1 Séquence 6 LE MASQUE IMAGINAIRE DE L’AUTODIDACTE Autodidaxie et autodidactes stimulent l’imaginaire individuel et social, alimentent des représentations sociales. Les autodidactes, tout autant ceux qui ont réussi que ceux qui auraient échoué, sont source d’images souvent très évocatrices de lutte, d’isolement, de quête. Par cette accumulation d’images, l’autodidaxie est un fantastique réservoir d’imaginaire. 1. Les images Ce sont principalement l’atypicité, l’étrangeté, la différence, l’hétérodoxie, qui en univers où l’hétéroformatif est en position de force, semblent nourrir la production d’images mentales la concernant. Ces représentations imaginaires contribuent à parer l’autodidaxie d’une idéalité déviante et marginale, mais elles lui donnent aussi un sens qu’un regard scientifico-positiviste se voit dans l’impossibilité de lui conférer, étant donné la rationalité dont il est le dépositaire. Le rassemblement de quelques-unes de ces images, en une sorte de « musée imaginaire » - cet imaginaire (http://www.barbier-rd.nom.fr/Histoiredimaginaire.htm) aussi ancien que l’humanité -, s’il peut contribuer à troubler une juste perception de ce que sont véritablement autodidaxie et autodidactes, peut également en permettre une plus juste compréhension, par une stylisation finalement heuristique de leur réalité. Quelques exemples de cet imaginaire sur l’autodidaxie : 2 Parmi les images les plus fréquentes concernant autodidactes et autodidaxie, on trouve « Le livre », le « Combat »,le « Guerrier », « L’Appétit » et le « Temps », le « Naufragé », « l’Ile au trésor », « l’Autre rivage », le « Phénix », « Prométhée », le « Héros », etc. De ces images, qui sont amplement détaillées ailleurs (Verrier, 1999, pp. 179-201), nous n’en présenterons que quatre dans cette séquence (le Phénix, le Naufragé, l’Ile au trésor, Prométhée), à titre d’exemple de la puissance évocatrice de l’imaginaire concernant l’autodidaxie. Nous essayerons ensuite de comprendre la signification de cette production d’images en termes éducatifs et sociaux. 2. Le Phénix L’autodidacte peut-être vu comme celui qui a trahi. En transitant culturellement et parfois socialement vers un « autre rivage » que celui qui était initialement le sien, la ymbolique de l’eau traversée est aussi connotée comme puissance purificatrice : « les objets jetés sont jugés, mais l’eau ne juge pas » (Chevalier, Gheerbrant, 1962, p.378). Et l’autodestruction, suivie de purification, ne serait qu’un point d’un cycle fantasmatique de successions d’autocréations-autodestructions, fantasme que repère René Kaes chez l’autodidacte qu’il nomme Félix, qu’il représente par l’image forte du Phénix (http://www.archangelcastle.com/mythologie/creatures/phoenixindex.php) cet oiseau « rare et somptueux » qui ne naît pas d’une copulation et est symbole de résurrection. Le Phénix manifeste « une conduite suicidaire qui provoque sa mort d’où il renaît des cendres de sa consummation », et dans cette perspective l’auto-apprentissage de l’autodidacte « n’est pas un engendrement (au sens de la rencontre d’un père et d’une mère), mais une création perpétuelle, sans origine ni fin, sans rupture ni commencement » (Kaes, Anzieu, 1973, p. 15), radicalement coupée d‘altérité. Ce mythe du Phénix, aussi ancien que l’humanité, auquel fait allusion René Kaes en le ramenant à l’autodidacte connut un grand succès, il fut maintes fois repris dans les recherches sur l’autoformation, et a certainement contribué à propager une vision « enfermée », refusant l’altération, occultant l’autre, de l’autodidacte : « Le fantasme d’autoformation satisfait le besoin d’incorporation orale du bon savoir que Félix tire de lui-même. Au plus fort de sa lutte contre les tendances autodestructrices c’est lui-même qu’il incorpore, sans parvenir à s’assimiler (…) Ainsi se boucle le cercle infernal et fascinant, celui du serpent qui, tel Ourobouros, se mord la queue, celui de l’alternance perpétuelle de la naissance et de la mort : et le cercle ne peut s’ouvrir que sur la mort inattendue comme révélation ultime de soi » (Kaes, Anzieu, 1973, p. 16). 