespubs
de "chars". On ne parlepresquejamais
du confortou de la sécurité.Non! Ce
quiest valorisé, c’estlavitesseetla
performance.Comment voulez-vous
queles jeunes perçoiventlemessage
autrement qu’ense disant:les limites
de vitesse, c’estfait pour lesautres…»
(Ginette Lachance,Montréal)
Un lecteurd’origine française en a
rajouté:
–«En France,depuisbienlongtemps,
lespublicitaires ont changé leur mes-
sage.Aujourd’hui, on ne voit plus ce
genredepub.Leconfort, l’environne-
ment,lafamillesont desvaleurs plus
importantespourles constructeurs
d’autosque la vitesse. Si au Québec,on
arrête de voir desannonces où lestraces
de pneusetlacoursesont misenavant,
ça calmerapeut-être certains témérai-
res.»(MickaelLeveque)
Lesgrandesagences de publicitéetles
constructeursd’automobiles saisiront-
ilslemessage?Ya-t-ilmoyen de faire
la promotiondel’autoautrement qu’en
vantantles performancesetlavitesse?
D’autres atouts ne peuvent-ils pasêtre
misenévidence? Aprèsavoir vu les
images desémouvantesfunérailles de
la petite Bianca,mercredidernier,ilya
sans doute aujourd’huiàl’Île-Perrotet
ailleurs bonnombre d’individusqui en
sont désormaisconvaincus…
La pubmontrée du doigt
POST SCRIPTUM
Ya-t-il moyende faire
la promotionde l’auto
autrementqu’envantant
lesperformances et la
vitesse?
CLIFFORD
LINCOLN
Ancien député
libéraltant à
Québec qu’à
Ottawa,l’auteur
aétéministre de
l’Environnement
sous Robert
Bourassa.
En 1964, un concours
de circonstances m’aamené àMontréal
pour un transfertd’emploiqui devaitdurer
deux ans. J’avaisdébutémon immersion
canadienne en Colombie-Britannique,
jouissant pleinement du cadredevie
exceptionnel qu’offrentVancouver et ses
environs.Jem’y étaisfaitdenombreux
amis,qui le sont encore.Pourtant, après
cesdeuxans àMontréal, j’avaisdécidéd’y
rester.C’était l’époque de l’Expo,Montréal
et le Québec vibraientd’enthousiasme, de
joie et de confianceenl’avenir.
J’aimais surtoutpouvoirvivre dans les
deux languesetles grandesculturesque
sont le français et l’anglais–que la bonne
fortunem’avait permisdeconnaître et d’ap-
précierdès monplusbas âgeàl’Île Maurice,
ma petite terrenatale. Pouvoiraller voir
un filmenfrançais, bouquiner dans une
librairiefrançaise ou anglaise, jouirde
cetteébullition si vivifiante questimulent
lescontacts continuels entreles nombreu-
sesculturesetlangues quifont le charme
de Montréal... J’ai donc choisi le Québec,
malgré tous lesavantages quem’offraitun
retour en Colombie-Britannique.
Et j’ai voulu, pour mesdébutsenpoliti-
que, opterpourl’A ssemblée nationale,où
j’ai eu la chance d’être témoin d’unepage
enlevantedenotre histoire.
La bonnefortune aaussi vouluque la
familled’oùjeviens aiteuàtravers les
générationsdes attaches dans plusieurs
pays et continents –familleoùnos aînés
nousprêchaientsouventlarichessede
la diversitéinternationaleetlavaleurde
l’ouverture au monded’outre-frontière.
Vous dire mon désarroi et mon amère
déceptiondevantl’initiativeàrebours
de Mme Marois,politicienneintelligente
et expérimentéeque j’ai connue àl’As-
sembléenationale.Aulieud’ouverture et
de confianceenverstousceuxqui cher-
chentàvivre en touteplénitude et équité
commecitoyensàpartentière,onveutau
contraireclassifier, rétrécir et soustraire.
