Relations entre contrôle de la source en mémoire épisodique et

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Article original
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012 ; 10 (2) : 197-205
Relations entre contrôle de la source en
mémoire épisodique et fonctionnement
exécutif dans le vieillissement normal
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Relationship between source monitoring
in episodic memory and executive function in normal aging
Mohamad El Haj1
Philippe Allain1,2
1 Laboratoire de psychologie
des Pays de la Loire (EA 4638),
Lunam Université,
Université d’Angers
<[email protected]>
2 Centre mémoire de ressources
et de recherches, CHU d’Angers
Tirés à part :
M. El Haj
Résumé. Les travaux sur le vieillissement cognitif normal suggèrent l’existence de difficultés pour le contrôle de la source en mémoire épisodique, en lien avec une diminution du
contrôle exécutif. Néanmoins, les approches utilisées dans la littérature ne permettent pas
de savoir si toutes les dimensions du contrôle de la source se dégradent avec l’âge, ni de
savoir si certains processus exécutifs sont plus impliqués que d’autres dans la diminution
du contrôle de la source. Dans ce travail, nous avons étudié l’effet de l’âge sur le contrôle
de la source à partir de tâches simples et originales évaluant le contrôle interne, le contrôle
externe et le contrôle de la réalité. Plusieurs mécanismes exécutifs ont aussi été évalués.
Les tâches ont été proposées à 24 participants jeunes et 22 participants âgés en bonne
santé appariés par le sexe et le niveau de vocabulaire au Mill Hill. Les résultats ont montré
une détérioration du contrôle de la source en mémoire épisodique, surtout pour le contrôle
externe, chez les participants âgés. Ce déclin était très lié à la diminution des performances
au test de Stroop. Il semblerait donc que le vieillissement normal s’accompagne d’une
baisse assez globale du contrôle de la source en mémoire épisodique et que cette baisse
s’expliquerait principalement par l’altération des compétences inhibitrices.
Mots clés : inhibition, contrôle de la réalité, contrôle de la source externe, contrôle de la
source interne
Abstract. Age-related source monitoring decline in episodic memory has been traditionally
attributed to executive dysfunctioning. However, the literature does not reveal whether all
source monitoring categories are impaired at the same level in the elderly. It is also unclear
whether the source monitoring decline can be attributed to a specific executive function. In
the present paper, we address these shortcomings by using specific source monitoring and
executive tasks. Twenty four young and 22 older healthy adults, paired by sex and vocabulatory level, were assessed with original and simple source monitoring tasks tapping reality
monitoring (discrimination between self- vs. other-generated sources), external monitoring
(discrimination between external sources), and internal monitoring (discrimination between
self-generated sources). They were also given specific executive measures assessing inhibition, flexibility, and updating. Relatively to the younger adults, poor source monitoring was
found in the older participants. This decline was more pronounced for external monitoring.
The latter performance was further predicted by inhibition. Our results emphasize the role
of inhibitory processes in older adults’ source monitoring decline.
doi:10.1684/pnv.2012.0342
Key words: external monitoring, inhibition, internal monitoring, reality monitoring
L
a rétention des informations en mémoire peut
aussi bien concerner des contenus ou des événements (des séries d’images, de mots ou encore
d’épisodes) que le contexte dans lequel le sujet y a été
exposé, qu’il soit spatial (lieu où s’est effectuée la mémorisation), temporel (moment de la journée ou s’est effectuée
la mémorisation) ou social (personne présente au moment
de la mémorisation). On distingue ainsi habituellement
la mémoire du contenu et la mémoire du contexte. La
mémoire du contenu serait plus effortful que la mémoire
du contexte, en ce sens qu’elle impliquerait une recherche
plus active en mémoire, le contexte spatio-temporel étant
encodé et récupéré de façon plus automatique.
Le concept de mémoire de la source est étroitement
lié à celui de mémoire du contexte [1]. La mémoire de la
source peut, en effet, être considérée comme une dimension particulière de la mémoire du contexte qui permet
au sujet de se souvenir de l’origine de l’information, plus
Pour citer cet article : El Haj M, Allain P. Relations entre contrôle de la source en mémoire épisodique et fonctionnement exécutif dans le vieillissement
normal. Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil 2012; 10(2) :197-205 doi:10.1684/pnv.2012.0342
197
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M. El Haj, P. Allain
particulièrement de la ou des personnes ayant énoncé,
présenté ou réalisé les items ou actions à mémoriser.
La mémoire de la source se focalise ainsi davantage
sur la provenance des informations mémorisées que sur
l’environnement dans lequel elles ont été rencontrées.
Elle a aussi moins à voir avec la récupération automatique des éléments contextuels et engage des processus
d’évaluation et d’attribution de l’origine d’un souvenir [1].
Ainsi, le contrôle de la source (source monitoring) peut être
défini comme l’ensemble des processus cognitifs impliqués dans l’attribution de l’origine de nos souvenirs [1]. Le
contrôle de la source est essentiel pour distinguer ce que
nous avons réellement vécu de ce que nous avons pu imaginer, contribuant ainsi à notre capacité à exercer un contrôle
sur nos souvenirs [2]. Ce contrôle constitue aussi un élément nécessaire à la réviviscence phénoménologique qui
caractérise le rappel épisodique.
