L’Encéphale (2011) 37, 231—237 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MISE AU POINT Alcool et épilepsie : une illustration clinique entre convulsions de sevrage et neuroborréliose Alcohol and epilepsy: A case report between alcohol withdrawal seizures and neuroborreliosis C. Gheorghiev a,∗, F. De Montleau a, G. Defuentes b a Service de psychiatrie, hôpital d’instruction des armées Percy, 101, avenue Henri-Barbusse, BP 406, 92141 Clamart, France Service de médecine interne, hôpital d’instruction des armées Percy, 101, avenue Henri-Barbusse, BP 406, 92141 Clamart, France b Reçu le 13 mars 2009 ; accepté le 12 mai 2010 Disponible sur Internet le 3 décembre 2010 MOTS CLÉS Alcool ; Épilepsie ; Convulsion de sevrage ; Maladie de Lyme KEYWORDS Alcohol; Epilepsy; Alcohol withdrawal seizure; Lyme disease ∗ Résumé Notre travail a été consacré à l’étude des liens entre une substance psychoactive, l’alcool, et les diverses manifestations épileptiques qui ont pu y être associées, afin d’en clarifier les principaux déterminants. Cette réflexion a été nourrie par une illustration clinique, celle de la prise en charge hospitalière de complications de sevrage d’un patient présentant une alcoolodépendance sévère, avec la survenue de deux crises convulsives qui poseront la question de leur statut nosographique. La nécessité d’une systématisation du bilan étiologique de toute crise convulsive émaillant le cours de l’alcoolodépendance, en éliminant les autres causes de comitialité avant de retenir celle liée à l’alcool, a été rappelée. Notre démarche diagnostique nous a conduit à la mise en évidence d’une cause infectieuse rare, la neuroborréliose, à laquelle nous nous sommes intéressés de par ses éventuelles complications psychiatriques, invitant à considérer cette affection comme potentiel diagnostic différentiel de toute manifestation psychique atypique. © L’Encéphale, Paris, 2010. Summary Objectives. — This work consists in a study of the links between alcohol, a psychoactive substance and different related epileptic manifestations in order to clarify predominant factors both on conceptual, clinical and therapeutic levels. Background. — If alcohol is a frequent risk factor for seizures, its scientific evidence is less clear and ad hoc literature is rich in controversies and not firmly supported by systematic surveys. Alcohol has variable roles in the physiopathological determinism of seizures, the nosographical status of which needs to be clarified: alcohol withdrawal seizures, alcoholic epilepsy, and sometimes symptomatic epilepsy caused by coincidental disorders. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Gheorghiev). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.10.004 232 C. Gheorghiev et al. Methods. — A synthesis of relevant literature describing the links between alcohol and epilepsy is illustrated by a clinical case: a patient admitted in our psychiatric ward for chronic alcoholism had had two seizures questioning their nosographical status. An infectious process with protean neurological manifestations, neuroborreliosis, was diagnosed. Discussion. — Three distinct clinical pictures illustrate the links between alcohol and epilepsy: the first, convulsive inebriation corresponds to a seizure during severe acute alcohol intoxication. The second deals with alcohol withdrawal seizures following a partial or complete sudden withdrawal of alcohol; these are the clinical features the most documented in the literature representing, with delirium tremens, the main complication of alcohol withdrawal. The third clinical picture, alcoholic epilepsy, is characterized by repetitive seizures in patients presenting alcohol abuse without former history of epilepsy or other potentially epileptic disorder, and without relationship to alcohol withdrawal or acute alcohol intoxication. Acute and chronic effects of alcohol on central nervous system have been depicted, while a unified classification of alcohol related seizures has been recently established by Bartolomei. This classification based on the Ballenger hypothesis of kindling (1978) could explain withdrawal and hazardous seizures as clinical expressions of the same epileptogenic process over different stages. Although theoretically criticized, such a model offers a conceptual interest while able to unify the varied understanding