3. Le naufragé et l’Ile au trésor L’autodidacte est un abandonné de ses tuteurs savants, dont il n’a pas reçu la parole. «Orphelin de la culture », de cette culture qu’il convoite mais qui « l’écrase », envers laquelle il demeurera toujours marqué d’une sorte « d’infantilisme ». L’autodidacte inéduqué et devenu inéducable évoque le « garçon sauvage de l’Aveyron, les enfants loups de l’Inde ». Les bonnes fées de la pédagogie ne se sont pas penchées sur son berceau, et comme pour les enfants-loups « qui ne peuvent réaliser l’apprentissage du 3 langage et de l’intelligence passé un certain stade de croissance, il ne rattrapera jamais son retard » (Gusdorf, 1964, p. 154). Il est trop tard, le thème du temps, par ailleurs si souvent remarqué relativement à l’autodidaxie, revient une nouvelle fois. Perdu au milieu de la forêt du savoir dont chaque arbre lui cache la connaissance, orphelin de la culture et donc de la société, il en est réduit à vivre de lui-même sur son environnement immédiat et limité, semblable à Robinson Crusoé (http://www.ent-ter.fr/galerie.htm?6gale02.htm&1) isolé sur son île déserte. « Robinson de la Connaissance », ses apprentissages sont autant de robinsonnades insulaires. Son Ile déserte, qu’il n’a pas choisie, symbolise bien sûr le refuge, mais aussi « un monde en réduction, une image du cosmos, complète et parfaite », pouvant devenir un « lieu de science au milieu de l’ignorance et de l’agitation du monde profane », accédant ensuite au statut de « centre primordial » (Chevalier, Gheerbrant, 1962, p. 519). L’image de l’isolement de Robinson sur son île renvoie à une nostalgie d’un savoir brut, non morcelé, imprégnant tous les stades de l’existence. Robinson Crusoé « récapitule à lui seul l’ensemble des savoirs et savoir-faire humains », il ne peut survivre, à l’instar des personnages de L’île mystérieuse de Jules Verne, « qu’en exploitant l’ensemble de ses potentialités » (Authier, Levy, 1993, pp. 165-166). Issu d’une époque d’industrialisation et de découpages scolaires du savoir, l’image de l’apprenant expérientiel de Daniel Defoe assimilée à l’autodidacte traduit peut-être la nostalgie d’un monde de liberté, d’un apprentissage livré aux contingences du milieu, mais dégagé de la décision politique, de l’emprise de la Cité éducative, de la cité tout court. Se profile une figure de l’autodidacte capable de résister, par sa capacité présumée l’embrasser l’ensemble des savoirs et savoir-faire, à la parcellisation des savoirs, comme la manifestation d’un regret d’un homme mythiquement réinventeur d’un monde et d’une connaissance qui ne seraient plus « en miettes », regret d’une époque idéalisée où le savoir et son acquisition auraient jailli de l’autos comme l’expression des vertus de la personne. Mais si l’île peut encore contenir dans ses replis de secrets imaginaires attractifs pour les autodidactes contemporains, la quête en est-elle toujours possible ? Un autodidacte d‘aujourd’hui déclare : « Nous allons naviguer dans le Pacifique avec des plans, des cartes (…). Cela mijote dans ma tête depuis toujours. Le plus difficile c’est de me débrouiller pour trouver un trésor à aller chercher » (Marion, 1993, p. 69). 