Selon Johnson et al. [1], le contrôle de la source implique
trois types d’opérations de contrôle : (1) le contrôle de la
réalité de la source ou la discrimination entre une source
intérieure et une source externe comme, par exemple, le
fait de se rappeler si une déclaration a été formulée par soimême ou si elle a été vue à la télévision ; (2) le contrôle
de la source externe ou la discrimination entre différentes
sources externes comme, par exemple, le fait de se rappeler si une déclaration a été vue à la télévision ou si elle a
été entendue à la radio ; (3) le contrôle de la source interne
ou la discrimination entre différentes sources intérieures
comme, par exemple, le fait de se rappeler si une déclaration a été prononcée ou imaginée.
Plusieurs observations issues de la clinique neuropsychologique ont suggéré que l’atteinte du contrôle de la
source était liée à des dysfonctionnements de nature exécutive [3]. Les fonctions exécutives correspondent à toute
une gamme de processus d’ordre supérieur, impliqués dans
l’organisation, la planification, la coordination, la mise en
œuvre et l’évaluation de la plupart de nos activités non
routinières [4], qu’elles soient cognitives ou non. Ainsi, les
fonctions exécutives engagent un ensemble de processus
(comme l’inhibition, la planification, la flexibilité, etc.) visant
à adapter nos comportements à des situations nouvelles
et/ou complexes, notamment lorsque les habiletés apprises
ne suffisent pas [4].
Plusieurs auteurs ont suggéré l’existence d’un lien étroit
entre le déclin du contrôle de la source en mémoire épisodique et les dysfonctionnements exécutifs observés dans
le cadre du vieillissement cognitif normal [5, 6]. Toutefois, les études montrant des relations entre les mesures
du contrôle de la source en mémoire épisodique et les
mesures exécutives chez le sujet âgé sain sont assez rares
et rapportent des données parfois contradictoires.
198
Craik et al. [5] furent parmi les premiers à évaluer les
liens entre le contrôle de la source et le fonctionnement
exécutif dans le vieillissement cognitif normal. Pour ce faire,
ils ont exposé des sujets adultes et âgés à des déclarations
fictives (du type « Le dessert préféré de Ronald Reagan
est le caramel »). Les auteurs ont mesuré le contrôle de la
source en demandant aux participants, après une semaine,
de rappeler la source des déclarations faites (« Les ont-ils
entendues à la télévision ou lors de la précédente session
de l’expérimentation ? »). Une détérioration du contrôle de
la source a été observée avec l’âge. Ce déclin était corrélé
aux scores exécutifs obtenus en fluence verbale et au test
de classement de cartes de Wisconsin. Toutefois, pour ce
dernier test, le nombre total d’erreurs n’était pas corrélé
avec le score du contrôle de la source. D’autres travaux ont
rapporté des données allant dans le même sens [6], avec
parfois des corrélations significatives entre l’ensemble des
mesures du contrôle de la source et du contrôle exécutif [7].
Par contre, d’autres auteurs n’ont trouvé aucune corrélation
significative chez des sujets âgés sains entre les mesures
du contrôle de la source et les mesures du fonctionnement
exécutif (notamment au test de classement de cartes du
Wisconsin) [8].
Ainsi, s’il semble acquis que le contrôle de la source
décline chez les sujets âgés sains, la participation du déclin
exécutif liée à l’âge fait encore débat, les données de la
littérature étant peu consensuelles, voire contradictoires.
Il nous semble que cette contradiction tient en particulier au fait que les auteurs ont très souvent adopté une
approche unitaire du contrôle de la source en mémoire, n’en
évaluant souvent qu’une seule dimension (en particulier le
contrôle de la source externe) alors que, comme indiqué
plus haut et en référence à l’approche de Johnson et al. [1],
plusieurs types de contrôle de la source peuvent être distingués. Par ailleurs, les auteurs n’ont souvent utilisé que
des épreuves exécutives complexes et multi-déterminées,
c’est-à-dire des épreuves engageant simultanément plusieurs composantes exécutives.
Ainsi donc, la nature des déficits de la mémoire de la
source chez les sujets âgés sains reste mal connue, de
même que la nature précise des dysfonctionnements exécutifs responsables de ces déficits. L’objectif de ce travail
est donc d’éclairer cette question en soumettant des sujets
âgés sains et des sujets contrôles jeunes, appariés par le
sexe et le niveau de vocabulaire au test de Mill Hill, à des
tâches permettant à la fois une approche multidimensionnelle du contrôle de la source et une approche ciblant des
processus exécutifs spécifiques. Pour ce faire, nous nous
référerons à deux modèles théoriques : (1) le modèle de
Johnson et al. [1] qui décrit un contrôle de la source interne,
externe et au niveau de la réalité et (2) le modèle de Miyake
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 2, juin 2012
Contrôle de la source, fonctions exécutives et vieillissement
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et al. [9] centré sur les trois fonctions exécutives que sont
l’inhibition, la mise à jour et la flexibilité mentale. Ce dernier
modèle a déjà permis de mieux cerner la nature des déficits
de la récupération des souvenirs en mémoire épisodique
liée à l’âge [10].
Les questions auxquelles nous souhaitons ici répondre
sont les suivantes : tous les niveaux de contrôle de la source
sont-ils altérés chez les sujets âgés sains ? Si non, lesquels
sont altérés ? Quels sont les processus exécutifs engagés
dans le contrôle de la source chez les sujets âgés sains ?
