Corpus sur le personnage acteur au théâtre

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Corpus sur le personnage acteur au théâtre
Hamlet Acte III, Scène 2 de SHAKESPEARE (1602)
La grande salle du château
Au fond, La scène dressée.
Entrent Hamlet et trois des comédiens
HAMLET, au premier comédien.
« Dites ce texte à la façon dont je vous l’ai lu, n’est-ce pas, d’une voix déliée et
avec aisance, car si vous le déclamiez comme font tant de nos acteurs, mieux
vaudrait que je le confie au crieur public. Et n’allez pas fendre l’air avec votre main
comme ceci, mais soyez mesurés en tout, car dans le torrent, dans la tempête, dans
l’ouragan, dirai-je même, de la passion, vous devez trouver et faire sentir une sorte
de retenue qui l’adoucisse. Oh ! cela me blesse jusque dans l’âme, d’entendre ces
grands étourneaux sous leurs perruques mettre en pièces, oui en lambeaux, et
casser les oreilles du parterre qui ne sait d’ailleurs apprécier le plus souvent que
les pantomimes inexplicables et le fracas ! Je voudrais le fouet pour ces gaillards
qui en rajoutent à Termagant (1) et qui renchérissent sur Hérode (1). Evitez cela,
je vous prie.
LE PREMIER COMEDIEN
J’en fais la promesse à Votre Honneur.
HAMLET
Ne soyez pas non plus trop guindés, fiez-vous plutôt à votre jugement et réglez le
geste sur la parole et la parole sur le geste en vous gardant surtout de ne jamais
passer outre à la modération naturelle car tout excès de cette sorte s’écarte de
l’intention du théâtre dont l’objet a été dès l’origine, et demeure encore, de
présenter pour ainsi dire un miroir à la nature et de montrer à la vertu son
portrait, à l’ignominie son visage, et au siècle même et à la société de ce temps
quels sont leur aspect et leurs caractères. ».
1) Termagant, un prétendu Dieu des Musulmans et Hérode, roi de Judée étaient
des personnages des mistères (pièces religieuses qui retraçaient des épisodes
de la Bible).
L’Illusion comique, de Pierre Corneille ACTE V , scène 5 (1637)
Depuis dix ans, Pridamant est sans nouvelle de son fils Clindor. Il se rend auprès du
magicien Alcandre dans l’espoir de le retrouver. Celui-ci fait apparaître Clindor en riche
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seigneur et Pridamant suit ses aventures. Nous sommes à la dernière scène de la pièce :
Clindor vient de mourir mais dans un coup de théâtre il réapparaît, attablé avec ennemis
et amis à compter de l’argent …
Pridamant.
Que vois-je ? Chez les morts compte-t-on de l' argent ?
Alcandre.
Voyez si pas un d' eux s' y montre négligent.
Pridamant.
Je vois Clindor ! Ah dieux ! Quelle étrange surprise !
Je vois ses assassins, je vois sa femme et Lyse !
Quel charme en un moment étouffe leurs discords,
pour assembler ainsi les vivants et les morts ?
Alcandre.
Ainsi tous les acteurs d' une troupe comique,
leur poëme récité, partagent leur pratique :
l' un tue, et l' autre meurt, l' autre vous fait pitié ;
mais la scène préside à leur inimitié.
Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles,
et, sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,
le traître et le trahi, le mort et le vivant,
se trouvent à la fin amis comme devant.
Votre fils et son train ont bien su, par leur fuite,
d' un père et d' un prévôt éviter la poursuite ;
mais tombant dans les mains de la nécessité,
ils ont pris le théâtre en cette extrémité.
Pridamant.
Mon fils comédien !
Alcandre.
D' un art si difficile
tous les quatre, au besoin, ont fait un doux asile ;
et depuis sa prison, ce que vous avez vu,
son adultère amour, son trépas imprévu,
n' est que la triste fin d' une pièce tragique
qu' il expose aujourd' hui sur la scène publique,
par où ses compagnons en ce noble métier
ravissent à Paris un peuple tout entier.
Le gain leur en demeure, et ce grand équipage,
dont je vous ai fait voir le superbe étalage,
est bien à votre fils, mais non pour s' en parer
qu' alors que sur la scène il se fait admirer.
Pridamant.
J' ai pris sa mort pour vraie, et ce n' étoit que feinte ;
mais je trouve partout mêmes sujets de plainte.
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Est-ce là cette gloire, et ce haut rang d' honneur
où le devoit monter l' excès de son bonheur ?
Alcandre.
Cessez de vous en plaindre. à présent le théâtre
est en un point si haut que chacun l' idolâtre,
et ce que votre temps voyoit avec mépris
est aujourd' hui l' amour de tous les bons esprits,
l' entretien de Paris, le souhait des provinces,
le divertissement le plus doux de nos princes,
les délices du peuple, et le plaisir des grands :
il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;
et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
par ses illustres soins conserver tout le monde,
trouvent dans les douceurs d' un spectacle si beau
de quoi se délasser d' un si pesant fardeau.
