Le pouvoir de la culture pour le développement

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 LE POUVOIR DE LA CULTURE POUR LE DEVELOPPEMENT Vers un nouveau paradigme du développement pour atteindre les Objectifs du millénaire Université Paris 1‐Panthéon Sorbonne Département de Science politique Master II Coopération internationale, action humanitaire et politique de développement Année 2009‐2010 Directeur : Yves Viltard Mémoire présenté par Marie‐Ange Théobald __________________________ 8 novembre 2010 Introduction La notion de développement se survit à elle‐même depuis plus de soixante ans. Elle a été l’objet de remaniements constants et de nombreux chevauchements entre les matières académiques, même si l’économie est restée dominante. Il existe une science normale à chaque époque et sa reconnaissance fonde la société savante. On remarque toutefois que les grands courants de la fin du XXe siècle ont laissé la place à un discours unifié, sorte de consensus mou qui permet d’échapper à toute radicalité dans les politiques de développement. Dix ans après le Sommet du millénaire, les Chefs d’Etat et de gouvernement réunis au Siège des Nations Unies en septembre 2010, ont réaffirmé « leur détermination à travailler tous ensemble à la promotion de l’amélioration de la condition économique et sociale de tous les peuples 1 », redéfinissant par là‐même la finalité du développement. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les théories ou processus successifs de développement ont été élaborées sans la participation des peuples concernés, lesquels ont souvent contribué d’une manière passive à leur mise en œuvre. Les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés par l’ONU en 2000 ont eu le mérite de mobiliser la communauté internationale en abandonnant tout dogmatisme idéologique imposé. Les objectifs sont précis tout en laissant aux intéressés le choix des chemins empruntés pour les atteindre. Ces chemins doivent être tracés par les peuples eux‐mêmes et donc, pour arriver au but, être étroitement imbriqués dans les univers culturels qui les caractérisent. 1
Résolution adoptée par l’Assemblée générale à l’issue de sa Réunion plénière de haut niveau sur les objectifs du Millénaire pour le développement, intitulée Tenir les promesses : unis pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement, 2/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 La culture est définie ici comme « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social 2 ». Ce que nous essaierons d’analyser dans ce mémoire c’est le mouvement progressif, depuis la fin du XXe siècle, vers la reconnaissance de l’indivisibilité de la culture et du développement jusqu’à l’introduction d’un nouveau paradigme qui donne à la culture une place prioritaire dans la problématique du développement. Après avoir analysé quarante ans de processus imposés nous constaterons que les modèles politiques, les orientations économiques et l’aide publique n’ont pas suffi à assurer un développement durable. Nous tenterons ensuite de démontrer en quoi la protection de la diversité des expressions culturelles et les industries culturelles qui en découlent peuvent être un moteur de croissance économique, d’appropriation des enjeux et de durabilité. Enfin, nous montrerons comment l’introduction de la dimension culturelle d’une manière holistique dans toutes les stratégies de développement pourrait favoriser l’accomplissement des OMD. 2
Déclaration universelle sur la diversité culturelle, UNESCO 2001 3/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 I.
Les limites d’un développement universel et prescriptif 1950‐2000 1. Quarante ans de politiques de développement imposées « Il n’était question nulle part de développement au XIXe siècle, mais plutôt de progrès, s’agissant de l’espérance offerte aux Européens et aux Américains du Nord, ou de civilisation en pensant à la tâche que ces derniers estimaient devoir accomplir pour le bien des peuples exotiques 3 . » C’est le concept de sous‐développement qui apparaît pour la première fois dans le « Discours sur l’état de l’Union » que le Président Harry Truman prononce le 20 janvier 1949 : « Nous devons nous engager dans un programme audacieux et utiliser notre avance scientifique et notre savoir faire industriel pour favoriser l’amélioration des conditions de vie et la croissance économique dans les régions sous‐développées. » Au delà de la volonté de diffusion du modèle occidental, c’est bien de développement qu’il s’agira désormais après les politiques macroéconomiques de stabilisation consécutive à la fin de la guerre. De nos jours, le développement ne fait l’objet d’aucune discipline académique. Il emprunte essentiellement à l’histoire, à l’économie, à la science politique ou aux relations internationales. Il n’y a pas de doctorat du développement. Celui‐ci recouvre des activités, des métiers, des communautés qui concourent à la mise en œuvre de politiques dont la définition n’a cessé d’évoluer. Depuis la décennie 1950 jusqu’à la fin du siècle, ces politiques ont toujours été fondés sur des faits récents de l’histoire économique considérés comme irréfutables qui indiquaient aux pays concernés, la direction qui devait être suivie. Les trois grandes périodes que nous allons décrire ici ne sont pas délimitées d’une manière radicale, elles se recouvrent partiellement et s’entrecroisent dans le temps. 3
Guy Hermet, Culture et développement, 2000 4/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Elles se sont cependant succédées par réaction aux déceptions successives engendrées par chacune d’elles. « Comme ces armées qui retiennent les leçons de la dernière guerre, les théories du développement tirent trop bien les leçons du passé et échouent aux tests du futur 4 . » Bien qu’il y ait eu, au cours de ces périodes, autant de doctrines de développement qu’il y a de pays et même parfois de régimes successifs dans ces pays, chacune d’elles est cependant caractérisée par un paradigme dominant que nous allons décrire ici. Leur trait commun est la non‐participation des populations concernées. L’analyse économique de la situation du monde en 1945 met en évidence des faits marquants indiscutables, qui vont déterminer l’orientation des deux décennies suivantes. La crise de 1929, le succès des économies de guerre, la transformation de la Russie, la percée du Japon, le relatif déclin de la Grande‐Bretagne et la mise en œuvre du Plan Marshall vont placer l’Etat – qu’il soit keynésien ou soviétique ‐ au cœur du développement et faire de l’industrialisation la clé de la croissance. Le défi du développement est un problème de moyens. En 1943, apparaît le concept du Big Push 5 qui, pour sortir les pays concernés de leur « trappe à pauvreté » repose sur une injection massive d’investissements pour la mise en place d’infrastructures lourdes et d’industries de base. Au début des années 1960 la notion de décollage 6 , c’est‐à‐dire de croissance autoentretenue à partir d’un certain taux d’investissement, s’impose dans les esprits. À cette époque, l’aide publique au développement a une vocation économique d’accumulation de capital et politique d’éloignement du modèle soviétique. Dans cette vision industrialiste du développement, le monde agricole considéré comme arriéré est sacrifié. L’idéologie « développementaliste » ne va pas s’inscrire dans la seule sphère de la technique économique. Il va reposer sur le diagnostic d’un retard structurel, passible 4
D. L. Lindauer et L. Pritchett, What’s the big idea ? The third generation of development advice, 2002 5
Paul Rosenstein‐Rodan, Les problèmes d’industrialisation de l’Europe de l’Est et du Sud‐Est, 1943 6
W.W. Rostow, Les étapes de la croissance économique : un manifeste non communiste, 1960 5/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 d’un processus, commandé depuis le sommet, de modernisation sociale et culturelle à étendre à toutes les couches de la population et pas seulement à l’appareil de production 7 . Les principaux donateurs de l’époque – Etats‐Unis, France, Grande‐Bretagne, Banque mondiale – ont ainsi conduit des projets isolés du reste des politiques publiques contribuant à l’accumulation d’infrastructures physiques – qualifiées plus tard d’« éléphants blancs » ‐ et à la création d’industries de base. La logique des moyens a creusé le fossé entre les capacités locales de gestion et la complexité technique des projets et mis en évidence l’inadaptation des technologies importées. Les modèles macroéconomiques n’avaient pas intégré l’environnement microéconomique, la qualité des institutions et les caractéristiques sociales. Malgré des progrès économiques réels, notamment en Afrique, les constats d’échec sont douloureux. La grande pauvreté persiste, la rentabilité des investissements est décevante, le sous‐emploi et les inégalités augmentent, le service de la dette est pesant. Ce dessein dit « développementaliste » sera poursuivi par des régimes démocratiques ou au moins électifs aussi bien que militaires – en particulier en Amérique latine ‐ avec « cet unique élément surprenant, que dans un cas comme dans l’autre, il négligera toujours d’envisager la participation effective des populations au développement 8 . » Sans même attendre le verdict des faits, la logique étatique du développementalisme aurait pu paraître discutable dans son principe, qui excluait toute co‐responsabilité populaire dans le processus de changement économique et social. Au début des années 70, le paradigme dominant du développement évolue profondément pour prendre un tournant social et redistributif. 7
Selon l’analyse de Guy Hermet. 8
Guy Hermet, Culture et développement, 2000 6/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Tout d’abord, l’accroissement rapide du taux d’urbanisation entraîne la nécessité d’un accroissement de la production agricole avec de moins en moins de main d’œuvre. Il est devenu patent que l’économie moderne ne peut plus se développer au détriment du monde agricole. « Agriculture et industrie deviennent des partenaires égaux sur le chemin du développement 9 » entraînant une réorientation sociale de la pensée du développement. Le monde agricole devient le lieu du combat contre la pauvreté et de la remise en cause de l’équation croissance = développement. Le secteur dit informel devient l’objet d’une grande attention. Des études du BIT mettent en évidence sa vitalité et son potentiel d’emploi. La Banque mondiale s’efforce d’investir dans les secteurs dont les populations pauvres dépendent directement. La préoccupation redistributive est générale dans l’aide publique au développement. Les « besoins essentiels » ‐ notion développée par le BIT ‐ influencent les programmes d’aide en portant les efforts sur le logement, l’alimentation, l’eau potable, les systèmes sanitaires, de santé et d’éducation. Le soutien aux projets d’infrastructure diminue au profit du monde agricole et des services sociaux. C’est au cours de la même période qu’apparaît en Amérique latine l’école de la dépendance qui connaît un succès rapide sur le continent et au delà. Ce paradigme alternatif au développementalisme de Rostow puise son orientation éminemment politique aux sources du marxisme et mérite donc de porter le titre d’idéologie. Elle prétend apporter à la pauvreté en Amérique latine une solution pseudo‐scientifique en élargissant à l’échelle internationale la problématique de la lutte des classes : il existe un système capitaliste international avec un centre, qui a une capacité endogène de développement, et une périphérie, qui subit des facteurs exogènes. La hiérarchie entre les deux conditionne le développement. Autrement dit, l’intégration inégalitaire dans le système capitaliste international est responsable du sous‐développement des pays de la périphérie. Ces derniers sont structurellement bloqués dans un échange inégal 9
Olivier Charnoz et Jean‐Michel Severino, L’aide publique au développement, 2007 7/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 entraînant une dépendance non seulement commerciale – importation de produits à forte valeur ajoutée, exportation de produit à faible valeur ajoutée – mais aussi financière, industrielle, technologique, culturelle et politique. Le phénomène est auto‐
