Journal Identification = JPC Article Identification = 0184 Date: September 7, 2011 Time: 3:18 pm
Pour citer cet article : Tran P.T. La douleur en cancérologie. Caractéristiques, évaluation et traitement. J Pharm Clin 2011 ; 30(3) : 143-53
doi:10.1684/jpc.2011.0184 143
Synthèse
J Pharm Clin 2011 ; 30 (3) : 143-53
La douleur en cancérologie
Caractéristiques, évaluation et traitement
Pain in cancer
Characteristics, evaluation and treatment
Phuong Thao Tran
Faculté de pharmacie, Paris XI, Chatenay-Malabry
Résumé. La douleur est fréquente chez les patients atteints de cancer. Il existe aujourd’hui un arsenal thérapeutique
conséquent permettant de prendre en charge ces douleurs ; les différentes stratégies thérapeutiques font l’objet de
recommandations diverses. Cet article fait le point sur la physiopathologie de la douleur et les traitements existants.
Mots clés : douleur, évaluation, traitement
Abstract. Cancer patients usually suffer from pain. Consequently there is a therapeutic arsenal to manage the
pain today. Different pain treatment strategies are the subject of various recommendations. This article provides a
synthesis on the physiopathology of pain and the existing treatments.
Key words: pain, evaluation, treatment
Environ 80 % des patients cancéreux en évolution
présentent une ou plusieurs localisations doulou-
reuses. Parmi eux 30 % ont des algies sévères. Un
traitement antalgique bien conduit et permettant le main-
tien d’une vie relationnelle de qualité tout au long de la
maladie est non seulement un bénéfice pour le patient
mais également pour son entourage (tableau 1) [1, 2].
La douleur est présente dans les différents types de
cancer, chez plus de 50 % des patients pour les six cancers
présentés dans le tableau 2 avec une prépondérance
chez les patients atteints du cancer de la tête et du cou
(70 %) [3].
Caractéristiques
La douleur est un symptôme important, de par son carac-
tère insupportable, pour lequel le malade demande à
être soulagé, mais également par ses manifestations qui
apportent de précieuses informations diagnostiques.
Tirés à part : P.T. Tran
Définition de la douleur
L’Association internationale pour l’étude de la douleur
définit celle-ci comme «une expérience sensorielle et
émotionnelle désagréable, en rapport avec une lésion tis-
sulaire réelle ou potentielle ou simplement décrite comme
telle ».
La douleur est donc à la fois une sensation : cons-
cience d’un stimulus nocif et une expérience affective :
sentiment intense de déplaisir donnant lieu à une série
de comportements.
Cette définition tient compte des différentes compo-
santes de la douleur :
composante sensori-discriminative constituée par
l’ensemble des mécanismes neurophysiologiques abou-
tissant à une définition de la douleur en termes de qualité
(torsion, étau, brûlure, décharge électrique), d’intensité,
de durée, d’évolution (fond permanent, crise paroxys-
tique) et de la localisation du message nociceptif ;
composante affectivo-émotionnelle conférant à la
douleur sa dimension désagréable, pénible, voire insup-
portable et pouvant se prolonger vers des états
émotionnels comme l’anxiété ou la dépression ;
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Tableau 1. Fréquence et intensité de la douleur en fonction des phases de traitement [3].
Phase de traitement Patients présentant
une douleur
Patients présentant une
douleur modérée à sévère
Tout cancer en phase de traitement 40 à 70 % 30 %
Cancer avancé 60 à 70 % 45 %
Phase de surveillance
(après le traitement curatif)
20à50% 10à40%
Tableau 2. Type de cancer et pourcentage de patients douloureux [3].
Localisation du cancer Pourcentage de
patients douloureux
Tête et cou 70 %
Gynécologique 60 %
Tube digestif 59 %
Poumon 55 %
Sein 54 %
Urogénital 52 %
composante cognitive caractérisée par l’ensemble des
processus mentaux susceptibles d’influencer la percep-
tion douloureuse et les réactions comportementales qui
en découlent : processus d’attention et de diversion de
l’attention, interprétations et significations de la douleur,
anticipations, références à des expériences douloureuses
antérieures personnelles ou observées, décision sur le
comportement à adopter ;
composante comportementale définie par des manifes-
tations verbales (plainte, gémissement) ou non verbales
(mimique, posture antalgique) observables chez la
personne qui souffre. Cette composante assure une
communication avec l’entourage [4].