of convulsive crises related to alcohol, and a practical one, whilst being a basis for a therapeutic approach. Our clinical case illustrates the delay in the diagnosis established after two iterative generalized seizures, 72 hours after the beginning of a programmed weaning of a patient presenting alcohol dependency. If the withdrawal seizure hypothesis was underlined, some data led to symptomatic epilepsy. Firstly atypia, the well-supervised preventive treatment of convulsion did not avoid seizures. Secondly, the EEG showed focal anomalies strongly linked in the literature with a cerebral disorder, which was confirmed by MRI; thirdly, cognitive alterations, which are not usual in alcohol dependency, were observed clinically and confirmed by neuropsychological tests. Finally a neuroborreliosis was diagnosed, while the main neuropsychiatric complications of Lyme disease were described. In accordance with the recommendations made by some authors, it appeared legitimate to consider neuroborreliosis as a potential differential diagnosis of every atypical psychiatric disorder, the interest of such an identification laying in the existence of a specific treatment. © L’Encéphale, Paris, 2010. Introduction Les intrications psycho-organiques, décrites dès les premiers temps de la nosographie psychiatrique, bénéficient d’un intérêt renouvelé ces dernières décennies en interrogeant tant nos stratégies diagnostiques que nos pratiques thérapeutiques ; elles offrent également des perspectives de recherche par le questionnement qu’elles soulèvent autour de la genèse des troubles. Le point de départ de notre réflexion a été l’étude des liens entre épilepsie et alcool. Si l’alcool est un facteur de risque habituel de crise convulsive, les évidences scientifiques sont moins nettes, avec une littérature riche de controverses et peu étayée d’études contrôlées. L’alcool occupe une place variable dans le déterminisme physiopathologique des convulsions : souvent il s’agit de crises de sevrage, pour parfois révéler une épilepsie lésionnelle alors que l’épileptogenèse de l’alcoolodépendance est discutée. Le masque psychiatrique de troubles à l’occurrence et l’expression clinique stéréotypée ne doit pas pour autant occulter les autres hypothèses diagnostiques, dont les causes parfois curables imposent un traitement spécifique précoce. Une illustration clinique est proposée à partir de l’observation, au cours d’un sevrage alcoolique, de crises répétées révélatrices au terme d’une investigation diagnostique au-delà de la constatation de l’accident de sevrage, d’un processus infectieux à la présen- tation neurologique protéiforme trompeuse. Une synthèse des relations qui unissent cette maladie infectieuse à la clinique psychiatrique a clôturé notre travail autour des enseignements principaux qui s’en dégagent. L’alcool, facteur de risque de crise Les liens entre alcool et épilepsie sont décrits depuis l’antiquité, l’épilepsie ayant pu être considérée comme un « disorder related to partying » [31]. Associé à plus de 40 % des crises observées chez des patients admis dans un service d’urgence, l’alcool est le facteur de risque principal de crises chez l’adulte [24]. La mise en évidence d’une relation directe et proportionnelle entre le risque de survenue d’une première crise et la quantité d’alcool absorbé fait évoquer un effet dose de l’alcool quant au risque de convulsion [38]. L’arrêt de sa consommation est également un facteur de risque, avec l’existence d’une corrélation positive entre l’incidence de crises et le nombre de sevrages alcooliques antérieurs [6], alors que 30 % des sujets ayant fait une crise présumée de sevrage alcoolique referaient une crise au cours des trois années suivantes [16]. La consommation d’alcool semble aussi majorer le risque de crise en cas d’épilepsie associée par divers mécanismes : privation de sommeil, mauvaise observance du Une actualité des liens entre alcool et épilepsie traitement antiépileptique, modification de l’absorption de ce dernier ou induction de son métabolisme hépatique, ou encore troubles métaboliques parfois associés à la consommation d’alcool comme l’hypoglycémie ou un déficit vitaminique [30]. Ce postulat repose sur peu d’arguments scientifiques ; Höppener et al. n’ont pas mis en évidence de différence significative en terme de nombre de crises, de modifications