Méthode
Participants
Vingt-quatre sujets adultes jeunes (14 femmes et
10 hommes, âge moyen : 23,9 ± 4,6 ans) et 22 sujets
adultes âgés sains (13 femmes et 9 hommes, âge moyen :
71,4 ± 5,1 ans ; mini-mental state examination moyen
[11] : 27,9 ± 1,8) de langue maternelle française ont pris
part à cette étude sur la base du volontariat. Les deux
groupes étaient appariés par le sexe et le niveau de
vocabulaire suivant le score obtenu au test de Mill Hill
(jeunes adultes m = 33,9 ± 7,6 ; adultes âgés m = 36,5 ± 7,3 ;
t(44) = 1,17, p > 0,1). Tous les participants étaient indemnes
d’antécédent neurologique ou psychiatrique. Nous avons
en particulier vérifié, via l’entretien, qu’aucun ne présentait ou n’avait présenté de troubles de l’humeur (anxiété et
dépression). Aucun ne présentait de difficultés visuelles et
d’audition limitant la passation des tests.
Procédures
Tous les participants ont été soumis à une évaluation
des fonctions exécutives et du contrôle de la source. Une
évaluation rapide de leur mémoire épisodique a aussi été
réalisée afin de ne pas surcharger l’examen mnésique.
Étude du fonctionnement exécutif
Dans la logique du modèle de Miyake et al. [9], une
épreuve de flexibilité, une évaluation de mise à jour et un
test d’inhibition ont été proposées aux participants. Nous y
avons ajouté une mesure de la fluidité verbale et une autre
s’intéressant aux mécanismes de liaison en mémoire de
travail (binding). La fluidité verbale est très régulièrement
évaluée en pratique clinique et souvent affaiblie dans le
vieillissement. La liaison en mémoire de travail est moins
fréquemment évaluée, mais semble très liée au déclin du
contrôle de la source lors du vieillissement [1]. Toutes ces
épreuves sont décrites ailleurs [12, 13]. Aussi, nous n’en
fournissons ici qu’une explication rapide.
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 2, juin 2012
La flexibilité a été évaluée à l’aide d’une tâche de type
Plus-minus, incluant 3 listes de 20 nombres constitués de
2 chiffres (allant de 10 à 99, choisis au hasard). Chacune
de ces listes était présentée sur une feuille de papier A4
en gros caractères. Sur la première liste, les participants
devaient ajouter 1 à chaque nombre présenté. Ils recevaient l’instruction suivante : « Voici une série de nombres
écrits en rouge sur cette feuille. Vous allez ajouter 1 à chacun de ces nombres, en allant le plus vite possible. Vous
me direz votre réponse à voix haute ». Sur la seconde
liste, ils devaient soustraire un à chaque nombre présenté.
L’instruction suivante leur était donnée « Voici une autre
série de nombres. Cette fois-ci, ils sont écrits en bleu.
Je vais vous demander de soustraire 1 à chacun de ces
nombres en allant le plus vite possible. Vous me direz vos
réponses à voix haute ». Sur la dernière liste, ils devaient
alterner l’addition et la soustraction en ajoutant 1 au premier nombre écrit en rouge et en soustrayant 1 au suivant
écrit en bleu. L’examinateur donnait la consigne suivante
« Voici encore d’autres nombres. Certains sont écrits en
rouge et d’autres en bleu. Comme tout à l’heure, vous
ajouterez 1 à chaque nombre écrit en rouge et vous retrancherez 1 à chaque nombre écrit en bleu en alternant. Je vous
demande de me répondre à voix haute en allant aussi vite
que possible ». Les participants débutaient par quelques
exemples. Le score pris en compte était le temps mis avec
la liste 3 moins les temps mis pour effectuer les listes
1 et 2.
La mise à jour a été étudiée avec un test de type 2-back.
Une série de 30 lettres (alphabet) était présentée oralement
aux participants par l’évaluateur. Ces derniers devaient décider si la dernière lettre entendue était, oui ou non, la même
que celle présentée 2 items plus tôt. L’instruction donnée
était la suivante : « Je vais vous dire plusieurs lettres les
unes à la suite des autres. Il faudra me dire, en me répondant par oui ou non, si la dernière lettre que je vous entendez
est la même que l’avant dernière que vous avez entendu. Là
aussi, quelques items d’exemples étaient d’abord proposés
et devaient être réussis avant d’entamer la tâche. Pour cette
épreuve, nous avons retenu comme critère de pertinence
le nombre de réponses erronées.
L’inhibition a été mesurée par l’épreuve de Stroop. Dans
notre version de cette tâche, les participants devaient :
(1) nommer, le plus vite possible, la couleur de 100 rectangles bleus, verts ou rouges ; (2) lire, en un minimum de
temps, 100 noms de couleur (bleu, vert ou rouge) imprimés à l’encre noire ; (3) dénommer, aussi vite que possible,
la couleur de l’encre (bleu, verte ou rouge) avec laquelle
100 noms de couleurs (bleu, vert ou rouge) étaient imprimés
sans tenir compte du mot écrit, la couleur ne correspondant pas au nom imprimé (par exemple “ROUGE” imprimé
199
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M. El Haj, P. Allain
en vert). Le temps mis pour effectuer la troisième planche
moins celui mis pour effectuer la première et la seconde
planche était l’indicateur de performance retenu.
