ROI LEAR
Sans doute l’une des plus bouleversantes pièces de Shakespeare, Le Roi Lear imbrique les sphères inmes et
publiques de façon implacable et tragique. Lorsque Lear annonce son intenon de renoncer au fardeau du
pouvoir en léguant son royaume à ses trois lles, il détermine le partage en mesurant leur amour à l’aune de
leurs paroles : les deux aînées se conforment au rituel, et la cadee pourtant préférée se tait. Lear la bannit, et
entame alors une cruelle descente aux enfers.
Jean-Luc Revol, qui depuis plusieurs années souhaite se confronter à cee œuvre majeure, a choisi Michel
Aumont pour interpréter le vieux roi. Faisant écho au basculement dans la violence qui suit le renoncement de
Lear, le meeur en scène le représente à l’aube de la crise de 1929, sous les traits d’un nabab du cinéma.
Convoquant les arces cinématographiques, accompagné par une équipe d’acteurs chevronnés, Jean-Luc Revol
transforme le théâtre en un plateau de tournage où les personnages jouent l’histoire de Lear, et où, comme dans
Huit et demi de Fellini, la fronère entre la réalité et l’imaginaire de Lear se brouille. Se référant à la période
allemande de Fritz Lang, à Intervista de Fellini ou aux comiques comme Buster Keaton ou Harold Lloyd, la pièce
déploie une poésie sublime et grotesque à travers les visions intérieures de Lear, dont l’univers psychique se
délite autant que le monde réel. Un saisissant portrait à la fois mental et concret !
Il est évident que le Roi Lear est la plus hantée
des tragédies shakespeariennes, pourtant rien
d’explicitement surnaturel ou de surhumain
n’intervient ici. C’est ce qui fait sa force. Pas besoin de
sorcières ou de malédicon pour raconter l’histoire
de ce roi et de la chute d’un monde. D’ailleurs on ne
pénètre pas dans l’univers de Lear. On le contemple,
horrié, de l’extérieur, en témoin.
Nous sommes face à un cataclysme humain et
universel, que l’on ne peut pas arrêter. A l’inverse de
La Tempête, tragédie du merveilleux, nous sommes
ici dans une tragédie du désordre qui trouve sa vie
même dans la démesure et l’absurde. Ce qui nous
intéresse, c’est le portrait d’un homme: Lear.
Qui est-il ? Un roi. Ni pire ni meilleur qu’un autre.
Un guerrier qui, dans sa quête stupide de la
reconnaissance de ses trois lles, prendra trop tard
conscience de son erreur de jugement, et passera
ainsi au l de l’histoire, du dépouillement matériel
au dépouillement spirituel. A la première scène de la
pièce succédera un chaos total, jusqu’au dérèglement
universel. Même si Lear est racheté in extremis,
le monde connuera de se déchirer. Pourtant,
auparavant, il se sera révolté contre ce globe qui le
broie et ne veut plus de lui.
Car, malgré notre puissance, sommes-nous desnés à
périr ? Si l’on ouvre les yeux sur le monde, on ne peut
être qu’horrié par le désordre violent qui y règne. Et
c’est ce qui nous interroge ici: la prise de conscience
de Lear, qui brise les fronères de l’entendement. Elle
touche au sublime et au grotesque en même temps.
Elle passe évidemment par la folie. Elle renvoie
l’homme à sa nudité primive (Lear, Edgar), proie
lucide et passionnée, livré à la misère de sa condion
et au désordre des éléments naturels. Mais, au
moins, à mesure que la raison de Lear se désagrège et
:
- Hamlet de William Shakespeare
- MacBeth de William Shakespeare
- Andromaque de Jean Racine
- La vie est un songe de Pedro Calderon
- Caligula de Albert Camus
- Les bonnes de Jean Genet
- A chacun sa vérité de Luigi Pirandello
- Qui a peur de Virginia Woolf ? de Edward Albee
- Déjeuner chez Wigenstein de Thomas Bernhard
- Le numéro d’équilibre de Edward Bond
- Hot house de Harold Pinter
- Soudain l’été dernier de Tennesse Williams
Il faut un acteur pour Lear. Sans cet acteur, pas de pièce qui vaille. C’est un
mystère et un rendez-vous théâtral dans le parcours d’un comédien. Avec
Michel Aumont, nous en parlons depuis plus de dix ans. Aujourd’hui, il a
décidé d’être notre roi.
Michel Aumont apparent à la confrérie des
comédiens de l’inconfort, prêts et apte à
interpréter les emplois les plus exigeants
de l’entre-deux, tout à la fois déchirant ou goguenard,
naturel ou composé, inquiétant ou amusant.
