Maladie de Hodgkin et virus d`Epstein-Barr

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abc
revue générale
Ann Biol Clin 2004, 62 : 639-48
Maladie de Hodgkin et virus d’Epstein-Barr :
physiopathologie et perspectives thérapeutiques
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S. Depil1,2
O. Moralès2
C. Auriault2
1
Service des maladies du sang,
CHU de Lille
[email protected]
2
UMR 8527, Institut de biologie de Lille
Résumé. Le virus d’Epstein-Barr (EBV) semble utiliser les voies normales de
différenciation des lymphocytes B pour se maintenir de manière latente dans
l’organisme. Ce processus est contrôlé de manière efficace par le système
immunitaire par le biais de lymphocytes T spécifiques, ce qui explique l’absence de pathogénicité du virus dans la majorité des cas. L’EBV est cependant
impliqué dans diverses pathologies tumorales. Ainsi, 30 à 50 % des maladies
de Hodgkin sont associées à l’EBV. On retrouve dans les formes EBV+ une
intégration clonale du virus dans les cellules tumorales. La maladies de Hodgkin se caractérise par une latence de type II avec une expression limitée aux
antigènes viraux EBNA1, LMP1 et LMP2. Les formes EBV+ sont plus fréquentes chez l’enfant, chez les sujets de plus de 45 ans et dans les formes à
cellularité mixte. L’association à l’EBV semble représenter un facteur de mauvais pronostic chez les sujets âgés. Le rôle exact de l’EBV dans le processus
tumoral reste à définir, mais il est probable qu’il intervienne en favorisant la
survie d’une cellule B anormale, destinée normalement à mourir par apoptose.
Enfin, quelle que soit la réelle contribution apportée par l’EBV dans le développement tumoral, l’expression d’antigènes viraux par la cellule maligne offre
des cibles permettant d’envisager des perspectives thérapeutiques intéressantes.
Mots clés : EBV, maladie de Hodgkin, immunothérapie
Summary. Epstein-Barr virus (EBV) seems to use B cell normal differentiation pathways to establish and maintain a persistent infection. This process is
effectively controlled by the immune system through the action of EBVspecific T lymphocytes, so that the lifelong chronic infection is free of complications for most individuals. EBV is, however, associated with several malignancies. 30-50% of Hodgkin’s lymphomas (HL) are EBV-associated. In EBVpositive HL, the virus is localized to the tumor cells and is clonal. HL is
characterized by a type II form of latency with viral antigen expression limited
to EBNA1, LMP1 and LMP2. EBV-positive HL is more frequent in childhood,
in older patients and in mixed cellularity cases. EBV association may represent
a poor prognosis factor in the elderly. The true contribution of EBV to the
pathogenesis of HL remains uncertain, but EBV may provide to abnormal B
cells survival signals protecting them from apoptosis. Finally, whatever the role
that EBV plays in tumor development, the presence of viral antigens in the
malignant cells may represent a target for new therapeutic strategies.
Article reçu le 14 juin 2004,
accepté le 16 août 2004
Key words: EBV, Hodgkin’s disease, immunotherapy
Découvert en 1964 dans une lignée de lymphome de Burkitt africain, le virus d’Epstein-Barr (EBV) appartient à la
famille des herpesviridae, famille dont les membres ont la
Tirés à part : S. Depil
Ann Biol Clin, vol. 62, n° 6, novembre-décembre 2004
particularité de persister à l’état latent dans l’organisme
après la primo-infection. L’EBV est présent dans plus de
95 % de la population adulte. Généralement asymptomatique chez l’enfant, la primo-infection peut être responsable
de la mononucléose infectieuse. L’infection par EBV est
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revue générale
Tableau I. Tableau récapitulatif des différents types de latence observés dans les pathologies associées à l’EBV.
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Type de latence
EBNA-1
EBNA-2
EBNA-3
LMP-1
LMP-2
Type 1
Type 2
+
+
–
–
–
–
+
–
+
Type 3
+
+
+
+
+
contrôlée de manière efficace par le système immunitaire,
ce qui explique l’absence de pathogénicité du virus chez la
plupart des individus. L’EBV est cependant un virus oncogène associé à différentes pathologies tumorales que l’on
peut distinguer par l’expression des profils de latence du
virus. Dans la latence de type I, retrouvée dans le lymphome de Burkitt et certains adénocarcinomes gastriques,
seule la protéine EBNA1 est exprimée. La latence de type
II, observée dans la maladie de Hodgkin, le carcinome
indifférencié du nasopharynx et les lymphomes T/NK, se
caractérise par l’expression des protéines EBNA1, LMP1
et LMP2. Enfin, dans la latence de type III, tous les antigènes de latence du virus sont exprimés (EBNA 1, 2, 3A,
3B, 3C, LP ; LMP1 et LMP2). Ce dernier type de latence
est retrouvé dans les syndromes lymphoprolifératifs de
l’immunodéprimé, après transplantation d’organe, greffe
de cellules souches hématopoïétiques, déficit immunitaire
congénital ou acquis (sida) (tableau I) [1].