entretenu par la dualisation structurelle de l’économie qui ne fait que développer… le sous‐développement. Paradoxalement, cette idéologie qui dénonce la marginalisation de la population et reproche à Rostow de se baser sur les facteurs endogènes des pays en cachant les vrais facteurs – exogènes ceux‐la – liés au capitalisme international, exonère les peuples de toute responsabilité – c’est la faute des autres ‐ donc les exclut de toute participation à la définition de leur avenir. Aucun des différents courants – externaliste radical d’André Gunder Franck, internaliste modéré d’Enzo Faletto et de Fernando‐Henrique Cardoso ou réformiste de Celso Furtado et Osvaldo Sunkel – n’ont empêché l’échec des théories dépendantistes. L’histoire réelle leur a donné tort : l’éclatement des blocs, l’émergence des dragons asiatiques ou de pays latino‐américains, l’évolution du commerce international, la différenciation du développement selon les politiques menées, les crises du capitalisme mondial issues de la périphérie, les dépendances au sein du monde socialiste et enfin la doxa libérale. Les trois principales faiblesses du modèle dépendantiste résidaient dans les facteurs suivants : 1) son présupposé holiste ou systémique avec une survalorisation des facteurs internationaux au détriment des valeurs locales qui empêche d’analyser toute la diversité des modes de dépendance, notamment historiques ; 2) selon le paradigme du joug, la logique de la passivité, son absence d’attention portée au rôle éventuellement actif de la périphérie, privant ces pays de leur capacité d’action ; et enfin 3) sa vision économiciste, due à son inspiration marxiste, niant toute autonomie aux Etats et aux facteurs politiques. 8/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 D’autres théories viendront revaloriser le rôle des acteurs, de l’Etat et de l’Histoire. La théorie des « systèmes‐monde 10 » introduira la « semi‐périphérie » et remettra dans la longue durée l’analyse de la dépendance. Le regard déplacé de l’économie vers le rôle des acteurs politiques et des élites permettra une analyse des stratégies d’extraversion et d’importation 11 que nous examinerons dans la deuxième sous‐partie. Au début des années 1980 le service de la dette pèse lourdement sur la situation financière en Afrique, en Amérique latine et dans de nombreux pays d’Asie. En 1982, le Mexique annonce la suspension du remboursement de sa dette colossale entraînant ainsi une crise du système financier international. L’intervention inévitable des pays prêteurs de l’Amérique du Nord et de l’Europe de l’Ouest oblige à une restructuration profonde de l’aide publique. Un seul objectif s’impose : la stabilité et l’équilibre macro‐économique. La notion d’ajustement va dominer la décennie et au delà. Il s’agit dans un premier temps d’une orientation économique de nature technique même si elle a des conséquences lourdes dans le domaine social. En réalité, par cet « ajustement », se joue un véritable tournant idéologique vers le néo‐libéralisme avec la réduction du rôle économique des Etats et le recours aux marchés à travers des réformes structurelles. Le consensus de Washington 12 règne en maître à l’exact opposé du paradigme précédent, « les gouvernements interventionnistes sont désormais des problèmes et non des solutions 13 . » La rigueur monétaire et budgétaire devient une condition d’accès au crédit. 10
Immanuel Wallerstein, Fondateur et Directeur du Centre Fernand Braudel pour l’étude de l’économie des systèmes historiques et des civilisations de l’université de l’Etat de New York. 11
Bertrand Badie, L'Etat importé, 1992. 12
Cette expression a été utilisée pour la première fois en 1989 par l’économiste John Williamson. Elle résume un ensemble de politiques économiques d’inspiration néolibérale préconisées par la Banque mondiale, le FMI et le Trésor américain, Institutions toutes basées à Washington. 13
Olivier Charnoz et Jean‐Michel Severino, L’aide publique au développement, 2007 9/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 En 1997, on peut lire dans le rapport sur le développement dans le monde de la Banque mondiale, ce commentaire du directeur général de l'Organisation mondiale du commerce : « Nous sommes en train d'écrire la constitution de l'économie mondiale. » La forme la plus achevée de l’influence des acteurs économiques privés s’exprime au cours de cette période dans leur capacité à fonder de véritables « régimes privés internationaux », conçus comme « un complexe intégré d’institutions formelles et informelles constituant une source de gouvernance pour l’ensemble d’un domaine d’activité économique 14 ». Pour reprendre la citation d’Ulrich Beck en 2004, il se construit alors une sorte de « souveraineté juridique du capital, qui lui donne une certaine indépendance à l’égard de la légitimation étatique. » On parle alors d’un « néolibéralisme disciplinaire », c’est‐à‐dire un ordre global dominant fondé sur la primauté du marché. Stephan Gill va plus loin en parlant « de l'ensemble des forces politiques et sociales qui reproduisent, régulent, organisent et protègent les règles d'un ordre mondial néolibéral. » Selon lui, l’enjeu tient alors à la façon dont ce qu’il appelle le nouveau constitutionnalisme, 15 « cherche à conférer des droits privilégiés de citoyenneté et de représentation politique aux acteurs économiques privés, de telle sorte que les politiques publiques soient orientées pour satisfaire les besoins des investisseurs devenus la source principale de souveraineté. » Ce nouveau constitutionnalisme est la dimension politique et légale d'une stratégie néolibérale. Gill parle de manipulation des notions d'efficacité, de bien‐être et de démocratie. Pourtant, durant cette même période, l’analyse du développement s’est parallèlement enrichie de nouvelles contributions qui, à l’inverse, confèrent peu à peu au capital humain ou capital social une place centrale : la « croissance endogène » de Robert Lucas et Paul Romer dans laquelle l’éducation et la formation acquièrent une place 14
Jean‐Christophe Graz, La gouvernance de la mondialisation, 2008, citant l’ouvrage dirigé par Claire Cutler, Virginia Haufler, et Tony Porter, Private Authority and International Affairs, 1999 15
Voir l’analyse critique de Stephan Gill, La nouvelle constitution libérale, 1999. 10/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 centrale en donnant au capital et au travail des rendements croissants ou bien encore l’« économie institutionnelle » qui analyse positivement certaines institutions hors marché, notamment la vie économique du monde rural. S’esquisse alors l’ambition de concilier les objectifs économiques légitimes des institutions d’aide au développement avec un principe « humaniste » de respect de ceux auxquels cette aide doit d’appliquer. Dans un premier temps, les experts du développement utilisent la notion de capital social, davantage par imitation du vocabulaire des économistes qu’à la suite d’un inventaire précis. Mais la prise de conscience de la culture ne pouvait que se trouver au centre de ce réexamen de leur action au sein des organisations régionales ou internationales de l’aide. Perçue pendant des décennies comme un facteur qui paralysait le changement, elle devient un point d’appui possible du développement. Dès la fin des années 1980, la culture d’entreprise fait son apparition. Puis la culture organisationnelle, qui dénonce un biais de perception de certains groupes spécialisés dont le savoir est difficilement communicable. Puis encore la Banque mondiale s’est lancée dans l’explication du miracle asiatique par les « valeurs asiatiques » 16 , analysant l’élément culturel sans oser le nommer vraiment, avec un succès pour le moins mitigé à l’épreuve de l’histoire. La fin des années 90 voit le paradigme du développement connaître de fortes contradictions internes. La réflexion menée sur le capital humain s’accommode mal des politiques budgétaires restrictives. Il apparaît que le développement social, la justice, l’égalité, la démocratie ainsi que la protection de l’environnement importent autant que la croissance. Le « réductionnisme économiciste 17 » met à mal les doctrines du développement faisant apparaître la nécessité d’une démarche capable de mieux maîtriser la complexité en même temps que la globalité de l’effort de développement. Il n’est pas étonnant dès lors que cette époque corresponde une crise de l’aide. L’allocation sélective et l’annulation de dette illustrent cette période de doute. 16
Voir World Bank, The East Asian Miracle, 1993. 17
Selon la formule de Bernardo Kliksberg, 1992. 11/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 2. Orientations économiques, modèles politiques et aide publique ne suffisent pas Nous l’avons dit, chacune des différentes doctrines du développement a été imposée en réaction à l’inefficacité ou aux conséquences négatives de la précédente. Dès les années 1970, les pays en développement tentent de rééquilibrer à leur profit un système international perçu comme bénéficiant aux seuls pays industrialisés. En 1974, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte une déclaration sur le « Nouvel ordre économique international » qui établit un certain nombre de droits pour ces pays de contrôler l’activité économique et de devoirs pour les pays industrialisés de leur fournir une aide économique et technique. C’est à la même époque que la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) voit le jour, à l’appui de cette aspiration à un nouvel ordre économique. On parle alors dans certains ouvrages de « pauvreté des Nations » entretenant, selon la formule d’Amartya Sen, « la fiction des Nations au cœur battant ». Si cette impulsion, que l’on pourrait qualifier de contestataire, a été reprise au début du XXIè siècle par les mouvements altermondialistes de la société civile, au cours des années 70 elle est issue d’organisations intergouvernementales. Il faudra pourtant attendre le milieu des années 1990 pour que la notion de « capital social » prenne ses racines et se diffuse dans les théories du développement. Malgré des années d’ajustements structurels douloureux, la stagnation économique africaine et la faible croissance sud‐américaine n’ont pas amélioré la vie des populations défavorisées. Les anciennes républiques soviétiques, quant à elles, connaissent une crise profonde après un passage brutal à l’économie de marché. Enfin le « miracle asiatique » est fragilisé par une crise financière qui entraîne une recrudescence de la pauvreté. Les dogmes du consensus de Washington sont remis en question et 12/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 l’importance des institutions locales de régulation revient en lumière. Les rôles respectifs de l’Etat et du marché structurent les débats de la fin du siècle. En 1960, l’écart des revenus entre les 5 % les plus riches et les plus pauvres de la planète était de 1 à 30, en 1990 il est de 1 à 60 et sera en 1999 de 1 à 74 18 . C’est alors qu’apparaît l’analyse selon laquelle le degré de confiance et de bonne entente qui règne au sein d’une société donnée, la densité et la richesse des réseaux sociaux, réduisent les coûts de transaction d’une économie et facilitent son fonctionnement. L’ « ajustement à visage humain » et les fonctions redistributives de l’Etat pour la fourniture de services de base, comme la santé ou l’éducation « s’impose dans la conscience commune comme un devoir naturel et imprescriptible des autorités publiques 19 ». Le vrai signal de la révision est fourni par Mahbub ul Haq, qui crée pour le PNUD en 1990, l’Indicateur de développement humain (IDH) en tant qu’indice statistique de comparaison dans son rapport annuel. L’IDH relativise radicalement la signification de l’ « universel » produit national brut. En englobant trois paramètres au lieu d’un seul – le revenu par habitant, l’espérance de vie, le niveau d’éducation – l’IDH reflète un changement symbolique de langage. Il ne se réclame plus de l’économie mais se réfère à l’humain. Il ne se focalise plus sur l’accroissement des flux de production, mais s’étend au mode d’existence des populations les plus démunies. Et même au delà, « en plus de l’humain, la culture contemplée jusqu’à ce moment comme la cerise qui viendrait éventuellement couronner un jour le gâteau de l’aisance matérielle, se trouve également réintroduite par ce biais de l’éducation qui ne représente qu’une entrée en matière 20 . » Ainsi, l’IDH reconnaît que le développement est plutôt, en dernière analyse, un processus d'élargissement du choix des gens qu'une simple augmentation du revenu national. 18
Données issues du Rapport mondial sur le développement humain de 1999 du PNUD. 19
Olivier Charnoz et Jean‐Michel Severino, L’aide publique au développement, 2007 20