électroencéphalographiques ou de dosages d’anticonvulsivant entre deux groupes ayant consommé en double aveugle un à trois verres d’orangeade avec ou sans vodka deux fois par semaine pendant 16 semaines [26]. Tableaux cliniques Intoxication alcoolique aiguë et crise convulsive L’ivresse convulsivante correspond à l’association d’un taux d’alcoolémie élevé à un tableau clinique d’intoxication alcoolique aiguë compliquée d’une crise convulsive [27]. Rarement objectivée dans les études [3], sa physiopathologie amène à discuter le rôle convulsivant direct de l’alcool [22]. Devetag et al. n’ont en effet observé au sein de leur cohorte de 1431 sujets alcoolodépendants que deux cas de convulsion en lien avec une prise aiguë d’alcool [15] ; sur le plan électrophysiologique, un travail a montré l’apparition de grapho-éléments paroxystiques chez 20 % des sujets après l’administration aiguë d’alcool, mais sans corrélation clinique [34]. Des crises liées à une autre cause sont souvent associées, incitant certains auteurs à contester l’autonomie de cette entité clinique [3]. Sevrage alcoolique et crise convulsive Les crises de sevrage ont été définies par Victor et Brausch comme des crises convulsives déclenchées par une soudaine situation d’abstinence chez des sujets présentant une consommation ancienne et excessive d’alcool [45]. En relation directe avec le phénomène de sevrage alcoolique, avec un délai de survenue de sept à 48 heures après la dernière prise d’alcool, ces crises sont au même titre que le delirium tremens un accident de sevrage précédant les manifestations habituelles du sevrage alcoolique. Leur incidence serait estimée à 8 % des sevrages alcooliques dans une étude récente [25]. Cliniquement, il s’agit de crises généralisées tonicocloniques, alors que les crises partielles motrices sont possibles mais rares (5 %) ; elles sont uniques ou multiples (55 % des cas), survenant par salve de deux à quatre crises pendant les 12 premières heures. L’électroencéphalogramme est le plus souvent normal (84 % des cas), alors que les auteurs ont pu décrire une réponse photoparoxystique définie comme une réponse anormale à la stimulation lumineuse [45], en fait inconstante et non spécifique [23]. Alcoolodépendance et crises récurrentes L’épilepsie liée à l’alcool est une notion acceptée en France, mais peu reconnue par la communauté scientifique internationale [19]. Devetag et al. ont défini l’épilepsie alcoolique comme la répétition de crises chez des sujets présentant 233 un abus d’alcool, sans histoire antérieure d’épilepsie ou d’autre affection potentiellement épileptogène, et sans relation avec un sevrage ou une prise aiguë d’alcool [15]. Elle se caractérise par deux traits essentiels, la rareté de ses récurrences, à raison d’une à deux crises par an, et sa réversibilité à l’arrêt de la consommation d’alcool. L’abus d’alcool serait son soubassement physiopathologique, en étant associé à une épileptogénèse spécifique dont ne rend pas compte la place qu’elle occupe au sein de la nosographie des syndromes épileptiques [2]. L’épilepsie alcoolique représente plus du tiers des crises chez le sujet alcoolodépendant [15], alors qu’elle concerne 20 % à 25 % des épilepsies débutantes à l’âge adulte [12]. Le délai entre le début de la consommation d’alcool et l’apparition de crises est en moyenne d’une dizaine d’années, allant en faveur d’une installation progressive de l’état épileptogène. Les épisodes critiques de l’épilepsie alcoolique ne diffèrent pas cliniquement des autres crises convulsives en relation avec l’alcool, en dehors de la plus grande fréquence des crises partielles [3]. Alcoolodépendance et épilepsie secondaire Les crises dites symptomatiques représentent 10 à 12 % des crises survenant chez le sujet alcoolodépendant [3], voire 35 % dans un travail récent [32]. Si les sujets alcoolodépendants sont soumis aux mêmes facteurs de risque que la population générale, il existe du fait de l’abus d’alcool un risque accru, dont le poids demeure difficile à évaluer, en termes de complications pouvant conduire au déclenchement d’une crise [7,35]. Les principales causes comitiales impliquées en dehors de celles liées à l’alcool sont d’origine traumatique, métabolique, toxique, ou encore vasculaire et infectieuse [43]. Pathogénie Effets aigus et chroniques de l’alcool sur le système nerveux central