Nous verrons dans un premier temps de quelle manière le
tissu lymphoïde participe à la constitution d’une infection
latente et comment le système immunitaire contrôle cette
dernière. Nous résumerons ensuite les données acquises
concernant l’épidémiologie et la participation possible de
l’EBV dans la physiopathologie de la maladie de Hodgkin. Enfin, nous envisagerons les implications thérapeutiques que procure l’expression de protéines virales par les
cellules tumorales.
Physiopathologie de l’infection à EBV
Participation du tissu ganglionnaire
à l’histoire naturelle de l’infection à EBV
Dans le modèle actuel, soutenu notamment par ThorleyLawson, l’EBV infecte initialement les lymphocytes B
naïfs présents dans les tissus ganglionnaires de l’anneau
de Waldeyer. La mise en route d’un programme de latence
de type III (growth program) conduit à l’activation de ces
cellules qui se transforment en lymphoblastes, similaires
sur le plan morphologique et phénotypique à ceux observés après activation de lymphocytes B naïfs par un antigène. Ces lymphoblastes se différencient en cellules B
mémoire suite à la mise en place d’une latence de type II
par le virus (default program). L’expression des protéines
LMP1 et LMP2 mime les signaux de survie normalement
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Pathologie
Lymphome de Burkitt
Carcinome indifférencié du nasopharynx,
maladie de Hodgkin, lymphome T/NK périphérique
Syndrome lymphoprolifératif de l’immunodéprimé
procurés par l’interaction avec l’antigène et par les lymphocytes T helper, ce qui permet aux cellules B infectées
par l’EBV de se différencier en cellules B mémoire au
sein de centres germinatifs en l’absence de stimulation
antigénique. Ces cellules B mémoire infectées par l’EBV
circulent ensuite dans le sang périphérique. Elles n’expriment alors plus aucune protéine virale (latency program)
sauf si elles sont amenées à effectuer une division cellulaire dans le cadre de processus de régulation homéostatique (maintien d’un compartiment mémoire stable). Dans
ce cas, la cellule exprime EBNA1 de manière isolée afin
de permettre la réplication virale. Enfin, un certain nombre
de ces cellules B mémoire infectées par l’EBV se différencieront en plasmocytes retrouvés dans l’anneau de Waldeyer. Cette différenciation terminale s’accompagne d’une
réactivation virale avec mise en route d’un cycle lytique
permettant la libération de virus et la transmission à un
nouvel hôte, ce qui clôt le cycle. De manière finaliste,
l’EBV utilise des voies de différenciation cellulaire normales pour se maintenir et se propager. Les cellules B
mémoire à vie longue constituent une niche idéale où le
virus peut persister au long cours. De plus, l’absence d’expression de protéine virale lui permet de rester caché au
système immunitaire (figure 1) [2].
Ce modèle est basé sur l’analyse des profils de latence du
virus dans les lymphoblastes, les cellules du centre germinatif et les cellules B mémoire. Les relations entre ces
types cellulaires sont extrapolées à partir de la physiologie
de la cellule B normale et restent à établir expérimentalement dans le cas de l’infection à EBV. Un certain nombre
de questions restent en effet soulevées. Ce modèle implique la substitution par le programme viral des signaux
induits par la reconnaissance de l’antigène. Existe-t-il en
réalité une interaction entre antigène et programme viral
dans la différenciation du lymphocyte infecté ? Des cellules possédant un phénotype de type cellule du centre germinatif et exprimant une latence de type II ont pu être
caractérisées. Néanmoins, ces cellules n’ont pas été localisées dans le ganglion et on ignore si elles participent réellement à l’organisation d’un centre germinatif. Dans ce
contexte, il existe un autre modèle décrit par Kurth, dans
lequel l’EBV infecterait directement les cellules B mémoire sans intervenir dans la formation de centres germinatifs [3, 4].
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Principales caractéristiques
de la réponse immunitaire dans l’infection à EBV
EBNA, LMP1, LMP2), les antigènes lytiques (BRLF1,
BALF2, BMRF1, BMLF1, BZLF1) et les antigènes structuraux (gp 350, gp 85 et gp 110). Néanmoins, la réponse
primaire semble nettement dominée par des lymphocytes
T CD8+ reconnaissant les antigènes lytiques [7]. L’équipe
de Callan a ainsi pu démontrer par l’utilisation de tétramères que 5 à 50 % de l’ensemble des lymphocytes T CD8
étaient dirigés contre un seul épitope d’antigène lytique au
cours de la primo-infection, alors que seulement 1 à 3 %
de ces lymphocytes T CD8 reconnaissaient un épitope
dérivé d’un antigène de latence [5]. Le phénomène de
contraction clonale, consécutif à la résolution de la primoinfection, entraîne une réduction considérable de la proportion de ces lymphocytes T spécifiques d’antigènes lytiques, au profit de ceux reconnaissant les antigènes de
latence [7]. Enfin, plusieurs études ont également souligné
le rôle important que pourraient jouer les lymphocytes T
CD4 cytotoxiques, classe II-restreints, dans le contrôle de
la primo-infection [8, 9].