Guy Hermet, Culture et développement, 2000 13/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 En quatre décennies, les modes de pensées du développement sont ainsi passés d’une vision du monde comme une somme d’économies nationales à celle d’un ensemble d’individus appartenant à différents ensemble locaux, nationaux et globaux. Il va apparaître désormais clairement que la question centrale du développement s’est transformée, au fil du temps, en problématiques des développements. On ne peut plus se contenter d’apprécier un agrégat global, l’évolution doit être évaluée selon des ordres de valeur différents au sein de chaque société, et même du point de vue de chaque individu. Toutes les dimensions comptent. « Toutes les formes prises par le développement humain depuis le paléolithique peuvent‐elles être caractérisés comme des dimensions culturelles du développement. Aussi sont‐elles infiniment diverses dans le temps, dans l’espace et dans la tessiture de chaque société, au delà de ce qu’elles présentent de commun, en ce qu’elles sont toutes humaines 21 . » Prétendre procurer à l’humanité un viatique unique et homogène apparaît dès lors totalement illusoire. L’individualisation de la vision du développement a conduit à mettre en avant l’objectif de lutte contre la pauvreté. C’est à la fois l’existence d’un modèle universel de développement et l’efficacité de l’aide qui est contesté. On assiste ainsi à l’entrée dans une logique humaniste d’une part et à la préoccupation centrale de gouvernance d’autre part. L’étroite relation entre l’économie et la politique apparaît clairement puisque « les programmes économiques ne sont jamais que la résultante des luttes qui se déroulent au sein des institutions de l’Etat. » La notion de « bonne gouvernance » apparue avec la fin de la guerre froide n’a cessé d’osciller entre une exigence technocratique de bonne gestion efficace et transparente et une exigence de légitimité démocratique. 21
Philippe Ratte, Cultures et développements, UNESCO 2009 14/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Notons ici que la diffusion des modèles politiques occidentaux, dont l’épisode colonial est un facteur majeur, n’a pas été imposée seulement par la force des conquêtes mais elle répondait aussi à des stratégies politiques d’importation 22 soutenant divers projets internes. Pour autant, la greffe de l’Etat et de la démocratie a échoué presque partout où elle a été opérée. L’analyse de cet échec a fait apparaître deux raisons principales : d’une part l’inadaptation du modèle aux structures sur lesquelles il est plaqué et d’autre part la contestation du modèle importé qui empêche l’allégeance citoyenne à l’Etat. L’Histoire montre cependant que l’hybridation, la domestication sont possibles. Même si elles ne peuvent produire une synthèse aussi cohérente et fonctionnelle que le modèle de départ, elles aboutissent par les chemins buissonniers de l’appropriation 23 ‐ qu’il faut savoir saisir ‐ à produire des identités nationales. Autrement dit, toute greffe produit une réinvention de la différence. La restitution de la forte historicité interne met en évidence que c’est toujours à l’interface du dedans et du dehors que les pays se sont forgés. La greffe de l’Etat ne relève pas seulement d’une construction mais d’un processus complexe de formation 24 . On ne peut mieux illustrer le rôle essentiel du facteur culturel dans ce processus. Car plus largement, ce sont en réalité les institutions de toutes natures qui jouent un rôle déterminent dans le développement. Aussi bien, selon la Banque mondiale 25 , leurs aspects formels inscrits dans les Constitutions, les lois et les règles juridiques que leurs expressions informelles au niveau de l’éthique, des sources de la confiance ou de la défiance, des attitudes religieuses et de multiples autres codes implicites. 22
Bertrand Badie, L’Etat importé, 1992. 23
Selon l’analyse de Jean‐François Bayart. 24
Bruce Berman, John Lonsdale, Unhappy Valley Conflict in Kenya & Africa, 1992 25
Shahid Javed Burki et Guillermo Perry, World Bank, Latin American and Caribbean Studies, Beyond the Washington Consensus. Institutions Matter, 1998. 15/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Le développement est bien, avant tout, un processus de transformation des institutions, formelles ou informelles – ce que l’on pourrait appeler les « règles du jeu 26 ». Il implique une mutation des systèmes de régulation des groupes humains pour réduire l’incertitude et créer la confiance. Il s’agit alors de différencier les fonctions institutionnelles universelles ou atemporelles et les arrangements institutionnels variables selon les pays 27 . Dans les pays en développement, la démographie et l’urbanisation entraînent une dépersonnalisation des relations sociales qui sapent les facteurs traditionnels de production de confiance. La difficulté réside dans le fait que cette dépersonnalisation n’entraîne pas immédiatement le basculement vers le mode de production de confiance des pays développés. C’est au tournant du siècle, que l’évolution sociale et l’abandon de toute « idéologie » dans les politiques de développement conduisent à l’adoption par les Nations Unies des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) dans lesquels la communauté internationale définit les fins, mobilise les moyens et laisse les bénéficiaires transformer l’un dans l’autre. Après cinq décennies de programmes à travers le monde, 189 nations et 147 Chefs d’Etat décident, lors du Sommet du millénaire en septembre 2000, de se donner quinze ans pour atteindre huit objectifs de développement essentiels : réduire l’extrême pauvreté et la faim ; assurer l’éducation primaire pour tous ; promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ; réduire la mortalité infantile ; améliorer la santé maternelle ; combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies ; préserver l’environnement ; mettre en place un partenariat mondial pour le développement. 26
Selon Douglas North 27
Analyse issue d’un document de travail de l’Agence française de développement (AFD), La bonne gouvernance est‐elle une bonne stratégie de développement ?, 2008. 16/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Les pays pauvres se sont engagés à mieux gouverner et à investir dans leurs populations par le biais de la santé et de l'éducation, les pays riches à les appuyer en utilisant les outils suivants : aide, allégement de la dette et commerce plus juste. Les 8 OMD se divisent en vingt et une cibles quantifiables, et mesurées selon soixante indicateurs 28 . Cette Déclaration du millénaire est fondatrice et constitue dès lors la feuille de route du développement international. Comme tout projet « conséquentialiste 29 », l’appropriation des fins par les bénéficiaires sera la pierre angulaire ou la pierre d’achoppement du paradigme OMD. En plaçant clairement, par ces Objectifs, l’être humain au cœur du processus de développement, c’est l’importance de la culture qui est reconnue par la communauté internationale. Mais il faudra attendre encore dix ans pour que, lors du Sommet du millénaire + 10, la culture soit explicitement reconnue comme un moyen incontournable d’atteindre les OMD. Au cours de cette période de la deuxième moitié du XXe siècle, on assiste, parallèlement aux transformations parfois radicales des politiques de développement, à une évolution de la notion de culture. Les caractéristiques respectives des périodes décrites ci‐dessous se sont enchaînées par glissements progressifs pendant plus d’un demi‐siècle 30 . 28
Source PNUD 29
Selon Jean‐David Naudet, Les OMD et l’aide de 5e génération, 2006, la démarche conséquentialiste opposée ici à la démarche déontoligique, juge le caractère souhaitable d’une action selon l’évaluation de ses conséquences. (…) Le mouvement vers le conséquentialisme est probablement une évolution de fond des systèmes publics occidentaux. L’analyse des résultats et la gestion par les résultats y est largement promue. 30
Voir L’UNESCO et la question de la diversité culturelle, Bilan et stratégies, 1946‐2004, Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel, UNESCO. 17/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Au lendemain de la seconde guerre mondiale, période de reconstruction où furent créées l'ONU et les institutions qui lui sont reliées, les Etats‐nations sont traités comme des entités unitaires : l'idée de pluralisme, de diversité ou d'interculturalité est liée à celle de différences internationales et non intranationales. A ce stade initial, la culture elle‐même semble avoir été appréhendée plutôt en termes de production artistique et de pratiques. L’émulation entre les camps opposés de la guerre froide conjuguée aux aspirations des nations nouvellement constituées ont marqué une deuxième période, qui va s’étendre jusqu’à la fin des années 80. Les identités culturelles distinctives de ces nations, justification de leur indépendance et de leur existence sur le plan international, deviennent une question politique centrale. Le concept de culture est élargi pour englober celui d'identité. On observe parallèlement une résistance face aux effets de nivellement d’une uniformisation technologique et un combat contre l’impérialisme idéologique d’Etats puissants. Au cours d’une troisième période, la notion de culture en tant que pouvoir politique prend un nouvel essor en se rattachant à l'idée de développement endogène. Les pays bénéficiaires d’un soutien financier et administratif revendiquent le droit de définir leurs propres voies de développement pour participer pleinement et sur un pied d'égalité aux affaires internationales. Une quatrième période se caractérise par le lien entre la culture et la démocratie, mettant l'accent sur le besoin de tolérance non seulement entre les sociétés mais également en leur sein. L'attention est concentrée sur les problèmes intrasociétaux, en particulier dans les centres urbains, et sur les questions relatives aux droits des minorités et à la coexistence de communautés culturelles diverses. Mais le changement majeur de cette période réside dans l’accélération du processus de mondialisation entraînant un bouleversement non seulement dans l’ordre économique et technologique, mais aussi dans les mentalités et la façon de concevoir 18/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 le monde. C’est alors qu’apparaissent la constitution de nouveaux marchés globaux et le débat sur le statut des biens culturels par rapport aux biens de consommation courants. « Ce sont sans conteste les grandes agences de soutien eu développement qui ont eu le mérite de remettre en scène le thème de la culture, après qu’elles eurent observé qu’elles devaient forcément le prendre en compte si elles voulaient vraiment transformer les populations‐objets de leurs projets en populations‐actrices de ceux‐
ci 31 . » Ces grandes agences – en particulier, la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, le PNUD et l’UNESCO ont multiplié les symposiums, les groupes de travail, les publications ainsi que les déclarations officielles sur l’importance cruciale de l’élément culturel en tant que ressource pour la lutte contre la pauvreté en même temps que comme l’un des objectifs de cette lutte (voir ci‐dessous). Il ne s’est pas agit pour autant de considérer la culture comme la matrice intouchable de comportement figés à jamais par une référence au passé. Comme a la fois le mandat et l’action de l’UNESCO s’y appliqueront, « c’est la connaissance et la reconnaissance de la culture de chaque groupe humain, qui crée la capacité de l’aider à la conserver vivante tout en la faisant évoluer sans bouleversements intempestifs d’origine externe. » C’est ainsi que longtemps considérée sous le seul angle des Beaux‐Arts et des Belles Lettres, la culture couvre aujourd’hui un champ beaucoup plus large. La définition qu’en donne en 2001 le préambule de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle est l’aboutissement de cette évolution : « La culture doit être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social ; elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances». 31
Guy Hermet, Culture et développement, 2000. 19/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Seule institution des Nations Unies chargée de la culture, l’UNESCO, qui en 1946 posait comme principe que « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix », s’est vu confier par son Acte Constitutif le double mandat de promouvoir « la féconde diversité des cultures » et de « faciliter la libre circulation des idées, par le mot et par l’image ». Ces principes fondamentaux de diversité et de liberté au service de la compréhension mutuelle, seront permanents dans l’objectif que se donne l’Organisation d’ « orchestrer les diverses cultures pour aboutir, non pas à l’uniformité, mais à l’unité dans la diversité, afin que les êtres humains ne soient pas prisonniers de leurs cultures respectives, mais puissent jouir des trésors d’une culture universelle unique autant que variée 32 » Sur le chemin de l’évolution du sens et des fonctions attribués à la culture ainsi que de la mise en évidence du pouvoir de la culture pour le développement, plusieurs grands rendez‐vous sur l’agenda des organisations internationales méritent d’être mentionnés. Dès 1982, la première Conférence Mondiale sur les politiques culturelles, qui se tient à Mexico, marque une étape décisive dans l’établissement du caractère indissociable de la culture et du développement. Jusqu’à la fin du XXe siècle des jalons importants seront posés pour mettre en évidence cette indivisibilité. En 1988, l’UNESCO lance la Décennie mondiale du développement culturel pour souligner l’importance de la place de la culture dans les politiques nationales et internationales de développement. Cette initiative aboutira à l’élaboration d’instruments normatifs internationaux et d’outils d’évaluation appropriés 32