La fluidité verbale a été évaluée par une épreuve de
fluence littérale. Les participants devaient générer le maximum de mots commençant par la lettre p en 2 minutes. Il
était précisé aux participants qu’ils ne devaient pas produire
de noms propres (comme Paul) ou de mots dérivés (de type
canne ou caneton après avoir produit canard). L’indicateur
de performance retenu était le nombre d’items correctement évoqués.
La liaison en mémoire de travail a été évaluée grâce
à une épreuve originale développée pour l’occasion. Dans
cette tâche, les participants devaient observer des séries
de 4 grilles (de 16 × 16 cm) à 9 cases présentées sur des
feuilles de papier A4 dans un classeur (une page par grille).
Il y avait 20 séries plus une série servant d’exemple. Pour
chaque série, les 3 premières grilles étaient utilisées pour
présenter une lettre de l’alphabet en une localisation différente sur les cases de la grille (temps de présentation :
1 seconde). La lettre proposée changeait à chaque nouvelle présentation. Les participants devaient ensuite dire,
sur la quatrième grille de chaque série, si la lettre proposée (à nouveau différente) était présentée ou non dans
l’une des cases utilisées pour les 3 premières grilles. Il
était demandé aux participants de fixer une page blanche
pendant 5 secondes entre chaque série. L’indicateur de performance était le taux de réponses correctes moins celui de
réponses fausses.
Étude du contrôle de la source
Trente-six objets de la vie quotidienne ont été retenus
selon la fréquence d’apparition de leurs noms dans la langue
française [14]. Ces objets, soigneusement choisis pour être
présentés dans leur taille ordinaire et sans signe distinctif,
ont été répartis en trois sets. Le set 1 incluait douze objets
présentés dans l’ordre suivant : un bouton de veste, un
peigne, des lunettes de vue, une montre, un masque, une
brosse à dent, un ballon à gonfler, un téléphone portable, un
morceau de ruban pour cadeau, une éponge, un clou et un
morceau de papier. Le set 2 incluait douze autres objets présentés dans l’ordre suivant : une bougie, une pince à linge,
une pièce de 1 euro, un lacet de chaussure, un pinceau, une
paire de ciseaux, une cuillère, un timbre, une paille à boire,
un couteau de table, une bague et une règle d’écolier. Le
set 3 incluait douze nouveaux objets présentés dans cet
ordre : un crayon, un verre, une fourchette, un carnet, un
sifflet, un briquet, un bouchon de liège, une enveloppe, un
bracelet, une clef, un fil métallique et un ressort. L’ordre de
présentation des objets a été prédéterminé par tirage au
sort pour chaque set.
200
Chaque set d’objets a été utilisé pour évaluer les trois
dimensions du contrôle de la source (contrôle externe,
contrôle interne, contrôle de la réalité). Autrement dit, un
contrebalancement inter-participants a été mis en place de
façon à ce que chaque set d’objets puisse être utilisé pour
mesurer l’une ou l’autre des trois dimensions du contrôle
de la source. De la même manière, l’ordre de passation des
tâches de contrôles de la source a été contrebalancé d’un
participant à l’autre, ces tâches étant insérées dans le reste
du bilan des fonctions exécutives et mnésiques.
Chaque condition d’étude du contrôle de la source
comprenait trois phases : une phase d’étude, une phase
distractrice et une phase de rappel. À la phase d’étude, les
objets étaient présentés l’un après l’autre aux participants
qui devaient les dénommer. Il était très explicitement indiqué aux participants qu’ils devaient dénommer les items
et mémoriser des informations de source (source de présentation, voir ci-dessous). Pendant la phase distractrice, ils
devaient énoncer des séries de chiffres durant une minute.
À la phase de rappel les sujets devaient récupérer des informations de source.
Dans la condition contrôle de la source externe,
l’examinateur se couvrait les mains à l’aide de gants médicaux en latex, l’un de couleur noire et l’autre de couleur
blanche. Une fois les items dénommés par les participants,
l’examinateur les déposait dans un sac de couleur noire,
pour moitié avec sa main couverte d’un gant noir et, pour
l’autre moitié, avec sa main couverte d’un gant blanc. À la
fin de la phase distractrice, les objets étaient retirés un à
un du sac par l’examinateur et les participants devaient dire
avec quelle main, celle gantée en blanc ou celle gantée en
noir, chaque objet avait été placé dans le sac à la phase
initiale.
Dans la condition contrôle de la source interne, une fois
les objets dénommés, les participants devaient en déposer
la moitié dans le sac noir et s’imaginer déposer l’autre moitié dans le sac noir. À la fin de la phase distractrice, les objets
étaient retirés un à un du sac par l’examinateur et les participants devaient dire, pour chaque objet, s’il l’avait déposé ou
s’il s’était imaginé le déposer dans le sac noir. Dans la condition contrôle de la réalité, une fois les items dénommés, ils
étaient, pour moitié, déposés par l’examinateur dans le sac
noir et, pour l’autre moitié, par les participants eux-mêmes.
À la fin de la phase distractrice, les objets étaient retirés un
à un du sac par l’examinateur et les participants devaient
dire, si c’était eux-mêmes ou l’examinateur qui avait déposé
chaque objet dans le sac noir.