Il obent au concours du Conservatoire en 1956 un
premier prix de comédie moderne dans Le Tragique
malgré lui de Tchekhov et un premier accessit de
comédie classique dans le rôle du docteur de La
Jalousie du barbouillé de Molière. A sa sore il est
engagé comme pensionnaire à la Comédie- Française,
puis devient sociétaire, et enn sociétaire honoraire.
Son contrat spule qu’il interprétera les rôles de
composion, c’est-à-dire les vieux barons, ce qu’il fait
avec brio en dépit de son jeune âge. Il est donc familier
des Géronte (Les Fourberies de Scapin, Le Médecin
malgré lui, Le Légataire universel de Regnard), mais
c’est dans Harpagon (L’Avare de Molière), rôle qu’il a
joué pendant vingt ans, qu’il révèle toute la richesse
de son jeu. Parmi ses principaux rôles, beaucoup
de personnages de Molière mais aussi ceux de
Shakespeare, Beaumarchais, Feydeau, Labiche,
Courteline, Balzac, Becque, jusqu’aux personnages
d’auteurs contemporains comme Giraudoux, Ionesco,
ou encore Becke qu’il aeconne parculièrement.
Il sort peu à peu de la composion grâce à son ami
Jean-Paul Roussillon et dégage son vrai visage du
maquillage et des posches pour apparaitre au
naturel . La simplicité et la profondeur prennent alors
le pas sur le trucage.
À la Comédie- Française, il a notamment travaillé avec
Roger Blin, Jean-Paul Roussillon, Terry Hands, Antoine
Vitez, Claude Régy, Jean-Pierre Vincent, Jorge Lavelli.
En 1972, il reprend le rôle tenu par Robert Hirsch
dans Richard III à Avignon, ce qui lui vaut un triomphe
dans un rôle tragique. Il crée de nombreux rôles à la
Comédie-Française : Amalric (Le Partage de midi de
Claudel, 1975), Jean Punla (Maitre Punlla et son
valet Ma de Brecht, 1976), Bérenger (Le roi se meurt
de Ionesco, 1975), Vladimir (En aendant Godot de
Becke, 1978), Trigorine (La Mouee de Tchekhov,
1980), Hamm (Fin de pare de Becke, 1988), Garcin
(Huis clos de Sartre, 1990), Mercadet (Le Faiseur de
Balzac, 1993). Son compagnonnage avec Jean-Paul
Roussillon a donné naissance à des spectacles d’une
que les fausses vérités s’eacent, la folie aura ré de
cee confusion une nouvelle échelle de valeur. Et si
Cordelia doit mourir, c’est la logique et le fond même
de la tragédie; celle qui permet la sublimaon nale
de l’âme de Lear ; celle par laquelle son supplice se
termine. La querelle aentée à l’univers se clôt dans
la spiritualité la plus haute. Entre temps, la nuit noire
sur la lande aura fait de nous des pitres et des fous.
, juin 2013.
intensité mémorable, tels Amorphe d’Oenburg de
Jean-Claude Grumberg, La Nostalgie, camarade... de
François Billetdoux, Abel et Belo de Robert Pinget. Il
joue récemment, en 2005, dans Dieu est un steward
de bonne composion d’Yves Ravey mis en scène par
Jean-Michel Ribes au Théâtre du Rond-Point, en 2007
dans À la porte de Vincent Delecroix mis en scène par
Marcel Bluwal au Théâtre de l’Œuvre et dans Puzzle
de Woody Allen mis en scène par Annick Blancheteau
et Jean Mourière au Théâtre du Palais-Royal et, en
2010, dans David & Edward de Lionel Goldstein mis
en scène par Marcel Bluwal au Théâtre de l’Œuvre.
Au reste, Michel Aumont mène en parallèle au
théâtre, et sans la moindre disconnuité, une
étourdissante carrière « d’excentrique» du cinéma,
où ce sont sans surprise les meilleurs amateurs
de gures qui le sollicitent, Michel DevilIe, Claude
Chabrol, Bertrand Tavemier, Francis Veber, Pascal
Thomas. Dernièrement, il joue dans Palais Royal !
de Valérie Lemercier (2005), La Doublure de Francis
Veber (2006), Bancs publics (Versailles Rive-Droite)
de Bruno Podalydès (2009) et, en 2010, dans Comme
les 5 doigts de la main d’Alexandre Arcady, Imogène
McCarthery d’Alexandre Charlot et Franck Magnier,
Un balcon sur la mer de Nicole Garcia.