Classification et déclassification sont un
terrainglissant,oùiln’est jamais facile de
s’arrêter. Carclassifierreste parlanature
même très subjectifetlaissetoujoursdes
brèchesetdes exceptions,qu’il fautsans
cessecolmateroutâcherd’éliminer.
Et il esttrèsjuste quedes exercicestels
quecelui de Mme Marois nousfont paraître
mesquinsvoire ridiculesàl’étranger. Cela
àl’heure du villageglobal, où la crédi-
bilité internationale devient un attribut
essentiel.
N’en déplaise àM.PierreCurzi,jevis
aujourd’huidansunpetit villagehistori-
queduWestIslandoùles habitantsqui
parlenttantune langue quel’autre vivent
en exemplaireharmonie.Ceuxqui me
parlentduprojetdeloi 195, quelle quesoit
leur origineouleurlangue, qu’ils soient de
souche ou nouveaux citoyens,endéplorent
le plus vivement le sentimentdenégati-
visme, d’exclusionetdepetitepolitique
qu’iltransmet. De grâce, tâchez de nous
rassembler vers un avenir commun, plutôt
quedebroyerdunoiretdenousdiviser.
Il fautadmettreenmêmetemps quel’in-
tentiondugouvernement de classifier les
droits de la Charte québécoise n’estguère
plus apte àdorer le blason du Québec
surlascène internationale.Les droits
fondamentaux constituentune chaîne de
protection dont lesmaillonssont chacun
aussiimportants queles autres,trouvant
leur force et leur équilibreàtravers leur
interdépendance.
C’estpourquoitousles grands instru-
mentsqui consacrent et protègentles droits
fondamentaux évitentàdesseindeles clas-
sifier et leur assigner despriorités arbitrai-
res. Là aussi, le gouvernement s’embarque
surunterrain glissant, où il estdifficilede
s’arrêter.
En effet, un droitqui peutparaître
prioritaireaujourd’hui, pourrait le deve-
nirmoinsqu’unautreselonlescircons-
tances d’un moment donné. Faudrait-il
alorsreclassifier et jouer à nouveau à la
Charte ?
Le gouvernement devrait au contraire
solidifierla Charte québécoise pour en
faireune vraieCharte, au lieu d’une
simple loiamendable selonlescourants
du moment.C’estce queje luirecom-
mande fortement.
Unterrain fortglissant
Classifieretdéclassifierlesdroitss’avèreunexercicepérilleux
PHOTO JACQUESBOISSINOT, PC
LeprojetdeMme Marois nousfaitparaître mesquinsvoire ridicules àl’étranger,estimeM.Lincoln.
Cette semaine, le chef de l’opposition
officielle adéposéune motion de
blâmepourrenverser le gouvernement
Charest: «Que l’Assembléenationale
blâmesévèrementlegouvernement et luiretire
sa confiancepoursadéfense descommissions
scolaires, sonapprochebureaucratique, et son
incapacité àassureraux écolesetaux enfantsdu
Québec lesservicesauxquelsils ont droit.»
L’abolitiondes commissionsscolaires consti-
tuemanifestement un enjeufondamental pour
l’ADQ. C’étaitundeses principaux engage-
mentsélectoraux, et cela semble maintenant un
motifsuffisant pour vouloirprécipiterleQuébec
en campagne électorale.
Prenonsdonc MarioDumont au mot. Si c’est
un enjeumajeur, regardonslachose de plus
près.Pourquoiabolirles commissionsscolaires?
Commentlefaire?Celaposera-t-il desproblè -
mes? Quelsseraientles avantages? On m’accu-
sera sans doute de m’acharner surl’A DQ.Mais
bien au contraire, le fait d’analyser lesidées d’un
partiqui va peutêtreprendre le pouvoirest une
façondeleprendre au sérieux.
