Compte rendu congrès n°1-13 :nouvelles AFIC n°1vol5 28/02/13 14:42 Page21 Compte rendu de congrès Conversation autour du cancer du poumon Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Global Advisory Board Boehringer Ingelheim, Francfort, Allemagne Participation à un groupe de travail « Cancer et poumon », 23-25 septembre 2012 Blandine Meyrieux Chargée de mission Europe de l’Afic D imanche soir, 23 septembre. Près de Francfort, Allemagne. Dans un hôtel sur les rives du Rhin, une trentaine de personnes de divers horizons discutent avec plus ou moins de facilité –anglais oblige- et les différents accents se mélangent. C’est à l’occasion d’un groupe de travail sur la communication entre patients et infirmiers sur le thème du cancer du poumon, organisé par le laboratoire Boehringer Ingelheim (BI), que se sont retrouvés infirmières spécialisées en cancérologie, représentants d’associations de patients et employés de BI. L’Australie, le Brésil, la Belgique, le Canada, le Chili, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Argentine, Les États-Unis, l’Allemagne, Taïwan, la France dont je suis la représentante au nom de l’AFIC, se réunissent autour d’un dîner et découvrent rapidement que la barrière de la langue n’empêche guère de confronter ses expériences, parfois dramatiques, souvent émouvantes. sances des ressources existantes au Canada. Elle travaille donc à éduquer et informer les professionnels. Beth est spécialisée dans le cancer du poumon, personne référente dans les parcours de soins. Elle fait partager son expérience du diagnostic à la fin de vie. Elle évoque le handicap du stigmate du cancer du poumon, lié fortement au tabagisme, et donc à la responsabilité personnelle sur l’apparition de la maladie. Or, un tiers de ces patients n’ont jamais fumé. En tant que référente, l’infirmière spécialisée est la personne ressource, faisant le lien entre le patient, la famille et l’équipe médicale. Elle explicite le monde hospitalier. Elle décrypte les mots, les attitudes et accompagne le patient. Pour elle, le soutien des proches est primordial, et doit être favorisé. Rebecca, Docteur en sciences infirmières du Michigan, États-Unis, retrace l’univers d’un patient diagnostiqué d’un cancer du poumon. On peut mesurer l’importance de l’impact de l’annonce d’une maladie mortelle. Dans la période qui suit l’annonce du diagnostic et avant de commencer la thérapie, le patient n’est pas en mesure d’intégrer les informations, il est sous le choc. Trente-cinq pour cent des patients et 36 % de leurs conjoints présentent un stress intense un mois après le diagnostic. Même les patients en rémission, les survivants, ont des problèmes d’adaptation. Il a été prouvé qu’adopter des stratégies d’adaptation positives, telles que devenir acteur de son traitement, faire appel à son réseau de soutien, mène à un meilleur contrôle de l’évolution de la maladie. Être acteur de sa prise en charge est une position théorique. Qu’en est-il de la réa- Lundi 24 septembre, première session de travail. Hailee, une infirmière canadienne spécialisée dans le cancer du poumon raconte la création de Lung Cancer Canada, association nationale d’information et de soutien pour les patients atteints de cancer du poumon et leur entourage. Elle insiste sur le rôle très spécifique de l’infirmière spécialisée en oncologie qui a les moyens et les connaissances pour apporter une aide adaptée et « éclaircir » le parcours thérapeutique souvent complexe. Elle est en train de développer un réseau national, déplorant que ses concitoyen(ne)s doivent aller chercher des informations aux États-Unis par manque de connaisBulletin Infirmier du Cancer 21 Vol.13-n°1-janvier-février-mars 2013 Compte rendu congrès n°1-13 :nouvelles AFIC n°1vol5 28/02/13 14:42 Page22 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Compte rendu de congrès lité, quel est vraiment le contexte organisationnel ? Les multiples informations, la découverte du monde hospitalier, de la maladie sont des facteurs stressants pour le patient et son entourage, renforcés par le contexte personnel. La dyspnée qui accompagne cette pathologie favorise l’anxiété et donc s’aggrave. Une prise en charge personnalisée, qui prend en compte tous les aspects psychologiques, physiques, sociaux et spirituels du patient, avec des évaluations fréquentes du ressenti et du vécu du patient, permet de favoriser la qualité de vie. En fin de matinée, le groupe se sépare et travaille sur deux sujets en parallèle : Pause