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Bulletin Infirmier du Cancer Vol.13-n°1-janvier-février-mars 2013
Compte rendu de congs
imanche soir, 23 septembre. Près de Franc-
fort, Allemagne. Dans un hôtel sur les rives du
Rhin, une trentaine de personnes de divers
horizons discutent avec plus ou moins de facili –anglais
oblige- et les difrents accents se mélangent. C’est à
l’occasion d’un groupe de travail sur la communication
entre patients et infirmiers sur le thème du cancer du
poumon, organisé par le laboratoire Boehringer Ingel-
heim (BI), que se sont retrouvés infirmières spécialisées
en cancérologie, représentants d’associations de patients
et employés de BI.
L’Australie, le Brésil, la Belgique, le Canada, le Chili,
le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Argentine, Les États-Unis,
l’Allemagne, Taïwan, la France dont je suis la représen-
tante au nom de l’AFIC, se réunissent autour d’un dîner
et découvrent rapidement que la barrière de la langue
n’empêche guère de confronter ses expériences, parfois
dramatiques, souvent émouvantes.
Lundi 24 septembre, première session de travail.
Hailee, une infirmière canadienne spécialisée dans le
cancer du poumon raconte la création de Lung Cancer
Canada, association nationale d’information et de sou-
tien pour les patients atteints de cancer du poumon et
leur entourage. Elle insiste sur le rôle très spécifique de
l’infirmière spécialisée en oncologie qui a les moyens
et les connaissances pour apporter une aide adaptée et
« éclaircir » le parcours thérapeutique souvent complexe.
Elle est en train de velopper un seau national, plo-
rant que ses concitoyen(ne)s doivent aller chercher des
informations aux États-Unis par manque de connais-
sances des ressources existantes au Canada. Elle travaille
donc à éduquer et informer les professionnels.
Beth est spécialisée dans le cancer du poumon, per-
sonne référente dans les parcours de soins. Elle fait par-
tager son expérience du diagnostic à la fin de vie. Elle
évoque le handicap du stigmate du cancer du poumon,
lié fortement au tabagisme, et donc à la responsabilité
personnelle sur l’apparition de la maladie. Or, un tiers
de ces patients n’ont jamais fumé. En tant que référente,
l’infirmière spécialisée est la personne ressource, faisant
le lien entre le patient, la famille et l’équipe médicale.
Elle explicite le monde hospitalier. Elle crypte les mots,
les attitudes et accompagne le patient. Pour elle, le sou-
tien des proches est primordial, et doit être favorisé.
Rebecca, Docteur en sciences infirmières du Michi-
gan, États-Unis, retrace lunivers d’un patient dia-
gnostiqué d’un cancer du poumon. On peut mesu-
rer l’importance de l’impact de l’annonce d’une maladie
mortelle. Dans la période qui suit l’annonce du dia-
gnostic et avant de commencer la trapie, le patient
n’est pas en mesure d’ingrer les informations, il est
sous le choc. Trente-cinq pour cent des patients et 36 %
de leurs conjoints présentent un stress intense un mois
après le diagnostic. Même les patients en rémission, les
survivants, ont des problèmes dadaptation. Il a é
prouqu’adopter des stratégies d’adaptation positives,
telles que devenir acteur de son traitement, faire appel
à son réseau de soutien, mène à un meilleur contrôle de
l’évolution de la maladie. Être acteur de sa prise en
charge est une position théorique. Qu’en est-il de la réa-
Conversation autour
du cancer du poumon
Global Advisory Board Boehringer Ingelheim,
Francfort, Allemagne
Participation à un groupe de travail « Cancer et poumon »,
23-25 septembre 2012
Blandine Meyrieux
Chargée de mission Europe de l’Afic
D
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lité, quel est vraiment le contexte organisationnel ? Les
multiples informations, la découverte du monde hospi-
talier, de la maladie sont des facteurs stressants pour le
patient et son entourage, renforcés par le contexte per-
sonnel. La dyspnée qui accompagne cette pathologie
favorise l’anxiéet donc s’aggrave. Une prise en charge
personnalisée, qui prend en compte tous les aspects psy-
chologiques, physiques, sociaux et spirituels du patient,
avec des évaluations fréquentes du ressenti et du vécu
du patient, permet de favoriser la qualité de vie.
En fin de matinée, le groupe se sépare et travaille sur
deux sujets en parallèle :
Comment le paysage psychosocial influe-t-il sur la
gestion de la maladie ?