La réponse de l’hôte contre l’infection à EBV est à la fois
humorale et cellulaire. Lors de l’infection primaire, la réplication du virus dans les cellules épithéliales et dans les
lymphocytes B entraîne une réponse anticorps dirigée
d’abord contre les antigènes du cycle lytique puis contre
les antigènes de la phase de latence. Toutefois, cette réponse humorale n’a qu’une efficacité relative sur le
contrôle de l’infection. La réponse cellulaire joue en revanche un rôle primordial, et c’est cette dernière que nous
allons maintenant détailler.
Analyse de la réponse lymphocytaire T
durant la primo-infection (étudiée
dans le cas de la mononucléose infectieuse)
Le syndrome mononucléosique, rencontré dans le cas de
la primo-infection à EBV, se caractérise par une hyperlymphocytose brutale et réversible, composée majoritairement de lymphocytes T CD8 cytotoxiques. Cette hyperlymphocytose est essentiellement liée à l’expansion de
quelques clones reconnaissant spécifiquement des épitopes de l’EBV (expansion clonale antigène-spécifique) [5,
6].
La réponse lymphocytaire T cytotoxique est dirigée à la
fois contre les antigènes de latence du virus (les différents
Caractéristiques de la réponse T chez les sujets
séropositifs (phase de latence)
Le contrôle par le système immunitaire de l’infection latente à EBV est primordial. Il est destiné à empêcher la
prolifération non contrôlée de lymphocytes B après réactivation virale, événement observé chez les sujets sévère-
Différenciation normale des cellules B
Aide des
cellules T
Aide des cellules T
+ antigène
Signaux
de survie
Division cellulaire
Antigène
Cellule B
naïve
Lymphoblaste B
Cellule B
du CG
Cellule B
Post-CG
Cellule B
mémoire
Virus
Growth
program
(latence III)
Default
program
(latence II)
Latency
program
EBNA-1
Infection par l’EBV
Figure 1. Stratégie utilisée par l’EBV pour se maintenir à l’état latent dans les lymphocytes B mémoire (d’après [2]). Ce schéma
présente le modèle décrit par Thorley-Lawson, dans lequel l’EBV utilise les voies de différenciation normales des lymphocytes B pour
persister de manière latente dans les lymphocytes B mémoire. Le processus de différenciation lymphocytaire B associé à la mise en
place des programmes viraux est mis en parallèle avec le processus d’activation observé après stimulation antigénique. CG : centre
germinatif.
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ment immunodéprimés. Cette immunosurveillance est
assurée à la fois par les lymphocytes T CD8 et les lymphocytes T CD4. La réponse immunitaire observée en phase
de latence possède les caractéristiques suivantes :
– les épitopes immunodominants sont différents pour les
lymphocytes T CD8 et les lymphocytes T CD4, avec la
hiérarchie suivante : EBNA3C > EBNA1 > LMP2 >>
LMP1 pour les lymphocytes T CD8 ; EBNA1 >
EBNA3C >> LMP1, LMP2 pour les lymphocytes T CD4
Th1 [10] ;
– la qualité de la réponse CTL varie en fonction des haplotypes HLA de classe I, avec une plus forte réactivité observée pour certains allèles HLA B (HLA-B7,-B8, -B27,
-B35, -B44 > HLA-A1, -A2, -A3, -A24) [11] ;
– chez un individu donné, la réponse CTL observée durant
la phase de latence est dominée par un ou deux épitopes.
La majorité de ces épitopes dérivent des protéines
EBNA3A, EBNA3B et EBNA3C [12] ;
– on retrouve en phase de latence des lymphocytes T dirigés contre les antigènes lytiques. Ces derniers pourraient
représenter une seconde ligne de défense contre le virus,
susceptible de contrôler sa réplication in vivo. Une diminution de la réponse immune envers les antigènes lytiques
pourrait expliquer la réactivation d’un cycle lytique avec
libération de virus observée chez l’immunodéprimé [12] ;
– il existe en réalité une dynamique de la réponse T dans
le temps. La fréquence des lymphocytes T dirigés contre
un épitope donné varie entre la primo-infection et la phase
de latence. Ainsi, comme nous l’avons souligné plus haut,
la réponse primaire semble surtout dominée quantitativement par des lymphocytes dirigés contre les antigènes
lytiques, la proportion de lymphocytes spécifiques d’antigènes de latence augmentant par la suite. Le passage à une
réponse de type mémoire s’accompagne également d’une
évolution phénotypique des lymphocytes T CD8, variable
en fonction de la spécificité de reconnaissance de ces lymphocytes [7] ;
– il était admis jusque récemment que la protéine EBNA1
n’était pas reconnue par les lymphocytes T CD8. EBNA1
est en effet composée dans sa région aminoterminale d’une
répétition de séquences glycine-alanine inhibant la dégradation par le protéasome, ce qui limite ainsi la présentation d’épitopes dérivés de la protéine endogène par les
molécules HLA de classe I. La présence in vivo de lym-
phocytes T CD8 spécifiques d’épitopes de EBNA1 s’expliquait par un mécanisme de cross presentation (lymphocytes T CD8 stimulés par des cellules dendritiques présentant
des épitopes dérivés de protéines EBNA1 d’origine exogène) [13]. Des travaux récents suggèrent néanmoins que
des peptides issus de protéines EBNA1 incomplètes ou
mal formées (DRiP : defective ribosomal products) pourraient être présentés efficacement aux lymphocytes T CD8
via les molécules HLA de classe I [14-16] ;
– les lymphocytes T CD4 semblent également jouer un
rôle important dans le contrôle de l’infection latente. Il a
été montré que des lymphocytes T CD4+ cytotoxiques
pouvaient intervenir dans le contrôle précoce de l’infection et de la transformation des lymphocytes B par l’EBV
[17]. Les lymphocytes T CD4 interviendraient donc non
seulement par leurs fonctions helper (aide aux lymphocytes T CD8), mais aussi par leurs fonctions cytolytiques
propres (le mécanisme reste discuté : utilisation de la voie
Fas/Fas-L, système perforine-granzyme, sécrétion de granulysine ? [18-20]).
