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Introduction
Qui agit ? Qui peut être rendu responsable de l’action ? Qu’est-ce qui fait de nous
un individu conscient de soi, capable de dire « je » ? La nature agit, puisqu’il est possible
de parler de l’action du vent, de l’action de telle molécule sur une autre, et de les rendre
responsables de ces actions. Cependant, la molécule n’est pas considérée comme un sujet
ou une personne, elle n’est pas responsable de son action au sens juridique, mais
simplement considérée comme ce qui a causé tel phénomène. Le sujet est aussi cause de
son action, mais d’une façon bien différente. La molécule agit sur une autre
nécessairement, naturellement, et le fondement de son action est dans la nature même. Au
contraire, un sujet conscient de soi trouve en lui-même le principe de son action : être sujet
implique d’être libre, spontané, de pouvoir infléchir le cours de la nature par notre volonté.
C’est pourquoi être un sujet implique d’être un sujet agissant, le sujet d’une action, mais
une action rapportée à un « je », qui devient grammaticalement le sujet du verbe.
Cependant, est-il possible dans une réflexion sur l’action de se passer d’un sujet ?
« C’est une philosophie de la conscience, qui identifie vie et conscience, mais ce
n’est pas une philosophie du sujet, car la réalité objective de la conscience déborde de
beaucoup les catégories étroites du sujet », écrit Jean-Louis Vieillard-Baron1. La
philosophie de Bergson est une philosophie qui semble se passer de sujet, ou qui a du
moins cherché à dépasser ce concept classique, trop idéaliste, à l’aide d’autres concepts, tel
le moi ou la conscience. C’est pourquoi nous ne pouvons nier que ce n’est pas une
philosophie du sujet. Le fait que le terme est peu utilisé par Bergson est déjà un signe
important d’une telle absence. Cependant, la philosophie de Bergson est aussi une
philosophie de l’action, et cette absence d’un sujet dans le cadre d’une philosophie de
l’action semble bien problématique.
Cependant, même si la conscience et le moi dans la philosophie bergsonienne ne sont pas
des termes coextensifs avec ce que le sujet désigne, il n’est pas nécessaire de conclure qu’il
n’y a pas de sujet chez Bergson. En effet, Bergson se donne des concepts tels que le moi, la
conscience, pour ne pas reprendre le terme classique de sujet, mais ces concepts recouvrent
ce qui était désigné par le sujet. Que pouvons-nous entendre par ces « catégories étroites du
sujet » ? Dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie,2 nous pouvons
trouver cette définition : « être auquel est attribué le prédicat, par suite l’être réel considéré
1 VIEILLARD-BARON, Jean-Louis, La philosophie française, Paris, Armand Colin, 2000, chapitre 5.
2 LALANDE, André, Vocabulaire critique et technique de la philosophie, « Sujet », Paris, PUF, 1926.