4. Prométhée Depuis que René Kaes à popularisé l’image du Phénix pour caractériser l’autodidacte Felix, l’auto-apprentissage est devenu à tort synonyme d’enfermement, de boucle autarcique irrémédiablement refermée sur elle-même et privée d’altérité. Mais le Phénix dévoré par le feu peut renvoyer au mythe de Prométhée (http://grenier2clio.free.fr/grec/promethee.htm), qui vient rappeler les interdits culturels et les risques encourus par celui qui ose dépasser les conventions sociales de la culture et de 4 la science, tout en incitant à ce dépassement dans une perspective héroïque (Frijhoff, 1996, p. 11). L’autodidacte sera vu alors comme transgressif, déviant, voire rebelle. Prométhée porte en lui « une tendance à la révolte. Mais ce n’est pas la révolte des sens qu’il symbolise, c’est celle de l’esprit, de l’esprit qui veut égaler à l’intelligence divine, ou au moins lui ravir quelques étincelles de lumière » (Chevalier, Gheerbrant, 1962, p. 787), de cette lumière qui est « le génie du phénomène igné. Le feu n’est-il pas d’ailleurs, dans le mythe de Prométhée, qu’un simple succédané symbolique de la lumière esprit ? Un mythologue peut écrire que le feu est très apte à représenter l’intellect, parce qu’il permet à la symbolisation de figurer d’une part la spiritualisation (par la lumière), d’autre part la sublimation (par la chaleur) » (Durand, 1969, p. 197). L’autodidacte apparaît alors comme défiant le savoir et ceux qui le possèdent légitimement et le transmettent, conquérant solitaire et profane de cette parole professorale qui ne l’a pas touché dans sa jeunesse. Le défi est lancé aux maîtres qu’il n’a pas eus ou qui n’ont pas voulu de lui , et Bachelard propose « de ranger sous le nom de complexe de Prométhée toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos maîtres, plus que nos maîtres (…). Le complexe de Prométhée est le complexe d’oedipe de la vie intellectuelle » (Bachelard, 1949, pp. 26-27). Et si, ayant été absent, le père-maître n’est qu’imaginé, son image et sa force n’en sont que plus prégnantes. 5. Une surface de projection idéale A la vue de ce court échantillon d’images la concernant, on constate que l’autodidaxie provoque en chacun de nous, chez tous ceux qui ont effectué des parcours éducatifs classiques ou moins classiques, des interrogations diverses, des retentissements variés, qui sont souvent livrés sous une forme métaphorique, et qui parviennent parfois, semble-t-il, à altérer, par une vision profondément subjective, la perception du réel autoéducatif. L’autodidaxie suscite des résonances sociales à partir d‘associations d’images qui fréquemment ne doivent que peu de choses à une rationalité scientifique traditionnelle qui cantonne habituellement l’imagination à une manifestation parasite de la pensée. Comme tout imaginaire, celui tissé autour de l’autodidaxie emprunte aux mythes, aux symboles, à la métaphore, aux figures poétiques, et par le développement de ces images, l’autodidacte participe à sa façon de cette mise en scène du drame continu de l’être humain, c’est-à-dire de sa condition d’homme se débattant aux prises avec ce qui le harcèle, avec ses pulsions que la psychanalyse met à jour, avec ses angoisses, ses croyances, ses ambitions. A l’intérieur de ce tissage d’images, dont certaines fonctionnent comme des imagesguides par leur récurrence et viennent constituer une perception particulière de l’autodidaxie, il est finalement possible d’assez bien retrouver une part de cette expression symbolique commune à toute l’humanité, que Gilbert Durand (http://nicol.club.fr/ciret/bulletin/b13/b13c10.htm) a analysée en en recherchant les grandes structures (Durand, 1969). 5 Ainsi, à l’intérieur d’oeuvres littéraires, mais également dans le discours des autodidactes eux-mêmes, apparaissent quelques configurations dominantes de cet imaginaire qui se construit sur l’autodidaxie, et sous la variété apparente de ces représentations, il est possible de repérer certaines structures répétitives qui la signent et l’éclairent d’un jour quelque peu différent de la sociologie ou de la psychanalyse, mais qui complètent ces approches. 