Rapport du Directeur général de l’UNESCO, 1947 20/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 (statistiques, inventaires, et cartographie des ressources culturelles) tout en suscitant un intérêt accru pour les industries culturelles. De 1992 à 1996, la Commission mondiale de la culture et du développement prépare un rapport proposant une vision élargie de la diversité culturelle de façon à englober toutes les formes de différences qui entraîneraient l’exclusion de peuples des processus et bénéfices du développement. En 1998, la Conférence intergouvernementale sur les politiques culturelles pour le développement, tenue à Stockholm reconnaît que la diversité culturelle est un aspect essentiel du développement et souligne la valeur du pluralisme culturel et de la diversité créatrice. Dans la foulée, le réseau international des politiques culturelles est créé 33 . La même année, c’est au cours de la Conférence sur « la culture dans le développement durable » organisée sous l’égide de la Banque mondiale et de l’UNESCO que le Président de la Banque déclare : « Nous devons respecter les racines des gens dans leur propre contexte social. Nous devons protéger l’héritage du passé. Mais nous devons aussi impulser et promouvoir la culture vivante sous toutes ses formes multiples. » Enfin en 1999, la conférence intergouvernementale intitulée « La culture compte : financements, ressources et économie de la culture dans le développement durable », organisée conjointement par la Banque mondiale et l’UNESCO à Florence, reconnaît que la culture est un capital d’une importance primordiale pour un développement et une croissance économiques durables. La même année, la Banque interaméricaine de développement (BID) organise le Forum « Développement et culture ». La décennie des années 2000, après l’adoption des OMD et avec la percée des préoccupations environnementales, sera véritablement celle de la mise en évidence du 33
Créé par le Canada en 1998, il réunira annuellement de façon informelle les ministres de la Culture et s’appuie sur des groupes de travail thématiques, il constituera un foyer actif d’échange, de réflexion et d’élaboration doctrinale. 21/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 lien entre culture, développement et stabilité sociale. Avec l’action inclusive des organisations internationales et les instruments juridiques qui y seront élaborés, la culture va véritablement apparaître comme un outil pour le dialogue et l’inclusion sociale, une puissante force motrice économique et un moyen de préserver l’environnement. Ces aspects seront abordés dans la deuxième partie. Il est utile, à ce stade, de préciser qu’associer culture et développement ne revient pas – comme certains ont voulu le faire croire ‐ à prêcher une sorte de « nouvelle doctrine de la prédestination » 34 à la richesse ou à la pauvreté des hommes, des sociétés et des nations. Admettre que, quel que soit le nom qui lui est donné, le développement a revêtu et revêtira des formes multiples et imprévisibles en fonction des « caractéristiques uniques 35 » de chaque société n’empêche pas de sortir du pur préjugé que les mauvaises ou les bonnes performances économiques d’un peuple résultent en dernier ressort de sa passivité ou de son dynamisme engendrés par son univers culturel. « Comment ne pas s’opposer au point de vue sinistre selon lequel certaines communautés se trouveraient rivées à jamais à leur état de détresse physique et morale pour cause d’inadaptation culturelle à tout changement capable de les en faire sortir ? » Notons au passage, que la crise de l’aide des années 1990, a eu cet effet pervers, à travers les agences humanitaires, de diffuser l’idée que les pays pauvres n’avaient de chance réelle de se sortir de leur dénuement que par eux‐mêmes, avec le moins possible d’intromissions extérieures, et que leur spécificité culturelle devait être respectée. « Volontairement sans autre contact avec les populations en détresse qu’ils se préparaient de toute façon déjà à abandonner à leur sort, que celui requis par l’acte thérapeutique de masse, les humanitaires ont estimé ainsi faire preuve d’une parfaite neutralité vis‐à‐vis de leurs cultures. » 34
L’analyse et les citations des paragraphes suivants sont empruntés à Guy Hermet 35
Comme l’indiquait déjà W. W. Rostow ! 22/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Les institutions internationales dont il est fait mention plus haut ont donc résolument pris le contre‐pied de ces attaques croisées contre les ressources ou les handicaps de la relation entre culture et développement. « La prise en compte de la culture, et à travers elle, de la diversité culturelle n’a pas fait qu’invalider une représentation hiérarchique du développement coiffée par le patron occidental de la modernité. Elle a en plus donné une voix à la majorité des habitants de la planète qui se sentent assez étrangers à ce patron. L’événement est de première grandeur. Il ne renverse pas seulement en théorie ou sur un plan sentimental, l’échelle verticale et inégalitaire des cultures. En pratique, cette fois, il la rend plus horizontale et plus égalitaire. » Notons enfin, qu’au cours des années 1990, les relations entre l’ONU et les Organisations non‐gouvernementales ont profondément changé tant quantitativement que qualitativement. Ce changement sera perceptible et déterminant dans le domaine qui nous intéresse. L’implication des ONG dans les conférences mondiales organisées par les Nations Unies ont marqué un tournant à cette époque. La nouvelle génération est marquée par une plus grande présence des ONG, la diversification du caractère institutionnel des organisations impliquées, l’inclusion d’ONG nationales, régionales et internationales, des coalitions et alliances et une plus grande diversité des questions traitées par les ONG. Les relations ONU‐
ONG reflètent la motivation des ces dernières à s’engager avec les Nations Unies dans le cadre d’une architecture institutionnelle de la gouvernance mondiale 36 . 36
La nécessité de renforcer les relations ONU‐ONG est soulignée dans de nombreux documents, en particulier dans la Déclaration du millénaire de septembre 2000 et l’importance de l’engagement des États membres à offrir un plus grand nombre d’opportunités aux ONG est à nouveau mentionnée dans le Document final du Sommet mondial de 2005. En 2004, le Secrétaire général créé un groupe de haut niveau présidé par l’ancien Président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso, sur les relations entre l’ONU et la société civile, y compris les parlementaires et le secteur privé. Il en est résulté le fameux « Rapport Cardoso ». 23/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 II.
Diversité culturelle, appropriation et durabilité 2000‐2010 1. La diversité culturelle, moteur d’un développement durable Le début des années 2000 se caractérise par une double situation. Tout d’abord, le développement, en s’étendant progressivement à toutes les parties du monde, met en évidence le contraste entre ses formes dominantes et les situations héritées. Il ne cesse de creuser les écarts entre le « modèle de référence », tiré vers une modernité en perpétuelle accélération, et la réalité des évolutions en cours dans la plupart des sociétés. D’autre part, plus tardivement, la généralisation du développement « imprime à la Terre même une tension considérablement plus dirimante, en provoquant en moins d’un demi‐siècle une sorte de saturation tendancielle de la planète par le développement, justement, de l’espèce humaine 37 ». Selon l’ONG Global Footprint, l’humanité consomme chaque année, l’équivalent de 1,2 Terres 38 , empruntant donc au futur les éléments de sa survie au détriment des capacités des générations futures. Si la mondialisation, qui ne cesse d’accroître les interdépendances sociales et économiques, offre des possibilités de développement, elle présente aussi d’immenses défis pour les communautés, les économies et les identités locales. Dans cet environnement – si l’on peut dire – l’idée du pouvoir de la culture comme moteur d’un développement durable continue de progresser. Après l’adoption, au tournant du siècle, des objectifs du millénaire pour le développement – comme l’aboutissement d’un processus décrit en partie I ‐ , l’inclusion de la culture à l’agenda du développement va passer principalement par l’action des organisations intergouvernementales, en particulier l’UNESCO, le PNUD et l’Union européenne mais 37
Selon l’article de Philippe Ratte, Cultures et développements, 2009 38
Global Footprint indique que l’humanité avait atteint vers la fin septembre 2009 le moment où son empreinte écologique sur la terre excédait la capacité de régénération de l’année 2009. 24/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 aussi la CNUCED, l’Organisation internationale de la francophonie et la Fondation du Commonwealth. Parallèlement, la place de la société civile sera de plus en plus grande dans l’élaboration et dans la mise en œuvre des instruments normatifs et des politiques publiques. La mondialisation a conduit de fait à l’intervention de différents niveaux de gouvernance. L’organisation des rapports entre ces différents niveaux est devenue une nécessité. La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle est adoptée à l’unanimité 39 dans un contexte très particulier, au lendemain des événements du 11 septembre 2001. La Conférence générale de l’UNESCO, qui se réunit alors pour sa 31e session, est la première réunion de niveau ministériel à se tenir après cet événement planétaire. « Ce fut l’occasion pour les États de réaffirmer leur conviction que le dialogue interculturel constitue le meilleur gage pour la paix, et de rejeter catégoriquement la thèse de conflits inéluctables de cultures et de civilisations 40 . » Cette Déclaration universelle, véritable acte de naissance de la diversité culturelle érige cette diversité au rang de « patrimoine commun de l’humanité », « aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant ». Elle fait de sa défense un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine. « L’idée d’organiser la convergence entre les deux courants, celui issu des débats sur l’exception [culturelle] et axé sur le thème culture/commerce et industries culturelles, et celui porté par l’UNESCO, centré sur le lien culture/développement et sauvegarde de l’expression créatrice, allait permettre de jeter les fondements politiques et théoriques de l’alliance Nord‐Sud sur la diversité culturelle. C’est de cette intuition féconde que jaillit l’« invention » de la diversité culturelle.» 41 39
En l’absence des Etats‐Unis qui ne reviendront à l’UNESCO qu’en 2003 40
Directeur général de l’UNESCO, 2001. 41
Jean Musitelli, La Convention sur la diversité culturelle : anatomie d’un succès diplomatique, 2006. 25/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Bien que non contraignante, cette Déclaration – qui relève donc de la soft law ‐ est le premier jalon d’une décennie qui verra l’adoption à l’UNESCO d’une série d’instruments juridiques destinés à protéger les patrimoines culturels, promouvoir la diversité et faciliter l’élaboration de politiques nationales de la culture 42 . Il s’agit en somme de permettre à la culture d’exercer tout son pouvoir pour amener la prospérité économique, faciliter l’appropriation du développement par les populations concernées ou encore favoriser la préservation de l’environnement par l’utilisation de toutes les connaissances. La culture en fournissant des solutions conformes aux particularités locales, est en tant que telle à la fois un moteur et un résultat positif du développement. Avant de revenir sur l’adoption des instruments juridiques et l’arsenal complet qu’ils constituent aujourd’hui, arrêtons nous un instant sur les trois aspects fondamentaux d’un développement durable mentionnés ici afin d’illustrer, par des exemples concrets 43 , le pouvoir de la culture dans chacun d’eux. La pertinence des Conventions internationales, dont l’adoption sera décrite par la suite, n’en sera que plus évidente. La culture est un puissant moteur de l’économie mondiale. Elle est donc créatrice d’emplois et génératrice de revenu. En 2009, les revenus générés par la culture s’élevaient à 1 300 milliards de dollars. Les industries culturelles produisent plus de 7% du PIB mondial. Pendant les années 1990, elles se sont développées à un rythme annuel deux fois supérieur à celui des industries de services et quatre fois supérieur à celui des industries manufacturières dans les pays de l’OCDE. 44 Il reste cependant 42
Ils sont venus compléter les principales Conventions internationales relatives au patrimoine culturel mis en œuvre dès les années 1950. A savoir, i) la protection du patrimoine culturel en cas de conflit armé (1954), ii) les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (1970) et enfin iii) la plus connue aujourd’hui, la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (1972) qui est centrée sur les dangers menaçant les sites culturels et la préservation de la nature. 43
