Séquence 2 : l'apologie du théâtre (V,6). Eléments de commentaire I. Le dénouement La scène 6 de l'acte V est la dernière de la pièce. On s'attend donc à y voir le dénouement de la pièce. Au moment où notre extrait commence, Pridamant vient de voir son fils tomber mort sous les coups d'Eraste. Notre passage vient bien apporter le dénouement à la pièce enchâssante, puisque Pridamant apprend que son fils est vivant, qu'il habite à Paris où il exerce le métier de comédien. De plus, le père et le fils vont sans doute se réconcilier, puisque Pridamant décide de courir rejoindre son fils (v.72-73). Mais ces seules informations ne méritaient pas un tel dénouement, et ne justifiaient pas non plus le procédé de théâtre dans le théâtre sur lequel repose la pièce. On peut aussi se poser la question du sens des derniers mots : Pridamant va-t-il monter à Paris ? Vat-il vraiment y retrouver Clindor ? Quels éléménts, après tout, garantissent-ils que ce qu'a montré Alcandre est vrai ? II. Du registre polémique au registre didactique Le début de l'échange voit une opposition violente entre les deux personnages. Pridamant se rebelle contre les méthodes d'Alcandre qui lui a doublement menti, d'abord en lui laissant croire que son fils était mort, ensuite en lui disant qu'il se trouvait dans une position glorieuse. Au-delà de la question du mensonge, Pridamant ne partage pas du tout la conception d'Alcandre, selon laquelle le métier de comédien est un métier honorable. Il y a donc un affrontement polémique, qui renvoie à la conception du théâtre qui avait cours à l'époque de Corneille. Mais plus qu'au registre polémique, ce texte semble appartenir au registre didactique : Alcandre parle beaucoup plus que Pridamant, qui ne présente aucun argument pour soutenir sa thèse. De plus, malgré la révolte exprimée aux vers 21 et 33-36, il reprend vite la position d'élève qui est la sienne durant toute la pièce. Il semble en effet au vers 63 convaincu par l'argumentation d'Alcandre. III. L'argumentation d'Alcandre : la défense du théâtre Alcandre s'efforce ici de convaincre Pridamant, et à travers lui le public, que le théâtre est un art noble. 1. Argument implicite : l'art du comédien est un art prodigieux qui fait croire ce qui n'est pas. (cf. la métamorphose de Clindor en prison). Cet argument est présent dans les vers 11 et suivants. 2. Conséquence de cet argument : le théâtre est capable de toucher le public (vers 11, sentiment tragique de pitié), ce qu'exprime le verbe « ravissent » au vers 28, qui signifie au sens propre « emporter ». voir champ lexical vers 42-43. 3. Argument de fait : le théâtre est aujourd'hui idolâtré de tous et partout : c'est non seulement un divertissement pour le peuple de Paris et de la province, mais également pour la noblesse de la pensée (v.41) et de la société (v. 41-42). Relevez l'énumération puis l'hyperbole. 4. Argument d'autorité : le roi lui-même s'intéresse au théâtre. 5. Après les comédiens, Corneille défend les auteurs de théâtre qui sont les artistes les plus accomplis et de très grands savants. 6. Enfin, le métier de comédien est honorable, puisqu'il rapporte de l'argent. Alcandre n'ajoute cet argument que pour achever de persuader Pridamant (il s'adapte à son auditeur, très préoccupé par la fortune de son fils depuis le début de la pièce) : lui-même méprise l'argent, comme on le voit dans la fin de la pièce, où éclate son désintéressement. Pridamant, en bon élève, reprend et résume dans sa réplique des vers 63-71 l'argumentation d'Alcandre. IV. Défense des comédiens ou défense des auteurs ? Même s'il évoque implicitement l'art du comédien, Alcandre ne dit rien de leur moralité. Or ce que l'on reprochait avant tout aux acteurs à l'époque, c'était d'être dépravés et immoraux. De ce point de vue, le choix de Clindor pour défendre les comédiens peut paraître ambigu : n'est-il pas voleur, un peu filou et volontiers volage ? Il semble bien que Corneille fait avant tout son propre éloge dans ces vers. Alcandre, double de l'auteur/metteur en scène semble un être beaucoup plus respectable que Clindor (cf. argument 6). Pridamant ne l'appelle-t-il pas « grand Mage » à l'avant-dernier vers ? V. Une vision du monde baroque Nous avons cependant le droit de poser la question de la moralité d'Alcandre. N'a-t-il pas abusé Pridamant à plusieurs reprises ? Il semble que pour Alcandre l'être et le paraître soient choses semblables. Ce qui a lieu pendant le temps de la représentation est vrai, quand bien même cette vérité est différente de celle du monde réel, qui pourrait bien n'être lui-même qu'une autre pièce de théâtre. Ainsi n'a-t-il jamais vraiment menti à Pridamant. Les vêtements qu'il a montrés à Pridamant à l'acte I sont bien à Clindor (v. 31), et en un sens celui-ci est bien mort sur la scène du théâtre (v.15). Il importe à Pridamant d'accepter cette vision du monde, selon laquelle tout est vrai et feinte à la fois (v.33).