Maladie de Hodgkin et EBV : données
épidémiologiques et physiopathologie
Données épidémiologiques
Le génome de l’EBV est retrouvé dans les cellules de
Reed-Sternberg d’environ 40 % des maladies de Hodgkin
classiques (formes scléronodulaires et à cellularité mixte)
[21, 22]. On retrouve un profil de latence de type II (expression restreinte des protéines EBNA1, LMP1 et LMP2).
L’association est plus fréquente dans les formes à cellularité mixte (50-75 %) que dans les formes scléronodulaires (15-30 %). La proportion de maladies de Hodgkin EBV+ est plus importante dans les pays en voie de
développement (jusque 90 %), chez l’enfant, notamment
avant l’âge de 10 ans, et chez les adultes âgés de plus de
45 ans (tableau II). Il semble également exister une prédominance masculine [22, 23]. Dans les maladies de Hodgkin survenant chez les patients HIV+, l’association avec
l’EBV est quasi constante (supérieure à 95 % des cas).
Enfin, il existe une augmentation de la fréquence des maladies de Hodgkin après transplantation d’organe ou greffe
Tableau II. Données épidémiologiques.
Maladies de Hodgkin EBV-positives
Fréquence
Histologie
Âge
Valeur pronostique de l’association à l’EBV
642
30-50 % des cas (pays développés)
Cellularité mixte > scléronodulaire
< 10 ans ou > 45 ans
Péjorative après 45 ans
Mal définie chez les sujets jeunes
Maladies de Hodgkin EBV-négatives
50-70 % des cas
Scléronodulaire > cellularité mixte
15-45 ans
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Maladie de Hodgkin et virus d’Epstein-Barr
de cellules souches hématopoïétiques. Il s’agit alors également de formes EBV+ dans la majorité des cas [24, 25].
Différents travaux ont établi l’existence d’une association
entre infection à EBV et maladie de Hodgkin. Une étude
de cohortes a pu montrer une augmentation du risque relatif de survenue de maladie de Hodgkin EBV+ d’un facteur
4 après mononucléose infectieuse, dans un délai médian
de 4 ans. En revanche, il n’était pas retrouvé d’augmentation du risque de lymphome de Hodgkin EBV- [26]. Des
données sérologiques anciennes avaient montré qu’il existait, dans les années précédant le diagnostic, des titres
d’anticorps anti-EBV plus élevés chez les patients atteints
de maladie de Hodgkin que chez des témoins sains. Cette
étude n’avait cependant pas distingué les formes EBV+
des formes EBV- [27]. Enfin, dans les années précédant la
maladie, la charge virale EBV serait plus importante dans
les formes EBV+ que dans les formes EBV- ou chez les
sujets sains [28]. Ces derniers résultats n’établissent pas
de relation causale entre EBV et maladie de Hodgkin, ne
traduisant peut-être que les perturbations du système immunitaire associées à la maladie.
Valeur pronostique de l’association avec l’EBV
et intérêt de la mesure de la charge virale
Pour l’instant, l’association entre maladie de Hodgkin et
EBV n’a pas de signification clinique ou pronostique clairement établie. Il existe en effet des résultats contradictoires. Plusieurs études n’ont pas retrouvé d’impact pronostique du statut EBV de la maladie [29, 30]. D’autres auteurs
ont en revanche mis en évidence une meilleure survie sans
maladie des formes EBV+ chez les sujets jeunes (mais
sans différence significative de survie globale) [31, 32].
Deux études récentes ont montré que les formes EBV+
étaient associées à une survie significativement moins
bonne chez les sujets âgés [33, 34]. Enfin, une étude a
montré que les formes EBV+ étaient davantage retrouvées
chez les sujets âgés et associées à l’existence de symptômes B (amaigrissement, fièvre et sueurs nocturnes) et à
une maladie de stade plus avancé. La différence de survie
n’était toutefois pas statistiquement significative [35]. Le
statut EBV+ de la maladie représenterait donc un facteur
de mauvais pronostic chez les sujets âgés, tandis qu’il
serait soit dépourvu de valeur pronostique soit associé à
un meilleur pronostic chez les adultes jeunes (tableau II).
