Revue Cartographie et traitement curatif des fibrillations ventriculaires

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Revue
Cartographie
et traitement curatif
des fibrillations
ventriculaires
Mélèze Hocini , Pierre Jais, Frédéric Sacher, Stéphane Garrigue,
Jacques Clémenty, Michel Haissaguerre
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Hôpital Cardiologique du Haut Lévêque, avenue de Magellan, 33604 Pessac Cedex
<[email protected]>
Résumé. La fibrillation ventriculaire (FV) sur cœur apparemment normal représente 5 à 10 %
des causes de morts subites. Nous présentons une série de patients avec FV récidivante
idiopathique ou associée à plusieurs substrats dont nous avons pu cartographier les extrasystoles ventriculaires déclenchantes et en effectuer l’ablation par radiofréquence. Le nombre
moyen par patient de FV documentée et traitée par un défibrillateur implantable avant
l’exploration est de 10 épisodes ± 14. L’exploration endocavitaire révèle que l’origine des ESV
est dans le muscle ventriculaire « ordinaire » dans seulement 9 cas (infundibulum pulmonaire)
tandis que la majorité des ESV sont initiées par le réseau de Purkinje, soit sur la face antérieure
du ventricule droit, soit dans le ventricule gauche. Le potentiel local de Purkinje précède
l’activation ventriculaire avec un temps parfois considérable atteignant 150 ms. Sept applications de radiofréquence ont été délivrées en moyenne par patient sur le tissu de Purkinje le plus
distal entraînant l’ablation de l’activité spécifique. Les résultats sur l’état clinique du patient
sont spectaculaires : 88% des patients n’ont plus présenté de FV dont peut témoigner l’analyse
du défibrillateur, avec un recul moyen actuel de plus de 34 mois.
Mots clés : ablation, radiofréquence, défibrillateur automatique implantable, fibrillation
ventriculaire, Purkinje
L
mtc
Tirés à part : M. Hocini
a meilleure compréhension des
mécanismes d’arythmies a eu pour
conséquence l’émergence de nouvelles techniques permettant de cartographier et guérir par ablation la plupart
des arythmies cardiaques. L’interaction de la « gâchette » initiatrice avec
les facteurs qui perpétuent l’arythmie
(le substrat) est particulièrement importante pour les fibrillations cardiaques. Dans les oreillettes, le résultat
est la fibrillation auriculaire (FA),
arythmie soutenue la plus fréquente
chez l’homme, alors que dans les ventricules, la fibrillation ventriculaire
(FV) est le mécanisme le plus commun
lié à la mort subite cardiaque.
La mort subite cardiaque est responsable approximativement de
50 000 décès par an en France et de
mt cardio, vol. 1, n° 1, janvier-février 2005
300 000 aux États-Unis [1]. La FV est
le mode le plus fréquent de décès
chez des patients porteurs d’une cardiopathie mais elle a également été
décrite chez des patients avec des
cœurs structurellement normaux. Jusque récemment, la prise en charge des
patients ayant présenté une mort subite cardiaque ressuscitée repose sur
l’implantation d’un défibrillateur
automatique implantable (DAI). En
outre, de larges études cliniques randomisées ont mis en évidence l’avantage de l’implantation prophylactique
de tels dispositifs chez des patients à
haut risque (infarctus du myocarde).
Cependant, cette approche thérapeutique est limitée dans beaucoup de
pays en raison du coût prohibitif. Cela
peut être une cause de morbidité
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Revue
importante chez les patients présentant des épisodes fréquents ou lors des orages rythmiques.
Mécanismes
de la fibrillation ventriculaire
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L’élément initiateur le plus communément observé
dans le déclenchement de la FA est représenté par les
battements ectopiques des veines thoraciques. Analogue
aux mécanismes de la FA, ceux de la FV peuvent être
classés par le mode de déclenchement suite à une gâchette initiatrice et perpétuée par un substrat.
Initiation des fibrillations ventriculaires
Actuellement, il y a différentes hypothèses dans le
déclenchement des FV, [2]. La FV peut être déclenchée
par des extrasystoles pendant la période vulnérable du
ventricule, classiquement appelée phénomène « R sur T »
(figure 1). Cela peut correspondre à des postdépolarisations tardives ou à des activités déclenchées.