Il est nécessaire d’éduquer le patient, d’assurer un
suivi. L’information est un élément clé, passant par les
seaux, l’accès à des ressources exploitables par le
patient. Il est important d’expliquer que les thérapies
ciblées sont des traitements adaptés à chaque personne.
Le contexte de stigmate du cancer, l’observance des trai-
tements et les éléments psychosociaux jouent aussi un
rôle prépondérant dans la prise en charge.
Comment le paysage psychosocial influe-t-il sur la
communication entre l’infirmier et le patient ?
La discussion a fait ressortir plusieurs mots clés sur
les freins de la communication. De la part du patient, ce
sont la barrière des mots, le choc du diagnostic, le
manque de connaissances. L’infirmier doit donc savoir
établir un climat de confiance, écouter de façon effec-
tive, assurer un réel suivi dans les demandes et veiller
continuellement à ce que le patient ait compris et se
trouve en accord avec la prise en charge. Afin d’amé-
liorer la communication, le professionnel de santé
construit un vrai dialogue, revenant sans cesse sur les
informations importantes, en position rassurante et sans
jugement, et associe à la démarche les proches et l’en-
tourage du patient. Si la communication est déficiente,
quelles en sont les répercussions ? Le patient n’est plus
intégré dans le projet thérapeutique, il ne prend plus
son traitement correctement (observance), il y a une
augmentation des effets secondaires par manque de
connaissances de leur traitement, et une perte de
confiance. La réponse à ce problème est d’identifier les
personnes ayant besoin d’un suivi, d’établir des prin-
cipes spécifiques de prise en charge, de faire reformu-
ler le patient.
Pause déjeuner, petite ballade
sur les bords du Rhin,
et reprise du travail
Liesbeth, infirmière belge, spécialisée en oncologie,
expose les nouveaux traitements du cancer du pou-
mon,avec de nouveaux effets secondaires et donc de
nouveaux conseils liés aux thérapies ciblées. L’arrivée
des traitements anticancéreux per os a modifié la per-
ception des patients et rendu prépondérant le le de
l’infirmière spécialisée en cancérologie. Elle préconise
d’adapter le conseil au patient et aux ressources, de pri-
vilégier le dialogue et de rester ouvert aux autres. Elle
explique les mécanismes des thérapies ciblées, les mar-
queurs tumoraux spécifiques permettant de les adapter
et de suivre l’évolution de la maladie. Elle souligne que
l’acs aux thérapies et aux médicaments est très variable
en fonction de la situation ographique, sociale et finan-
cière, et des orientations en santé publique opérées par
les différents pays.
Un médecin écossais, Jesme, nous présente le test
moléculaire à l’aide d’une vidéo destinée aux patients.
La recherche de biomarqueurs spécifique à la maladie
(par exemple, la recherche de mutation de l’EGFR dans
le cancer du poumon) permet d’accéder à des thérapies
ciblées adaptées qui révolutionnent le traitement. Au
Royaume-Uni, le gouvernement a choisi de prendre en
charge le remboursement de certaines molécules anti-
cancéreuses sur une base statistique et de coût.1Ces
nouveaux traitements sont onéreux, et la politique de
santé doit s’adapter à cette technologie idite. Cette
thérapie amène aussi de nouvelles problématiques,
comme l’observance, la gestion des effets secondaires,
la quête d’informations dans les médias. Au Royaume-
Uni, les sites d’informations médicales sont labellisés et
réévalués tous les 2 ans.
Suit le moignage australien de l’épouse d’un patient,
décédé d’un cancer du poumon il y a quatre ans. Coral
relate l’accompagnement, épaulée par l’infirmière spé-
1En France, le test moléculaire est réalipar l’un des 28 laboratoires
spécialisés, les plateformes de génétique moléculaire, après prescrip-
tion médicale selon les Bonnes Pratiques dans les cancers colorectaux,
sein, poumon et hématologie. Pour plus d’information, voir © Les tests
de génétique moléculaire pour l’accès aux thérapies ciblées. Collection
Rapports & synthèses, ouvrage collectif édité par l’INCa, Boulogne-
Billancourt, décembre 2011, disponible sur le site de l’INCa www.e-
cancer.fr/.../8074-les-tests-de-genetique-moleculaire-pour-lac...