Source UNESCO 44
Rapport mondial de l’UNESCO, 2009. Ajoutons quelques données nationales : au Mali, le secteur de la culture représenterait en 2004 5,8 % des emplois et 2,38 % du PIB en 2006 ; la production artisanale rapporte à la Colombie 400 millions de dollars par an (dont 40 millions de dollars au titre des exportations), ce qui assure aux travailleurs du secteur un revenu annuel de 140 à 510 dollars ; la production artisanale du Maroc représente 19 % du PIB (63 millions au titre des exportations) ; en 26/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 nécessaire d’investir dans la construction d’équipements pour renforcer et soutenir les industries culturelles dans le Sud. Le tourisme culturel a rapporté 40% des revenus du tourisme en 2007. 45 Les sites du patrimoine – et notamment ceux du patrimoine mondial de l’UNESCO – rapportent des revenus provenant des visites, de la vente de produit de l’artisanat local, d’œuvres musicales et autres produits culturels. Ils créent des emplois dans les communautés locales. Le tourisme international a fourni environ 10% du PIB des produits de l’UE en 2004 46 . Les pratiques de subsistance ancrées dans des cultures contribuent à la conservation des savoirs locaux, créent des emplois et assurent le développement économique local. Elles vont des modes de construction traditionnels à l’agriculture et à la gestion des ressources naturelles. Les possibilités de croissance offertes par les micro‐entreprises sont importantes. La production des biens et services culturels nécessite rarement des gros investissements financiers. Elle utilise souvent des matériaux et des compétences disponibles dans les communautés locales financées par le micro‐crédit. Enfin les équipements et les établissements culturels, tels que les universités, les musées, les centres culturels, les centres d’artisanat etc. créent eux aussi des emplois et génèrent des revenus. La culture est le vecteur d’un environnement viable. Les valeurs et les croyances d’un peuple façonnent sa relation avec son environnement naturel. La manière dont il le gère et le modifie repose sur des valeurs culturelles, des savoirs locaux et des méthodes traditionnelles. La diversité culturelle et la diversité biologique sont étroitement liées à toute une gamme d’interaction entre l’homme et la nature. Les bonnes pratiques enracinées dans les cultures locales préservent l’équilibre entre l’être humain et son environnement naturel. Elles peuvent aider à résoudre les Thaïlande, on estime à 2 millions le nombre d’artisans, dont près de la moitié travaille à plein temps ; les 650 000 touristes qui visitent chaque année la Colombie rapportent 800 millions de dollars par an ; au Maroc, l’industrie du tourisme représente 6,5 % du PIB ; au Brésil, le secteur « créatif » a représenté 6,7 % du PIB en 1998 ; au Guatemala, les industries culturelles ont connu un taux de croissance annuelle de 7,3 % entre 2001 et 2005, soit plus que la plupart des autres secteurs de l’économie. Ces industries emploient 7, 14 % de la population active (source CNUCED). 45
Source Organisation Mondiale du Tourisme 46
Voir l’étude consacrée à l’Economie de la culture en Europe, réalisée en 2005‐2006 par KEA Kern European Affairs, avec le soutien de Media Group (Turku School of Economics) et MKW Wirtschaftsforschung GmbH pour la Commission européenne. 27/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 problèmes écologiques tels que la diminution des ressources en eau, la déforestation et la disparition des espèces. La culture est un vecteur d’appropriation du développement par la cohésion sociale, la stabilité et la résilience communautaire. Nous avons vu en partie I que le développement était avant tout un processus de transformations des institutions, formelles ou informelles (les règles du jeu), il implique une mutation des systèmes de régulation des groupes humains pour réduire l’incertitude et créer la confiance. Nous avons abordé les mécanismes de mimétisme institutionnel et de réinvention de la différence. Ajoutons ici que les communautés encouragées à définir leur identité et à affirmer leurs propres valeurs sont mieux à même d’affronter les forces de la mondialisation pour les « acclimater » à leur convenance et en tirer le meilleur parti possible. Une meilleure prise de conscience de ces valeurs et atouts culturels aide les peuples à devenir les acteurs de leur propre développement. La préservation des formes culturelles caractéristiques consolide le capital social, crée un sentiment de responsabilité et incite à la confiance dans les institutions publiques. Le pouvoir symbolique du patrimoine culturel suscite un profond sentiment d’appartenance. Dans les situations de post‐conflit ou de post‐catastrophe, le patrimoine culturel dans son ensemble aide les victimes à retrouver un sentiment d’identité et d’appartenance qui donne un sens à leurs efforts de reconstruction nationale et de retour à la normale. 47 On le voit, la préservation de la diversité culturelle est essentielle à l’exercice de ces trois « pouvoirs » de la culture. Son appréciation réciproque suscite des actions positives et constructives. Il s’agit donc de la préserver et de la promouvoir. La même année 2001 qui a vu l’adoption de la Déclaration universelle sur la diversité culturelle, la Conférence générale de l’UNESCO adopte la Convention sur la protection du patrimoine culturel subaquatique. Celui‐ci est définit comme suit : « toutes les 47
Voir en particulier les exemples donné dans la brochure de l’UNESCO, Le pouvoir de la culture pour le développement, le patrimoine culturel au service de la reconstruction et de la réconciliation, p.13, 2010. 28/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 traces d'existence humaine reposant ou ayant reposé sous l'eau et présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui sont immergés partiellement ou totalement, périodiquement ou en permanence, depuis 100 ans au moins 48 .» En 2003, c’est au tour du patrimoine culturel immatériel d’être protégé par une Convention internationale adoptée à l’UNESCO. Elle met en évidence le fait que le patrimoine culturel ne s’arrête pas aux monuments ou aux collections d’objets. Il comprend également « les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir faire nécessaires à l’artisanat traditionnel 49 ». Le patrimoine culturel immatériel est fragile, mais il est aussi un facteur important du maintien de la diversité culturelle face à la mondialisation. Son importance ne réside pas tant dans la manifestation culturelle elle‐même que dans la richesse des connaissances et du savoir faire qu’il transmet d’une génération à une autre. Deux ans avant l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, la Convention de 2003 est l’un des principaux instruments pour l’élaboration d’activités concrètes destinés à la promotion et à la protection de la diversité culturelle. Le patrimoine culturel immatériel ne soulève pas la question de la spécificité ou de la non‐spécificité de certaines pratiques par rapport à une culture, il contribue à la cohésion sociale, en stimulant un sentiment d’identité et de responsabilité qui aide les individus à se sentir partie d’une ou plusieurs communautés et de la société au sens large. Sa protection apparaît indispensable à un développement durable. Le Rapport mondial sur le développement humain, publié sous la houlette du PNUD, s’intitule en 2004 : « La liberté culturelle dans un monde diversifié ». Jusque‐là, le 48
Convention de 2001, article 1 par. 1(a) 49
Source UNESCO 29/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Rapport avait fermement défendu l’idée que le développement humain était une question relative tant à la politique qu’à l’économie – depuis la protection des droits de l’homme jusqu’au renforcement de la démocratie. Il s’agit maintenant « avant tout de permettre aux personnes de mener le genre de vie qu’elles auront choisi et de leur fournir les outils et les opportunités leur permettant de faire ces choix 50 ». Le Rapport indique explicitement que si l’on veut atteindre les objectifs du millénaire pour le développement, il faut commencer par « relever victorieusement le défi de savoir construire des sociétés intégratrices qui respectent les diversités culturelles ». Le rapport souligne que l’envers de la fracture du développement est que les pays en développement sont souvent en mesure de s’appuyer sur des traditions culturelles plus riches, plus diverses – à travers le langage, l’art, la musique ou sous d’autres formes – que celles de leurs homologues plus opulentes du Nord. En partant de cette analyse, le rapport s’emploie à « briser cinq mythes » selon lesquels les politiques reconnaissant les identités culturelles et favorisant le développement de la diversité seraient source de fragmentation, de conflit ou d’autoritarisme, et affaibliraient le développement. Il démontre que bien au contraire, de telles politiques sont à la fois viables et nécessaires, car c’est souvent la suppression des groupes caractérisés par leur culture qui conduit à des tensions. Il apparaît dès lors essentiel de faire comprendre et de promouvoir les concepts mêlés d’unité et de diversité du genre humain qui se trouvent, on l’a vu au cœur du mandat de l’UNESCO et qu’illustre bien la fameuse Convention de 1972 sur le patrimoine mondial. C’est ce à quoi vont continuer de s’employer les organisations internationales – le système des Nations Unies, l’Organisation internationale de la francophonie et plus tardivement l’Union européenne 51 . 50
Mark Malloch Brown, Administrateur du PNUD en 2004 51
En tête de l’agenda européen de la culture à l’ère de la mondialisation publié en 2007, figure une citation de Denis de Rougement : « La culture est l’ensemble des rêves et des travaux qui tendent à la totale réalisation de l’homme. La culture exige ce pacte paradoxal : faire de la diversité le principe de l’unité, approfondir les différences, non pour diviser, mais pour l’enrichir encore plus. L’Europe est une culture ou elle n’est pas. » La Commission européenne sera directement impliquée dans l’élaboration de la Convention de 2005 sur la diversité des expressions culturelles. 30/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Dès l’adoption de la déclaration universelle sur la Diversité culturelle de 2001, de nombreuses initiatives internationales ont nourri la réflexion sur l’opportunité de renforcer l’action normative en rapport avec la diversité culturelle. Parmi celles‐ci on peut citer la table ronde intitulée « Biodiversité, diversité culturelle et éthique », organisée conjointement par l’UNESCO, le PNUE et la France en marge du Sommet mondial de Johannesburg sur le développement durable en 2002. Le président de la République française, Jacques Chirac, y présente ses quatre « convictions » : l'épanouissement de toute collectivité humaine repose sur la confiance dans son identité culturelle ; il n'y aura pas de mondialisation humanisée et maîtrisée sans respect de la diversité des cultures et des langues ; la mondialisation doit s'accompagner d'un effort de dialogue des cultures ; nul ne détient seul la solution aux problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés. Après avoir rappelé que la mondialisation, si riche de promesses soit‐elle, menace la diversité, il appelle au nom de la France, à l'adoption par la communauté internationale d'une Convention mondiale sur la diversité culturelle qui se situerait dans le cadre des valeurs universelles. Il appelle l’UNESCO à en prendre la responsabilité. Si l’action de la France depuis la fin des années 1990 a été déterminante – quelles que soient les majorités au pouvoir ‐ pour aboutir à la coalition internationale pour la diversité culturelle, c’est l’entente franco‐canadienne 52 qui a constitué la clé de voûte de l’alliance. À partir de ce noyau, le cercle des pays favorables à la diversité culturelle s’est élargi vers le Sud, par le canal de deux leviers institutionnels, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), actionnée par la France, et le Réseau international des politiques culturelles (RIPC), créé et animé par le Canada. L’union européenne quant à elle ne s’est convertie qu’en 2003 au thème de la diversité culturelle 53 . 52
Tout prédisposait les deux pays à se rencontrer sur ce terrain : des politiques publiques fortes, des industries culturelles diversifiées et une appréciation identique des risques induits par la libéralisation totale des services. 53