L’importance de cette période vulnérable est certaine
puisqu’elle est utilisée pour l’induction des FV lors des
tests de seuil des défibrillateurs. Cependant, d’autres mécanismes ont été proposés car la FV peut se produire sans
phénomène de « R sur T ». Une deuxième hypothèse est
que la FV peut être initiée par une réentrée spontanée
rapide provoquée par l’interaction d’une simple vaguelette avec un obstacle anatomique fixe qui la brise et
donne ainsi naissance à de multiples vaguelettes qui
s’auto-entretiennent et qui génèrent des activités électriques de haute fréquence [2]. Troisièmement, les phénomènes d’automaticité ou de réentrée ont été décrits dans
les différentes structures qui constituent le ventricule, à
savoir les fibres musculaires elles-mêmes et le tissu de
conduction de Purkinje.
L’implication du système de Purkinje dans le déclenchement des FV a été mise en évidence grâce à de nombreuses études sur l’animal. Dans le modèle du QT long
(LQT) et de torsade de pointes induits par l’anthropleurine,
El Sherif et al. [3] ont mis en évidence le rôle du réseau de
Purkinje dans le déclenchement de l’arythmie. Janse et al.
[4] ont également souligné le rôle prépondérant du réseau
de Purkinje distal dans le déclenchement des FV ischémiques. Ces études ont mis en évidence la survie de l’arborisation du système de Purkinje même après un infarctus
transmural. Elle est probablement liée au passage passif de
sang oxygéné dans la cavité cardiaque où le réseau de
conduction se situe juste sous l’endocarde [5]. Cependant,
en raison de l’ischémie partielle ou de l’accumulation
loco-régionale des métabolites ischémiques, ces fibres
peuvent développer des propriétés électrophysiologiques
anormales, générant ainsi un potentiel arythmique (phénomène de réentrée, d’automaticité ou d’activité déclenchée).
Perpétuation des fibrillations ventriculaires
Basé sur l’hypothèse des réentrées multiples (vaguelettes errantes) proposée par Moe, il est maintenant accepté
que le maintien de la FV soit lié à différentes formes de
réentrée ou de « rotors ». Le rôle des vaguelettes de réentrée, unique ou multiple, a été mis en évidence au cours de
simulations informatiques [6], tandis que le « rotor », défini comme une activité électrique soutenue tournant
autour d’un obstacle fonctionnel, a été démontré par des
études in vitro indépendantes [2, 7].
Figure 1. Télémétrie d’un patient sans cardiopathie avec syncope récidivante montrant des épisodes de TV et de FV polymorphes, déclenchés
par des ESV monomorphes à couplage court (dans la phase descendante de l’onde T).
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Traitement curatif
de la fibrillation ventriculaire
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L’élimination des éléments déclencheurs et/ou la modification du substrat perpétuateur est efficace dans le
traitement à long terme des FA. De même, alors que les
déclenchements et/ou le substrat pourraient théoriquement être la cible de l’ablation dans les FV, les études
jusqu’à présent ont exclusivement rapporté l’ablation de
l’élément déclencheur. Ceci peut-être le reflet de notre
connaissance limitée du substrat impliqué dans la FV et le
rôle d’une masse plus importante de myocarde [8-16].
Fibrillation ventriculaire idiopathique
La FV sur cœur apparemment normal représente 5 à
10 % des causes de morts subites. Elle est définie d’une
part par l’absence de cardiopathie organique, d’autre part,
par l’absence d’anomalie électrique décelable actuellement : syndrome du QT long, syndrome de Brugada ou TV
polymorphe catécholergique. La FV idiopathique a
d’autres éponymes dans la littérature : FV récurrente, TV
polymorphe idiopathique, torsade de pointe à couplage
court. Récemment, nous avons présenté une série de
patients avec FV récidivante dont nous avons pu cartographier les extrasystoles ventriculaires (ESV) déclenchantes
et en effectuer l’ablation par radiofréquence (RF) [11, 12].
