De Gaulle,la voixqui a sauvé la France

publicité
8
HISTOIRE VIVANTE
LA LIBERTÉ
VENDREDI 18 JUIN 2010
De Gaulle,la voix qui a sauvé la France
APPEL DU 18 JUIN • La France libre est née il y a septante ans jour pour jour avec l’appel du général de Gaulle.
«Mais d’abord dans l’indifférence»,estime Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Ce témoin décrypte le mythe du discours.
PROPOS RECUEILLIS PAR
THIERRY JACOLET
François Mauriac a écrit
avec un certain sens de la
prémonition:
«Quand
de
Gaulle ne sera
plus là, il sera là encore.» Quarante ans après sa mort, il n’a
jamais autant fait l’actualité:
livres, documentaires, commémorations... On le retrouve
même dans les porte-monnaie:
20 millions d’exemplaires de
pièces de 2 euros à son effigie
viennent d’être tirées en
France.
Avant d’être un visage et
une stature – deux mètres de
cuirasse droite et inflexible –,
Charles de Gaulle a d’abord été
une voix. Celle de l’espoir pour
une population française traumatisée par la débâcle de maijuin 1940.
la résistance. Il reste un modèle
de lucidité, de courage, de refus
de la défaite. Il a une vertu stimulante. L’appel et l’action de
la résistance intérieure ont effacé ce qu’il y avait d’humiliant
dans la résignation de 1940. Cet
appel est fait de raisonnement,
de logique. C’est une démonstration militaire. Mais en même
temps c’est le fait d’un visionnaire qui est convaincu que les
Etats-Unis et l’Union soviétique entreront en guerre.
Il s’en est pourtant fallu de peu
que l’appel tombe à l’eau...
De Gaulle a parlé de justesse le
18 juin. Le Cabinet de guerre
anglais s’était opposé à ce qu’il
s’exprime. C’est le premier ministre Winston Churchill qui a
donné le feu vert une heure
avant. Jusqu’à la signature de
l’armistice le 22 juin, on n’a
plus autorisé de Gaulle à parler. Il est vrai que les Anglais
Le 18 juin 1940, très peu
de Français ont entendu
l’appel de de Gaulle
JEAN-LOUIS CRÉMIEUX-BRILHAC
C’est sur les ondes de la
BBC que le sous-secrétaire
d’Etat à la Défense nationale a
lancé ses appels à poursuivre le
combat et à résister à partir de
juin 1940. Le 18, il prend pour la
première fois le micro: la France
libre est née. «Dans la mémoire
des Français, c’est une des
grandes dates, la dernière grande date à ce jour», confie JeanLouis Crémieux-Brilhac. Historien de la France libre, auteur
de «L’appel du 18 juin» (Ed. A.
Colin, 2010), ancien engagé
dans les Forces françaises libres
dès 1941, il décrypte le mythe
de ce discours majeur du haut
de ses 93 ans.
Quelle est la portée de l’appel
aujourd’hui?
J.-L. Crémieux-Brilhac: Il a toujours une portée symbolique
dans l’inconscient français. Il
est acte fondateur car il est le
point de départ de l’action de la
France libre et d’une partie de
étaient méfiants et en pleine
pagaille. Quand de Gaulle est
arrivé le 17 juin, les Anglais espéraient encore maintenir le
maréchal Pétain, chef d’Etat,
dans la guerre et voulaient éviter à tout prix que la flotte française ne tombe entre les mains
allemandes. Il fallait engager
une négociation acharnée auprès de Pétain, et de François
Darlan, chef de la Marine française, à Bordeaux. De Gaulle
était un empêcheur de tourner
en rond et risquait de compliquer ces négociations.
L’appel a-t-il été perçu comme un
événement majeur à l’époque?
Non, c’était une initiative marginale – mûrement réfléchie de
longue date – qui a exalté
quelques-uns, qui a été accueillie avec sympathie par le
plus grand nombre et qui dans
l’ensemble a été considérée
avec indifférence dans l’immense pagaille et le traumatis-
Charles de Gaulle au micro de la BBC en 1941. En quatre ans, le chef de la France libre va s’exprimer à 67 reprises sur «Radio Londres».
FONDATION CHARLES DE GAULLE, IN «DE GAULLE ET LES FRANÇAIS LIBRES», ED. ALBIN MICHEL/DR
me de l’époque. Le maréchal
Pétain apparaissait encore
comme le sauveur. L’appel a été
reçu avec scepticisme et pour la
plupart avec indifférence.
Les Français ont-ils été nombreux
à l’entendre?
Très peu de Français l’ont entendu. Il faut savoir qu’il n’y
avait que 5 à 6 millions de
postes récepteurs en France.
En outre, l’armée se battait ou
était prisonnière et 8 millions
de Français se trouvaient en
exode sur les routes. L’appel a
été reproduit ou résumé dans
bon nombre de journaux des
régions non occupées le lendemain. Puis, de Gaulle a fait encore cinq appels en juin et six
en juillet.
Et vous, comment avez-vous vécu
l’appel de de Gaulle?
J’étais en Allemagne après
avoir été fait prisonnier durant
les combats. J’ai eu connaissance de l’appel quand je suis
arrivé en Angleterre à la fin
1941-début 1942. L’esprit de la
France libre était soulevé par
une passion extraordinaire.
J’en garde un souvenir exalté.
C’était notre jeunesse. On avait
la mission de délivrer la France.