La souffrance globale (ou la douleur totale) est
l’ensemble des réactions engendrées par la douleur. C’est
l’association de phénomènes à la fois physiques, moraux
et psychologiques mettant en jeu tous les mécanismes
affectifs, intellectuels et instinctifs. La souffrance est fonc-
tion du contexte ou de la signification de la douleur. Elle
varie d’un individu à l’autre [5, 6].
Ainsi la douleur doit être évaluée dans toutes ses
dimensions (figure 1).
Classification de la douleur
La douleur aiguë
La douleur aiguë est un signal d’alarme pour l’organisme
et un symptôme d’appel au diagnostic.
Cette douleur a un commencement et une fin. Elle
peut être classée, selon son intensité, en douleur légère,
modérée ou sévère et elle a pour but d’attirer l’attention
Douleur physique
Pathologie cancéreuse
Pathologie non cancéreuse
Effets secondaires des traitements
Souffrance psychologique
Anxiété
Dépression
Incertitude vis-à-vis de l’avenir
Douleur totale
=
Souffrance
Souffrance socio-familiale
Perte d’identité
Modification de l’image corporelle
Perte d’amis
Perte du rôle dans la famille
Perte du prestige
Perte du revenu professionnel
Détresse spirituelle
Peur de la mort
Préoccupations existentielles
Figure 1. Caractéristiques de la douleur totale [5, 6].
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La douleur en cancérologie
sur le territoire agressé. De ce fait, une thérapeutique
corrective peut être envisagée.
Elle laisse des traces sur le psychisme, sur la mémoire
et sur le comportement.
Cette douleur s’exprime par des cris, des pleurs,
des craintes, une mimique douloureuse avec sourcils en
«oméga », des attitudes traduisant l’appréhension phy-
sique (élévation des tensions musculaire, nerveuse et
morale) [6].
La douleur chronique
Cette douleur peut être définie par un cercle vicieux sans
début ni limite. Contrairement à la douleur aiguë, elle
est caractérisée par l’absence de signe neurovégétatif. Le
visage de la douleur chronique est résigné, stoïque et
révèle l’épuisement et la dépression (tableau 3) [6].
Une douleur non soulagée a ainsi des conséquences
physiologiques sur différents systèmes pouvant entraîner
des réponses au stress avec différentes manifestations cli-
niques (tableau 4) [7].
Les étiologies de la douleur
cancéreuse
Les étiologies de la douleur cancéreuse sont mul-
tiples [1, 2, 8, 9].
Douleurs causées par le processus
tumoral
Les douleurs causées par le processus tumoral lui-même
sont présentes dans 70 à 80 % des cas :
Tableau 3. Comparaison douleur aiguë versus douleur chronique [6].
Douleur aiguë Douleur chronique
Finalité biologique Utile, protectrice, signal d’alarme Inutile, destructrice, maladie à part entière
Mécanisme Un seul facteur (traumatisme, désordre biologique) Plusieurs facteurs (physique, psychique, social, comportemental)
Modèle de compréhension Classique (traitement de la cause connue) Pluridimensionnel
(traitement médicamenteux, psychologique, réinsertion sociale)
Retentissement physique
Appareil locomoteur Attitude antalgique, réactionnelle (retrait de la main)
Comportement de fuite
Hypermobilité
Ralentissement global
Apparition fréquente d’attitudes vicieuses
(mal à la main donc ne l’utilise pas et augmentation
de l’intensité douloureuse à l’utilisation)
Système neuro-végétatif Accélération de la fréquence cardiaque
Augmentation du débit cardiaque
Élévation de la tension
Accélération de la fréquence respiratoire
Transpiration abondante
Nausées
Tremblements fins, rapides, prédominants aux extrémités
Diminution marquée des réponses sympathiques initiales
Habituation (absence de signe par habitude)
Constipation
Anorexie
Au niveau cortical Projection pariétale : perception et localisation de la douleur
Projection frontale : identification de l’influx nociceptif
comme sensation désagréable
Projections temporales : mémorisation de la douleur
Diminution de la tolérance à la douleur
Connotation douloureuse affectée à tout autre stress physique,
mental ou moral
Ralentissement «idéatoire »et intellectuel
Comportement anormal vis-à-vis de la maladie
Au niveau sous-cortical
et limbique
Troubles de l’humeur dominés par une anxiété massive
Composante émotionnelle et résolution psycho-affective de la
sensation qui passe de la douleur à la souffrance
/
Expression Cris, pleurs, plaintes, mimiques avec sourcils en oméga, visage
grimac¸ant, larmoyant et anxieux
Visage résigné, stoïque et révèle l’épuisement et la dépression
Retentissement psychique
Au niveau thymique / Humeur globalement et fondamentalement dépressive
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Tableau 4. Conséquences physiologiques d’une douleur non soulagée [7].