Même notre grand roi, ce foudre de la guerre,
dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,
le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
prêter l' oeil et l' oreille au théâtre françois :
c' est là que le Parnasse étale ses merveilles ;
les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles ;
et tous ceux qu' Apollon voit d' un meilleur regard
de leurs doctes travaux lui donnent quelque part.
D' ailleurs, si par les biens on prise les personnes,
le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes ;
et votre fils rencontre en un métier si doux
plus d' accommodement qu' il n' eût trouvé chez vous.
Défaites-vous enfin de cette erreur commune,
et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune.
Pridamant.
Je n' ose plus m' en plaindre, et vois trop de combien
le métier qu' il a pris est meilleur que le mien.
Il est vrai que d' abord mon âme s' est émue :
j' ai cru la comédie au point où je l' ai vue ;
j' en ignorois l' éclat, l' utilité, l' appas,
et la blâmois ainsi, ne la connoissant pas ;
mais depuis vos discours mon coeur plein d' allégresse
a banni cette erreur avecque sa tristesse.
Clindor a trop bien fait.
Alcandre.
N' en croyez que vos yeux.
Jean Rotrou, Le véritable Saint Genest (1647)
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Genest est un acteur païen. Il doit jouer un drame retraçant le martyre du chrétien Adrien,
devant l'empereur romain Dioclétien, qui persécute les chrétiens. Genest va s'identifier au cours
de cette scène à son personnage, Adrien.
GENEST, seul, repassant son rôle, et se promenant.
Il serait, Adrien, honteux d'être vaincu
Si ton dieu veut ta mort, c'est déjà trop vécu ;
J'ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
Que j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux 1,
Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.
Il répète ces quatre vers.
J'ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
Que j'osai t'envoyer, par des chemins de flammes)
Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux,
Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.
Et puis ayant un peu rêvé, et ne regardant plus son rôle, il dit :
Dieux, prenez contre moi ma défense et la vôtre ;
D'effet, comme de nom, je me trouve être un autre ;
Je feins moins Adrien, que je ne le deviens,
Et prends avec son nom, des sentiments Chrétiens ;
Je sais (pour l'éprouver) que par un long étude2,
L'art de nous transformer, nous passe en habitude ;
Mais il semble qu'ici, des vérités sans fard,
Passent3, et l'habitude, et la force de l'art,
Et que Christ me propose une gloire éternelle,
Contre qui ma défense est vaine et criminelle ;
J'ai pour suspects vos noms de Dieux et d'immortels ;
Je répugne aux respects qu'on rend à vos autels ;
Mon esprit à vos lois secrètement rebelle,
En conçoit un mépris qui fait mourir son zèle
Et comme de profane, enfin sanctifié,
Semble se déclarer, pour un crucifié;
Mais où va ma pensée, et par quel privilège
Presque insensiblement, passé4-je au sacrilège,
Et du pouvoir des Dieux, perds-je le souvenir ?
II s'agit d'imiter, et non de devenir.
1. Il arrivait qu'on martyrisât les chrétiens en les faisant brûler dans des taureaux de bronze.
Toutes ces références renvoient à des pratiques de supplices qui leur étaient infligés.
2 étude : masculin au XVII" siècle.
3 Passent : surpassent.
4 passé-je : inversion de « je passe ».
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L’Impromptu de Versailles de Molière (1663)
MOLIÈRE: J'avais songé une comédie où il y aurait eu un poète, que j'aurais représenté moimême, qui serait venu pour offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la
campagne. "Avez-vous, aurait-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire
valoir un ouvrage, car ma pièce est une pièce. - Eh! Monsieur, auraient répondu les comédiens,
nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons
passé. - Et qui fait les rois parmi vous? - Voilà un acteur qui s'en démêle parfois. - Qui? ce jeune
homme bien fait? Vous moquez-vous? Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre, un roi,
morbleu! qui soit entripaillé comme il faut, un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir
un trône de la belle manière. La belle chose qu'un roi d'une taille galante! Voilà déjà un grand
défaut; mais que je l'entende un peu réciter une douzaine de vers." Là-dessus le comédien aurait
récité, par exemple, quelques vers du roi de Nicomède:
Te le dirai-je, Araspe? Il m'a trop bien servi;
Augmentant mon pouvoir.
le plus naturellement qu'il aurait été possible. Et le poète: "Comment? Vous appelez cela réciter?
C'est se railler: il faut dire les choses avec emphase. écoutez-moi.
(Imitant Montfleury, excellent acteur de l'Hôtel de Bourgogne.)
Te le dirai-je, Araspe?. Etc.
Voyez-vous cette posture? Remarquez bien cela. Là, appuyez comme il faut le dernier vers. Voilà
ce qui attire l'approbation, et fait faire le brouhaha.
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