6. Comprendre par l’image Il se peut que cet imaginaire recèle un type particulier de compréhension de l’autodidaxie, dans la mesure où l’imagination, à travers les images symboliques qu’elle produit, dit et montre des réalités ou une idée se dissimulant derrière l’image, ce qui relève d’une réelle complexité anthropologique. Par exemple, l’image de l’orphelin de la culture accolée à l’autodidacte peut sembler signifier qu’il n’est point de salut culturel hors de l’éducation institutionnalisée de type hétéroformatif. L’imagination, dans son intuition, peut être susceptible d’exprimer une intelligibilité de l’objet autodidaxie qui demeure cachée, rebelle, inaccessible à la perception scientifique ordinaire. En ce sens elle est profondément heuristique. L’utilisation du symbole peut être une voie de compréhension, et sa répétition le signe qu’un imaginaire à l’origine individuel trouve une résonance dans un imaginaire plus collectif, ceci venant naturellement influer sur la perception générale de l’autodidaxie. Il devient possible de dire que s’il existe des imaginaires individuels sur l’autodidaxie, celle-ci peut également être perçue suivant des archétypes trouvant un écho dans le social. Par la référence à la mythologie ou au symbole, l’imaginaire (http://66.102.9.104/search?q=cache:7O_USYMqebcJ:www.unites.uqam.ca/religiologiques/no1/neces site.pdf+imaginaire+durand&hl=fr&lr=lang_fr&ie=UTF-8) liant l’autodidaxie aux grands mythes fondateurs, à l’histoire de l’humanité, permet de la situer dans un corpus prenant une épaisseur singulière, de nature véritablement anthropologique. En ce sens la construction d’un idéal-type de l’autodidaxie qui emprunterait principalement à l’imaginaire permettrait de mieux cerner sa réalité qui se refuse à l’investigation ordinaire : « L’imaginaire commence là où la réalité oppose, sinon un refus, au moins une résistance : quelque chose n’est pas directement accessible, se dérobe, mais se laisse deviner, permet un espoir, mais se voile » (Postic, 1989, p. 14). L’imaginaire contribue à éclairer l’objet, il devient moyen de compréhension et non plus ce qui vient troubler la raison, il est nécessaire de le prendre en compte. Sous certaines conditions de rigueur, l’imagination et le résultat de sa production, l’imaginaire, peuvent aider à la constitution et à l’extension du savoir sur l’autodidaxie, et ainsi « L ‘imagination peut contribuer à l’intelligibilité du réel, au moins autant que le raisonnement abstrait peut, de son côté, produire des fictions ».(Wunenberger, 1991, p. 97). 6 7. L’autodidaxie figure de projection imaginaire Les quelques exemples évoqués ci-dessus constituent un imaginaire dans lequel on peut repérer les traces d’une structure où se jouent des représentations de l’autodidacte qu’il serait possible de répartir selon la classification isotopique des images de Gilbert Durand. Dans cette théorie de l’imaginaire, il est considéré que l’imagination dans beaucoup de cas n’agence pas ses oeuvres au hasard, au contraire, elle semble les assembler dans des configurations spécifiques qui étayent la traduction de sens et instaurent un isomorphisme (plusieurs corps ou objets ayant des formes voisines) entre des ensembles d’images. Les images symboliques et mythiques citées rapidement en début de séquence participent d’archétypes et de symboles que l’on peut facilement relier à des structures principalement « héroïques » (ou schizomorphes : le Héros), mais aussi « dramatiques » (synthétiques : le feu-flamme de Prométhée), ou bien encore « mystiques » (ou antiphrasiques, comme lIle) (Durand, 1989, pp. 505-506). C’est sans doute ce type d’images et les structures auxquelles elles peuvent être rattachées qui permettent à l’autodidacte d’accéder dans l‘imaginaire social, via les productions littéraire et autres, à un statut particulier, très différent de celui de l’apprenant traditionnel inscrit au sein d’une structure éducative. Ces