On admirait de Gaulle.
Ce discours a-t-il joué un rôle
fédérateur pour la population face
à l’occupant?
Non. On ne peut pas dire qu’il a
été l’instigateur des mouvements de résistance dans la
première phase. A partir de
1942, la conjonction s’est faite.
La résistance intérieure des
deux premières années a été
une résistance autochtone certainement stimulée par le fait
que l’Angleterre résistait, que
les émissions quotidiennes de
la BBC prouvaient qu’il y avait
une action militaire extérieure
vigoureuse contre les Allemands, qu’il y avait ce général
de Gaulle.
Comment a été construit le mythe
de cet appel?
De Gaulle lui-même a considéré que l’appel du 18 juin était
un acte fondateur de l’action libératrice de la France. Le discours a été connu peu à peu par
de nombreux Français du fait
des appels successifs, du
«Ici Londres, les Français parlent aux Français»
PASCAL FLEURY
«roi du loufoque» Pierre Dac dès
1943, ou encore le poète surréaliste
Brunius. Le général de Gaulle s’y
exprimera à 67 reprises. On n’oubliera pas le journaliste et artiste
Jean Oberlé, à qui l’on doit la ritournelle «Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand», chantée au rythme de «La
Cucaracha». Elle servira de générique de fin à l’émission.
L’appel du 18 juin 1940 de Charles de
Gaulle, diffusé par la BBC, ne fut que
la première salve d’une longue et impitoyable «guerre des ondes», menée
depuis Londres par une poignée de
combattants de la France libre.
Chaque soir à 20 h 30, pendant plus de
quatre ans – du 19 juin 1940 au 24 octobre 1944 – «Radio Londres» a été la
voix de la liberté. Au travers d’éditoriaux, de chroniques, de «messages
personnels», de sketches et de chansons, les «soldats du micro» ont lutté
inlassablement contre l’ennemi, redonnant peu à peu courage à la
France occupée.
L’émission radio, d’abord baptisée
«Ici la France», puis renommée «Les
Français parlent aux Français» dès
septembre 1940, était dirigée par
Jacques Duchesne, alias Michel SaintDenis, qui animait auparavant une
troupe de théâtre à Londres. Plusieurs
voix se joignent à lui, qui deviendront
célèbres: Maurice Schumann, porteparole du général, le professeur René
Cassin, l’agencier Pierre Bourdan, le
DR
Peu à peu, «Radio Londres» va devenir une arme de guerre essentielle, avec des chroniques au ton toujours plus virulent et des consignes
précises à l’intention des patriotes.
Il s’agit de soutenir le moral des
Français, de harceler Vichy, de rétablir la vérité face à la propagande
nazie, de mobiliser finalement les
forces vives, en 1944, en vue du débarquement. Les émissions étaient
soumises à la censure militaire.
Quand un invité peu familier des
services de la BBC s’exprimait à
l’antenne, un officier britannique
tenait en permanence une manette
au studio, prêt à couper le micro.
Aujourd’hui, de ce combat des
ondes, la mémoire collective a surtout retenu ces «messages personnels», codés à l’intention du maquis et des réseaux clandestins.
Comme le fameux vers de Verlaine
«Les sanglots longs des violons de
l’automne...», qui avertissait les
résistants du débarquement imminent en Normandie. Ces messages
codés, diffusés dès septembre 1941
sur une idée de l’agent secret français Georges Bégué, ont permis de
transmettre avec succès des milliers d’informations et ordres de
combat à la résistance. I
bouche-à-oreille, des articles
publiés dans la presse française
ou des émissions de la radio allemande dénonçant «le général
félon». Progressivement, et
pour beaucoup grâce à la BBC,
de Gaulle est devenu un symbole entouré d’autant plus de
mystère que son nom était
prédestiné.
Avez-vous rencontré de Gaulle?
Oui, à plusieurs reprises. Il réunissait de temps en temps les
officiers et j’ai dîné un jour avec
lui en tête-à-tête. Il avait
quelque chose de souverain.
C’était impressionnant de facilité et d’affabilité de la part de
cet homme habituellement raide et hautain. Il y avait deux de
Gaulle. I
SEMAINE PROCHAINE
MYSTÈRE DAKAR
Après l’appel du 18
juin, de Gaulle lança
d’autres appels en
septembre devant
Dakar, pour
convaincre les
vichystes d’Afrique
occidentale de se
rallier à la France
libre. L’expédition
fut un échec. A lire
vendredi 25 juin
dans «La Liberté».
Sur RSR 1, suite du
dossier sur «L’Autorité», dès lundi.
POUR EN SAVOIR PLUS
«Les Français parlent aux Français»,
1er tome (1940-1941), présenté par Jacques
Pessis, Ed. Omnibus, 2010.
«La Bataille de Radio Londres», Jacques
Pessis, Ed. Omnibus, 2010.
«De Gaulle et les Français libres», Eric
Branca, Ed. Albin Michel, + DVD, 2010.
«Les Rebelles de l’An 40», Georges-Marc
Benamou, Ed. Laffont, 2010.
«Dictionnaire de la France libre», sous la
direction de F. Broche, G. Caïtucoli et JF. Muracciole, Ed. Laffont, 2010.
RSR-La Première
Du lundi au vendredi
15 h à 16 h
Histoire vivante
Annulé pour raison
de Mondial de foot
Téléchargement