La performance de chaque participant a été convertie en
score de reconnaissance corrigé (d’). Ce score correspond à
la différence entre la proportion de réponses correctes et de
réponses fausses. Par exemple, si parmi les 12 objets d’un
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 2, juin 2012
Contrôle de la source, fonctions exécutives et vieillissement
set, un participant reconnaît la source de 9 objets, la proportion de réponses correctes est de 0,75 (9/12). En attribuant
les 3 autres objets à une mauvaise source, la proportion des
mauvaises réponses est de 0,25 (3/12). En conséquence,
le score de reconnaissance corrigé (d’) de ce participant est
égal à 0,75 – 0,25, soit 0,50.
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Évaluation rapide de la mémoire épisodique
Les 5 items du MMSE évaluant l’orientation dans le
temps et les 3 items du MMSE mesurant le rappel libre
ont été utilisés comme mesure rapide des aptitudes en
mémoire épisodique dans nos deux groupes de sujets,
selon la suggestion de Carcaillon et al. [15]. La performance
épisodique de chaque participant a ainsi été ainsi évaluée
sur 8 points.
Résultats
Nous présentons d’abord les comparaisons des
2 groupes d’âge aux tâches exécutives et mnésiques, puis
aux tâches du contrôle de la source. Nous rapportons
enfin les analyses de corrélation et de régression entre les
variables exécutives et celle du contrôle de la source.
Épreuves exécutives et de mémoire
épisodique
Le tableau 1 montre les performances des sujets âgés et
des jeunes adultes aux épreuves exécutives et de mémoire
épisodique. Les participants âgés étaient significativement
moins performants que les jeunes adultes dans les tâches
de flexibilité, d’inhibition, de mise à jour et de liaison, alors
que leurs capacités en fluidité verbale étaient non statistiquement différentes de celles des jeunes adultes.
Contrôle de la source
Les analyses de variance n’ont pas montré d’effet
d’ordre, tant au niveau des sets d’objets utilisés dans les
différentes tâches du contrôle de la source, F < 1, qu’au
niveau de l’ordre de passation des tâches du contrôle de la
source, F < 1. Le tableau 2 regroupe les scores de reconnaissance corrigée obtenus par chaque groupe d’âge aux
3 mesures du contrôle de la source.
L’Anova à mesures répétées [2 groupes (jeunes et
âgés) × 3 conditions (contrôle externe, interne et de
la réalité)] fait apparaître un effet groupe significatif,
F(1, 44) = 23,60, p < 0,001, indiquant que, toutes tâches du
contrôle de la source confondues, les jeunes adultes
(m = 0,73 ± 0,18) obtenaient une performance significativement supérieure à celle des adultes âgés (m = 0,45 ± 0,31).
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 2, juin 2012
L’analyse de variance montre aussi un effet significatif du
type de contrôle de la source, F(2, 88) = 19,54, p < 0,001. Les
tests a posteriori (Newman-Keuls) font apparaître que, tous
groupes confondus, le score de reconnaissance corrigé (d’)
obtenu pour le contrôle de la réalité (m = 0,71 ± 0,28) était
significativement supérieur (p < 0,05) à celui obtenu pour
le contrôle interne de la source (m = 0,59 ± 0,31) et celui
obtenu (p < 0,05) pour le contrôle externe de la source
(m = 0,45 ± 0,35). Le score obtenu pour le contrôle externe
était également significativement inférieur à celui obtenu
pour le contrôle interne (p < 0,05). L’interaction entre les
facteurs groupe et type de contrôle de la source est tendancielle, F(2, 88) = 2,84, p = 0,064, les participants âgés tendant
à montrer un pattern de performance différent de celui des
participants jeunes pour le contrôle de la source, manifestant en particulier des difficultés beaucoup plus importantes
que les jeunes adultes pour le contrôle externe de la source.
Relations entre le contrôle de la source,
le fonctionnement exécutif et mnésique
Les corrélations obtenues entre les scores du contrôle
de la source, les scores exécutifs et le score mnésique,
pour l’ensemble de la population, sont regroupées dans le
tableau 3. Les analyses montrent que les scores obtenus
Tableau 1. Scores (moyennes et écarts types) obtenus par les
participants jeunes et âgés aux tâches exécutives et mnésiques.
Table 1. Scores (means and standard deviations) obtained by young
and older adults on the executive and memory measures.
Fonction
exécutive
Tâche
Jeunes adultes
(n = 24)
Sujets âgés
(n = 22)
Flexibilité
Mise à jour
Inhibition
Fluidité
Plus-minus
2 – back
Stroop
Fluence
littérale
Matrice
3,89 (1,67)**
3,08 (2,47)***
12,96 (3,49)***
21,04 (5,08)
7,31 (4,52)
9,45 (5,80)
37,05 (10,93)
23,00 (5,82)
0,93 (0,10)*
0,81 (0,21)
7,71 (0,43)*
7,04 (1,13)
Liaison
Fonction
mnésique
Mémoire
épisodique
MMSEépisodique
* p < 0,05 ; p < 0,01 ; *** p < 0,001.
Tableau 2. Scores (moyennes et écarts types) de reconnaissance
corrigés (d’) des participants aux trois mesures de contrôle de la
source.
Table 2. Scores (mean and standard deviations) of the corrected
recognition scores (d’) on the reality, internal, and external source
monitoring conditions.