Des travaux utilisant des techniques de PCR qualitative et
quantitative ont montré que l’ADN viral pouvait être détecté dans le sérum de patients atteints de lymphome de
Hodgkin EBV+ avant traitement (dans 90 % des cas avec
la PCR qualitative et dans 75 % des cas avec la PCR
quantitative) [36]. La PCR quantitative a l’avantage d’être
plus spécifique en détectant moins de faux positifs dans
les formes EBV-. Deux études, réalisées à la fois chez
l’adulte et l’enfant, ont montré que la réponse au traiteAnn Biol Clin, vol. 62, n° 6, novembre-décembre 2004
ment était corrélée à la réduction de la charge virale plasmatique : les patients en rémission présentaient en effet
une diminution significative de la charge virale, retrouvée
faible ou indétectable, alors que la progression tumorale
s’associait à une augmentation de cette dernière [37, 38].
Ces résultats n’étaient pas retrouvés si l’ADN était extrait
des cellules mononucléées sanguines [38]. L’ADN viral
retrouvé dans le sérum des patients serait en effet la conséquence de la libération d’ADN par les cellules de ReedSternberg et ne proviendrait pas de la réplication du virus
dans d’autres sites.
Hypothèses pathogéniques
Les techniques de microdissection unicellulaire, combinées à l’analyse moléculaire du réarrangement des gènes
des immunoglobulines, ont montré que les cellules de
Reed-Sternberg étaient en réalité des cellules B clonales
[39-41]. En effet, l’expression d’antigènes spécifiques des
lymphocytes B (CD20, CD79a) par les cellules de ReedSternberg a été rapportée dans 30 à 60 % des maladies de
Hodgkin classiques [42]. De plus, la présence de réarrangements clonaux des gènes d’immunoglobulines a été détectée dans la plupart des études génotypiques réalisées
après microdissection. Ces études montrent en outre la
présence d’un taux élevé de mutations somatiques des
régions variables des gènes d’immunoglobulines. Toutefois, ces réarrangements n’aboutissent pas à une synthèse
des chaînes légères et des chaînes lourdes d’immunoglobulines. Dans la majorité des cas, cette absence de synthèse résulte d’un défaut de la machinerie transcriptionnelle (absence d’expression du facteur de transcription
Oct-2 et du cofacteur Bob-1/Obf-1 dans les cellules de
Reed-Sternberg) [43]. Cependant, dans 25 % des cas environ, l’absence d’expression des gènes d’immunoglobulines est due à l’existence de mutations somatiques non
fonctionnelles dans les chaînes lourdes (crippling mutations) [40]. Ces observations indiquent que la cellule de
Reed-Sternberg dériverait d’un lymphocyte B du centre
germinatif anormalement rescapé de l’apoptose. L’infection par l’EBV pourrait intervenir dans la survie anormale
de ces cellules en l’absence des signaux fournis par la
reconnaissance de l’antigène. Une intégration clonale du
virus dans les cellules tumorales a ainsi été démontrée
dans les formes associées à l’EBV [44]. Les protéines de
latence de type II fourniraient différents signaux oncogéniques et antiapoptotiques. LMP1 est un oncogène majeur
de l’EBV. Il s’agit d’une molécule membranaire active de
manière constitutive, capable d’induire les voies d’activation cellulaire NFjB, MAP-kinases (JNK et p38) et
JAK/STAT[45]. L’activation de NFjB est retrouvée de
manière constante dans les cellules de Reed-Sternberg.
Elle interviendrait dans la prolifération cellulaire et l’inhibition de l’apoptose. LMP1 activerait également différents
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gènes antiapoptotiques dont bcl-2. LMP2 pourrait fournir
des signaux de survie mimant l’activation du récepteur B
(BCR) en recrutant des tyrosine-kinases par l’intermédiaire des motifs ITAM présents dans son domaine intracytolasmique. EBNA1 est une protéine essentielle à la
réplication virale et au maintien du virus sous sa forme
épisomale, dépourvue d’activité oncogénique in vitro [1].
EBNA1 pourrait néanmoins posséder des propriétés oncogéniques in vivo, comme le suggère le développement de
lymphome induit par l’expression de EBNA1 dans un modèle de souris transgénique [46].
Mécanismes d’échappement
au système immunitaire
La maladie de Hodgkin se caractérise par de nombreuses
altérations du système immunitaire. Il existe de manière
très précoce dans l’histoire de la maladie un déficit de
l’immunité cellulaire, responsable d’une susceptibilité accrue aux infections bactériennes, virales et fongiques. On
ignore actuellement si ce déficit immunitaire précède le
développement tumoral et le favorise ou si, au contraire, il
en représente une conséquence. Le déficit de l’immunité
cellulaire est responsable de la diminution des réactions
d’hypersensibilité retardée, phénomène connu depuis de
très nombreuses années. Cela s’explique notamment par
une diminution des lymphocytes T CD4 circulants et un
déficit fonctionnel des lymphocytes [47].