images sont une sorte de patrimoine de représentations imaginaires se donnant comme une forme de vision collective de l’auto-apprentissage. Sans doute grâce à ces représentations parfois dépourvues de toute pertinence sociologique, l’autodidacte devient-il paradoxalement une figure emblématique parfois positive (même si le Phénix chez René Kaes est plutôt de l’ordre du négatif), sur laquelle peuvent être projetées nombre d’idéalités, dans une société « démunie face à la remise en question des modèles traditionnels d’intégration », dans laquelle « la discontinuité des trajectoires, les ruptures, les bifurcations, ne relèvent plus d‘orientations atypiques » (Bezille, 1995, p. 177). 8. Une image contemporaine de référence Dans une société en crise comme la nôtre, chacun est sommé désormais de se monter capable de se « refaire » en permanence au gré de fluctuations identitaires et professionnelles, à l’instar de l’autodidacte-Phénix-Ourobouros, en une auto-création permanente. En une époque où sur le plan éducatif l’harassant, perpétuel et inévitable inachèvement du sujet est devenu un dogme, l’autodidacte devient curieusement une image de référence, et le nombre des écrits savants ou grand public le concernant va grandissant. Parce qu’il effectue à travers la connaissance un voyage qui n’est balisé par aucun système, il propose, en réponse aux institutions hyper-structurées de l’éducation et de l’enseignement, l’image en grande partie mythique de ce qui pourrait évoquer une épopée de l’apprentissage. Son cheminement ressemble à un parcours initiatique 7 devant beaucoup aux aléas de l’apprentissage expérientiel, et chaque autodidacte devient l’Ulysse de sa propre Odyssée . L‘apprentissage banalement ordinaire, dans ses organisation et mécanisation hautement taylorisées ne permet évidemment pas de telles représentations. Dans l’organisation scolaire, pas de place généralement pour les découvertes inattendues, pas d’Iles-désertes-au-Trésor ; tout y est organisé comme dans les voyages du même nom, pour pallier les surprises non désirables parce que non programmées. En des temps où savoirs et apprentissages sont normalisés, rationalisés par des diplômes qui ne possèdent plus grande valeur, engendrant un désenchantement de l’apprenant face au savoir, l’autodidaxie représenterait-elle, par sa tenue à l’écart des structures éducatives, un possible réenchantement de l’apprentissage, rétablissant les vertus de l’apprendre librement ? Est-ce en partie pour cette raison qu’au-delà des parcours édifiants (ou donnés comme tels) de certains autodidactes, l’autodidaxie exerce une sorte de fascination, ou à l’inverse une réaction de rejet toisant ? 9. Une image en contrepoint de l’enseignement scolaire C’est ce type de représentations souvent ambivalentes qui va exercer un attrait particulièrement fort en une période de dévalorisation d’une Ecole qui n’assumerait plus son rôle purement éducatif pas plus qu’elle ne serait capable d’assurer à coup sûr un avenir en terme d’insertion sociale et professionnelle, malgré les diplômes quelle délivre. En des temps où l’institution scolaire (à tous ses stades, primaire, secondaire, supérieur) traverse une profonde crise interne et externe, où le mythe Ferry a fait long feu, où la pédagogie peine à régler des questions insistantes posées par les transformations sociales, en des temps où l’on prétend que les éducateurs ne sont plus animés de la foi que Péguy pensait déceler chez les « Hussards noirs » (terme utilisé pour évoquer les élèves des écoles normales de l’époque), peut-être l’autodidacte tel que l’on se le représente sur le terrain de l’imaginaire véhicule-t-il le sentiment qu’il est toujours possible de s’instruire quand l’institution n’instruit plus, c’est-à-dire ne sait plus (l’a-t-elle jamais su ?) transmettre le goût de l’instruction, construire