Parashat Vayigach Après que Yossef ait menacé de garder Binyamin en tant qu'esclave, Yéhouda décide d'intervenir afin de le convaincre de changer d'avis. S'étant engagé auprès de Yaakov comme garant du retour de Binyamin, Yéhouda va jusqu'à proposer d'être pris en esclave à la place de son jeune frère. Devant une telle détermination à sauver Binyamin, Yossef craque et révèle son identité à ses frères. Après les pleurs des retrouvailles, Yossef demande à ses frères d'aller chercher Yaakov leur père afin qu'il s'installe en Égypte et qu'il puisse échapper à la famine qui sévissait dans le pays de Canaan. Ce sont les soixante-dix personnes qui composent la famille de Yaakov que la paracha énumère lorsque Yaakov entreprend le déménagement vers l'Égypte pour rejoindre son fils Yossef. Ainsi, Yéhouda devance le reste de la famille afin de préparer l'installation de son père dans la ville de Gochène. Une fois en Égypte, Yossef présente son père ainsi que ses frères à Pharaon qui accepte que ces derniers s'installent dans son pays. Après l'installation de Yaakov et de sa famille, la torah raconte comment Yossef a acquis tous les biens de égyptiens durant la famine. Ces derniers, tellement démunis pour obtenir du blé sont allés jusqu'à se vendre en esclave afin d'acheter à Yossef le blé qu'il avait engrangé. Dans le chapitre 45 de Béréchit, la torah dit: : לַדָ ֶרך,פִי פ ְַרע ֹה; ַוי ִתֵ ן ָלהֶם צֵדָ ה- ַוי ִתֵ ן ָלהֶם יוסֵף ֲעגָלות עַל,כֵן ְבנֵי יִש ְָר ֵאל- ַויַעֲשו/כא 21/ Ainsi firent les bné-Israël: Yossef leur donna des charettes d'après l'ordre de Pharaon et les munit de provisions pour le voyage. :שמָלת ְ ְו ָחמֵש ֲחלִפ ֹת,שלש ֵמאות ֶכסֶף ְ שמָלת; ו ְל ִבנְיָמִן נָתַן ְ ֲחלִפות, ְל ֻכלָם נָתַ ן ָלאִיש/כב 22/ II donna à tous, individuellement, des habillements de rechange; pour Benyamin, il lui fit présent de trois cents pièces d'argent et de cinq habillements de rechange. :לַדָ ֶרך-- לְָבִיו, מִטוב ִמצ ְָרי ִם; ְו ֶעשֶר אֲת ֹנ ֹת נֹשְא ֹת בָר ָו ֶלחֶם ומָזון,שאִים ְ ֹ נ, ֲעש ָָרה חֲמ ִֹרים,שלַח כְז ֹאת ָ ולְָבִיו/כג 23/ Pareillement, il envoya à son père dix ânes chargés des meilleurs produits de l'Égypte et dix ânesses portant du blé, du pain et des provisions de voyage pour son père. Comme nous pouvons l'observer, Yossef fait une différence entre ses frères et offre plus à Binyamin qu'aux autres. Sur cette différence, la guémara (traité méguila, page 16a) demande : « Se peut-il que la Ce feuillet nécessite la Gueniza chose même dont ce tsadik (Yossef) a souffert lui soit une cause d'embûche ? Car Rava bar Mé'hassya a dit au nom de Rav 'Hama bar Gouria, qui l'a luimême dit au nom de Rav : à cause du poids de deux -P1- Parasha Vayigach 5776 séla d'un vêtement de fine laine, que Yaakov a ajouté à Yossef par rapport à ses frères, l'affaire s'est développée jusqu'à que nos frères descendent en Égypte. Rabbi Binyamin bar Yéfet a répondu : Il a en réalité fait une allusion sur le fait que plus tard, un fils (Mordékhaï) descendrait de lui, et sortirait de chez le roi vêtu de cinq habits royaux, ainsi qu'il est dit (Esther, chapitre 8, verset 15) : ''Mordékhaï sortit de chez le roi vêtu d'habits royaux de bleu et de blanc, d'un grand diadème d'or et d'une tunique de lin fin et de pourpre... .'' » En effet, cette fameuse tunique qu'avait confectionnée Yaakov pour Yossef a créé la jalousie de ses frères au point de le vendre, ce qui a mené dans notre paracha, toute la famille de Yaakov à s'installer en Égypte. Or, il semble que Yossef agisse de la même façon en faisant une différence évidente entre Binyamin et ses frères. Comment pourrait-il refaire ce qui lui a causé tant de souffrance ? D'où la nécessité pour la guémara d'expliquer qu'il s'agissait en fait d'une allusion sur l'avenir d'un des descendants de Binyamin. Sur cela, le Maharcha pose une question très connue. Le texte que nous venons de citer semble omettre une détail important. Les habits ne sont pas la seule différence que Yossef fait entre Binyamin et ses frères. En plus des vêtements, Binyamin