Caractéristiques cliniques
Trente-deux patients âgés de 41 ± 14 ans, avec des
épisodes récidivants de FV ont été étudiés. Six d’entre eux
décrivent une histoire familiale de mort subite. Des syncopes inexpliquées sont retrouvées chez 17 patients avant
la mise en évidence des FV. La cartographie endocavitaire
a eu lieu dans les 2 à 3 jours après les FV. Le nombre de FV
documentée et traitée par un défibrillateur implantable
avant l’exploration est de 9 ± 13 épisodes (5 à 50). Une
moyenne de 3 ± 2 antiarythmiques (classe I, bêtabloqueurs,
amiodarone et vérapamil) a été essayée sans succès.
Les épisodes de FV surviennent durant l’activité journalière chez la majorité des patients, durant le sommeil
chez certains, mais aucun ne se produit pendant l’effort. Il
s’agit de FV primaire, non précédée de TV monomorphe
initiatrice. L’absence de cardiopathie organique [17] a été
définie par l’examen clinique, l’électrocardiogramme,
l’échocardiogramme, un bilan hémodynamique et coronarographique voire par biopsie endomyocardique
(n = 6). Ont été aussi éliminées une dysplasie du ventricule droit, la possibilité de spasme coronarien (test à
l’ergonovine, n = 5) et une TV polymorphe catécholergique par épreuve d’effort ou test à l’isopropyl moradrénaline (Isuprel®). Une administration de classe IC permet
d’exclure un syndrome de Brugada chez 12 patients alors
qu’une recherche génétique sur le SCN5A/HERG est effectuée chez 12 d’entre eux.
Morphologie des extrasystoles ventriculaires
Alors que cette série représente des patients consécutifs, chez tous sauf deux, l’arythmie survient par période
de quelques jours (orage rythmique) au cours desquels
peuvent être documentées ESV, TV polymorphe et FV ; les
arythmies disparaissent ensuite pendant des mois ou années pour réapparaître soudainement. Dans deux cas, les
extrasystoles ventriculaires sont constamment présentes
sur les enregistrements Holter.
L’examen attentif des ESV sur ECG 12 dérivations
montre qu’elles sont polymorphes (2 ± 1 morphologies
variant de 1 à 5) dans la majorité des cas (66 %), qu’elles
ont un couplage très variable en moyenne de
297 ± 42 ms, et que les couplages les plus courts induisent les TV polymorphes ou FV. Un phénomène R sur T est
observé chez 11 patients tandis que des couplages plus
longs (survenant dans le segment descendant de l’onde T)
sont notés dans les autres cas. Il est enfin noté fréquemment des ESV interpolées.
Trois classes morphologiques d’ESV peuvent être distinguées :
– des extrasystoles à type de bloc gauche, axe droit
(morphologie infundibulaire provenant du myocarde
commun) chez 5 patients ;
– des ESV provenant de la face antérieure du ventricule droit : aspect de bloc gauche et axe gauche chez 10
patients (provenant du système de conduction distal
droit) ;
– des ESV provenant du ventricule gauche (provenant
du système de conduction distal gauche) puisque positives
dans la dérivation V1 (figure 2) mais avec la caractéristique d’être très fines (durée moyenne 128 ± 18 ms des
complexes QRS contre 145 ± 13 ms dans l’infundibulum
pulmonaire) chez 13 patients ; 4 patients ont à la fois des
morphologies ventriculaires droites et gauches.
Cartographie endocavitaire des ESV initiant
les FV et ablation par radiofréquence (RF)
La cartographie est réalisée au moment où les ESV sont
fréquentes et en phase d’orage rythmique. Deux à 4 cathéters multipolaires introduits via une voie d’abord fémorale
sont utilisés. L’ESV naît du muscle ventriculaire « ordinaire » dans seulement 5 cas (infundibulum pulmonaire)
alors que la majorité des autres ESV naissent du réseau de
Purkinje, soit sur la face antérieure du ventricule droit, soit
dans le ventricule gauche (face septale).
