Paradigmes de l'âme : littérature et aliénisme au XIXe siècle GENCOD : 9782878545531 PASSAGE CHOISI Romantisme et aliénisme Didier Philippot Si forte est la doxa psychanalytique, si omniprésente et omnipotente sa prétention à la vérité qu'on en oublierait volontiers qu'elle n'est pas née d'elle-même, qu'elle a une histoire dont on peut retracer la généalogie, qu'elle ne constitue pas un point de départ absolu, mais l'un de ces paradigmes ou l'un de ces faisceaux de paradigmes variables que nous nous proposons de dégager ici en les replaçant dans leur contexte historique : il y a une vie, et il y a une psychologie avant Freud. Dans Maupassant, juste avant Freud, livre fort stimulant, Pierre Bayard tentait d'expliquer Maupassant à partir de lui-même, en l'affranchissant de toute projection freudienne a posteriori qui l'aurait désigné comme un précurseur nécessaire. Non pas Maupassant d'après Freud, ni Maupassant précurseur de Freud, mais Maupassant tel qu'en lui-même, à la recherche, fatalement tâtonnante, d'un nom à mettre sur le malaise intérieur. De sorte que l'effort littéraire se caractériserait par son caractère préthéorique et que Le Horla, le nom même de l'Autre innommable, vaudrait tout autant comme essai quasi phénoménologique de nomination. Avant Freud, et avec Maupassant, ce sont d'autres paradigmes décelables dans l'oeuvre, qui auraient pu connaître une fortune différente et supplanter - qui sait ? - ceux du freudisme postérieur : à l'importance cruciale de la théorie du refoulement s'opposerait chez Maupassant une tout autre interrogation, vitale, sur l'identité et sur le rapport à l'Autre, qu'il soit intérieur ou extérieur. Mais si cette approche foncièrement paradoxale a le mérite, par une sorte d'épochè, de suspendre toute projection intentionnelle pour laisser émerger l'enquête psychologique de Maupassant dans la seule lumière singulière de l'oeuvre et de ses obsessions repérables, elle suppose sans doute un peu vite, à rebours de sa propre intention, que l'absence de filiation freudienne annule tout effort théorique : que l'oeuvre de Maupassant soit travaillée, sourdement, par d'autres paradigmes, ne veut pas dire qu'ils lui soient absolument propres. Ceux qu'adopte Maupassant ne sont-ils pas justement propres à son siècle, à la psychologie de son siècle, ce qui expliquerait qu'ils ne correspondent pas à ceux du freudisme ? Avant d'affirmer le caractère préthéorique de l'oeuvre de Maupassant, encore faudrait-il la confronter avec les théories psychologiques de son temps, ce qui n'a guère été fait systématiquement. Ce que démontre cet exemple précis, au-delà du seul cas de Maupassant, c'est bien la présence d'autres paradigmes, comme celui du volontaire et de Y involontaire, parfaitement compatible avec ce grand tourment infligé aux héros de Maupassant comme au tempérament même de l'artiste : le tourment de la lucidité, du dédoublement réflexif qui ferme l'accès au paradis perdu de la simplicité ; ou encore celui de l'aliénation, plus prégnant sans doute que tout autre schéma dans l'oeuvre. Si Maupassant recoupe ainsi une sorte de préhistoire de la modernité, c'est bien parce qu'il y a une psychologie avant Freud. Par cette remarque initiale, nous rejoignons le propos même de notre réflexion collective, dont on pourrait se risquer à formuler comme suit le postulat central : il existerait une remarquable convergence historique entre, d'une part, l'émergence d'une nouvelle discipline, qui se cherche entre philosophie et science, science et para-science : l'aliénisme, placé sous la double tutelle inspiratrice de Pinel et d'Esquirol, et, d'autre part, la révolution dans les lettres, pour parler comme Hugo, qui aurait nom : romantisme. Hypothèse puissante, mais qui, comme toute hypothèse globale, n'est pas dénuée de failles secrètes, et qui appelle donc une discussion nécessairement féconde. EN SAVOIR PLUS SUR CE LIVRE Consultez la fiche complète de ce livre sur PassageDuLivre.com Commandez ce livre sur Fnac.com