déjeuner, petite ballade sur les bords du Rhin, et reprise du travail Liesbeth, infirmière belge, spécialisée en oncologie, expose les nouveaux traitements du cancer du poumon, avec de nouveaux effets secondaires et donc de nouveaux conseils liés aux thérapies ciblées. L’arrivée des traitements anticancéreux per os a modifié la perception des patients et rendu prépondérant le rôle de l’infirmière spécialisée en cancérologie. Elle préconise d’adapter le conseil au patient et aux ressources, de privilégier le dialogue et de rester ouvert aux autres. Elle explique les mécanismes des thérapies ciblées, les marqueurs tumoraux spécifiques permettant de les adapter et de suivre l’évolution de la maladie. Elle souligne que l’accès aux thérapies et aux médicaments est très variable en fonction de la situation géographique, sociale et financière, et des orientations en santé publique opérées par les différents pays. Comment le paysage psychosocial influe-t-il sur la gestion de la maladie ? Il est nécessaire d’éduquer le patient, d’assurer un suivi. L’information est un élément clé, passant par les réseaux, l’accès à des ressources exploitables par le patient. Il est important d’expliquer que les thérapies ciblées sont des traitements adaptés à chaque personne. Le contexte de stigmate du cancer, l’observance des traitements et les éléments psychosociaux jouent aussi un rôle prépondérant dans la prise en charge. Un médecin écossais, Jesme, nous présente le test moléculaire à l’aide d’une vidéo destinée aux patients. La recherche de biomarqueurs spécifique à la maladie (par exemple, la recherche de mutation de l’EGFR dans le cancer du poumon) permet d’accéder à des thérapies ciblées adaptées qui révolutionnent le traitement. Au Royaume-Uni, le gouvernement a choisi de prendre en charge le remboursement de certaines molécules anticancéreuses sur une base statistique et de coût.1 Ces nouveaux traitements sont onéreux, et la politique de santé doit s’adapter à cette technologie inédite. Cette thérapie amène aussi de nouvelles problématiques, comme l’observance, la gestion des effets secondaires, la quête d’informations dans les médias. Au RoyaumeUni, les sites d’informations médicales sont labellisés et réévalués tous les 2 ans. Comment le paysage psychosocial influe-t-il sur la communication entre l’infirmier et le patient ? La discussion a fait ressortir plusieurs mots clés sur les freins de la communication. De la part du patient, ce sont la barrière des mots, le choc du diagnostic, le manque de connaissances. L’infirmier doit donc savoir établir un climat de confiance, écouter de façon effective, assurer un réel suivi dans les demandes et veiller continuellement à ce que le patient ait compris et se trouve en accord avec la prise en charge. Afin d’améliorer la communication, le professionnel de santé construit un vrai dialogue, revenant sans cesse sur les informations importantes, en position rassurante et sans jugement, et associe à la démarche les proches et l’entourage du patient. Si la communication est déficiente, quelles en sont les répercussions ? Le patient n’est plus intégré dans le projet thérapeutique, il ne prend plus son traitement correctement (observance), il y a une augmentation des effets secondaires par manque de connaissances de leur traitement, et une perte de confiance. La réponse à ce problème est d’identifier les personnes ayant besoin d’un suivi, d’établir des principes spécifiques de prise en charge, de faire reformuler le patient. Bulletin Infirmier du Cancer Suit le témoignage australien de l’épouse d’un patient, décédé d’un cancer du poumon il y a quatre ans. Coral relate l’accompagnement, épaulée par l’infirmière spé1 En France, le test moléculaire est réalisé par l’un des 28 laboratoires spécialisés, les plateformes de génétique moléculaire, après prescription médicale selon les Bonnes Pratiques dans les cancers colorectaux, sein, poumon et hématologie. Pour plus d’information, voir © Les tests de génétique moléculaire pour l’accès aux thérapies ciblées. Collection Rapports & synthèses, ouvrage collectif édité par l’INCa, BoulogneBillancourt, décembre 2011, disponible sur le site de l’INCa www.ecancer.fr/.../8074-les-tests-de-genetique-moleculaire-pour-lac... 22 Vol.13-n°1-janvier-février-mars 2013 Compte rendu congrès n°1-13 :nouvelles AFIC n°1vol5 28/02/13 14:42 Page23 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Compte rendu de congrès cialisée dans le cancer du poumon, ce qui lui