La maladie de Hodgkin classique se caractérise en général
par la surexpression de cytokines et de chimiokines de
type Th2 (Il-13, Il-5, TARC, MDC et éotaxine) ou immunosuppressives (Il-10 et TGF-b). Ces molécules, produites
par les cellules tumorales elles-mêmes ou par les cellules
infiltrant le ganglion, maintiennent un microenvironnement hostile au développement d’une réponse cellulaire et
favorisant la survie des cellules tumorales [48]. La cellule
de Sternberg semble également capable de sécréter
d’autres substances inhibant les réponses Th1, comme le
montre un travail s’intéressant à l’expression de EBI3, une
cytokine induite par l’EBV et exprimée par les cellules de
Sternberg quel que soit le statut EBV de la maladie. EBI3
est homologue à la sous-unité p40 de l’IL-12 et est capable de s’hétérodimériser avec la sous-unité p35 de l’IL-12.
EBI13 servirait d’antagoniste à l’IL-12 et inhiberait l’apparition d’une réponse Th1 [49]. Enfin, une étude récente a
montré la présence au sein des lymphocytes infiltrant le
ganglion de nombreux lymphocytes T CD4+ de type régulateurs (lymphocytes T CD4+CD25+ et Tr1 sécrétant de
l’Il-10) dans des formes aussi bien EBV+ que EBV- [50].
Toutes ces observations expliquent l’absence de réponse
cellulaire efficace même en cas d’expression de protéines
virales par les cellules tumorales. Des CTL anti-EBV peuvent ainsi être retrouvés dans le sang des patients atteints
de maladie de Hodgkin EBV+ mais pas au sein du tissu
644
tumoral [51]. De plus, la latence de type II se caractérise
par l’absence d’expression des épitopes immunodominants dérivés des protéines EBNA3A, 3B et 3C. En outre,
la protéine LMP1 posséderait des fonctions immunosuppressives et pourrait agir sur les lymphocytes T via la
libération d’exosomes [52].
Perspectives d’immunothérapie
L’expression d’antigènes viraux par les cellules tumorales
a conduit plusieurs auteurs à proposer des protocoles d’immunothérapie basés sur l’administration de lymphocytes T
EBV-spécifiques d’origine autologue ou allogénique. Une
vaccination classique se heurte en effet au problème de
l’immunosuppression observée chez ces patients et au risque de stimuler des populations régulatrices.
Utilisation de CTL polyclonaux EBV-spécifiques
d’origine autologue
L’utilisation de CTL polyclonaux EBV-spécifiques dans
la maladie de Hodgkin se fonde sur les résultats favorables
observés dans les lymphomes post-transplantation. Dans
ces protocoles de thérapie cellulaire, les CTL sont stimulés in vitro par des lymphocytes B issus du même donneur
que les CTL et transformés par l’EBV (obtention de lignées lymphoblastoïdes ou LCL).
Deux essais utilisant des CTL polyclonaux EBVspécifiques d’origine autologue ont été réalisés chez des
patients présentant une maladie de Hodgkin [53-55]. Les
patients inclus présentaient soit une maladie avec rechutes
multiples (groupe A, n = 8) soit une maladie résiduelle
post-autogreffe (groupe B, n = 3). Le taux d’expansion
in vitro des CTL en présence de LCL autologues est 10 fois
inférieur environ à celui observé avec des CTL issus de
sujets sains. Cette différence pourrait s’expliquer par l’expression réduite de la chaîne zêta du TCR observée dans
les lymphocytes T de patients atteints de maladie de Hodgkin. L’obtention d’une quantité suffisante de CTL nécessite donc l’ajout d’un cocktail mitogène composé d’IL-2,
de cellules mononucléées sanguines allogéniques irradiées, de LCL et d’anti-CD3. Les patients du groupe A ont
reçu soit 2 x 107 cellules/m2 (n = 1), soit 4 x 107
cellules/m2 (n = 6), soit 1,2 x 108 cellules/m2 (n = 1). Les
CTL de 7 patients ont été marqués avec le gène de résistance à la néomycine. De plus, l’utilisation de tétramères a
permis de quantifier les CTL EBV-spécifiques chez 4 patients HLA-A2 positifs. Les patients du groupe B ont reçu
deux injections de 2 x 107 cellules/m2. L’administration
de CTL EBV-spécifiques autologues a été bien tolérée. Il a
pu être montré que les CTL étaient capables de s’accumuler au sein même du site tumoral et qu’ils avaient une
durée de vie prolongée. Toutefois, aucune réponse comAnn Biol Clin, vol. 62, n° 6, novembre-décembre 2004
Maladie de Hodgkin et virus d’Epstein-Barr
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plète n’a été obtenue. Cet échec pourrait être lié à la
production de facteurs inhibiteurs par les cellules de ReedSternberg (TGF-b, TRC, IL-10, Il-13, Fas-ligand...). L’absence d’efficacité de cette stratégie pourrait également être
due au nombre trop faible de CTL dirigés contre les cellules malignes. Les CTL générés à partir des LCL (qui
expriment une latence de type III) sont en effet constitués
majoritairement de clones dirigés contre les antigènes immunodominants d’EBV (EBNA 3A, 3B et 3C), antigènes
qui ne sont pas exprimés par les cellules tumorales.