Tâche
Jeunes adultes
(n = 24)
Sujets âgés
(n = 22)
Contrôle externe
0,66 (0,22)
0,23 (0,32)
Contrôle interne
0,73 (0,20)
0,43 (0,35)
Contrôle de la réalité
0,83 (0,16)
0,59 (0,33)
201
M. El Haj, P. Allain
Tableau 3. Matrice de corrélation entre l’âge, le niveau d’éducation, le contrôle de la source (contrôle de la réalité, de la source externe et
interne), le fonctionnement exécutif et la mémoire épisodique.
Table 3. Correlation matrix for age, education, source monitoring (reality, internal, and external conditions) and executive measures variables.
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1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
1. Age
–
2. Education
-.61**
3. Réalité
-.45**
.16
–
4. Externe
-.63**
.37*
.45**
5. Interne
-.47**
.15
.74**
.57**
–
6. Plus-minus
.46**
-.52**
-.06
-.32*
-.17
–
7. 2-back
.63**
-.55**
-.07
-.39**
-.06
.69**
8. Stroop
.85**
-.40**
-.39**
-.62**
-.45**
.30*
.56**
–
9. Fluence verbale
.20
.08
.13
.09
.15
-.18
-.21
-.07
–
10. Liaison
-.35*
.05
.14
.37*
.16
-.19
-.31*
-.35*
.32*
–
11. Mémoire épisodique
-.39**
.24
.52**
.28
.37*
-.39*
-.19
-.47**
.18
.41**
11
–
–
–
_
* p < 0,05 ; ** p < 0,01
pour le contrôle de la réalité et le contrôle interne sont significativement corrélés aux scores au Stroop et en mémoire
épisodique. Le score obtenu pour le contrôle de la source
externe est significativement corrélé avec les scores obtenus dans les trois tâches exécutives (Stroop, Plus-minus,
2-back) et le score obtenu à la tâche de liaison.
Des analyses multivariées complémentaires, utilisant
une régression linéaire multiple pas à pas ascendante,
ont été effectuées pour tenter de cibler les meilleurs prédicteurs des performances en contrôle de la source, tels
qu’elles sont appréhendées par les épreuves que nous
avons développées. Nous avons effectué trois régressions
linéaires multiples (une pour chaque type de contrôle de
la source). Nous avons, à chaque fois, utilisé le score du
contrôle de la source comme variable dépendante et les
scores exécutifs et épisodiques qui lui étaient corrélés
comme variables indépendantes. Nous avons bien évidemment au préalable vérifié que les conditions d’application
de ces régressions linéaires étaient réunies en contrôlant, avec le test de Kolmogorov-Smirnov, la normalité
des résidus (distribution gaussienne). La régression linéaire
multiple obtenue pour le score de contrôle de la réalité
a isolé comme variable prédictive le score de mémoire
épisodique, prédisant 25 % de la variance du score de
contrôle de la réalité (r = 0,51 ; r2 ajusté = 0,25 ; F = 16,24 ;
p < 0,001). La régression obtenue pour le score de contrôle
de la source interne a isolé comme variable prédictive
(r = 0,45 ; r2 ajusté = 0,19 ; F = 11,65 ; p < 0,01) le score
au Stroop, celui-ci rendant compte de 19 % de la variation du score de contrôle interne. Enfin, dans la troisième
analyse de régression, celle utilisant le score de contrôle
externe comme variable dépendante, le score au Stroop
apparaît à nouveau comme le seul prédicteur (r = 0,62 ;
202
r2 ajusté = 0,37 ; F = 27,53 ; p < 0,001) rendant compte de
37 % de la variance du score de contrôle de la source extérieure.
Discussion
L’objectif de ce travail était d’étudier chez des participants jeunes et âgés, les différentes facettes du contrôle
de la source en mémoire épisodique mises en avant par
Johnson et al. [1]. Nous souhaitions également étudier le
rôle des fonctions exécutives dans le contrôle de la source.
Pour ce faire, nous nous sommes là aussi appuyés sur une
approche cognitive du fonctionnement exécutif, à savoir
celle de Miyake et al. [9] qui fait de la flexibilité, de l’inhibition
et de la mise à jour, des processus centraux dans le contrôle
de l’activité. Nous nous sommes, en plus, intéressés au
rôle de la fluidité (fluence verbale), de la liaison en mémoire
de travail et de la mémoire épisodique dans le contrôle de
la source de l’information, ces aptitudes étant aussi très
sensibles aux effets de l’âge.
Dans la logique du travail récent de Clarys et al. [10], et
en accord avec l’hypothèse frontale du vieillissement (voir
par exemple [16]), nos données suggèrent une diminution
des aptitudes exécutives dans le vieillissement cognitif normal. Dans leur étude, Clarys et al. [10] avaient aussi choisi
comme cadre de référence du fonctionnement exécutif le
modèle de Miyake et al. [9]. Les auteurs ont conclu, comme
ici, à une moindre efficience des processus de flexibilité,
de mise à jour et d’inhibition chez les sujets âgés. Clarys
et al. [10] ont montré que la diminution des compétences
exécutives de leurs sujets âgés sains était liée au déclin
de leurs aptitudes mnésiques épisodiques. Ils ont en
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Contrôle de la source, fonctions exécutives et vieillissement
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conséquence suggéré que le déclin mnésique lié à l’âge
avait une origine exécutive. Nos données sont en accord
avec cette proposition, puisque nous avons ici relevé,
auprès des participants jeunes et âgés, une relation étroite
entre la diminution de leurs aptitudes en contrôle de la
source en mémoire épisodique et de leurs aptitudes exécutives. Notons néanmoins que les aptitudes épisodiques,
telles que nous les avons appréhendées ici, paraissent aussi
jouer un rôle dans certains aspects du contrôle de la source.