a permis de mieux comprendre le système de santé. Elle nous donne aussi son ressenti de l’autre côté de la barrière sur l’éducation à la prévention des effets secondaires. Pour elle, des règles de base sont primordiales : des conseils adaptés à chacun, des informations écrites spécifiquement pour l’accompagnant pour pouvoir se rattacher à du concret après les entretiens, une relation honnête et sincère avec le professionnel de santé qui, de préférence, est un correspondant connu, expert et unique (= référent, système adopté dans la majorité des pays anglo-saxons) et qui les guide dans le système hospitalier. Sa définition des effets secondaires est : « The necessary evil in one’s fight for survival » ou « le mal nécessaire dans le combat pour survivre ». Elle confirme que les personnes ressources, les proches, la famille, les amis, sont un réseau essentiel et doivent être intégrés dans la prise en charge globale du patient. Elle nous donne ses conseils pour gérer les effets secondaires, principale cause d’arrêt de traitement lorsqu’ils ne sont pas suffisamment soulagés. L’adhésion thérapeutique signifie que le malade collabore à la proposition thérapeutique que le médecin a élaborée en fonction de ses préoccupations. Cette adhésion entre dans un cadre de projet thérapeutique et dans le contexte d’une motivation du patient vis-à-vis des recommandations médicales. Dans l’idéal, un patient prend 80 à 120 % de la dose prescrite du médicament dans n’importe quelle indication. En oncologie, ces chiffres sont ramenés entre 80 et 95 %. En réalité, les patients sont bien au-dessous de ces chiffres. Dans les pathologies hématologiques, seuls 17 à 27 % des patients suivent correctement la prescription, 53 à 98 % dans le cancer du sein, et 97 % dans le cancer de l’ovaire. Les raisons de la non-adhésion ont été étudiées et il a été dégagé des facteurs favorisant ce comportement : une mauvaise compréhension de la maladie et de son traitement, la complexité de la prescription, le contexte psychosocial, la mauvaise information et gestion des effets secondaires… Mieux comprendre ces facteurs permet de corriger ce comportement qui met en péril la réussite du traitement, augmente le temps médical pour des consultations ou des appels. D’autant que souvent, les patients ne se sentent pas malades, et ne ressentent que des symptômes liés au traitement. Les mesures correctives sont de diminuer la fréquence de prise journalière, d’éduquer le patient et son entourage sur les bénéfices et les risques du traitement et de soutenir le patient dans son cheminement. Ya-Ying, infirmière en recherche clinique de Taïwan expose la conduite à tenir dans la gestion des effets secondaires dans son hôpital : diarrhées, rash cutané, atteinte de l’intégrité des ongles, prurit, xérose, etc. Le débat des participants qui suit nous démontre la variation de la valeur symbolique des effets physiques selon les régions. Theodoros, professeur en sciences infirmières de l’université d’Athènes, également membre d’une association grecque pour l’information, l’éducation et le soutien des patients atteints d’un cancer, intervient sur le sujet de l’adhésion dans le cadre des thérapies ciblées. Le changement de voie d’administration du traitement anticancéreux modifie la vision du patient, d’un traitement par perfusion à l’hôpital, où il n’est que participant passif, à la prise régulière de médicaments oraux à domicile, où il devient alors acteur de son traitement. Ce nouveau mode de prise présente des avantages, comme moins de séjours à l’hôpital, une sensation de vie moins médicalisée, mais aussi des inconvénients, comme le coût du traitement, la possibilité de se sentir moins soutenu et la prise « incorrecte » du traitement. On parle souvent de compliance (obéissance dite passive : obéit au médecin), de concordance, d’adhésion et de persistance (poursuite de l’adhérence dans le temps) au sujet du comportement d’un patient vis-à-vis de son traitement. Bulletin Infirmier du Cancer Une dernière intervention de Sarah, infirmière clinicienne anglaise spécialisée dans le cancer du poumon, qui tient une consultation spécifique où elle reçoit les patients ayant un traitement avec une thérapie ciblée. Depuis quelques mois, elle prescrit le renouvellement du traitement et gère le suivi téléphonique, ce qui permet d’améliorer l’adhésion thérapeutique. Elle travaille en lien avec un médecin spécialiste, joignable à tout moment. En tant que référente personnelle des patients, son