Mais encore unefois, on découvre que, der-
rièreleslogan, il n’yarien. L’ADQn’a pasde
réponses auxquestions quesoulève un telpro-
jet. L’idée,informe au moment desélections,le
semble tout autant huit mois plus tard.SiM.
Dumont arelancé ce débatcette semaine, c’est
parce queles électionsscolaires de dimanche
dernieront étéundésastre.
Est-ce quelefaitque lesgensnesoientpas allés
votersignifie qu’ils ne veulentplusdecommis-
sionsscolaires?Etest-ceque le fait queleproces -
susdémocratiquenefonctionne pasprouvequ’il
fautlarguer lescommissions?C’est ce qu’affirme
M. Dumont,qui prétendque l’argent consacré au
maintien de cettestructure bureaucratique prive
le réseau scolaire de ressources précieuses pour
résoudre desproblèmes importants,comme le
décrochage ou lespiètres résultatsscolaires.
Surunbudgetdes commissionsscolaires de
9milliards,surtout dessalaires, environ400
millionsvaàl’administration.Enéliminant
cettestructure,l’A DQ,encampagneélectorale,
estimait pouvoiréconomiser150 millions. Est-
ce le cas? Lescommissions scolairesfont des
choses essentielles. Si on lesabolit, il faudraque
cesactivités soient prisesenchargeautrement.
L’ADQestimequ’on peutyarriver en confiant
lesresponsabilitésdes commissionsaux muni-
cipalitésetendonnant plus d’autonomieaux
écoles. Mais cela pose troisproblèmes.
Le premier, c’estque,pourlaplupart desres-
ponsabilitésdes commissionsscolaires,les vil-
lesn’ont ni l’expériencenilepersonnel pour s’en
acquitter. Et lesécolesnepeuvent pasprendre le
relais.C’est le casdelaplanificationdelaclien-
tèle et donc desbesoins,des services spécialisés
commeles orthopédagogues, desressources
humaines et de la formation, de l’encadrement
pédagogique,des grands enjeux commele
décrochage et l’intégrationdes immigrants,de
la répartitiondes ressources pour soutenir les
plus démunis. Il faudraitdonc transférer en bloc
leseffectifs actuelsdes commissions. Et donc
peu ou pasd’économies.
Bien sûr, il yades casoùletransfert auxvilles
peutsefaire sans problèmes. D’abord la gestion
de la taxe scolaire.Peut-être le transportscolaire,
quoiqueles réseauxdépassent lesfrontièresdes
villes.Etsurtout l’entretiendes immeubles, où
lesvilles ont de l’expertise.
Mais il yaunsecondproblème. Lesvilles coû-
tent plus cher àadministrerque lescommissions
scolaires, surtoutàcause dessalaires. Comme
on l’avuavecles fusionsmunicipales, on assis-
tera àunajustement vers le haut.Une étude de
l’économiste François Vaillancourtmontre que,
seulementpourlagestion desimmeubles, cela
coûteraitde38à58millionsdeplus!
Il yauntroisième problème.Enéducation,il
yades enjeux plus globauxetpluspolitiques, le
respectdenormesetdestandards,des stratégies
pour améliorerles résultats. Quiferacela? Pas
lesmaires. On risque fort de se retournerversle
ministèredel’Éducation,aveclerésultatpara-
doxalque le systèmeseraitencore plus éloigné
desgensetplusbureaucratique.
Ce sont là desécueils très sérieux. Cela ne veut
pasdirequ’il fautsebattrepourlasurviedes
commissionsscolaires.L’A DQ apeut-être raison
de dire queces structures ont fait leur temps.
Mais l’ADQnesemblepas savoir commentpro-
céderetn’a certainement pasdémontré quecela
permettrait deséconomies.
Et surtout, parce quel’abolition descom-
missions serait un processus pénible,ceprojet
précipiteraitlemonde de l’éducationprimaireet
scolaire dans un monstrueux débatdestructures
quidraineraitles énergies et nouséloignerait des
véritables enjeux.
Mario
strikesagain