Le potentiel distal de Purkinje est défini par la présence
en rythme sinusal d’un potentiel rapide qui précède de
quelques msec (moins de 15 ms) un potentiel plus lent qui
représente l’activation ventriculaire locale. Des temps de
plus de 15 ms reflètent l’enregistrement d’un système de
conduction plus proximal, proche de la branche de
conduction (figure 3). Un potentiel de Purkinje précédant
l’activation ventriculaire locale en rythme sinusal et lors
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Figure 2. Tracé de gauche, enregistrement Holter montrant le déclenchement d’une FV idiopathique par une ESV. Notez la fréquence des ESV
juste avant l’épisode de FV. Tracé de droite, enregistrement ECG (dérivations précordiales) du même patient 2 jours plus tard, montrant les
mêmes ESV (morphologie semblable en V5 sur l’ECG et l’enregistrement Holter).
d’une ESV indique son origine du système de Purkinje,
alors que son absence indique une origine musculaire
ventriculaire. La cartographie endocavitaire des ESV retrouve un potentiel de Purkinje qui précède l’activation
ventriculaire avec des temps de conduction parfois considérables atteignant 150 ms. On peut observer des temps
de conduction variables à partir de la même fibre de
Purkinje associés à des morphologies d’ESV différentes,
témoignant de voie de sortie différente. L’observation de
formes répétitives montre que les 3 premières décharges
des TV polymorphes ou FV proviennent aussi du tissu de
Purkinje. Enfin, il peut être observé des impulsions « isolées » du tissu de Purkinje non conduites aux ventricules
(figure 4).
Au site d’ablation, l’activité endocardique précède le
début du QRS sur l’ECG de 130 ± 19 ms. L’ablation peut
provoquer une exacerbation provisoire des ESV qui, dans
certains cas, initie le déclenchement d’une FV en cours
d’examen. Progressivement, en utilisant des applications
d’énergie de RF en moyenne de 13 ± 7 minutes, les ESV
de morphologie différentes sont éliminées. Les électrogrammes locaux après l’ablation sur le tissu de Purkinje le
plus distal montrent l’abolition de ce potentiel, retardant
légèrement le ventriculaire local. Deux patients ont récidivé de leur ESV pendant leur séjour et ont dû subir une
deuxième procédure d’ablation.
Résultats
Après l’ablation, les patients sont suivis sur le plan
clinique et par l’interrogation des mémoires de leur défibrillateur. Un patient a présenté une récidive de FV avec
des chocs appropriés documentés, alors qu’un second
patient a présenté une présyncope due à un épisode non
soutenu (6 secondes) de TV polymorphe sans décharge du
défibrillateur. Ces deux patients n’ont pas souhaité bénéficier d’une seconde procédure d’ablation. Chez les autres
patients, les enregistrements Holter ne montrent aucune
ou peu d’ESV isolées sur 24 h (28 ± 49 ; variant de 0 à
145). Sur un suivi sans équivoque (attesté par l’interrogation du défibrillateur) de 34 ± 28 mois sans antiarythmique, il n’y a eu aucune mort subite, syncope ou récidive de
FV chez 28 patients (88 %).
Fibrillation ventriculaire :
QT long et syndromes de Brugada
Le syndrome de Brugada et du QT long (LQT) est une
cause connue de mort subite cardiaque. Ces syndromes
sont tous deux associés à des troubles de la repolarisation
ventriculaire [17-19]. Les études récentes suggèrent un
rôle important des ESV naissant du ventricule droit dans le
syndrome de Brugada. Chinushi et al. ont rapporté chez
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Figure 3. Exemple d’une ESV naissant du système de Purkinje ventriculaire droit. Tracé de gauche : ESV typique à type de retard gauche, axe
gauche. Tracé de droite : enregistrement endocavitaire du même patient, montrant le potentiel de Purkinje (flèche) précédant l’activation
ventriculaire locale sur l’électrode distale en rythme sinusal. L’électrode proximale montre un potentiel de branche. Lors de l’ESV, le potentiel
de Purkinje précède toujours mais de façon plus précoce l’activation ventriculaire.
un patient porteur d’un syndrome de Brugada, des épisodes récidivants de FV initiés par des ESV monomorphes
(aspect de bloc gauche) [20]. Ceci est corroboré par
Morita et al. [21], qui a observé des ESV chez 9 patients sur
45. Onze morphologies d’ESV sont retrouvées dont 10
d’origine ventriculaire (7 infundibulaires, 2 septales et 1
de l’apex du ventricule droit).
Alors que la prise en charge de ces patients repose sur
l’implantation d’un défibrillateur, ces études et notre récent succès dans l’ablation des FV idiopathiques [11, 12]
nous a conduit à évaluer le rôle des ESV initiatrices chez
des patients présentant des anomalies de la repolarisation
ventriculaire [15].