expertise est valorisée. En conclusion de cette journée, nous avons dressé le portrait idéal d’un infirmier spécialisé en oncologie, en comparaison avec un infirmier travaillant en cancérologie, sans temps ni formation spécifique. Dans certains pays (Australie, Amérique du Nord, Amérique Latine, Belgique), la formation de spécialisation en cancérologie existe et se voit sanctionnée par un diplôme d’études supérieures. En France, cette évolution n’est 23 Vol.13-n°1-janvier-février-mars 2013 Compte rendu congrès n°1-13 :nouvelles AFIC n°1vol5 28/02/13 14:42 Page24 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Compte rendu de congrès pas encore formalisée mais devrait être possible à partir de l’année prochaine. Selon l’organisation du travail de chaque pays, l’infirmier spécialisé est une personne ressource et souvent référente pour les patients qui ont ainsi un correspondant unique pour répondre à leurs questions. Les conclusions issues de cette discussion sont que le soignant est un élément clé dans la communication entre l’équipe médicale, le patient et son entourage. Là où l’infirmier gère le traitement, les effets secondaires, éduque et soutient, l’infirmier spécialisé a largement plus de temps et de moyens afin d’accompagner au long cours, de conseiller de façon plus individualisée, de faciliter le parcours de soin en orientant vers les intervenants adéquats (« Nurse navigator »). Ainsi, il devient une véritable valeur ajoutée à la prise en charge : la personnalisation avec expertise. L’originalité de cette réunion a été de rassembler en un même endroit les points de vue des soignants et des soignés. En deux jours, plusieurs présentations et groupes de travail se sont succédé à un rythme soutenu. Cela a donné lieu à de nombreux débats et à de riches échanges. Coral a ainsi pu présenter le point de vue du patient en ce qui concerne l’adhésion au traitement. Elle nous explique que même en bonne santé, tout un chacun peut prendre de mauvaises décisions, comme fumer, boire ou conduire trop vite. Être atteint d’une maladie grave ne donne pas forcément la capacité immédiate à adopter le comportement attendu. Ce qu’il en ressort en définitive, c’est que la prise en charge oncologique, malgré les disparités d’organisation, est très spécifique et nécessite du temps, de l’écoute et une sérieuse dose d’expertise. Je me suis sentie renforcée dans mon rôle d’infirmière en oncologie à la suite de ce séjour. Même si seule mon expérience professionnelle est garante de mon expertise en France, je me suis reconnue dans le portrait de l’infirmier(e) spécialisé(e) en cancérologie. Cela m’a permis de reconsidérer les possibilités offertes par mon positionnement et mon engagement en santé publique. En métropole, nous avons accès à des bases de données spécialisées (cf. site de l’INCa, de la Ligue, etc.) et de nombreux professionnels sont engagés, conscients de la portée de leur travail quotidien auprès de patients atteints de cancer. Par manque de temps, de connaissances des réseaux ou par lassitude, les infirmier(e)s ne sont pas informés des évolutions de la recherche et des Bonnes Pratiques. Aussi, au lieu d’attendre que l’information ne descende vers les soignants, adoptons une attitude proactive et impliquons-nous dans la pratique quotidienne en vue d’accéder à l’expertise en fonction de notre positionnement. Mardi 25 septembre, dernière session. Cette matinée est orientée sur les besoins exprimés par les participants afin d’améliorer la prise en charge : la spécialisation en cancérologie, le manque de moyens humains et matériels, la valorisation de l’emploi, la représentation du cancer dans l’opinion publique, la coordination des soins, le manque de projets visant à soutenir l’entourage. Propositions : un meilleur accès aux ressources existantes avec une formation des patients, une information plus personnalisée avec un réel suivi, avec la participation d’une équipe multidisciplinaire incluant travailleurs sociaux, psychologues, diététiciennes…, avec des intervenants identifiés et joignables. Selon les pays, il peut être nécessaire d’avoir un support logistique pour revoir les organisations, ou pour savoir comment échanger avec les autorités de santé. Par exemple, au Chili, le cancer du poumon est prévalent, mais à la suite du diagnostic, en dehors d’une assurance santé privée, le seul traitement proposé est la mise en place de soins palliatifs. Bulletin Infirmier du Cancer 24 Vol.13-n°1-janvier-février-mars 2013