Voir ce sujet de la mobilisation des réseaux institutionnels, l’article de Jean Musitelli, La Convention sur la diversité culturelle : anatomie d’un succès diplomatique, 2006. 31/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Le choix de l’UNESCO comme enceinte de négociation ne s’est pas imposé comme une évidence. Il a fallu convaincre les sceptiques, désarmer les opposants et persuader l'UNESCO elle‐même, longtemps timorée sur cette question. Ce choix a été voulu par la France selon les arguments suivants : 1) la légitimité politique de l’UNESCO, seule organisation des Nations unies chargée de la culture, 2) son pouvoir normatif et 3) une expertise technique sans égal. Avec 191 membres – puis 192 en 2003, avec le retour des Etats‐Unis ‐ elle était en mesure de donner à la Convention une portée réellement universelle 54 . Alimentant sa propre dynamique et conférant à l’affaire un retentissement mondial, la question de la diversité culturelle et de l’opportunité d’un cadre normatif est débattue au sein de diverses instances intergouvernementales et non gouvernementales ainsi qu’au sein d’associations internationales, de professionnels de la culture et d’enceintes académiques nationales. Si le concept de diversité culturelle s’est imposé c’est parce qu’il répondait à deux questions clairement identifiée : comment faire en sorte que la libéralisation des échanges, engagée au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ne se solde ni par un laminage des cultures soumises à la loi du marché ni par un démantèlement des politiques publiques de soutien à la création ? Et comment faire pièce à l’hégémonisme culturel et à la concentration des industries sans casser la dynamique des échanges, ni susciter en retour un réflexe protectionniste ou un repli identitaire ? 55 54
Jean Musitelli nuance cependant : « Certes, il a fallu compter avec une attitude parfois louvoyante de la direction de l’Organisation, soucieuse de ne pas mécontenter Washington. Dans la phase finale de la négociation, le directeur général a vainement plaidé pour la recherche d’un consensus que l’hostilité de principe affichée par les représentants américains rendait, en tout état de cause, impossible. Mais, en définitive, les services de l’organisation, conscients que la crédibilité de l’UNESCO était en jeu, ont œuvré avec une louable diligence. » 55
Voir l’analyse de Jean Musitelli. 32/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 En 2002, l’Alliance globale pour la diversité culturelle est lancée à l’initiative de l’UNESCO. Elle vise à établir des partenariats entre secteurs public et privé et avec la société civile pour renforcer les industries culturelles dans les pays en développement par l'échange d'expériences, de savoir faire et de pratiques optimales et par le renforcement des capacités. Les projets vont du niveau local « de personne à personne » jusqu’à l'introduction de cadres politiques, législatifs et réglementaires. Le 20 décembre 2002, l’Assemblée générale des Nations Unies proclame le 21 mai « Journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et le développement ». La Conférence générale de 2003 est le théâtre de trois événements importants : 1) l’UNESCO adopte la « Convention sur la protection du Patrimoine culturel immatériel » ‐ nous en avons parlé plus haut ‐ ; 2) elle adopte une résolution invitant le Directeur général à lui soumettre à sa prochaine session en 2005, un « avant‐projet de Convention internationale sur la protection de la diversité des contenus culturels et des expressions artistiques » et… 3) elle célèbre le retour des Etats‐Unis d’Amérique en son sein. Il n’entre pas dans l’objet de ce mémoire de revenir sur le détail des conditions de ce retour, qui était davantage lié à la situation internationale et à l’intervention américaine en Irak qu’aux programmes de l’UNESCO. Il importe tout de même de faire ici état de l’opposition systématique que le projet de Convention a suscitée de la part des Etats‐unis, représentés alors par l’administration de Georges W. Bush. L’ordre du jour de la Conférence générale, comprenant le projet de résolution sur « l’opportunité de l'élaboration d'un instrument normatif international concernant la diversité culturelle », est adopté le 28 septembre… trois jours avant le retour officiel des Etats‐
Unis qui n’interviendra, pour des raisons budgétaires internes, que le 1er Octobre. 33/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 La résolution fut cependant votée le 17 octobre 2003 ‐ les Etats‐Unis se ralliant à contrecœur au très large consensus 56 ‐ mettant en route les travaux d’élaboration de la future Convention. Renonçant à l’obstruction de forme, c’est la lourde machinerie diplomatique américaine de l’administration de l’époque qui va se mettre en marche au cours des deux années qui précédèrent la Conférence générale de 2005. L’opposition américaine au projet fut immédiate et radicale, tant à l’UNESCO que sur le terrain bilatéral, par une manœuvre de contournement consistant à conclure des accords de libre‐échange comportant des clauses culturelles. Les données suivantes issues du dossier de presse préparé par le PNUD pour la sortie du Rapport mondial sur le développement humain de 2004 suffisent à éclairer les positions respectives sur ce sujet majeur du soft power dans les relations internationales. La diversité culturelle artistique s’affadirait radicalement si elle était laissée seule en proie aux forces du marché, au détriment final de la culture mondiale. Les preuves économiques sont confondantes : • Le commerce mondial des média de divertissement ‐ cinéma, radio, musique, littérature, arts visuels ‐ a quadruplé au cours des deux dernières décennies, passant de 95 milliards de dollars à une estimation avoisinant les 380 milliards de dollars. 80 % environ du flux de ce commerce culturel ne vient que de 13 pays, les États‐Unis en tête. • La production des Etats‐Unis compte à elle seule pour 85 pour cent des films projetés dans le monde. Les 10 films les plus vendus de tous les temps, sur les marchés à l’extérieur des Etats‐
Unis ont tous été faits aux Etats‐Unis, le film Titanic (sorti en 1997) en tête, avec plus de 1,2 milliards de dollars de recettes sur les marchés internationaux. » 56
Sur les 81 représentants d'Etats membres qui ont pris la parole au cours du débat, 75 ont approuvé sans réserve le projet de résolution présenté par le Directeur général. Le groupe des 77, qui regroupe les 134 pays en développement, s'est collectivement prononcé en faveur du projet. Le consensus a débordé très au‐delà des cercles traditionnellement les plus actifs, tels que les membres du RIPC et ceux de la francophonie, pour embrasser des pays du Sud (Inde, Chine, Corée, Algérie, Brésil, Argentine, Mexique), d'Europe centrale et orientale (Pologne, Russie, République tchèque) ainsi que de très nombreux anglophones (Nouvelle‐Zélande, Nigeria). 34/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Les critiques américaines portaient sur quatre points principaux : l’incompétence de l’UNESCO, le protectionnisme déguisé, l’étatisme et l’atteinte aux droits de l’homme 57 . Le texte même de la Convention contredira chacun de ces arguments et la mobilisation massive qu’elle suscitera ne permettra pas aux Etats‐Unis d’imposer ses vues. Mais, en réalité les vraies raisons d’une hostilité aussi farouche sont de trois ordres. Outre celui des intérêts économiques concurrents, illustrés plus haut, les deux autres portent sur des visions antagonistes de la culture et sur son rôle comme levier de puissance. Là où les Européens parlent de culture, les Américains parlent de divertissement. D’un côté on considère, comme dans de nombreux pays, que les biens culturels incorporent et véhiculent du sens, des valeurs, des idées, concourent à façonner l’identité d’une collectivité, ils conservent un fond de sacralité, de l’autre, en termes de traitement commercial, il n’y a aucune différence entre les biens et service culturels et les autres productions. Les politiques culturelles destinées en Europe à stimuler la création et à élargir l’accès au public, sont considérées aux Etats‐Unis au mieux comme des entraves aux lois du marché, au pire comme un contrôle de l’Etat sur la création 58 . Ce sont les mêmes Américains qui théorisent dès 1996 de façon limpide la théorie du soft power 59 , prônent l’homogénéisation culturelle et la nécessité d’exporter le modèle américain 60 . Cette perception des produits culturels comme un puissant véhicule du sens et des valeurs est bien celle‐là même qui fonde la Convention de 2005 61 ! Il est utile de préciser cependant que le monde de la culture aux Etats‐Unis 57
Voir sur l’attitude des Etats‐Unis sur ce dossier, l’article de Jean Musitelli, Les Etats‐Unis et la diversité culturelle : histoire d’un rendez‐vous manqué, Politique américaine n°6, 2006. 58
Notons cependant que la politique fiscale américaine compense en partie la faiblesse de la politique budgétaire. 59
Joseph S. Nye et William A. Owens, America’s Information Edge, 1996. 60
David Rothkop, In Praise of Cultural Imperialism ? Effects of Globalization on Culture, 1997. 61
Mme Richardson, Vice‐Présidente de la Motion Picture Association of America (MPAA) qui regroupe les sept majors d’Hollywood, déclarait en 2003 que la différence entre Hollywood et le reste du monde tient à ce qu’ « Hollywood s’est spécialisé dans le cinéma de divertissement with global appeal alors que les autres pays sont spécialisées dans les productions pour les marchés locaux. » Déclaration que Jean 35/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 n’est pas monolithique et que bien des auteurs et créateurs qui font la grandeur de cette culture ne sont pas sur les mêmes positions. Les travaux préparatoires de l’avant‐projet de Convention durent deux ans. L’objectif est ambitieux et la finalité présentée ainsi par l’un des experts directement impliqués dans l’élaboration de la convention : « il importe d'éclairer le sens du travail forcément technique et juridique qui se déroulera à l'UNESCO par les éléments de contexte stratégique qui lui conféreront la plénitude de sa signification et toute sa portée dynamique. La reconnaissance et la garantie de la diversité culturelle constitue certes un but en soi. C'est aussi une composante active du développement durable » 62 À la suite de nombreuses consultations et réunions impliquant tant des professionnels de la culture que des organisations intergouvernementales ‐ l’OMC, la CNUCED et l’OMPI ‐ et non gouvernementales ou les Etats membres de l’UNESCO, le projet de « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles » voit le jour. La « promotion » accolée à la « protection » dans l’intitulé de la Convention indique la volonté des Etats de ne pas succomber à un réflexe de repli identitaire ou de fermeture mais de considérer que la diversité des expressions culturelles implique la liberté d’expression. Elle est adoptée le 20 octobre 2005, par la Conférence générale de l’UNESCO 63 . 148 Etats ont voté pour 64 , 2 ont voté contre – Musitelli qualifie de théorisation d’une division internationale du travail (marché mondial/marché local) qui assigne à chacun son rang (Hollywood/les autres pays). La Convention de 2005 a précisément pour but, selon la belle formule du président béninois de la commission culture de l’UNESCO, de surmonter la dichotomie entre « des cultures à part entière et des cultures entièrement à part ». 62
Jean Musitelli (qui n’est plus alors Ambassadeur de France auprès de l’UNESCO), La Convention sur la diversité culturelle, Planetagora, 2003 63
La bataille diplomatique et les efforts d'obstruction des Etats‐Unis ont paradoxalement amplifié la résonance de la convention. Le jour de l’adoption finale, dans la grande salle de l’UNESCO pleine à craquer, le vote demandé par les Etats‐Unis sur chacun de leurs 27 amendements visant à vider le texte de sa substance, a mis en évidence leur isolement d’une manière symbolique et répétitive au moment où 148 pays levaient la plaque où est inscrit leur nom pour voter pour, alors que deux plaques seulement se levaient pour voter contre. 64
L’Union européenne avait décidé de parler d’une seule voix et obtenu pour la Commission un statut d’observateur à la table des négociations. Le jour de l’adoption en Commission alors que l’Union est présidée par le Royaume‐Uni, son représentant adresse à celle des Etats‐Unis un symbolique : « Today, we agree to disagree ». 36/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 Etats‐Unis, Israël ‐ et 4 se sont abstenus ‐ Australie, Nicaragua, Honduras, Liberia. La Convention est entrée en vigueur le 18 mars 2007. Elle établit premièrement, la nécessité de reconnaître que les biens et services culturels sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens et ne peuvent être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres. Deuxièmement, elle reconnaît la nécessité pour les États de prendre toutes les mesures en vue de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles, quel que soit leur vecteur, tout en assurant la libre circulation des idées et des œuvres. Troisièmement, elle institue un cadre de partenariat destiné à aider les pays démunis à se doter d’outils de développement culturel, mettant ainsi l’accent sur le lien entre culture et développement. Enfin, elle donne force de loi internationale au principe de diversité culturelle en l’inscrivant comme tel dans le droit positif et non plus en tant qu’appendice du droit commercial. Cinq ans après son adoption, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles a été ratifiée par 116 pays. En conformité avec son article 18, un Fonds international pour la diversité culturelle 65 – dont les Directives ont été adoptées par la conférence des Etats parties en 2009 – soutient des projets et des activités qui visent à favoriser l'émergence d'un secteur culturel dynamique dans les pays en développement qui sont parties à Convention. Un point important mérite d’être souligné : le caractère exemplaire de la collaboration instaurée entre pouvoirs publics et professionnels de la culture tout au long de cette décennie 66 . D’une manière générale, la société civile et les organisations non gouvernementales ont été associées non seulement à l’élaboration des Conventions « culturelles » de l’UNESCO mais à leur mise en œuvre. 65