Caractéristiques cliniques
Quatre patients avec un syndrome du LQT (2 hommes,
37 ± 8 ans) et 4 patients avec un syndrome de Brugada (3
hommes ; 36 ± 8 ans) ont été explorés. Ces patients ont
présenté des épisodes documentés de TV polymorphe ou
FV (1-21 épisodes). Trois rapportent des antécédents fami-
liaux de mort subite. Les patients porteurs d’un syndrome
de Brugada ont en moyenne 12 ± 9 épisodes de FV, alors
que ceux avec un LQT ont moins d’épisodes (6 ± 4) de FV
ou de syncope.
Un traitement antiarythmique est tenté chez les patients avec un LQT, notamment les bêtabloqueurs seuls ou
en association avec les classes IC (n = 3), le vérapamil
(n = 2) et l’amiodarone (n = 1). Aucun antiarythmique
n’est essayé chez 3 patients porteurs d’un syndrome de
Brugada alors que la quinidine a échoué chez 1 patient.
Le syndrome du LQT est diagnostiqué chez 4 patients
(intervalle QT corrigé > 460 msec). Aucune anomalie génétique (KCNQ1, SCN5A et HERG) n’est décelée. Le
diagnostic du syndrome de Brugada repose sur une surélévation en dos de chameau du segment ST en V1 et V2.
Aucune anomalie organique (examen clinique, électrocardiogramme, échocardiogramme et coronarographie)
n’est retrouvée chez les patients porteurs du syndrome de
Brugada. Le syndrome du LQT est diagnostiqué au moment de la FV alors que le syndrome de Brugada est
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Electrode
distale
Electrode
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Electrode
proximale
Figure 4. Exemples d’ESV naissant du système de Purkinje gauche. Les flèches indiquent les potentiels de Purkinje. À droite, le potentiel de
Purkinje montre des temps de conduction au ventricule local variables, avec des morphologies différentes de QRS, ainsi qu’un battement non
conduit de Purkinje (4e flèche).
diagnostiqué 9 mois et 3 ans avant les épisodes de FV
chez 2 patients.
Tous ces patients ont été explorés dans les 2 semaines
suivant l’orage rythmique et des ESV sont documentés sur
les ECG. Le rôle des ESV dans le déclenchement des FV est
documenté grâce à une surveillance ambulatoire ou aux
électrogrammes du défibrillateur. Les ESV dans le LQT ont
un intervalle de couplage de 503 ± 29 ms ; elles sont
monomorphes chez 2 patients (1 à type de retard gauche,
typique de l’infundibulum pulmonaire et 1 à type de retard
droit), et polymorphes et répétitives (parfois bidirectionnelles) avec une morphologie positive en V1 chez 2
patients. Les ESV dans le syndrome de Brugada sont monomorphes (figure 5) d’origine infundibulaire chez 3 patients (à type de retard gauche, axe vertical) avec un
intervalle de couplage de 343 ± 59 ms. Chez 1 patient,
l’ESV est à type de retard gauche, axe gauche avec un
couplage plus court de 278 ± 29 ms. Les ESV monomorphes sont documentées au moment des FV chez 2 patients
tandis que chez les 2 autres, elles sont documentées (avec
un QRS/QT normal en rythme sinusal) 14 et 11 ans avant
l’orage rythmique.
Cartographie endocavitaire des ESV
et ablation par radiofréquence
Dans le LQT, un patient présente des ESV naissant de
l’infundibulum pulmonaire qui nécessitent 6 minutes de
RF. Trois patients ont des ESV polymorphes naissant du
réseau de Purkinje gauche. En moyenne, 7 à 10 minutes
de RF sont nécessaires pour éliminer les ESV infundibulaires chez 3 patients porteurs d’un syndrome de Brugada.
Un patient a des ESV naissant du réseau de Purkinje du
ventricule droit sur sa face antérieure et il faut 10 minutes
de RF pour les éliminer.
Résultats
Après un suivi de 24 ± 20 mois des patients atteints
d’un syndrome du QT long et de 9 ± 8 mois chez les
patients porteurs d’un syndrome de Brugada, il n’y a eu de
récidive de FV, de syncope ou de mort subite cardiaque.