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cialisée dans le cancer du poumon, ce qui lui a permis
de mieux comprendre le sysme de santé. Elle nous
donne aussi son ressenti de l’autre de la barrre
sur léducation à la prévention des effets secon-
daires. Pour elle, des règles de base sont primordiales :
des conseils adaptés à chacun, des informations écrites
spécifiquement pour l’accompagnant pour pouvoir se
rattacher à du concret après les entretiens, une relation
honnête et sincère avec le professionnel de sanqui,
de préférence, est un correspondant connu, expert et
unique (= référent, système adopté dans la majorité des
pays anglo-saxons) et qui les guide dans le système hos-
pitalier. Sa finition des effets secondaires est : « The
necessary evil in one’s fight for survival » ou « le mal néces-
saire dans le combat pour survivre ». Elle confirme que
les personnes ressources, les proches, la famille, les amis,
sont un réseau essentiel et doivent être intégrés dans la
prise en charge globale du patient. Elle nous donne ses
conseils pour gérer les effets secondaires, principale
cause d’arrêt de traitement lorsqu’ils ne sont pas suffi-
samment soulagés.
Ya-Ying, infirmière en recherche clinique de Taïwan
expose la conduite à tenir dans la gestion des effets
secondaires dans son hôpital : diarrhées, rash cutané,
atteinte de lingri des ongles, prurit, rose, etc. Le bat
des participants qui suit nous montre la variation de la
valeur symbolique des effets physiques selon les régions.
Theodoros, professeur en sciences infirmières de
l’université d’Athènes, également membre d’une asso-
ciation grecque pour l’information, l’éducation et le sou-
tien des patients atteints d’un cancer, intervient sur le
sujet de l’adhésion dans le cadre des thérapies ciblées.
Le changement de voie d’administration du traitement
anticancéreux modifie la vision du patient, d’un traite-
ment par perfusion à l’hôpital, il n’est que participant
passif, à la prise gulière de dicaments oraux à domi-
cile, il devient alors acteur de son traitement. Ce nou-
veau mode de prise présente des avantages, comme
moins de séjours à l’hôpital, une sensation de vie moins
dicalie, mais aussi des inconvénients, comme le
coût du traitement, la possibilité de se sentir moins sou-
tenu et la prise « incorrecte » du traitement. On parle sou-
vent de compliance (obéissance dite passive : obéit au
decin), de concordance, d’adhésion et de persistance
(poursuite de l’adrence dans le temps) au sujet du
comportement d’un patient vis-à-vis de son traitement.
L’adhésion thérapeutique signifie que le malade colla-
bore à la proposition thérapeutique que le decin a
élaborée en fonction de ses préoccupations. Cette adhé-
sion entre dans un cadre de projet thérapeutique et dans
le contexte dune motivation du patient vis-vis des
recommandations dicales. Dans l’ial, un patient
prend 80 à 120 % de la dose prescrite du médicament
dans n’importe quelle indication.
En oncologie, ces chiffres sont ramenés entre 80 et
95 %. En réalité, les patients sont bien au-dessous de ces
chiffres. Dans les pathologies hématologiques, seuls 17
à 27 % des patients suivent correctement la prescription,
53 à 98 % dans le cancer du sein, et 97 % dans le cancer
de l’ovaire. Les raisons de la non-adhésion ont été étu-
diées et il a été dégagé des facteurs favorisant ce com-
portement : une mauvaise compréhension de la mala-
die et de son traitement, la complexité de la prescription,
le contexte psychosocial, la mauvaise information et ges-
tion des effets secondaires… Mieux comprendre ces fac-
teurs permet de corriger ce comportement qui met en
péril la réussite du traitement, augmente le temps médi-
cal pour des consultations ou des appels. D’autant que
souvent, les patients ne se sentent pas malades, et ne
ressentent que des symptômes liés au traitement. Les
mesures correctives sont de diminuer la fréquence de
prise journalière, d’éduquer le patient et son entourage
sur les bénéfices et les risques du traitement et de sou-
tenir le patient dans son cheminement.
Une dernière intervention de Sarah, infirmière clini-
cienne anglaise spécialisée dans le cancer du poumon,
qui tient une consultation spécifique elle reçoit les
patients ayant un traitement avec une thérapie ciblée.
Depuis quelques mois, elle prescrit le renouvellement
du traitement et gère le suivi téléphonique, ce qui per-
met d’améliorer l’adhésion thérapeutique. Elle travaille
en lien avec un médecin spécialiste, joignable à tout
moment. En tant que référente personnelle des patients,
son expertise est valorisée.