Nous y reviendrons plus loin.
La diminution des capacités de contrôle de la source liée
à l’âge apparaît assez globale dans notre travail, le contrôle
externe étant plus particulièrement affaibli, à savoir la capacité des participants âgés à vérifier si des objets déposés
dans le sac noir l’ont été par la main d’un tiers couverte
d’un gant noir ou par sa main couverte d’un gant blanc. En
d’autres termes, les sujets âgés étaient plus en difficultés
que les sujets jeunes lorsqu’ils devaient vérifier si la manipulation d’un objet a été effectuée par une main « étrangère »
gantée en blanc ou en noir que lorsqu’ils devaient vérifier
s’ils avaient eux-mêmes manipulé des objets ou s’étaient
imaginés en train de les manipuler (contrôle interne), ou
encore que lorsqu’ils devaient vérifier si les objets qu’on leur
montrait avaient été manipulés par eux-mêmes ou par un
tiers (contrôle de la réalité). Plusieurs études ont déjà documenté la détérioration du contrôle de la source lié à l’âge
[5-8]. Toutefois, à notre connaissance, aucune comparaison n’avait été jusqu’ici entreprise dans la logique de notre
modèle de référence distinguant trois niveaux du contrôle
de la source. Notre étude répond à cette faille, soulignant
une difficulté marquée au contrôle de la source externe. Ce
résultat suggère que le fait d’être spectateur dans ce type
de tâche augmente les difficultés de contrôle de la source
par rapport à une situation où il y a une interaction réelle ou
imaginée entre le sujet et l’objet.
Le déclin exécutif le plus lié à la baisse des capacités de
contrôle de la source semble être le déclin de l’inhibition.
Ces données sont en accord avec la théorie de Lustig et al.
[17]. Ces auteurs proposent l’existence de trois fonctions
inhibitrices indispensables à l’administration en mémoire
de travail : la fonction d’accès, la fonction de suppression
et la fonction de restriction. Selon les auteurs, la perturbation de ces fonctions induirait une déficience du contrôle
des informations présentes en mémoire de travail qui serait
à l’origine du déclin mnésique lié à l’âge, y compris pour
le contrôle de la source. Le test de Stroop est habituellement considéré comme une mesure de la fonction de
suppression [18]. Nous montrons donc ici un lien fort entre
la suppression et le contrôle de la source. Les liens entre
fonction d’accès, fonction de restriction et contrôle de la
source restent à étudier.
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Dans notre travail, le lien entre inhibition et contrôle de
la source est particulièrement fort pour le contrôle externe,
le score au test de Stroop expliquant près de 40 % de la
variance du score de contrôle externe. L’une des caractéristiques de notre tâche de contrôle externe de la source
est qu’elle utilise des sources extérieures très similaires,
à savoir des gants qui ne diffèrent que du point de vue de
leur couleur. Cette similarité des sources est bien moins
importante pour les deux autres conditions étudiées ici, en
particulier celle du contrôle de la réalité où le sujet doit
faire une distinction entre lui et l’examinateur. Si l’on suit
les propositions de Barnier et al. [19], nos résultats sont
logiques car, pour ces auteurs, le problème fondamental
pour la récupération en mémoire est celui de la similarité
entre les informations à récupérer. Plus ces informations
sont proches, plus la compétition est accrue durant la phase
de récupération. Barnier et al. [19] considèrent l’inhibition
comme un processus crucial pour la suppression de cette
compétition.
La proposition de Barnier et al. [19] est finalement
proche de celle de Lustig et al. [17], ces auteurs mettant au
centre de la récupération en mémoire les processus inhibiteurs. Le processus de suppression y aurait un rôle central
permettant de supprimer les items en compétition lors de
la récupération mnésique. A la lumière de ces propositions,
il nous semble que la relation entre les mécanismes de suppression et le contrôle de la source pourraient faire l’objet
d’études plus spécifiques, utilisant des tâches évaluant spécifiquement la suppression en mémoire. Nous pensons en
particulier au paradigme de l’oubli dirigé [20].
La détérioration du contrôle de la source avec l’âge
pourrait aussi constituer une piste pertinente pour nous permettre de mieux comprendre pourquoi les faux souvenirs
sont plus présents chez l’âgé sain [2]. Les faux souvenirs
désignent la création de souvenirs erronés que les sujets
tiennent alors pour vrai. Ils peuvent se manifester d’au
moins deux façons : soit par des souvenirs d’événements
n’ayant jamais existé, soit par des souvenirs correspondant
à des modifications d’événements antérieurement vécus.
De telles distorsions pourraient en effet être interprétées
comme résultant d’un affaiblissement de contrôle de la
source amenant le sujet âgé sain à confondre la provenance d’un souvenir antérieur avec celle d’un souvenir plus
actuel. Cette suggestion va dans le même sens que celle
de Roediger et McDermott [21] qui considèrent que les faux
souvenirs renvoient à la reviviscence erronée d’un contexte
d’apprentissage due à une erreur d’attribution de la source
d’encodage.