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Un patient porteur d’un LQT a été laissé sous bêtabloquants alors qu’un autre patient a récidivé avec des
ESV mais a refusé une autre procédure d’ablation.
cularisation coronarienne optimale (angioplastie ou chirurgie). Ces patients sont dans un état hémodynamique
gravissime nécessitant une intubation et ventilation, un
ballon de contre-pulsion aortique.
Fibrillation ventriculaire
et infarctus du myocarde
La cartographie et l’ablation ont ciblé les morphologies d’ESV initiatrices les plus fréquentes, qui naissaient du
réseau de Purkinje aux limites de la zone infarcie. Là
encore, on observe des variations importantes de temps de
conduction entre le ventricule local et le potentiel de
Purkinje qui sont associées à des morphologies d’ESV
différentes. Vingt-sept ± 7 minutes de RF sont délivrées sur
1 à 3 régions à la limite de la zone d’infarctus pour
permettre l’élimination de ces ESV. Un patient est décédé
dans les jours suivants, suite à une aggravation de son
insuffisance cardiaque et deux autres patients ne font plus
de FV à 14 mois après l’ablation.
La FV est le plus fréquemment associée à une cardiopathie, en particulier l’infarctus du myocarde ou l’ischémie. Alors que les FV associées à l’infarctus du myocarde
sont fréquemment éphémères ou contrôlées par les bêtabloquants en association ou non avec l’amiodarone, il
arrive parfois que les orages rythmiques ne soient plus
contrôlés médicalement (figure 6) [5]. Plusieurs équipes
ont récemment évalué le rôle de l’ablation des ESV à
l’origine des orages rythmiques dans les suites d’un infarctus du myocarde [14, 16].
Nous avons exploré 3 patients, tous des hommes, âgés
de 66 ± 2 ans présentant des orages rythmiques (FV multiples) résistants aux antiarythmiques (y compris bêtabloqueurs et ou amiodarone). Ils ont présenté dans les suites
d’un infarctus du myocarde antérieur (13 ± 2 jours) avec
altération majeure de la fonction cardiaque (fraction
d’éjection de 31 ± 13 %) des arythmies rebelles (nécessitant 23 ± 10 chocs électriques externes) malgré une revas-
Bänsch et al. ont récemment publié des résultats semblables chez des patients avec FV après infarctus du
myocarde [16]. Dans ce centre, 2 340 patients ont été
admis pour infarctus du myocarde aigu. Quatre ont présenté des orages rythmiques sous forme de FV ou TV
polymorphes récidivantes malgré une revascularisation
coronarienne optimale et un traitement antiarythmique ;
ils ont nécessité une ablation par RF. Ces patients (3
hommes, âgés de 66 ± 8 ans) ont présenté un infarctus du
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Figure 5. FV chez un patient porteur d’un syndrome de Brugada. Une ESV à type de retard gauche et axe vertical (origine infundibulaire) est
enregistrée sur un ECG (tracé du bas). L’intervalle de couplage de l’ESV est long. Tracé du haut, enregistrement par le défibrillateur d’un
déclenchement de FV chez le même patient.
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Déclenchement d'une FV
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Figure 6. Déclenchement d’une FV par une ESV chez un patient ayant présenté un infarctus du myocarde 15 jours auparavant. Malgré le choc,
il persiste la même ESV.
myocarde inférieur ou antérieur avec une fraction d’éjection de 32 ± 5 %. Il est à noter que tous les épisodes
arythmiques ont été déclenchés par des ESV monomorphes à type de retard droit. La cartographie endocavitaire
a retrouvé un potentiel de Purkinje précédent l’ESV de 126
à 160 ms. Six à 30 applications de RF ont été nécessaires
pour éliminer les ESV ayant pour conséquence la suppression des FV au cours du suivi de 13 ± 13 mois.