Système Réponses au stress Manifestations cliniques
Endocrine/métabolique Altération de la libération de plusieurs hormones (ACTH, cortisol,
catécholamines, insuline) entraînant des perturbations
métaboliques
Perte de poids, fièvre, augmentation des fréquences cardiaque
et respiratoire, choc
Cardiovasculaire Augmentation de la fréquence cardiaque, de la résistance
vasculaire, de la pression artérielle, du besoin du myocarde
en oxygène, hypercoagulation
Angor instable, infarctus du myocarde, thrombose veineuse
profonde
Respiratoire Diminution du débit respiratoire par des mécanismes involontaire
et volontaire qui inhibent l’effort respiratoire
Atélectasie, pneumonie
Gastro-intestinal Diminution de la vitesse de vidange gastrique, diminution
de la motilité intestinale
Vidange gastrique retardée, constipation, anorexie, iléus
Musculo-squelettique Spasmes musculaires, mobilité et fonction musculaire réduites Immobilité, faiblesse, fatigue
Immune métastatique Fonction immunitaire diminuée Infection, cicatrisation des plaies ralentie, augmentation
de la susceptibilité de l’expansion du cancer
Génito-urinaire Libération anormale d’hormones Débit urinaire diminué, hypertension (rétention d’eau),
perturbations électrolytiques
envahissement tumoral des os : métastases de la voûte
crânienne et de la base du crâne, métastases au niveau
des corps vertébraux (fracture de l’apophyse odontoïde,
atteinte discale au niveau des vertèbres Cervicale 7-
Dorsale 1, métastases de la première vertèbre Lombaire,
syndrome de la queue-de-cheval) ;
envahissement des viscères : distension de la capsule
hépatique ou splénique, atteinte ORL, œsophagienne,
pleurale, syndrome de masse rétropéritonéale, occlusion
chronique, carcinose péritonéale ;
envahissement tumoral du système nerveux : névralgie
crânienne (trigéminale, glosso-pharyngienne), atteintes
des nerfs périphériques, névralgie intercostale, plexo-
pathie cervicale, plexopathie brachiale, plexopathie
lombosacrée, radiculalgie, métastases leptoméningées,
compression médullaire, augmentation de la pression
intracrânienne, métastases cérébrales, mononeuropathie
tumorale, neuropathie périphérique paranéoplasique ;
infiltration des tissus mous.
Douleurs liées à la mise en œuvre
du diagnostic et du traitement
Les douleurs liées à la mise en œuvre du diagnostic et du
traitement sont présentes dans 10 à 20 % des cas :
syndromes douloureux post-opératoires : douleurs
post-opératoires aiguës, suites d’une thoracotomie, syn-
drome post-mastectomie, troubles consécutifs à un curage
ganglionnaire du cou, douleur après amputation (syn-
drome du membre fantôme, névrome) ;
syndromes douloureux post-chimiothérapiques :
mucites, spasmes vésicaux, nécrose aseptique de la tête
fémorale, pseudo-rhumatisme stéroïdien, névralgies post-
herpétiques, neuropathies périphériques sensorielles et
motrices, douleurs musculaires ou osseuses de certains
produits (taxanes, cytokines), extravasations, douleurs de
chimiothérapie intra-péritonéale, douleur après chimio-
embolisation ;
syndromes douloureux post-radiothérapies : mucite ra-
dique, brûlures cutanées (dermite), œsophagite radique,
atteinte radique des viscères, plexite post-radique bra-
chiale et lombo-sacrée, myélopathie radique, tumeurs
radio-induites, cellulites, chondrites, ostéoradionécrose ;
douleur en relation avec une corticothérapie pro-
longée : ostéonécrose fémorale, zona, douleur post-
zostérienne.