L’administration aiguë d’alcool a un effet antiépileptique par l’élévation du seuil convulsif. Cet effet clinique est lié sur le plan neurophysiologique à la modulation des systèmes GABA (potentialisation) et glutamatergique (inhibition) : l’alcool est un agoniste du récepteur GABA-A en permettant l’entrée intracellulaire d’ions chlorure, mécanisme d’action proche de celui des benzodiazépines, alors qu’il a un effet inhibiteur sur le métabolisme du glutamate en étant un antagoniste du récepteur NMDA conduisant à un blocage concentration dépendante de l’entrée de calcium dans la cellule [13]. À l’opposé, l’effet convulsivant direct de l’alcool a été attribué à une modification de la microcirculation locale et à une hypomagnésémie [29]. Lors d’une consommation chronique, il est observé une augmentation de l’excitabilité neuronale par un mécanisme adaptatif qui est relayée par une diminution de l’expression et de la sensibilité des récepteurs GABA-A et une augmentation du nombre des récepteurs NMDA et de leur affinité pour le glutamate [25] ; ces phénomènes participeraient pour l’essentiel à l’abaissement du seuil épileptogène, alors que 234 les rôles d’un polymorphisme génique du neuropeptide Y ou d’une désensibilisation du récepteur à l’adénosine ont pu être évoqués. Effets aigus et chroniques de l’alcool s’opposent sur le plan clinique et moléculaire, alors que sur le plan neuroanatomique ont été observées une diminution du volume de la substance blanche et une réduction de la densité des cellules de Purkinje avec l’usage prolongé d’alcool sans pouvoir toutefois corréler ces modifications structurales à la genèse de crises [25]. Une classification unifiée des crises liées à l’alcool À partir de l’hypothèse du kindling émise par Ballenger et Post en 1978 qui postulaient que la répétition de sevrages alcooliques pouvait, par un effet d’embrasement neuronal, conduire à un abaissement progressif du seuil épileptogène [1], a pu être proposée une classification dynamique et unifiée de l’épilepsie alcoolique. Celle-ci permet de rendre compte des crises de sevrage et des crises aléatoires comme expressions cliniques d’un même processus épileptogène à des stades différents [3]. Le stade I correspondrait à des crises de sevrage exclusives survenant chez des sujets jeunes indemnes de complications neurologiques de l’alcoolodépendance et pour lesquels le seuil épileptogène serait suffisamment élevé pour empêcher toute crise spontanée. Le stade II correspondrait à un processus évolué chez des sujets plus âgés, dont le seuil épileptogène abaissé favoriserait l’apparition de crises spontanées non liées au sevrage ; les complications neurologiques seraient plus fréquentes. Le stade III, irréversible à la différence des deux premiers stades, serait caractérisé par la persistance de crises malgré l’abstinence en raison de l’installation définitive de modifications cérébrales. Cette modélisation aux soubassements théoriques contestés présente un intérêt conceptuel en proposant une formalisation à même d’unifier les différentes crises convulsives liés à l’alcool, et un intérêt pratique en pouvant servir de base à une approche thérapeutique : le stade I ne nécessiterait aucun traitement antiépileptique préventif par opposition aux stades II et III qui le justifieraient de par l’abaissement du seuil épileptogène [3]. Démarche clinique Le diagnostic d’épilepsie alcoolique n’est pas le diagnostic d’élimination d’un phénomène qui ne saurait être expliqué par ailleurs. Pour autant il convient d’envisager les autres causes comitiales, dont certaines justifient d’un traitement étiologique spécifique et d’autres peuvent guider l’attitude préventive ultérieure, avant de retenir un lien de causalité entre crise convulsive et mésusage d’alcool ; rappelons que beaucoup de premières crises restent un évènement isolé dans le temps et que leur étiologie demeure souvent incertaine [4]. Une démarche clinique rigoureuse s’impose, avec la réalisation d’un interrogatoire et d’un examen somatique minutieux permettant d’orienter la réflexion étiopathogénique. Une fois retenu le diagnostic de crise convulsive, qui est à différencier d’autres manifestations d’allure épileptique (syncope, autres troubles d’origine cardiovasculaire. . .), il faut rechercher les principales causes comitiales impliquées en dehors de celles C. Gheorghiev