avec l’élève un rapport au savoir et à l’apprendre digne d’intérêt Dans notre imaginaire collectif, via les image évoquées, l’autodidacte est conquête, combat, guerrier, liberté, défi, espace, et est-ce un hasard si le mythe autodidacte (le self made man auquel il est souvent comparé) est si grand dans les pays d’Amérique du nord, pays de grands espaces où longtemps il n’a existé d’autre moyen pour exister que de « se faire soi-même » contre une nature qu’il fallait défier et conquérir ? Là où l’institution éducative nous fait voir petit, étriqué, codé (la salle de classe, les programmes, les examens, les notations, les diplômes), l’imaginaire cristallisé sur l’autodidaxie semble rêver l’immensité des possibles d’une « vraie » quête du savoir au croisement du pulsionnel, de l’individuel, du social et du sacral, à la façon dont René Barbier aborde la question de l’imaginaire. 8 Pour cet auteur, trois types d’imaginaire sont en interaction constante : « l’imaginaire pulsionnel qui met en jeu le ‘’destin des pulsions’’ dans toute existence humaine et, ipso facto, dans tout vie collective, avec la question non tranchée de la nature des pulsions ; l’imaginaire social avec son magma de significations imaginaires sociales, produit psychique collectif, au niveau de la société, d’une capacité radicale de créer des formes, figures, images plus ou moins étayées au développement de la base matérielle, technologique et économique de la société (par exemple les significations imaginaires sociales qui ont accompagné la montée de la technologie informatique de l’ère des ordinateurs) ; l’imaginaire sacral ainsi appelé du fait de l’impact de forces et d‘énergies qui nous traversent sans que nous puissions les contrôler (forces telluriques, bouleversements écologiques, énergies cosmiques, pandémies incontrôlables, ou plus modestement notre rapport à la mort et au non-être »(Barbier, 1993, p. 155). L’autodidacte serait un modèle imaginaire privilégié de rapport à un savoir qui vaudrait idéalement la peine, qui serait le résultat d’un élan épistémophilique fondamental en même temps que l’expression d’un anticonformisme indispensable à toute régénérescence des modes d’appropriation. Avec toute la symbolique ascensionnelle qui lui est liée, l’imaginaire vient ici ranimer une part de ce savoir que l’école est implicitement soupçonnée de ternir, lui ôtant tout pouvoir exaltant. L’autodidacte, imaginairement, peut devenir ce rêve, il symbolise la quête d’un SavoirGraal l’important n’étant pas tant d’y accéder que de le bien chercher, c’est-à-dire de ne pas le chercher sans y croire. Auto-évaluation - Evoquez plusieurs images caractérisant l’autodidaxie - En quoi l’étude de l’imaginaire est-elle importante pour le chercheur ? Bibliographie AUTHIER (M), LEVY (P), 1993, Les arbres de la connaissance, Paris, La Découverte, 170 p. BACHELARD (G), 1949, Psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 184 p. BARBIER (R), 1993, « L’écoute sensible en approche transversale », Pratiques de formation/Analyses, n° 25/26, p. 155 BEZILLE (H), 1995, Le sujet de l’éducation et ses représentations : l’autodidacte, Congrès AFIRSE 1995, Tome 2. 9 CHEVALIER (J), GHEERBRANT (A), 1962, Dictionnaire des symboles, Paris, Laffont, 1080 p. DURAND (G), 1969, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 536 p. FRIJHOFF (W), 1996, « Autodidaxies XVIe-XIXe siècles : jalons pour la construction d’un objet historique », Histoire de l’éducation, n° 70 GUSDORF (G), 1964, Pourquoi des professeurs ?, Paris, Payot, 365 p. KAES (R), ANZIEU (D), 1973, Fantasme et formation, Paris, Dunod, 174 p.. MARION (S), 1993, L’école de la vie, la France autodidacte, Paris, Lattès, 237 p. POSTIC (M), 1989, L’imaginaire dans la relation pédagogique, Paris, PUF, 161 p. 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