a reçu de son frère aîné, une somme de trois cents pièces d'argent ! De sorte, la réponse de la guémara semble inadaptée, car quand bien même, Yossef cherchait à faire une allusion à son frère, cela ne retire pas le risque de jalousie entre les frères dans la mesure où seuls les vêtements sont justifiés mais pas l'argent. Pourquoi la guémara ne juge t-elle pas cette somme comme une potentielle source de conflit ? Pour tenter de comprendre plus en avant cette question, il convient de la mettre en rapport avec l'attitude générale de Yossef dans les trois dernières parachyot. Le Sékhel Tov écrit que la multiplication par cinq des habits offerts à Binyamin relève d'un choix volontaire de Yossef, d'opérer régulièrement en rapport avec ce chiffre. Ainsi, nous notons deux autres endroits où Yossef opte pour ce chiffre. Lorsqu'il se présente devant Pharaon et lui explique ses rêves, Yossef suggère au roi de faire des récoltes dans tout le pays et qu'un cinquième soit reversé au roi (cf chapitre 41, verset 34), et c'est d'ailleurs ainsi que cela sera établi plus tard à titre de loi (cf, chapitre 47, verset 24). De même, dans la paracha de la semaine dernière, lorsque les frères présentent Binyamin à Yossef, ce dernier les accueille dans ses Ce feuillet nécessite la Gueniza appartements et festoie avec eux. Lors de ce repas, il accorde à son petit frère Binyamin cinq parts tandis que les autres ne reçoivent qu'une seule part. Nous nous apercevons donc que l'attitude de Yossef n'est pas anodine et qu'au contraire, elle semble nourrir un dessein dont les divers éléments cités par le Sékhel Tov font partie. Tentons de mettre en évidence l'objectif de Yossef. En ce qui concerne le premier élément que nous avons cité, la torah précise que les prêtes idolâtres de Pharaon, se sont vus exempter de l'impôt. Le Yalkout Réouvéni demande au nom du Séfer Ha'hassidim quel est l’intérêt de la torah de nous préciser ce passage ? À cela il apporte la réponse suivante : « Pour nous apprendre que si le roi impose un impôt aux gens de la ville, ils doivent s'y soumettre, mais les érudits en torah qui étudient jours et nuits ne doivent pas y êtres contraints, car nous voyons déjà que Pharaon a exempté ses prêtres idolâtres de l'impôt, alors à fortiori pour les serviteurs d'Hachem, il incombera au peuple de les aider. » Cet enseignement du Yalkout Réouvéni peut nous révéler une allusion extraordinaire sur l'avenir du peuple. En effet, il compare les érudits aux prêtres et explique qu'ils ne doivent pas subir l'impôt. Or, la suite de l'histoire est édifiante à ce sujet dans la mesure où, lorsque Pharaon assujettira le peuple hébreu, une partie des bné-Israël, celle-là même qui ne cessera d'étudier la torah, sera épargnée de l'esclavage. Pour mieux comprendre, il convient de rappeler le stratagème qu'utilisera Pharaon pour asservir les bné-Israël. Voyant que le peuple quittait la ville de Gochène pour se mêler à la masse, Pharaon décrète une journée de travail nationale, à laquelle il prend lui-même part. Bien évidemment, les hébreux participent pour ne pas se distinguer. Au terme de cette journée, Pharaon recense tous les travaux accomplis par les bné-Israël, et leur impose de reproduire cela de façon quotidienne. Seule la tribu de Lévi, a fait le choix de ne pas participer à cette journée du travail et s'est consacrée à la torah. De sorte, elle n'est pas tombée dans le piège de Pharaon et n'a pas été soumise à l'obligation de travailler pour le roi. Ainsi, la tribu de Lévi est la seule qui n'a pas subi les souffrances de l'exil de part son étude de la torah. De sorte, l'étude de la torah les a préservés de l'impôt royal. Cette même tribu qui s'est consacrée à l'étude, sera plus tard désignée comme celle chargée de s'occuper du temple et en -P2- Parasha Vayigach 5776 son sein, seront choisis les prêtres d'Hachem dans la descendance d'Aaron Hacohen. '' אחדun'' ! C'est pour cela, qu'en le voyant Yaakov récite le chéma ! Il s'avère donc que le choix de Yossef de soustraire