La principale limite de notre travail tient probablement
au fait qu’à l’inclusion des sujets jeunes et âgés nous nous
sommes assez peu centrés sur l’étude de leur mémoire
203
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M. El Haj, P. Allain
épisodique, au sens habituel du terme. De fait, il nous est
assez difficile de dire si les erreurs de source relevées ici ont
à voir avec un défaut d’encodage, de stockage ou de récupération du contexte en mémoire épisodique. Les corrélations
relevées entre la mesure mnésique épisodique dérivée du
MMSE et les scores de contrôle de la réalité et de contrôle
interne paraissent plaider pour une implication de ces
processus, mais sans davantage de précision. Pour tenter
de répondre à ce type de questionnement, il nous aurait
fallu administrer une épreuve de mémoire épisodique plus
complexe, à savoir une épreuve permettant d’appréhender
les différentes opérations engagées en mémoire dont la
tâche de rappel libre rappel indicé 16 items (RL/RI-16 ; voir
[22]) constitue probablement le paradigme le plus utilisé
aujourd’hui. Cette logique n’a pas été la nôtre. Les capacités
mnésiques des sujets étant déjà très largement sollicitées
dans les trois tâches de mémoire de la source développées
ici, nous avons préféré utiliser une mesure plus brève des
aptitudes épisodiques et nous concentrer davantage sur
une investigation détaillée des compétences exécutives.
Les analyses de régression ne vont que partiellement dans
le sens de nos choix, puisque le score de mémoire dérivé
du MMSE reste le meilleur prédicteur du score de contrôle
de la réalité. Les relations entre le contrôle de la source et
les mécanismes d’encodage, de stockage et de récupération en mémoire épisodique restent donc à étudier dans le
vieillissement normal. Ce type de travail pourrait aussi être
développé dans le champ du vieillissement pathologique
chez des sujets connus pour leurs difficultés de mémoire
épisodique soit à l’encodage, soit à la récupération.
Notre évaluation exécutive mérite aussi quelques
remarques portant en particulier sur sa validité de construit.
Le modèle exécutif adopté dans notre étude, celui de
Miyake et al. [9], incite à l’usage d’outils permettant
l’évaluation de processus exécutifs très spécifiques du
point de vue de leur nature. Toutefois, on sait bien
aujourd’hui qu’aucune tâche exécutive ne peut être considérée comme évaluant un processus exécutif spécifique. La
tâche de Stroop, utilisée ici, en est un assez bon exemple.
Cette tâche est habituellement considérée comme un
excellent outil d’évaluation de l’inhibition, mais elle engage
aussi des capacités de flexibilité inter-tâche lorsque le sujet
doit passer d’une condition expérimentale à l’autre [23]. Le
test de Stroop peut donc aussi être considéré comme une
tâche de flexibilité mentale. Dans une récente revue de
la littérature [23], nous avons pointé cette faille à propos
des tâches exécutives, en suggérant aux cliniciens et aux
chercheurs de vérifier systématiquement la validité de
construit des mesures exécutives qu’ils utilisent.
Une autre limite de notre travail tient au fait que nous
avons écarté la présence de trouble de l’humeur (anxiété
204
Points clés
• Le vieillissement normal est associé à un déclin de la
mémoire épisodique.
• Ce déclin est lié à un déficit global du contrôle de la
source des informations, particulièrement du contrôle
externe, c’est-à-dire en provenance d’éléments extérieurs.
• Ce déficit traduit un trouble du contrôle exécutif
d’origine frontale.
• Les capacités d’inhibition semblent principalement en
cause.
ou dépression) sur la base de l’entretien réalisé avec
chaque participant à l’inclusion dans la recherche. Nous
pensons la méthode fiable, mais nous privilégierons à
l’avenir l’utilisation d’échelles quantitatives permettant de
faire de meilleurs contrôles statistiques, dans la mesure
où il a été déjà montré que les sujets souffrant de dépression majeure présentaient des troubles du contrôle de la
source [24].
Conclusion
Le présent travail montre que les adultes âgés présentaient des difficultés du contrôle de la source plus ou
moins marquées selon la composante évaluée. En effet,
ces difficultés semblent davantage concerner le contrôle
de la source externe que le contrôle de la réalité ou le
contrôle interne. Les déclins observés paraissent, pour
une très large part, liés à la diminution des aptitudes
inhibitrices accompagnant le vieillissement. Ils justifient
des travaux complémentaires, s’appuyant notamment sur
d’autres types de paradigmes d’étude de l’inhibition en
mémoire de la source. Notons enfin que les tâches du
contrôle de la source développées ici, au-delà de leur
bonne sensibilité aux effets du vieillissement normal,
s’appuient sur des objets usuels de la vie quotidienne,
ce qui les rend à la fois assez écologiques et simples
à mettre en œuvre. Nous n’avons pas observé d’effet
plancher ou plafond dans les groupes évalués ici, ni de
performance hasardeuse, laissant penser que ces tâches
semblent avoir de bonnes propriétés psychométriques dont
il conviendrait de s’assurer en évaluant des populations plus
conséquentes.
Remerciements. Cette étude a été en partie financée par une
bourse doctorale de l’Association Gilbert Ballet.
Conflits d’intérêts : aucun.
Geriatr Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 10, n ◦ 2, juin 2012
Contrôle de la source, fonctions exécutives et vieillissement
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