et al. liées à l’alcool : traumatique, métabolique, toxique, vasculaire et infectieuse [43]. Des examens complémentaires sont nécessaires, avec la réalisation d’un bilan biologique, électrophysiologique et d’imagerie. Sur le plan biologique les paramètres suivants sont évalués de façon systématique : numération formule sanguine, ionogramme sanguin, glycémie, calcémie, protidémie, fonctions hépatique et rénale, C-réactive protéine (CRP), recherche de toxiques (sang et urine) ; la réalisation d’hémocultures et d’une ponction lombaire est guidée par l’existence d’un syndrome infectieux associé. L’intérêt à associer une imagerie cérébrale à un électroencéphalogramme (EEG) a été démontré : l’existence d’anomalies focales révélées par un seul examen (tomodensitométrie cérébrale ou EEG) étaient le cas le plus fréquent dans un travail où ces deux examens étaient réalisés systématiquement chez une population de sujets alcoolodépendants, faisant affirmer aux auteurs leur caractère complémentaire [29]. S’il a pu être recommandé de ne réaliser ces explorations neuroradiologiques que devant des signes de focalisation, d’impact crânien [9] ou encore d’atypicité clinique par rapport aux caractéristiques habituelles des convulsions de sevrage [43], il paraît plus pertinent de les réaliser de façon systématique, même en présence de signes de sevrage alcoolique. La rentabilité statistique de ces deux explorations demeure faible, elles sont toutefois indispensables en pratique pour pouvoir rattacher la crise convulsive à une éventuelle complication de l’alcoolodépendance. Illustration clinique Il s’agit d’un patient âgé de 47 ans, aux antécédents personnels de conduites suicidaires par intoxication médicamenteuse en novembre 2007 et février 2008, hospitalisé en service de psychiatrie pour un premier sevrage alcoolique dans le cadre d’une alcoolodépendance évoluant depuis quatre ans. Il présente 72 heures après son admission deux crises tonico-cloniques généralisées espacées de trois heures. Ces crises convulsives surviennent malgré la dispensation personnalisée de benzodiazépines (oxazépam) selon l’intensité du score de sevrage d’après l’échelle CIWA-Ar. Le patient est transféré pour surveillance clinique pendant 48 heures au service d’urgences de notre établissement, puis en médecine interne pour le bilan étiologique de cette récente comitialité. Sur le plan clinique, l’examen neurologique est sans particularité en dehors d’une hyperréflexie ostéotendineuse, alors qu’aucun signe de focalisation n’est retrouvé ; des symptômes de sevrage sont présents au début du séjour alors qu’une hépatomégalie est perceptible, évaluée à deux travers de doigt, sans splénomégalie. Sur le plan paraclinique, le bilan biologique met en évidence des stigmates d’alcoolisme chronique avec une anémie macrocytaire (11 g/dL d’hémoglobine avec un volume globulaire moyen à 105 3 ), une thrombopénie chiffrée à 120 000 plaquettes par millimètre cube témoignant d’un hypersplénisme, et d’une cytolyse hépatique avec des GGT à cinq fois la valeur normale, TGO à deux fois et TGP à trois fois les valeurs normales. Les fonctions rénale et thyroïdienne, l’ionogramme sanguin, la glycémie, la calcémie, le bilan lipidique et de coagulation, la CRP et l’électrophorèse des protéines Une actualité des liens entre alcool et épilepsie sériques sont normaux. La recherche de toxiques sanguins et urinaires est négative. L’échographie abdominale confirme une hépatomégalie avec stéatose diffuse et homogène alors que la fibroscopie œsogastroduodénale est normale. La tomodensitométrie cérébrale est normale, alors qu’à l’EEG est objectivé un tracé postcritique avec un foyer frontotemporal droit, indiquant la réalisation d’une imagerie par résonance magnétique (IRM). Au retour du patient dans le service de psychiatrie, les symptômes de sevrage sont amendés. Sa position subjective a peu évolué, avec la persistance d’un déni et d’une banalisation de la conduite dont les conséquences sont minimisées. Le discours est stéréotypé, organisé autour d’interrogations répétitives et fixées alors que son contenu est appauvri, invitant à la réalisation d’un bilan neuropsychologique. Celui-ci met en évidence des altérations discrètes prédominant sur la mémoire (difficulté du rappel avec préservation des capacités d’encodage et de stockage) et les fonctions exécutives (difficulté dans l’élaboration et le maintien d’une stratégie de résolution de problème à l’épreuve du Wisconsin). L’IRM cérébrale objective en hypersignal flair des plages nodulaires bilatérales de la substance blanche sous-corticale frontale et occipitale, à la disposition asymétrique, prédominant à droite faisant évoquer une vascularite inflammatoire justifiant la réalisation d’un bilan complémentaire auto-immun et infectieux. Il comporte les recherches suivantes : facteur rhumatoïde, anticorps antinucléaires, anticorps anticytoplasme des polynucléaires, alpha-fœtoprotéine, fractions C3 et C4 du complément, sérologies syphilis, Lyme, VIH, hépatites B et C ; il s’avère normal en dehors d’une sérologie de Lyme positive pour les IgG et les IgM (titre de 1,52), positivité confirmée en Western-Blot. La sérologie de Lyme sur le liquide céphalorachidien (LCR) est négative, alors que celui-ci est sans anomalie en dehors d’une hyperprotéinorachie à 0,45 g/L. En résumé, la découverte d’anomalies focales à l’EEG à l’occasion du bilan étiologique de convulsions émaillant un sevrage alcoolique oriente vers une possible épilepsie secondaire conformément aux données de la littérature [14]. Les principales causes comitiales sont écartées [43] : absence de signes cliniques ou radiologiques en faveur d’une origine traumatique, négativité du bilan métabolique, absence de consommation d’autres toxiques que l’alcool ou d’argument en faveur d’une cause vasculaire. Une cause infectieuse, la maladie de Lyme, est retenue devant un faisceau d’arguments convergents bien que non pathognomoniques : un tableau clinique non spécifique de convulsions généralisées compatible avec une neuroborréliose, manifestation clinique certes rare dans cette affection [42] mais généralement en lien avec une vascularite qui est ici objectivée à l’imagerie cérébrale [36] ; l’existence d’un terrain à risque par des promenades répétées en forêt en zone d’endémie, malgré l’absence d’historique de morsure de tiques ou de signes cutanés évocateurs ; sur le plan paraclinique, la positivité d’une sérologie Lyme (IgG et IgM) confirmée par Western-Blot permettant d’exclure des réactions croisées alors que les autres sérologies, notamment syphilitique, sont négatives ; des anomalies à l’IRM à type de lésions inflammatoires focales de la substance blanche ainsi que des altérations cognitives discrètes prédominant sur la mémoire et les fonctions exécutives, toutes deux concordantes avec des troubles observés dans la maladie de Lyme [24,17], et 235 inhabituelles dans l’alcoolodépendance [12,44]. Si la détection d’anticorps dans le LCR permet d’affirmer l’atteinte du système nerveux central, leur absence n’infirme pas le diagnostic [33], alors que le LCR peut être normal au cours d’une neuroborréliose [11]. Cette affection, de diagnostic souvent difficile, demeure ici un diagnostic de présomption en l’absence d’éléments de certitude conformément aux recommandations européennes récentes [37]. Sa gravité potentielle avec l’existence d’un traitement curatif justifiait de prendre en compte son éventualité en instaurant un traitement spécifique, alors que les autres causes d’épilepsie secondaire avaient pu être écartées. Compte tenu de l’existence chez le patient d’un terrain à risque pourvoyeur de crises convulsives, l’alcoolodépendance, il semblait légitime d’inférer une potentialisation épileptogène de l’association neuroborréliose et sevrage alcoolique en se dégageant de l’hypothèse réductrice d’une causalité unique. Les troubles neuropsychiatriques de la maladie de Lyme La neuroborréliose La maladie de Lyme ou borréliose est une maladie bactérienne multisystémique due à un agent pathogène de la famille des spirochètes du genre Borrelia. La distribution de la maladie est mondiale bien que prédominant dans l’hémisphère nord, la transmission à l’homme se faisant par piqûre de tique du genre Ixodes, tiques à la fois vecteur et réservoir de la maladie [10]. Les manifestations neurologiques et psychiatriques de la maladie de Lyme sont fréquentes, concernant 10 à 15 % des patients infectés [20]. La dissémination de Borrelia au système nerveux central est précoce, dès les premières semaines après l’infection cutanée, la bactérie pouvant y rester longtemps quiescente avant de produire des symptômes cliniques. Sur le plan neuroanatomique est observée une