Douleurs sans rapport avec le
cancer et son traitement
Les douleurs sans rapport avec le cancer et son traite-
ment mais plutôt dues à une affection concomitante sont
présentes dans 10 % des cas : rhumatismes associés, spon-
dylarthrose, arthrite.
Douleurs terminales
Les douleurs terminales suite à l’altération de l’état général
due au cancer sont présentes dans 10 à 20 % des cas.
L’évolution temporelle de la douleur en cancérologie
est de type aigu ou chronique. La limite entre douleur
aiguë et chronique se définit après3à6mois d’évolution
[4].
Les douleurs causées par le cancer sont considérées
comme des douleurs potentiellement durables [9].
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J Pharm Clin, vol. 30 n3, septembre 2011 147
La douleur en cancérologie
Parmi les variations de l’intensité de la douleur chro-
nique en cancérologie, il existe une distinction entre la
douleur de fond et les accès douloureux.
Le diagnostic de la douleur de fond correspond à une
douleur présente ou nécessitant un traitement de fond
par opiacé pendant au moins la moitié des jours de la
semaine précédente. L’accès douloureux, «breakthrough
pain »selon Portenoy [10], est défini comme une exa-
cerbation transitoire et de courte durée de la douleur,
d’intensité modérée à sévère, chez des malades présentant
des douleurs persistantes habituellement maîtrisée par un
traitement opioïde de fond [9].
De nombreuses personnes atteintes de cancer avancé
ressentent des douleurs appartenant à plusieurs de ces
catégories. Il est nécessaire de connaître les syndromes
listés ci-dessus pour pouvoir poser un diagnostic correct
(tableau 5).
Évaluation de la douleur
en cancérologie
Afin d’apporter une antalgie appropriée chez tout patient
atteint d’un cancer, une recherche des origines de la dou-
leur et une évaluation multidimensionnelle doivent être
mises en place (tableau 6).
L’évaluation vise à clarifier les mécanismes physio-
pathologiques (douleur nociceptive, neuropathique ou
psychogène) et les causes de la douleur (secondaire au
cancer, due au traitement anticancéreux, sur altération de
l’état général consécutive au cancer, sans relation avec
le cancer ni le traitement anticancéreux). Elle permet
d’orienter le diagnostic, de juger de l’indication à un trai-
tement spécifique et de choisir les modalités antalgiques
les plus appropriées.
L’évaluation doit être répétée régulièrement afin
d’apprécier l’efficacité des traitements instaurés, la sur-
venue d’effets secondaires ou d’autres douleurs ou
symptômes [2, 8].
De nombreux outils d’évaluation sont disponibles et
permettent de caractériser la douleur dans toutes ses
dimensions, son retentissement et l’efficacité des traite-
ments. Ces outils facilitent la communication entre le
patient et l’équipe de soignants [9].
Outil de localisation topographique
des douleurs
Les dessins sur silhouette, utilisés chez l’adulte et l’enfant
de plus de 3 ans, permettent de localiser les sites dou-
loureux (avec suivi de l’apparition de nouveaux sites),
de préciser les irradiations de la douleur et d’évaluer
l’intensité de la douleur par quatre codes couleur.
Tableau 5. Classification de la douleur selon le mécanisme neurologique en cause [2, 8, 9].
Type de douleur Mécanisme Exemple
Nociceptive
Stimulation des terminaisons nerveuses,
secondaire à l’invasion des tissus par la tumeur
Viscérale Atteinte de la capsule de Glisson
Somatique Douleur osseuse
Spasmes musculaires Crampes
Neuropathique Infiltration du tissu nerveux par la tumeur ou séquelle
des traitements anticancéreux
Compression nerveuse Stimulation des nervi nervorum
Lésions nerveuses
- périphériques Lésion d’un nerf périphérique (douleur par
désafférentation)
Névromes ou envahissement nerveux (plexus brachiale
ou lombosacré)
- centrales Atteinte du système nerveux central Compression de la moelle épinière ou douleur
consécutive à un AVC
- mixtes Lésions périphériques et centrales Névralgies post-herpétiques
A médiation sympathique Lésions des terminaisons nerveuses Certaines douleurs sympathiques chroniques
post-opératoires
Mixte Nociceptif et neuropathique,
due à l’envahissement d’un tronc ou d’un plexus
nerveux par la tumeur
Idiopathique Mécanisme mal expliqué
Douleur projetée d’origine musculaire
Douleurs myofasciales d’origine musculaire
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