Utilisation de CTL polyclonaux EBV-spécifiques
d’origine allogénique
Un essai publié récemment a évalué l’efficacité de CTL
EBV-spécifiques obtenus à partir de donneurs partiellement matchés pour le système HLA [56]. Six patients
atteints de maladie de Hodgkin EBV+ réfractaire ont été
inclus dans l’étude. Trois patients ont reçu 3 injections de
0,5 x 107 CTL/kg (cohorte I) et 3 patients une seule injection de 1,5 x 107 CTL/kg après une cure de fludarabine
destinée à favoriser la prise de greffe (cohorte II). La
Encadré 1
Structure et cycle réplicatif de l’EBV
Structure
L’EBV est un virus à ADN double brin de la famille des herpesviridae. Les particules virales comportent un core
composé de l’ADN enroulé autour d’une structure protéique ; une nucléocapside icosaédrique de 162 capsomères ; un
tégument constitué de protéines, situé entre la nucléocapside et l’enveloppe ; une enveloppe lipidique d’origine
cellulaire, dérivée de la membrane nucléaire ou de la membrane externe de la cellule, où s’insèrent des protéines et
glycoprotéines virales formant des spicules.
Le génome de l’EBV est composé d’un ADN double brin de 172 kb. Deux séquences répétitives terminales (TR) sont
retrouvées à chaque extrémité de la molécule d’ADN. Ces séquences permettent la circularisation de l’ADN sous
forme d’épisome (forme apparaissant dans les cellules transformées par l’EBV alors que le génome est linéaire dans
les particules virales). Le génome contient cinq domaines de séquence unique (U1 à U5) séparés par des séquences
répétitives internes, l’une de grande taille (IR1) et les trois autres plus petites (IR2, IR3, IR4). Il existe une origine de
réplication latente (OriP) et deux origines de réplication lytiques (Orilyt) dans les séquences hautement conservées DR
et DL.
Interaction entre EBV et lymphocyte B
L’EBV se fixe sur la membrane cellulaire par interaction entre la glycoprotéine d’enveloppe virale gp350/220 et la
molécule CD21, récepteur des fractions C3d et C3g du complément. Ce récepteur est également présent sur certaines
lignées de lymphocytes T et sur les cellules épithéliales. La glycoprotéine d’enveloppe virale gp85 est responsable de
la fusion entre la membrane cellulaire et l’enveloppe du virus.
Protéines exprimées durant la phase de latence
Pendant la phase de latence, seul un nombre limité de gènes est exprimé dans les lymhocytes B infectés. Il existe
6 protéines nucléaires EBNA1, 2, 3A, 3B, 3C et LP (Epstein-Barr nuclear antigens), 3 protéines membranaires
LMP1, 2A/2B (latent membrane proteins) et 2 ARN non codants EBER1 et 2 (EBV encoded small RNAs). La
protéine EBNA2 est la première exprimée après pénétration du virus dans la cellule. EBNA2, en coopération avec
LMP1, joue un rôle fondamental dans l’immortalisation et la transformation cellulaire. La protéine EBNA1 interagit
avec l’origine de réplication latente oriP en se fixant sur une séquence activatrice et assure le maintien du génome sous
forme épisomale.
Le cycle lytique
L’entrée en phase lytique est déterminée par l’expression de la protéine transactivatrice Zebra (BamH1 Z replication
activator). La régulation de l’expression de cette protéine semble être la clé du passage de la latence à la production
virale. Zebra, en coopération avec un deuxième transactivateur, R, est responsable d’une cascade d’activation aboutissant à la production de virions. Elle active la transcription de son propre gène, induit l’expression des gènes précoces,
la réplication de l’ADN viral à partir des 2 origines de réplication lytique Orilyt (DR et DL) et l’expression des gènes
tardifs VCA (viral capsid antigens) et MA (membrane antigens) : gp350/220, gp140, gp110, gp85.
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revue générale
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tolérance a été tout à fait satisfaisante (absence de réaction
de type greffon-contre-hôte). Une réduction tumorale a été
obtenue chez les 3 patients de la cohorte I, avec une réponse persistant à 22 mois chez un patient ne présentant
initialement qu’une maladie résiduelle minime, ainsi que
chez 2/3 patients de la cohorte II. Toutefois, à l’exception
du patient de la cohorte I, les réponses obtenues n’ont été
que partielles et transitoires. De plus, les CTL administrés
n’ont pas été retrouvés à distance de l’administration (absence de chimérisme lymphocytaire).
Induction de CTL dirigés
contre les protéines LMP1 et LMP2
Des travaux ont montré qu’il était possible de générer des
CTL spécifiquement dirigés contre LMP2 ou LMP1 à partir de cellules dendritiques exprimant après transduction
Encadré 2
Maladie de Hodgkin : aspects histopathologiques,
présentation clinique, aspects thérapeutiques
Aspects histopathologiques
La classification anatomopathologique initiale, définie par Rye en 1966, individualisait quatre types histologiques,
selon l’architecture et l’aspect cytologique : type 1 à prédominance lymphocytaire (nodulaire ou diffus), type 2 scléronodulaire, type 3 à cellularité mixte, type 4 à déplétion lymphocytaire.