$ 2 889 557 en septembre 2010. Notons que plusieurs fonds globaux ont été créés dans le cadre des conventions de l’UNESCO du domaine de la culture afin d’en faciliter la mise en œuvre. Ils sont alimentés par des conventions. 66
La Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle FICDC, fondée en 2007, compte 42 coalitions nationales regroupant plus de 600 organisations professionnelles de la culture, y compris employeurs et syndicats. 37/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 De multiples initiatives de l’UNESCO témoignent d’une réflexion approfondie sur les enjeux de la diversité culturelle aujourd’hui. En attestent de nombreuses conférences, tables rondes, colloques, séminaires et réunions ainsi qu’une multitude de rapports, publications et études 67 . 2. Vers un nouveau paradigme du développement ? Dans son discours d’investiture en octobre 2009, la nouvelle Directrice générale de l’UNESCO fraîchement élue par les Etats membres déclare : « Il est désormais acquis que le développement est un processus holistique dont la culture est une composante majeure. Je regrette d’autant plus que la culture ne soit pas au nombre des Objectifs du Millénaire pour le développement. J’ai par ailleurs la ferme intention de relancer le débat sur les liens très étroits entre culture et développement ». Elle fait ainsi écho à son prédécesseur qui déclarait la même année : « La culture a été la grande oubliée des Objectifs du Millénaire pour le Développement ». Dès 2006, un des huit volets thématiques du Fonds pour la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (F‐OMD) établi entre le PNUD et le Gouvernement espagnol est consacré à la thématique de la culture et du développement. 18 programmes inter‐agences du système des Nations Unies illustrent, dans 18 pays, la contribution de la culture au développement, dans le but d’accélérer la réalisation des OMD. Financés pas l’Espagne à hauteur de 95 millions de dollars, ces programmes sont destinés à favoriser l’inclusion sociale et la réduction de la pauvreté par la promotion et la mise en valeur des ressources culturelles 68 . La forte implication de l’Espagne sur ce dossier aura une incidence certaine sur la mobilisation de l’Union européenne ‐ et 67
Voir site de l’UNESCO : http://portal.unesco.org/culture/fr/ev.php URL_ID=35258&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html 68
F‐OMD http://www.mdgfund.org/fr/aboutus 38/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 donc des instances onusiennes – qu’elle présidera dans le premier semestre de l’année 2010. A seulement cinq ans de la date butoir de la réalisation des OMD, cette année 2010 offre l’opportunité de placer la culture de manière plus centrale dans les projets et politiques de développement et de revisiter le paradigme international du développement. Certains éléments de fragilité du « paradigme OMD 69 » vont ainsi être dépassés par l’inclusion de la culture comme moyen d’atteindre ces Objectifs. Il ne s’agit plus d’abandonner l’approche « développementale » pour un but jugé trop social et redistributeur, mais de permettre à la fois l’appropriation du développement et la croissance économique. L’adoption d’objectifs identiques pour tous n’entre plus en contradiction avec l’approche libérale peu prescriptive des objectifs à atteindre. Un modèle libéral n’est efficace que dans la mesure où il est jugé au regard des préférences diversifiées de chacun. Or dans le paradigme des OMD, il est implicitement entendu que les préférences réelles de chacun sont effectivement la réalisation prioritaire des OMD. Le rôle instrumental des bénéficiaires n’est plus en tension avec un projet qui place la liberté comme valeur centrale. C’est bien l’appropriation des fins par les bénéficiaires qui sera déterminante. Enfin, l’inclusion de la culture permet de dépasser l’opposition entre les causes situationnelles et dispositionnelles de la pauvreté. Au fil du temps, les causes principales de la pauvreté sont restées les « mauvaises politiques » puis la « mauvaise gouvernance », mais les pauvres eux‐mêmes en ont été identifiés plus comme des victimes que comme des acteurs. La publication, à la fin de l’année 2009, du Rapport mondial de l’UNESCO intitulé Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel met en avant le bénéfice économique que peuvent retirer les entreprises qui investissent dans la 69
Selon Jean‐David Naudet, Les OMD et l’aide de 5e génération, 2006. 39/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 diversité culturelle, que ce soit au niveau de la gestion, des ressources humaines ou encore du marketing 70 . C’est à dessein que l’accent est mis par l’UNESCO sur la rentabilité économique. Souvent pris de haut par les industries lourdes, le secteur culturel est sous‐financé, en particulier dans les pays en développement, à cause de l’idée fausse que l’investissement y serait plus risqué. Ce raisonnement prive ces pays d’un levier stratégique et politique important. En avril 2010, l’UNESCO convie des experts des domaines de la finance, du développement, de la recherche et de la culture, à l’occasion d’un symposium sur La gestion des risques dans le financement de la culture. Il reste cependant que l’organisation du secteur de la culture est encore faible et manque de structures solides dans beaucoup de pays en développement. La gouvernance de ce secteur est donc un important défi à relever. Celle‐ci, on l’a vu, ne s’applique pas seulement au secteur public mais aussi à la société civile et aux acteurs privés. Les initiatives culturelles viennent le plus souvent de la base et constituent des vecteurs importants de développement local. La définition des politiques culturelles doit donc résulter d’une participation inclusive de tous les acteurs. L’UNESCO et l’Union européenne se sont très récemment associées pour renforcer le système de gouvernance de la culture dans 69 pays en développement ayant ratifié la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le but de cette coopération est d’aider les pays bénéficiaires à mettre en place le cadre législatif, réglementaire et/ou institutionnel nécessaire au développement de leur secteur culturel en facilitant l’élaboration de politiques incluant le rôle de la culture dans le développement économique et social, en particulier à travers les industries culturelles. Le but de ces politiques est de garantir aux artistes, aux professionnels de la culture et aux citoyens des pays bénéficiaires la possibilité de créer, de produire, de diffuser et d’avoir accès à une diversité d’activités, de biens et de services culturels, y compris les leurs. 70
Des données globales et nationales issues de ce rapport sont mentionnées en partie I de ce mémoire. 40/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 À l’approche du sommet sur les Objectifs du Millénaire, en septembre 2010 à New York, l’ONU recense les progrès accomplis en dix ans. En dépit d’avancées réelles, les résultats visés ne seront sans doute pas atteints en 2015, ou ne le seront que partiellement. À travers l’oubli de la culture dans la première déclaration des Objectifs du Millénaire, c’est le facteur humain qui a été négligé. Même cinq ans après cette première déclaration, le document final du sommet de 2005 ne comporte qu’une référence vague à « l’enrichissement de l’humanité » par toutes les cultures et civilisations et à la coopération entre ces dernières. La culture doit donc rattraper son retard et revendiquer sa place prioritaire dans la problématique du développement d’où elle n’aurait jamais dû être absente. Amartya Sen 71 définit le développement comme un processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus, en corrélation étroite les unes avec les autres. Si les libertés sont l’objectif prioritaire du développement, elles en sont aussi le principal vecteur. Il souligne qu’arriver à une compréhension globale du processus de développement permet de prendre en compte le rôle des valeurs sociales, des mœurs et des traditions qui influent sur les libertés et que les individus ont raison de vouloir préserver. En une formule qui résume parfaitement la nécessité de faciliter l’appropriation, il écrit : « Les politiques publiques doivent favoriser la vie que les gens ont raison de souhaiter. » Dans sa préface au Rapport sur le développement humain de 2004, l’administrateur du PNUD explicite à sa manière, cet enjeu du développement « il n’existe pas de règle simple – ni de règle universelle – quant à la meilleure manière de construire des sociétés multiculturelles viables. Même ainsi, une conclusion majeure s’impose : réussir n’est pas simplement une question de changements législatifs et politiques, si nécessaires soient‐ils. Les Constitutions et les législations qui apportent protections et garanties aux minorités, aux peuples autochtones et aux autres groupes, posent les 71
Amartya Sen, Un nouveau modèle économique, 2003. 41/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 fondations essentielles pour des plus grandes libertés. Mais à moins que la culture politique ne change elle aussi – à moins que les citoyens n’en viennent à penser, à ressentir, à agir de manière à faire sincèrement place aux besoins et aux aspirations d’autrui – il n’y aura pas de vrai changement. » L’action des Organisations internationales aura permis de faire comprendre au moins une partie du message anthropologique : la culture est là, elle est apprise, elle pénètre la vie de tous les jours, elle est importante, et elle est bien plus responsable des différences entre les groupes humains que ne le sont les gènes. L’UNESCO ‐ avec notamment le soutien plein et entier du Groupe des 77 ‐, la CNUCED, l’Union européenne et la Commonwealth Foundation se sont donc chacune mobilisées, tout au long de cette deuxième moitié de la décennie, pour alerter la communauté internationale sur l’impasse où mène la méconnaissance de la culture, pour démontrer en quoi elle peut être un puissant facteur de développement et pour inscrire la dimension culturelle au cœur de l’agenda mondial. Dès lors, il ne s’est pas agi de demander la définition d’un neuvième OMD mais bien de faire prendre conscience de la nécessité d’un changement dans l’ordre des priorités au niveau de la programmation et du financement du développement et d’une approche holistique pour déboucher sur un développement véritablement durable. La culture doit être un élément transversal de toutes les stratégies et politiques avec la participation de tous les acteurs et partenaires du développement. Le message de l’UNESCO est simple 72 et met en lumière ce caractère transversal : le succès de toute politique de développement dépend de la reconnaissance et de la prise en compte de la diversité culturelle. La culture est une composante essentielle du développement humain sui generis. On l’a vu, elle représente une source 72
Voir le discours du Directeur général adjoint de l’UNESCO au séminaire international « Culture et Développement », organisé par la Présidence espagnole de l’Union européenne, à Girona en mai 2010. Voir aussi le discours de la Directrice générale à l’Ecole des affaires internationales de Sciences Po en octobre 2010. 42/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 d’identité, d’innovation et de créativité pour les individus et les communautés mais aussi un outil de réconciliation et de cohésion sociale. Au delà, la culture possède une valeur intrinsèque pour la croissance économique et un atout essentiel pour réduire la pauvreté et mener à bien un développement durable. Partant de ce constat, une approche culturelle diversifiée et mainstreamed peut apporter des réponses aux défis de notre époque. De l’éradication de la pauvreté à la gestion des ressources naturelles en passant par la sauvegarde de la biodiversité et les conséquences du changement climatique. Seule une approche sensible à la culture peut traiter efficacement des problèmes de société tels que la lutte contre le Sida 73 , le planning familial, les violences faites aux femmes, les inégalités sociales. C’est une évidence de constater que les facteurs culturels influencent les comportements individuels et les manières d’interagir avec l’environnement naturel. Il y a donc beaucoup à apprendre des savoirs‐faire locaux, ruraux et indigènes pour le développement durable 74 . La CNUCED, dans son rapport sur l’économie créative, en 2008 démontre que la convergence entre créativité, culture, économie et technologie, qui se traduit par la capacité de créer et de faire circuler un capital intellectuel, est potentiellement un moyen de générer des revenus, des emplois et des recettes d’exportation tout en favorisant l’inclusion sociale, la diversité culturelle et le développement humain. Parallèlement, l’Union européenne a dès 2007 75 proposé « l’intégration systématique de la dimension culturelle et des différentes facettes de la culture dans l’ensemble des 73
