4 C. REUTENAUER
commutatif, au corps des fractions rationnelles. Cependant, dans le cas non
commutatif, on ne peut plus parler de fractions. Il faut mettre dans ce corps
des ´el´ements comme (x+ (xy −yx)−1)−yy)−1, qu’on ne peut en g´en´eral
pas ´ecrire comme des fractions. L’int´erˆet de ce corps libre est que le rang
int´erieur d’une matrice dont les coefficients sont des polynˆomes non commu-
tatifs est ´egal au rang de cette matrice sur le corps libre. D’ailleurs, Paul
Cohn, qui a ´etudi´e en premier le corps libre, montre que le corps libre est
caract´eris´e par cette propri´et´e.
13. Les matrices lin´
eaires
Une matrice lin´eaire est une matrice polynomiale dont les coefficients
sont des polynˆomes de degr´e 1 en les variables. Une telle matrice peut-
tre vue comme une matrice sur l’alg`ebre des polynˆomes commutatifs, ou
alors sur celle de polynˆomes non commutatifs. Elle a donc deux rangs: un
rang commutatif rcet un rang non commutatif rnc (au sens des deux sections
pr´ec´edentes). Il est `a peu pr`es clair (en tout cas intuitivement), que rc≤rnc.
J’ai pu d´emontrer il y a quelques ann´es que rnc ≤2rc. J’ignore si on peut
faire mieux.
Exercice: montrer que le rang commutatif de la matrice lin´eaire
0x y
−x0 1
−y−1 0
est 2, mais que son rang non commutatif est 3, c’est-`a-dire qu’elle est in-
versible dans le corps libre (utiliser que xy −yx est inversible dans le corps
libre).
14. Les mots de Lyndon
Ils sont nomm´es d’apr`es le math´ematicien am´ericain Lyndon, qui les a
introduits dans les ann´ees 50. On prend un alphabet (c’est-`a-dire un ensemble
de variables non commutatives) totalement ordonn´e, et on consid`ere l’ordre
alphab´etique des mots (c’est-`a-dire l’ordre du dictionnaire). Un mot de
Lyndon est un mot w=a1· · · an(les aisont des lettres) tel que, quel que
soit i= 2, . . . , n −1, on a w < ai. . . ana1. . . ai−1. Par exemple, avec a<b,
aabab est un mot de Lyndon, car il est plus petit que ses 4 permut´es cycliques
ababa, babaa, abaab, baaba.
Pour un alphabet `a deux lettres a < b, les mots de Lyndon de longueur
1,2,3 sont a, b, ab, aab, abb.
15. Factorisation en mots de Lyndon
C’est un th´eor`eme dˆu `a Lyndon: tout mot se factorise de mani`ere unique
en un produit, d´ecroissant au sens large, de mots de Lyndon. Par exemple,
le mot bbaababaaba se factorise en b.b.aabab.aab.a: les facteurs sont tous des
mots de Lyndon et on a b=b > aabab > aab > a.
On peut comparer ce r´esultat au th´eor`eme fondamental de l’arithm´etique:
tout entier naturel non nul s’´ecrit de mani`ere unique comme un produit de
nombres premiers.