La classification actuelle de l’OMS reconnaît deux entités clinicopathologiques distinctes : 1) la maladie de Hodgkin
nodulaire à prédominance lymphocytaire ou paragranulome de Poppema et Lennert, non associée à l’EBV ; 2) la
maladie de Hodgkin classique avec les variétés anatomopathologiques suivantes : sclérose nodulaire, cellularité mixte,
riche en lymphocytes, déplétion lymphocytaire. Seule la maladie de Hodgkin classique, associée à l’EBV dans 30 à
50 % des cas, est considérée dans cet article.
Présentation clinique
Les manifestations révélatrices sont assez stéréotypées. Dans 80 % des cas il s’agit d’une adénopathie périphérique,
cervicale dans 60 à 70 % des cas, axillaire ou inguinale dans 10 à 20 % des cas. Dans 10 % des cas, ce sont des
adénopathies médiastinales qui révèlent la maladie ; le plus souvent asymptomatiques, elles sont découvertes sur une
radiographie systématique ; elles peuvent induire une compression trachéale ou vasculaire quand elles sont volumineuses, et s’exprimer alors par des douleurs thoraciques, une toux, une dyspnée, plus rarement par un syndrome cave
supérieur. Le diagnostic peut être évoqué devant des signes généraux : fièvre, sueurs nocturnes, amaigrissement de
plus de 10 % dans les 6 derniers mois, prurit. Ces signes généraux témoignent d’une évolutivité de la maladie. Le
diagnostic repose sur l’analyse anatomopathologique après biopsie-exérèse d’une adénopathie.
Aspects thérapeutiques
La maladie de Hodgkin fait actuellement l’objet de nombreux essais thérapeutiques. Les objectifs sont, de manière
schématique, de réduire la toxicité des traitements dans les formes localisées de bon pronostic et d’améliorer la qualité
de la réponse dans les formes étendues ou de mauvais pronostic.
L’association chimioradiothérapie constitue la base du traitement des formes localisées sus-diaphragmatiques. Les
formes étendues représentent un groupe hétérogène pour lequel des stratégies différentes ont été développées :
chimiothérapie exclusive, association chimioradiothérapie, intensification thérapeutique sous forme d’un renforcement de la chimiothérapie de première ligne ou d’une autogreffe de cellules souches périphériques après chimiothérapie de première ligne. Le traitement des patients en échec (échec primaire ou rechute) repose actuellement sur une
chimiothérapie de rattrapage destinée à obtenir une réduction tumorale avant une intensification thérapeutique avec
autogreffe. Les techniques d’allogreffe à conditionnement atténué sont en cours d’évaluation dans cette indication.
Les résultats obtenus sont globalement satisfaisants mais les thérapeutiques « conventionnelles » gardent des limites.
Près de 30 % des patients atteints d’une forme de mauvais pronostic initial vont présenter une progression ou une
rechute de la maladie. Moins de la moitié de ces patients réfractaires ou en rechute vont répondre correctement au
traitement de rattrapage. On estime ainsi que seuls 1/3 des patients en échec après le traitement initial sont en vie à
5 ans. De plus, les procédures d’intensification thérapeutiques ne sont pas dénuées d’effets secondaires à long terme.
La mise en place de protocoles d’immunothérapie dirigée spécifiquement contre les cellules tumorales représente donc
un espoir même si de nombreuses questions restent encore à résoudre.
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Maladie de Hodgkin et virus d’Epstein-Barr
virale LMP2 ou LMP1 (dans une forme tronquée de manière à éviter l’effet toxique de l’expression de LMP1
dans les cellules dendritiques) [57, 58]. Les CTL ainsi
générés lysent des cibles autologues exprimant LMP1/2.
Ces résultats ont conduit l’équipe de Rooney à proposer
un essai thérapeutique destiné à évaluer l’efficacité de l’administration de CTL dirigés spécifiquement contre LMP2
chez des patients présentant une maladie de Hodgkin en
rechute [54]. Enfin, des travaux ont démontré l’intérêt d’un
vaccin polyépitopique contenant plusieurs épitopes CD8
dérivés de LMP1 et LMP2 et de restrictions HLA différentes afin de couvrir la majorité des haplotypes HLA de
classe I. Un vecteur adénoviral exprimant ce polyépitope
est ainsi capable de générer in vitro une expansion rapide
de CTL dirigés contre LMP1/2. Ces CTL lysent des cellules autologues sensibilisées avec les épitopes LMP1/2. Ce
vecteur adénoviral est également capable d’inhiber la progression de tumeurs exprimant LMP1 après immunisation
de souris transgéniques HLA A2 [59].
Conclusion et perspectives
De nombreuses avancées ont été faites dans la physiopathologie et le traitement de la maladie de Hodgkin. Des
progrès restent encore à accomplir afin de réduire les risques à long terme du traitement et afin d’améliorer le
pronostic des rechutes ou des formes réfractaires. Cela
passe également par une meilleure définition des facteurs
pronostiques. Le rôle exact de l’EBV dans la pathogenèse
des formes EBV+ reste à préciser mais quel que soit ce
rôle, l’expression par la cellule tumorale de protéines virales ouvre des perspectives intéressantes dans le domaine
de l’immunothérapie.
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