Pour illustrer cet aspect, citons la déclaration finale du sommet des Nations‐Unies OMD+10 en septembre dernier concernant l’objectif 6 : « (…) Les programmes de prévention devraient prendre en compte les conditions, les valeurs morales et les valeurs culturelles locales, notamment prévoir des activités d’information, d’éducation et de communication dans les langues les mieux comprises localement, et devraient, dans le respect des sensibilités culturelles, avoir pour but de décourager les comportements dangereux et encourager les comportements sexuels responsables. » 74
Notons cependant que la promotion, par l’UNESCO et par l’UE, d’une approche mainstreamed est tempérée dans le discours officiel de l’UNESCO par le bilan de l’expérience concernant l’égalité des sexes qui en pratique, n’a pas abouti aux résultats escomptés. 75
Dans l’Agenda européen de la culture à l’ère de la mondialisation. 43/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 politiques, projets et programmes en matière de relations extérieures et de développement ». La culture est présentée comme une ressource à part entière et l’accès à la culture considéré comme une priorité dans les politiques de développement. Le Traité de Lisbonne fait référence à la Convention de 2005 qui est par ailleurs inscrite dans le droit interne de la grande majorité des Etats membres de l’Union. En décembre 2009, le Directeur général du développement de la Commission européenne fait état de la nouvelle approche du lien entre culture et développement dans la stratégie de développement de l’Union européenne 76 : « This new approach would like to introduce the cultural dimension as a holistic element of the european developement policy strategy, mainstreaming culture from common trunk of developement to all of its different branches. » Dans ses conclusions « sur les objectifs du millénaire pour le développement en vue de la réunion plénière de haut niveau des Nations Unies à New York et au‐delà », le Conseil européen de juin 2010 affirme à l’article 16 , afin d’ « Appuyer la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement d'ici 2015, l'UE considère que la dimension culturelle devrait être prise en compte pour la conception des stratégies et des programmes de développement, et elle encourage les pays partenaires à formuler leurs politiques culturelles et à envisager de faire du secteur de la culture un des domaines de la coopération internationale. » Enfin, le groupe des pays ACP‐UE dans son accord de septembre 2010 indique que ces pays « ont conscience que les stratégies et les programmes de développement doivent tenir dûment compte des cultures locales si l'on veut que les populations concernées se les approprient et qu'ils donnent des résultats durables. La dimension culturelle doit faire partie intégrante des politiques de développement et inspirer l'élaboration des stratégies et programmes de développement. » La parution fin 2010 d’un livre vert sur les industries culturelles sera l’occasion d’exprimer à nouveau les positions de l’UE sur 76
Stefano Manservisi, Is there a new approach to Culture and development in the Strategy of the EU development Policy ?, 2009. 44/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 le traitement qui doit être réservé au secteur culturel dans les accords avec les pays tiers. La Fondation du Commonwealth 77 a elle aussi été très active sur ce sujet. Grâce aux travaux de son « Groupe du Commonwealth sur Culture et Développement », la Fondation publie en 2010 une Déclaration très argumentée, exemples concrets à l’appui, dont le but déclaré est : « to highlight the importance of the multiple connections between culture and development and the added value that can be acchieved by taking greater consideration of culture in development. » La Fondation souligne qu’en faisant prendre conscience aux Gouvernements du Commonwealth mais aussi aux donateurs, à la société civile et au public en général des connections étroites entre culture, créativité et un développement efficace, le but est d’encourager des méthodes et pratiques de développement plus durables et d’accroître la contribution de la culture au développement économique et social et à la prévention des conflits 78 . Pendant le premier semestre 2010, alors que se prépare déjà le document final du Sommet du millénaire +10 qui se déroulera en septembre, un intense lobbying diplomatique est à l’œuvre pour qu’y figure la dimension culturelle 79 . L’UNESCO prend l’initiative d’une table ronde de haut niveau, co‐animée par la Commission de l’Union africaine et la Commission de l’Union européenne ‐ qui se tiendra pendant que se déroule le sommet ‐ destinée à convaincre les leaders mondiaux, les organisations du système des Nations Unies, les institutions de développement et la société civile de la nécessité de considérer la culture comme une 77
Organisation intergouvernementale créée par les chefs de gouvernement du Commonwealth en 1965. Elle comprenait 47 membres en décembre 2009. Voir Commonwealt Statement on Culture and Developement, 2010. 78
La déclaration du Commonwealth prend aussi note de plusieurs accords régionaux qui cherchent de différentes manières à relier la culture et le développement : le New Partnership for Africa’s Developement Framework de 2001, le Plan Pacifique de 2007, l’Accord de partenariat économique UE‐
CARIFORUM de 2008 et la Declaration of Commitment of the Fifth Summit of the Americas de 2009. 79
Les deux négociateurs de ce document au nom de l’ONU seront les représentants du Danemark et du Sénégal. 45/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 partie intégrante du développement. Le but de l’UNESCO est de déclencher la création d'une plate‐forme internationale inclusive sur le rôle de la culture dans le cadre de l'agenda global du développement durable. En perspective, se trouvent le Sommet de la terre prévu en 2012 ‐ appelé aussi Rio +20 en référence au premier sommet tenu à Rio de Janeiro en 1992 ‐ et le projet, en 2013, d’un sommet des Nations Unies sur la culture et le développement. La démarche de tous est couronnée de succès. Dans leur déclaration finale du sommet de New York, les Nations Unies représentées par leurs Chefs d’Etat et de gouvernement soulignent pour la première fois l’importance de la diversité culturelle, et le rôle du secteur culturel comme ressource stratégique à part entière. La communauté internationale est ainsi invitée à considérer qu’une stratégie de développement durable ne peut être « culturellement neutre ». Elle doit non seulement intégrer la dimension culturelle, mais tirer bénéfice de l’interaction dynamique entre les cultures. La culture est à la fois le meilleur allié du développement, mais elle est aussi à l’inverse le meilleur rempart aux obstacles au développement.
C’est dans la première partie du document, intitulée : « Tenir les promesses : unis pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement », que l’article 16 stipule : « Conscients de la diversité de la planète, nous savons que toutes les cultures et toutes les civilisations apportent à l’humanité une contribution enrichissante. Nous insistons sur l’importance que revêt la culture en tant que facteur du développement et sur ce qu’elle apporte à la réalisation des objectifs du Millénaire. » Dans la troisième partie intitulée : « La voie à suivre : programme d’action en vue de la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement à l’échéance de 2015 », l’article 66 souligne : « Nous considérons que la dimension culturelle est importante pour le développement. Nous encourageons la coopération internationale dans le domaine culturel, en vue de réaliser les objectifs de développement. » 46/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 La prise en compte du facteur culturel n’est pas seulement un ajout ou une inflexion légère : elle appelle de proche en proche un changement total de perspective. Il s’agissait jusqu’alors de considérer la culture comme le quatrième pilier du développement. Elle en devient aujourd’hui la poutre maîtresse. Conclusion Le concept de développement, originellement façonné pour transcrire l’impulsion fondamentale de l’occident à changer le monde, est aujourd’hui voué à emprunter beaucoup à l’usage immémorial du reste de l’humanité qui fut partout et toujours de préserver le monde. Il est en phase de transformation profonde. C’est sous la pression des effets insoutenables sur l’environnement engendrés par le seul développement occidental d’une part, et de l’impossibilité mathématique d’en étendre le bénéfice à une humanité qui aura quadruplé en deux siècles, que cette mutation a été entamée. La notion de diversité culturelle, affinée par l’UNESCO entre 2000 et 2005, concourt à repenser le développement de manière stratégique, non comme une panacée mais comme le catalyseur sans lequel rien n’est possible. Il demeure en effet évident et irréversible que le développement est et demeure pour tous une affaire économique. C’est le premier pilier, autrefois le seul, aujourd’hui le principal. Depuis longtemps, les marchés se sont chargés d’explorer les diversités culturelles pour offrir aux populations ce dont leurs us et coutumes leur font un besoin. On ne propose guère de vin aux musulmans, ni d’armoires normandes aux 47/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 japonais, même si la dynamique de l’offre impulsée par l’occident, tend à façonner la demande et à unifier les consommations : le monde entier achète du football sur petit écran et construit donc des stades. C’est même pour beaucoup un des grands emblèmes du développement. Ce développement « facile » modelé par la dynamique économique occidentale rencontre aujourd’hui les limites de ses effets et de ses ressources : réchauffement climatique, raréfaction relative et surtout tendancielle des matières premières, pollution et dégradation parfois irréversible de l’environnement. Le deuxième pilier du développement ‐ celui de l’environnement ‐ est ainsi devenu aussi important que le premier. Il conditionne la durabilité du développement et modifie substantiellement sa nature. La diversité culturelle, en contrariant la seule logique d’expansion économique, avec ses effets d’homogénéisation des comportements et des aspirations, multiplie les formes sous lesquelles l’environnement peut être pris en compte. Elle présente un réservoir de bonnes pratiques, héritées de siècles de difficile insertion dans l’environnement. Elle présente des filtres mentaux sans lesquels il est impossible de faire avancer une conscience environnementale. Elle devient par là une variable stratégique. Mais la dimension sur laquelle la diversité culturelle prend toute son envergure est celle de l’appropriation sociale. Ni l’expansion économique, ni l’adaptation à l’environnement ne conduisent à un développement tant que le corps social n’a pas intégré à son fonctionnement les conséquences de ces deux forces fondamentales. Le développement durable ne peut se piloter par en haut sans conséquences néfastes, qu’on a longtemps appelées « sous développement ». Dans cette appropriation citoyenne 80 de l’enjeu clé que représente le développement durable, la diversité culturelle est décisive. Son concept même qui éveille à la perception, à l’exploration et 80
Selon la formule de Pierre Rosanvallon 48/52
MA Théobald ‐ novembre 2010 à la compréhension d’une pluralité culturelle, est un révélateur de la ressource que constitue cette pluralité grâce à laquelle peut progresser le sens de la diversité. Devenu moteur pour la première force, l’économie, déterminant pour la seconde, l’écologie et décisif pour la troisième, l’appropriation citoyenne, il est vital de le promouvoir. La culture est le discriminant des développements 81 . La « dialectique entre cultures et développements redevient de nos jours ce qu’elle fut de tout temps, l’enjeu décisif de l’histoire du monde. Dès lors que la prétention prométhéenne à la dépasser qu’eut pendant quelques décennies le monde issu de la révolution industrielle révèle ses limites – différences accentuées, résilience du globe menacée – c’est elle qui gouverne l’avenir du monde. » 81
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