D’autres substrats associés
à la fibrillation ventriculaire
Nous avons tenté l’ablation par RF d’un syndrome de
repolarisation du ventricule gauche bradychardie dépen-
dant (non encore identifié) chez une jeune fille âgée de
15 ans (figure 7). L’électrocardiogramme précédant les
ESV et le déclenchement des FV montrent un élargissement du QRS associé à des changements de l’onde T. Une
exploration endocavitaire est réalisée après plusieurs épisodes d’orages rythmiques (80 chocs électriques du défibrillateur) malgré plusieurs anti-arythmiques (bêtabloqueurs, propafénone, amiodarone, et vérapamil). Au
cours de son hospitalisation, plusieurs ESV de morphologies différentes isolées ou déclenchant des FV (toutes à
type de retard droit) sont documentées. La cartographie
retrouve plusieurs régions d’où naissent les ESV, aussi bien
du réseau de Purkinje que du myocarde lui-même.
Aucune ablation n’est effectuée devant le nombre d’ESV
Tableau 1. Origine des ESV en fonction du substrat
Age (ans)
Délai entre 1er épisode de FV et ablation (mois)
Nombre de FV avant ablation
ESV en dehors des orages rythmiques
Nombre de morphologies d’ESV
Largeur des QRS (ms)
Couplage de l’ESV initiatrice (ms)
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Infundibulum pulmonaire
n=7
Purkinje
n = 28
p
31 ± 8
26 ± 33
5±6
4
1,1 (0,4)
145 ± 13
358 ± 37
(après sommet de T)
45 ± 14
33 ± 45
18 ± 28
0
3,3 ± 2,7
128 ± 18
297 ± 42
(sommet de T)
0,004
NS
0,03
< 0,001
0,001
0,05
0,005
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Figure 7. Tracés ECG de la jeune fille de 15 ans présentant des anomalies de la repolarisation bradycardie-dépendantes. On voit au fur et à
mesure de la bradycardie, des anomalies de la repolarisation associées à un élargissement (flèche) des QRS, essentiellement dans les dérivations
inférieures et précordiales gauches. Au paroxysme des anomalies, déclenchement d’une FV par une ESV (étoile).
différentes. L’étude génétique familiale ne décèle aucune
anomalie. Il s’agit probablement d’un nouveau syndrome
de repolarisation anormale mais qui ne correspond pas
aux critères classiques du syndrome du QT long ou du
syndrome de Brugada.
D’autres substrats peuvent également être associés à
des FV. Récemment, un cas a été rapporté dans la littérature d’une ablation par RF d’une FV après chirurgie cardiaque pour remplacement de valve aortique [22]. Les
épisodes de FV étaient déclenchés par des ESV naissant du
réseau de Purkinje des fascicules antérieur et postérieur du
ventricule gauche. Sur un suivi de 2 mois, il n’y a eu
aucune récidive de FV. De même, nous avons récemment
effectué l’ablation avec succès d’une jeune femme ayant
subi un remplacement valvulaire aortique et qui dans les
suites a présenté des épisodes de FV initiées par des ESV
naissant du réseau de Purkinje gauche.
Conclusion
Alors que les techniques d’ablation par cathéter sont
maintenant bien répandues, les premières ablations des
FV idiopathiques [11, 12], et plus récemment des FV
secondaires à une cardiopathie ischémique [14, 16] ou à
des anomalies de la repolarisation [15] ont démontré le
rôle prépondérant du système de Purkinje et de l’infundibulum pulmonaire (tableaux 1 et 2) dans le déclenchement des FV liées à un certain nombre de substrats cliniques chez l’homme.
Tableau 2. Caractéristiques électrophysiologiques
des ESV initiatrices en fonction de leur origine
FV idiopathique
Infundibulum
pulmonaire
5
Purkinje
Les deux
Total
23
5
32
1
3
0
3
1
3
0
0
0
4
4
3
0
1
0
1
QT long
Brugada
FV postinfarctus
Remplacement
valve aortique
mt cardio, vol. 1, n° 1, janvier-février 2005
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Revue
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Diminuer l’incidence des FV grâce à une ablation par
RF localisée peut réduire le nombre de chocs électriques
du défibrillateur, donc son remplacement et améliorer la
qualité de vie des patients. Les résultats spectaculaires à
long terme obtenus par l’ablation par RF sont crédibles car
confirmés sans équivoque par l’interrogation des mémoires du défibrillateur de ces patients.
Avec le développement de nouvelles technologies de
cartographie ou de nouveaux cathéters, l’ablation des FV
par cathéter, afin de guérir les patients en danger de mort
subite cardiaque pourrait devenir une réalité.
56
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