démyélinisation en lien avec l’action directe du spirochète sur les oligodendrocytes, alors qu’un phénomène de vascularite en rapport avec une inflammation lymphocytaire vasculaire et périvasculaire semble responsable du développement des lésions cérébrales [40]. Les principales formes cliniques neurologiques peuvent être regroupées autour de trois atteintes anatomiques distinctes : l’inflammation extraparenchymateuse du système nerveux central (méningite), l’inflammation parenchymateuse du cerveau et de la moelle épinière (encéphalomyélite), et l’atteinte fonctionnelle du système nerveux central sans inflammation focale évidente (encéphalopathie) [21]. L’atteinte extraparenchymateuse se décline en différentes manifestations : méningoradiculite sensitive, méningite le plus souvent asymptomatique, et atteinte des nerfs crâniens, touchant préférentiellement le nerf facial. L’encéphalomyélite est rare mais potentiellement grave par les séquelles neurologiques : l’atteinte de la substance blanche est prédominante, alors que certaines formes sévères sont à l’origine d’un syndrome démentiel sous-cortical. Des crises convulsives sont décrites ; rares, faisant l’objet d’observations isolées [42], elles en résument parfois la symptomatologie pour être imputées à la démyélinisation sous-jacente [36]. L’encéphalopathie liée à la 236 maladie de Lyme se caractérise par des perturbations cognitives principalement mnésiques, en touchant de façon moins constante les capacités attentionnelles et les fonctions exécutives [28]. Les manifestations psychiatriques sont protéiformes [5], décrites par certains auteurs comme « prédominantes à certains moments, allant d’un état de dépression agitée à un tableau démentiel » [39]. Les troubles dépressifs sont le plus couramment observés, concernant 26 à 66 % des patients selon les études [17] ; d’apparition tardive, ils sont volontiers associés à une encéphalopathie s’exprimant par des troubles de mémoire et du sommeil [33]. À côté des troubles dépressifs caractérisés, les symptômes les plus fréquents sont l’irritabilité et les fluctuations thymiques, alors que troubles bipolaires et accès maniaques ont été décrits dans la maladie de Lyme [17]. Les autres manifestations psychiatriques sont tout aussi peu spécifiques, balayant l’ensemble de la nosographie psychiatrique, en ayant fait l’objet d’observations ponctuelles. Des troubles anxieux ont été rapportés, déclinés en trouble panique et trouble obsessionnel-compulsif ; des manifestations psychotiques de type délire paranoïaques ou processus schizophrénique dominé par une composante hallucinatoire ont été observées. Syndromes confusionnels et démentiels ont parfois été associés à la neuroborréliose, tout comme des modifications de la personnalité ou des troubles du comportement alimentaire de type anorexie mentale [17]. Une particularité de ces troubles psychiatriques tient à leur réversibilité au traitement antibiotique de l’infection bactérienne, même si des rechutes symptomatiques ont pu être décrites. Examens paracliniques Le diagnostic de maladie de Lyme est clinique, avec sur le plan anamnestique un antécédent de morsure de tiques suivi de signes cutanés précoces et du développement ultérieur d’une symptomatologie polymorphe articulaire, cardiaque ou neurologique peu spécifique. Il est souvent difficile de rattacher ces troubles de façon formelle à l’infection par Borrelia malgré les différentes investigations paracliniques. Les données biologiques usuelles sont en général normales (numération formule sanguine, CRP). En raison des difficultés à mettre en culture B. burgdorferi [8], le meilleur examen est sérologique, avec la recherche d’anticorps spécifiques. Le test ELISA est utilisé en première intention, sa positivité étant confirmée par Western-Blot. Des fauxnégatifs sont possibles en début d’infection compte tenu du retard de la réponse sérologique, alors que des fauxpositifs sont liés à de réactions croisées avec des bactéries proches de Borrelia (tréponèmes, leptospires) ou de la persistance prolongée d’anticorps chez des sujets contacts indemnes de tout signe symptomatique. La mise en évidence d’IgM témoigne d’une infection récente, alors que le Western-Blot limite le risque de réactions croisées. Ces tests sérologiques demeurent des méthodes indirectes et ne peuvent affirmer une infection active en