un cinquième des réserves du pays afin de les offrir au roi, a conduit à distinguer les prêtres des autres sujets du roi. Parallèlement, cela a permis de distinguer la tribu de Lévi du reste du peuple et de les consacrer au service dans le temple. L'attitude de Yossef met donc en place l'avenir des Léviim. Mais cela a une conséquence immédiate : puisque les Lévi seront exclusivement au service d'Hachem, ils sortent littéralement du compte des douze tribus. Pour paraphraser la torah, ils deviennent « l'héritage d'Hachem » et se distinguent des autres tribus. En conséquence, le nombre de tribu passe de douze à onze ! Cela pose un problème dans la mesure où elles sont bien sensées être douze ! En effet, nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises l'enseignement du Maharal de Prague qui explique que le dernier mot de la première phrase du chéma est le mot '' אחדun''. Or il est composé des lettres '' א '' qui vaut un, '' '' חqui vaut huit et '' '' דqui vaut quatre. La première lettre fait référence à Yaakov qui est l'unité et qui a donné douze enfants qui seront issus pour huit d'entre eux, de ses femmes, et pour quatre, des servantes. Le '' '' אse divise donc en '' '' ח plus '' '' דet ensemble tout cela forme le mot ''אחד un''. En clair, les différentes parties du peuple aboutiront à la formation d'un peuple qui sera unique. Toutefois, si nous partons du principe que Lévi est maintenant exclu de ce compte, alors la descendance de Yaakov ne reflète plus l'unité ! Nous comprenons par cela le fil conducteur qui motive Yossef dans les divers éléments cités par le Sékhel Tov. Il s'agit d'assurer le rôle de chacun dans la formation du peuple d'Israël et surtout, de maintenir l'unité que ce dernier représente. À ce titre, cela nous amène à comprendre pourquoi, il multiplie par cinq le repas de Binyamin et pourquoi il fait de même avec les vêtements qu'il lui offre, avec en prime, trois cents pièces d'argent. Sur cela, l'auteur du Maassé Avot Simane Labanim (tome 5, page 105) apporte une remarque extraordinaire. Nos sages enseignent que lors des retrouvailles entre Yossef et son père, Yaakov récitait le Chéma ! Beaucoup d'encre a coulé sur ce passage afin de tenter de comprendre pourquoi spécialement à cet instant, Yaakov récite ce passage ? La réponse apportée par le rav consiste à prendre en compte l'inquiétude de Yaakov qui savait que Lévi sortirait du cadre des douze, de sorte que sa descendance ne serait plus '' אחדun'', dans la mesure où le '' '' חreprésentant les huit enfants issus de Ra'hel et Léa, serait incomplet. C'est justement en voyant Yossef vivant que Yaakov comprend ce qui se passera. Car, comme chacun le sait, Yossef a mérité que ses deux fils soient élevés au stade de tribu à part entière. De sorte, il n'existe pas de tribu de Yossef, mais deux tribus, celle de Ménaché et celle d'Éphraïm, fils de Yossef ! Yossef est donc celui qui complètera le '' '' ח, rétablissant l'unité de Ce feuillet nécessite la Gueniza En ce qui concerne le premier élément, la réponse est évidente. Nos sages expliquent que la raison profonde de l'attitude de Yossef qui se cache de ses frères, est de les tester. Il souhaitait vérifier s'ils regrettaient ce qu'ils lui avaient fait subir et s'ils avaient fait téchouva. La jalousie ne peut subsister dans un peuple chargé de représenter l'unité divine, c'est pourquoi, Yossef veut s'assurer qu'elle a été supprimé du cœur de ses frères. Pour se faire, il met en scène ce repas dans lequel, il favorise son petit frère, afin de raviver la jalousie de ses frères. Baroukh Hachem, le résultat est concluant, puisque les frères réalisent par cela une réparation en prouvant qu'ils ont effacé de leur cœur toute trace de jalousie. Yossef est donc rassurer de voir que la cohésion du peuple est préservée. Une dernière étape doit encore être accomplie. Il s'agit de préserver ces douze tributs symbole du '' אחדun''. Sur cela, le Midrach Moshé développe un commentaire passionnant et répond à notre premier question. Nous