En conclusion de cette journée, nous avons dressé
le portrait idéal d’un infirmier spécialisé en oncologie,
en comparaison avec un infirmier travaillant en cancé-
rologie, sans temps ni formation spécifique. Dans cer-
tains pays (Australie, Amérique du Nord, Amérique
Latine, Belgique), la formation de spécialisation en can-
cérologie existe et se voit sanctionnée par un diplôme
d’études supérieures. En France, cette évolution n’est
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pas encore formalisée mais devrait être possible à par-
tir de l’année prochaine. Selon l’organisation du travail
de chaque pays, l’infirmier spécialisé est une personne
ressource et souvent référente pour les patients qui ont
ainsi un correspondant unique pour répondre à leurs
questions. Les conclusions issues de cette discussion
sont que le soignant est un ément clé dans la com-
munication entre l’équipe médicale, le patient et son
entourage. l’infirmier gère le traitement, les effets
secondaires, éduque et soutient, l’infirmier spécialisé a
largement plus de temps et de moyens afin d’accompa-
gner au long cours, de conseiller de façon plus indivi-
dualisée, de faciliter le parcours de soin en orientant
vers les intervenants adéquats Nurse navigator »). Ainsi,
il devient une véritable valeur ajoutée à la prise en
charge : la personnalisation avec expertise.
Mardi 25 septembre, dernière session. Cette mati-
née est orientée sur les besoins exprimés par les partici-
pants afin d’améliorer la prise en charge : la spécialisa-
tion en cancérologie, le manque de moyens humains et
matériels, la valorisation de l’emploi, la représentation
du cancer dans l’opinion publique, la coordination des
soins, le manque de projets visant à soutenir l’entourage.
Propositions : un meilleur accès aux ressources exis-
tantes avec une formation des patients, une information
plus personnalisée avec un réel suivi, avec la participa-
tion d’une équipe multidisciplinaire incluant travailleurs
sociaux, psychologues, diététiciennes…, avec des inter-
venants identifiés et joignables. Selon les pays, il peut
être nécessaire d’avoir un support logistique pour revoir
les organisations, ou pour savoir comment échanger avec
les autorités de santé. Par exemple, au Chili, le cancer
du poumon est prévalent, mais à la suite du diagnostic,
en dehors d’une assurance santé privée, le seul traite-
ment proposé est la mise en place de soins palliatifs.
L’originalité de cette réunion a été de rassembler en
un même endroit les points de vue des soignants et des
soignés. En deux jours, plusieurs présentations et
groupes de travail se sont succédé à un rythme soutenu.
Cela a donné lieu à de nombreux débats et à de riches
échanges. Coral a ainsi pu présenter le point de vue du
patient en ce qui concerne l’adhésion au traitement. Elle
nous explique que même en bonne santé, tout un cha-
cun peut prendre de mauvaises décisions, comme fumer,
boire ou conduire trop vite. Être atteint d’une maladie
grave ne donne pas forcément la capacité immédiate à
adopter le comportement attendu.
Ce qu’il en ressort en définitive, c’est que la prise en
charge oncologique, malgré les disparités d’organisa-
tion, est très spécifique et cessite du temps, de l’écoute
et une sérieuse dose d’expertise.
Je me suis sentie renforcée dans mon rôle dinfir-
mière en oncologie à la suite de cejour.me si
seule mon expérience professionnelle est garante de
mon expertise en France, je me suis reconnue dans
le portrait de linfirmier(e) spécialisé(e) en cancéro-
logie. Cela ma permis de reconsidérer les possibili-
s offertes par mon positionnement et mon engage-
ment en santé publique. Entropole, nous avons
acs à des bases de dones spécialisées (cf. site de
l’INCa, de la Ligue, etc.) et de nombreux profession-
nels sont engagés, conscients de la portée de leur tra-
vail quotidien auprès de patients atteints de cancer.
Par manque de temps, de connaissances des réseaux
ou par lassitude, les infirmier(e)s ne sont pas infor-
més des évolutions de la recherche et des Bonnes Pra-
tiques. Aussi, au lieu d’attendre que l’information ne
descende vers les soignants, adoptons une attitude
proactive et impliquons-nous dans la pratique quoti-
dienne en vue d’accéder à lexpertise en fonction de
notre positionnement.
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