dehors d’une symptomatologie actuelle concordante [21]. Concernant le diagnostic de certitude de neuroborréliose, il repose sur la mise en évidence d’une production intrathécale d’anticorps spécifiques qui n’est cependant pas constante, en étant absente chez 10 à 30 % des patients présentant une ménin- C. Gheorghiev et al. gite liée à la maladie de Lyme [33], comme c’était le cas pour notre patient. Le LCR peut être normal au cours d’une neuroborréliose, en particulier en début d’infection ou à un stade tardif d’encéphalopathie [11]. Lorsque le LCR est anormal, une méningite lymphocytaire est retrouvée le plus souvent, avec une élévation modérée de la protéinorachie et une normoglycorachie. Sur le plan anatomique des lésions inflammatoires focales de la substance blanche ont pu être objectivées en IRM, impliquant plus rarement les régions corticales et sous-corticales, avec des hypersignaux en T2 ponctiformes proches de ceux observés dans les maladies démyélinisantes comme la sclérose en plaques mais sans distribution périventriculaire élective [24]. Ralentissements diffus et décharges épileptiques ont été observés en électrophysiologie bien qu’ils soient inhabituels [17], l’imagerie cérébrale et l’EEG pouvant s’avérer normaux sans exclure le diagnostic de neuroborréliose. Des déficits neuropsychologiques ont été objectivés au cours de la neuroborréliose au stade d’encéphalopathie. Sont retrouvés le plus souvent des troubles de la mémoire, de l’attention et des apprentissages, faisant impliquer un dysfonctionnement du lobe frontal [17]. Les troubles mnésiques sont les plus constants, touchant préférentiellement la mémoire à court-terme et prédominant pour le matériel verbal dans des tâches de rappel. Ces troubles sont indépendants d’une comorbidité dépressive, sensibles au traitement antibiotique, et n’ont pas toujours été corrélés à l’invasion du LCR ou à des anomalies à l’IRM [28]. Conduite à tenir La présentation clinique de la maladie de Lyme est polymorphe, en particulier en cas d’atteinte du système nerveux central où son expression neurologique et psychiatrique protéiforme a pu la faire qualifier de « new great imitator » [41]. Il apparaît ainsi pertinent de considérer la maladie de Lyme comme diagnostic différentiel de tout trouble psychiatrique atypique, imposant la réalisation d’une sérologie Lyme avec confirmation par Western-Blot [18]. L’intérêt de son repérage devant une symptomatologie neuropsychiatrique mal systématisée réside dans l’existence d’un traitement curatif spécifique [17]. Il consiste en l’administration d’une antibiothérapie per os pendant trois à quatre semaines en l’absence d’atteinte neurologique, par voie intraveineuse pendant quatre à six semaines en cas de neuroborréliose, en faisant appel aux antibiotiques de la classe des -lactamines (ceftriaxone) ou des cyclines (doxycycline). Si des rechutes sont possibles à l’arrêt du traitement, il n’y a pas d’argument scientifique démontrant l’intérêt d’un traitement antibiotique au long cours ou administré de façon répétée [17]. Un traitement précoce est souhaitable afin de limiter l’étendue de l’atteinte cérébrale et les séquelles neuropsychiatriques [11]. Conclusion Notre travail a été consacré à l’étude des liens entre alcool et épilepsie afin d’en clarifier les principaux déterminants. Cette réflexion a été nourrie par une illustration clinique, celle de la prise en charge hospitalière de complications de sevrage d’un patient présentant une alcoolodépendance Une actualité des liens entre alcool et épilepsie sévère, avec la survenue de deux crises convulsives posant la question de leur statut étiopathogénique. La nécessité d’une systématisation du bilan étiologique de toute crise convulsive émaillant le cours de l’alcoolodépendance a été rappelée, en éliminant les autres causes de comitialité avant de retenir celle liée à l’alcool. Notre démarche diagnostique nous a conduit à la mise en évidence d’une cause infectieuse rare, la neuroborréliose, à laquelle nous nous sommes intéressés de par ses potentielles complications psychiatriques, invitant à considérer cette affection comme diagnostic différentiel de toute manifestation psychique atypique. Conflit d’intérêt L’auteur correspondant déclare pour l’ensemble des coauteurs l’absence de tout conflit d’intérêt. 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