nous étions demandé, pourquoi la guémara explique la raison des cinq habits offerts à Binyamin en omettant les trois pièces qu'il s'est vu attribuer. Le Midrach Moshé apporte une réponse en se basant sur le seul Tosfot présent dans la page 16a du traité méguila que nous avons susmentionné. Nos sages enseignent que lors qu'Haman, l'ennemi des juifs, a voulu convaincre le roi Ha'hachvéroch de tuer les juifs, il lui a offert la somme de dix mille kikars d'argent. Or, Rech Lakif enseigne (traité méguila 13b) : « Il était déjà bien connu devant Celui qui a parlé et le monde est venu à l'existence, qu'Haman était destiné à peser des chékalim pour exterminer les juifs. Aussi, fit-Il devancer les chékalim des juifs aux chékalim d'Haman. » En clair, l'argent que les bné-Israël donnaient chaque année, le fameux ma'hatsit hachékel (un demi chekel) a contrecarré la somme qu'Haman a versée -P3- Parasha Vayigach 5776 au roi pour obtenir la mort des juifs. Sur cela, Tosfot écrit : « J'ai entendu que les dix mille kikars d'argent (d'Haman) équivalaient au demi chékel de chacun des bné-Israël. Ces derniers étaient six cent mille en sortant d'Égypte et il est dit qu'il (Haman) a ''acheté'' chacun des bné-Israël. » Sur cette base, le Midrach Moshé conclut, qu'un demi chekel est la valeur qui a permis le sauvetage d'une vie, d'où la nécessité que les six cent mille bné-Israël donnent cette somme, pour être sauvés à l'époque de Pourim. Or, concernant Binyamin, la torah raconte que ce nom provient de Yaakov, cependant, Ra'hel sa mère l'avait nommé ''Ben Oni'' qui signifie '' le fils de ma souffrance '' (cf, béréchit, chapitre, 35, verset 18). Sur cela, le Daat Zékénim miBaalé haTosfot précise que ce nom concerne l'avenir, lors de la querelle qui éclatera entre la tribu de Binyamin et les onze autres. En effet, suite à un viol collectif commis par les membres de la tribu, l'ensemble du peuple d'Israël a livré bataille contre les descendants de Binyamin, au point de quasiment éradiquer, tous les membres de la tribu. Seul, six cent personnes ont survécu à ce conflit. De là, le Midrach Moshé explique la raison des trois pièces que Yossef offre à Binyamin. Trois cents pièces équivalent à six cents demies pièces. En clair, cette somme constitue un rachat de la vie pour les descendants de Binyamin ! Par cet argent, Yossef assure la survie d'une poignée des descendants de Binyamin ! Une fois de plus, l'attitude de Yossef permet le maintien des douze tribus, même lorsqu'une d'entre-elles aurait pu être éradiquée has véchalom ! C'est sans doute pour cela que la guémara ne s'est arrêtée que sur les cinq vêtements et non sur les pièces. Car, ces cinq vêtements sont le signe que Mordékhaï portera les habits royaux. Or, cela n'est possible qu'à condition que la tribu de Mordékhaï survive. Sans quoi, il est évident que Mordékhaï ne verra pas le jour. De facto, l'allusion des vêtements inclut celles des pièces, elle en est même la conséquence ! Nous voyons donc combien il est important pour Yossef de maintenir l'unité et la cohésion des bnéIsraël. Chaque membre du peuple avait, pour lui, une valeur inestimable et l'unité de ce peuple est ce qui assurerait sa survie. D'où toute son entreprise au travers des divers faits que nous avons énoncés. C'est sans doute une des raisons parmi tant, qui lui a value à lui, plus qu'aux autres, de se voir attribuer une tribu supplémentaire. À nous d'en tirer le message et de comprendre combien chaque membre du peuple hébreu joue un rôle capital et combien chacun d'entre nous est précieux. Cela sera sans doute pour nous le moyen de retrouver cette cohésion que nous avons perdue et de faire disparaître la haine gratuite, cause de la destruction du temple. Yéhi ratsone qu'Hachem nous aide dans cette démarche. Chabbat chalom. Y.M. Charbit Retrouvez l'ensemble de nos contenus sur www.yamcheltorah.fr. Inscrivez-vous à la newsletter afin de recevoir les divré-torah toutes les semaines par e-mail. Ce feuillet nécessite la Gueniza -P4- Parasha Vayigach 5776